A la fois effrénée et touchante, la musique de Ought tire des petites victoires du quotidien des plans d'avenir. “Today more than other day/ I am prepared/ To make the decision/ Between 2 per cent and whole milk”. Si on peut réussir à faire un choix au petit déjeuner, la journée s'annonce pleine de surprises. La voix sardonique de Tim Beeler se transforme parfois en euphorie, en tout cas c'est un punk toujours existentiel (parce qu'on aimerait savoir ou c'est, chez soi) et toujours fun (parce que c'est maintenant, plus qu'aucun autre jour), comme seuls quatre exilés qui devaient se rencontrer peuvent produire. On pense très fort à Sonic Youth sur Around Again, et parfois au Velvet Underground, à Television ou encore Talking Heads. 'Non specific city' chante Beeler sur Habit, nous disant que le sentiment d'habitude peut naître de n'importe quelle ville. J'ai toujours pensé que les villes ouvertes marchaient mieux. Ils ont du mal à ne pas nous donner l'impression de ne pas traverser un pont ésotérique de New York. Mais cette façon habitée de célébrer le moment est la leur, et rien ne pourrait leur retirer. Un des groupes les plus vitaux du printemps!
Feel so Different, Three Babies, Nothing Can Compare 2 U
°°
Qualités
Atmosphérique, habité, apaisé/td>
Dans les médias qui s'emparent de son succès, O'Connor apparaît déjà aussi défiante que fragile. Ses yeux lui donne un regard magnétique et sa tête rasée par conviction lui vaudra le surnom de Skinhead O'Connor. Et I Do Not Want What I Haven't Got va montrer une artiste ruminant déjà quant au coût de ses ambitions. O'Connor ne voulut jamais aller aussi loin qu'au point où le deviendrait une star et où elle ne pourrait plus changer. A 23 ans, elle essaie simplement de se défendre. « Il pense que je suis devenue célèbre/Et que c'est ce qui m'a confuse », prédit t-elle avec une étrange précocité sur The Emperors's New Clothes. « Comment pourrais-je avoir su ce que je voulais/alors que je n'avais que vingt et un ans ? » 20 ans et beaucoup de choses à éclaircir en soi pour trouver le courage de les dire aux autres. I Do Not Want What I Haven't Got n'est fait que de choses qui tiennent la chanteuse à cœur, et ce n'est pas sans conséquences pour son entourage.
2 janvier 1983 : Colin Roach, un jeune noir londonien de 21 ans, se fait assassiner. Des policiers sont impliqués ce qui apparaît comme une insoutenable bavure pour laquelle Margaret Tatcher ne réagit pas. Sinéad O'Connor ajoute une victime à son tableau de chasse, le racisme, en écrivant Black Boys on Mopeds. Elle déclare vouloir quitter son pays en signe de protestation. La menace de s’expatrier est toujours un message fort et désespéré. La chanteuse s'y positionne à la fois comme citoyenne offensée, comme fausse ingénue blessée par le manque de poids d'un message de paix déjà dispensé dans The Lion and the Cobra (1987) et comme mère protectrice. Son ambition de concilier chacune de ces facettes, cette harmonie fragile, traverse I Do Not Want What I Haven't Got.
Cet équilibre est gagné par une intensité incessante. Plus que de la spiritualité, c'est une croyance vivace qui s'écoule dans les veines de l'album, dès son introduction avec la prière de la Sérénité. « Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d'en connaître la différence. » Le reste ressemble à une longue prière, trouvant sa conclusion dans la chanson-titre, a cappela : « Je marche à travers le désert/et je n'ai pas peur... J'ai tout ce que je voulais/et je ne veux pas ce que je n'ai pas eu. » Les points d'orgue de ces chansons résonnent à nos oreilles longtemps après que l'album soit terminé, par la grâce de la voix profonde de Sinéad O'Connor.
Elle transforme les intentions en déclarations de foi viscérales, en travaillant à son échelle. Elle y met en évidence la façon dont nous sommes tous irrémédiablement liés par des liens diaphanes qui ne se ressentent que lorsque les sentiments les plus forts nous obligent à les éprouver. Un journaliste écrira : « O'Connor semble considérer des vérités, que dans un meilleur monde, personne n'ait besoin de connaître. Elle réalise que l'amour se finit trop souvent en trahison ; qu'il y a des forces dans le monde qui souhaite vous faire taire, vous tuer pour vos différences ; et que vous pourriez ne jamais obtenir certaines des choses dont vous avez les plus besoin dans la vie – ou que vous pourriez les recevoir sans que votre cœur ne puisse éviter d'être brisé. » Avec de tels sentiments, I Do Not Want What I Haven't Got aurait pu être un album confus ou portant la chanteuse à l'hystérie ; au contraire, il est limpide. Il lui sert de recueil, de journal et lui permet de clarifier une vie qu'elle peut déjà craindre de ne plus contrôler. L'enjeu ne sera jamais plus aussi élevé qu'avec cet album, et bien qu'Universal Mother (1994) et Faith and Courage (2000)permettent d’approfondir dans la maturité, O'Connor n'y parvient plus à la même cohérence, à la même clarté.
Trop touché par la grâce pour être morbide, l'album n'en révéle pas moins un veine romantique digne d'Edgar Poe, avec Three Babies (qui évoque plusieurs avortements) ou I'm Stretched To Your Grave, chanson tirée d'un poème du 17 ème siècle. C'est un spectacle étrange, presque mélancolique que de voir s'écouler tant de la vie intime de la chanteuse, de façon à la fois forte et diffuse, toujours portée par des intentions d'absolu. Son meilleur combat entre vie privée et vie publique se fera dans des chansons dont le plaisir d'écoute transcende la puissance des projections d'un esprit blessé. Mélancolie de voir pointer cette solitude affective à laquelle tant de chanteuses ont goûté, quand il est difficile de mener de front une carrière fulgurante et une vie de famille – ou de trouver un homme qui puisse accepter votre manque soudain de vie privée. En termes de maux de cœur, Nothing Compares 2U culmine. Chanson écrite par Prince en 1984, elle sera accompagnée d'une vidéo dramatique très appréciée à l'époque. La chanson a semblé depuis lors accaparer à elle seule une expression ; celle liée au vide existentiel consécutif à une relation qui se termine. Encouragée par des artistes qu'elle admire, O'Connor prouve qu'elle est capable de se révéler complètement, sans se douter que son malaise de s'être tant confiée grandira progressivement. La chanson– et le visage poupin e la chanteuse, tourné face à la caméra – resteront dans le domaine inégalés.
Même si elle apprend à utiliser ce que certains appellent le 'concept de distance artistique', c'est à dire à s'investir moins frontalement, de manière à donner à ses chansons un aspect plus attrayant et assimilable, l'album reste si personnel et cathartique qui qu'il est facile d'oublier la versatilité musicale de O'Connor. Cette diversité se fit en faveur d'une générosité orchestrale apaisante, parfois presque euphorisante, à l’exception deI'm Stretched to Your Grave, qui est récitée sur un beat électronique et en devient volontairement à une austérité réparatrice. Entre la voix, assurée, et la musique, précise et belle, un équilibre majestueux est atteint. A ce stade de sa carrière, difficile d'imaginer qu'O'Connor puisse à ce point être affectée par la médisance de ses pairs ; elle semble intouchable.
La musique élégiaque de la jeune américaine Julianna Barwick, constituée entièrement de chœurs, a marqué les esprits en 2011. Julia Holter n’est pas très loin, par moments, d’utiliser la même palette organique. Mélangeant instruments acoustiques, et quantité de synthétiseurs, Tragedy est un album complexe mais pénétrant. Il y a du Scott Walker circa Tilt (1995) sur cette extraordinaire Interlude, et la poésie infiniment mélancolique de Max Richter (telle qu’on a pu l’entendre sur Infra en 2009), par touches ça et là ; certains y entendent le son de This Mortal Coil ou Laurie Anderson. The Falling Age fait venir à l’esprit les productions de David Lynch et Antonio Bandalamenti pour Julee Cruise sur Floating into the Night (1989) : Cruise capturée pour l’éternité dans la gaze narcotique orchestrée par le cinéaste. Ce n’est pas seulement la musique, mais la voix claire, lointaine et lente de Holter qui reproduit ce flottement dans la nuit. Avec plus de liberté ; il n’y a pas ici de morceaux pop, mais une trame en mouvement incessant, riche d’harmonies et aérienne. A défaut d’être heureux, le disque est agréable, comme une profonde inspiration.
Julia Holter est de ces musiciens que les écoles de musique firent réfléchir. Ennuyée par les préceptes qui nécessitaient d’écrire la musique pour la composer, ou de produire une pièce d’orchestre pour pouvoir passer dans la classe supérieure, elle apprit l’art selon ses propres règles. Elle ne donnera jamais complètement les ingrédients de l’expérimentation de Tragedy. Holter y joue tous les instruments elle-même, à l’exception de quelques interventions de saxophone. Beaucoup de sons ont été astucieusement transfigurés par la magie électronique, travaillés avec l’austérité et la méticulosité inspirée des compositeurs de musique contemporaine. Le processus de mixage devient l’équivalent d’un travail d’orchestration. Celui de Tragedy Finale, qui comporte une multitude de voix entremêlées avec une grâce stupéfiante – dont la sienne, transformée pour ressembler à celle d’un homme - a demandé un mois d’ouvrage.
Basé sur Hippolyte, la pièce millénaire d’Euripide, Tragedy déploie ses limites narratives dans une grande variété de goûts, de visions, produisant une œuvre à la cartographie foisonnante qui ne cesse de se déployer dans nos têtes. Ce n’est pas un disque de chansons, mais d’images cinématiques, de fondus enchaînés où l’on passe d’un ressenti à un autre. Il décrit la façon dont certaines situations affectent les esprits de différents personnages, dans un climat d’évanescence triomphante. « Je n’ai pas choisi d’utiliser la pièce pour une autre raison que parce j’ai aimé les situations dont que j’ai observées et les émotions qui ont gagné les personnages », commente Julia Holter interviewée sur le site Euterpe’s Notebook. La musicienne se pose ainsi comme simple témoin. La forme désincarnée permet d’échapper à toute notion temporelle et spatiale, ce qui est une belle idée lorsqu’on s’inspire d’une pièce vieille de plus de 2000 ans. Les paroles sont souvent directement empruntées à la pièce. Les voix échangent entre elles, les esprits sont animés de conversations. Les émotions s’étirent, s’approfondissent pendant plusieurs minutes. L’amalgame des éléments crée une musique comme un voile éthéré. Tragedy se construit dans une succession d’artifices si naturellement amenés qu’ils chassent toute idée de concept ou de style. L'album n'est dévoué qu'à se nourrir lui-même.
« Open your mouth wide, the universe will sight ». Le huitième album de Radiohead, ou peut-être seulement une partie de cet album, est finalement paru. L’autre jour, Karma Police passait à la radio et j’ai imaginé que si Radiohead avait reproduit un disque comme Ok Computer (1997), on aurait pu planétairement dire qu’ils étaient finis. Cela n’a rien à voir avec la qualité de la musique, KarmaPolice étant bien sur une excellente chanson. C’est seulement que le disque dont la chanson était issue, nous l’avons assimilé, nous en avons intégré les règles émotionnelles, il ne nous surprend plus que de manière fugitive. Les mécanismes précieux par lesquels Radiohead s’exprimait alors en musique n’ont plus de secret pour nous ; ils jouaient un rock auquel il était impossible de s’identifier, mais dans lequel il était si agréable d’imaginer toutes sortes de choses, parce qu’ils savent tellement bien conjurer une atmosphère. Les guitares fiévreuses ont été peu à peu rejointes par des signaux électroniques, accompagnant avec le groupe l’entrée du psychédélisme anglais dans le XXI ème siècle. Thom Yorke, l’auteur de tant de chansons bouleversantes, confiait en 2006 n’écouter que des beats et des grooves comme ceux de Modeselektor ou plus récemment Flying Lotus (deux projets auxquels Yorke a participé).
Hail To the Thief (2003) et In Rainbows (2007) prolongeaient de façon vaguement démonstrative la formidable éclosion d’un orfèvre du son, Jonny Greenwood. Presque quinze ans après avoir eu l’idée de génie de violenter sa guitare juste a l’entrée du refrain de Creep, il sertissait Nude d’un nuage élégiaque – mais nous savions déjà qu’une émancipation avait eu lieu avec Kid A (2000), et la découverte par Greenwood des ondes Martenot, le « premier synthétiseur du monde ». Pas d’ondes Martenot sur The King of Limbs ; et les arrangements ont un air mutin de pâtisserie orientale, n’agissent plus autant dans un but noble que dans celui d’imiter l’effet d’une piqure anesthésiante presque parodique. In Rainbows rendait aussi compte de la progression d’un batteur de plus en plus obsédé par les rythmes métronomiques hérités de Can, et soudain mélés à des beats de synthèse sur 15 Step. Le grand public apprenait que les boîtes à rythmes, plutôt que de seulement cohabiter avec les vraies percussions de Philip Selway, guidaient le batteur vers davantage d’inspiration et de précision. The King of Limbs continue sur cette voie, proposant sur certains titres une interaction maligne. Et, pour faire bonne mesure, le bassiste Colin Greenwood est ici particulièrement mis en valeur ; pas d’une manière aussi systématique et dantesque qu’au temps de The National Anthem, titre dont il était la base, mais de façon quelque peu illustrative.
Grandiloquent, apocalyptique ; ces termes autrefois volontiers appliqués à Radiohead, ceux-ci les ont habilement laissés comme un boulet à quelques-uns de leurs suiveurs – Radiohead a l’habitude aujourd’hui de susciter quelques mimes dont la particularité est d’avoir toujours cinq ou six ans de retard en termes d’inspiration. Le groupe s’étant débarrassé d’une aura qui n’était qu’inertie et encombrement, il leur restait à se débarrasser d’être Radiohead. Ils étaient impossibles à approcher, objets d’admiration, de subjugation, de charme évanescent, tous genres d’effets qui en 2011 semblent bien superflus. Ils sont avec The King of Limbs là, avec nous, dans nos oreilles, développant insidieusement les liens atrophiés qui réunissent les belles harmonies et les rythmes pour le corps. Ils nous réapprennent à danser dans notre tête. « Quand j’entends The King of Limbs, je me sens comme Thom sur cette vidéo », témoignait un internaute. La vidéo en question, c’est celle de Lotus Flower, une séquence de danse urbaine et psychotique qui fait naturellement le lien avec les images pour Street Spirit (Fade Out). Dans les paroles, le chanteur nous conseille de faire ce qu’on veut de son petit corps fébrile.
Dans le vibrant retour à la réalité que constitue The King of Limbs, la voix de Yorke n’implore plus ; elle émet de l’ésotérisme primal et impénétrable. S’adresse directement à l’auditeur, le remue. « you’ve got some nerve coming here » glapit t-il sur Good Morning M.Magpie. Avant de se lancer dans un lent et doucereux « Good morning Mr. Magpie, How are we today ? ». Avec cette proximité, la moindre sentence prend un air politique, manipulateur, malin, immédiat. Couplé au background en forme de mantra (sur Bloom, Good Morning M. Magpie, Little by Little), cela crée une ambiance inquiétante et avant-gardiste. Il y a là quelques gènes, forcément, de la musique du futur. A ce rythme, et c’est le cas de le dire, le prochain de leurs disques se téléchargera directement dans notre cerveau pour un endolorissement délicieux et encore plus immédiat.
Ce n’est pas un hasard que ce soit Radiohead qui les premiers aient porté à échelle mondiale le système de laisser choisir à l’auditeur le prix de son disque. C’était l’impliquer dans l’expérience ; le rapprocher de sa source de plaisir ; lui donner la sensation de contrôler sa destinée, et accroître la côte de sympathie du groupe. Pourtant, Radiohead est une équipe d’implacables professionnels, qui ont déjà effrayé au moins une fois leurs véritables admirateurs. C’est un maelstrom total pourtant léger, une solution aqueuse et envahissante, une forme de vie dont le schéma de développement est semblable à ces monstres qui illustrent la pochette de The King Of Limbs (due comme les autres pochettes depuis Ok Computer au très inspiré et mystérieux Stanley Downwood), à chacune des 625 pièces d’artwork qui devraient constituer la version définitive du disque en mai ou encore à ce vieux chêne anglais qui a donné son nom au disque, le « roi des limbes ». Mais c’est pour votre bien, pour vous faire avancer. Leur habileté fait que vous continuerez à les aimer ; car malgré l’apparente aridité de the King Of Limbs, ils n’ont rien perdu de leur mystère et de leur ambigüité, au contraire.
Et il se pourrait, que les huit titres soient bien plus riches et texturés qu’il n’y paraît de prime abord. Le postulat étant qu’il s’agit bien de cinq musiciens, et non de Thom Yorke en solo avec l’ingénieur du son Nigel Godrich (comme ça été le cas en 2006 avec The Eraser). C’est toujours fascinant d’essayer de déceler qui fait quoi, la récompense du jeu étant d’apprécier la musique à un tout autre degré ; Greenwood est évidemment bien plus à ses pédales d’effets qu’à la guitare, et il peut arriver que Ed O’Brien ne semble faire que frapper dans ses mains tout au long d’un morceau. Les voir tous les deux triturer les sons en direct au moment des concerts est un spectacle en soi. Les guitares, quand elles s’illustrent finalement – on est bien loin, en outre, d’un My Iron Lung – sont d’une beauté stupéfiante. Tout est mesuré, et bien évidemment séquencé avec soin ; la seconde partie est plus charnelle, nous offrant une balade bouleversante qui fait une sorte de lien avec Amnesiac (Codex), une incantation sublime qui enjoint à ne pas heurter, ne pas hanter (Give up the Ghost), et Separator, bijou d’onirisme et de malice (c’est le moment pour les guitares stupéfiantes d’œuvrer) qui se termine par « If you think this is over, then you’re wrong », « si tu penses que c’est fini, tu te trompes ». Une façon pour le moins interactive de nous dire que The Present Tense et tous les autres morceaux qui ne figurent pas ici mais que le groupe a travaillés paraîtront très bientôt.
Parution : septembre 2010 Label : Swamp Records Genre : Swamp blues, rock A écouter : Tell Me Why, Roll Train Roll, Strange Night
°° Qualités : habité, poignant, nocturne
Pour certains, Tony Joe White, soixante sept ans, est une icône de la trempe Bob Dylan. Pour ceux qui le connaissent le mieux, il est l’héritier par excellence de la tradition musicale de Louisiane couplée à la tradition honky-tonk du Texas. Un songwriter à l’ombre des bayous, dans la traînée moite de ses propres projections, inspiré du blues de Lightning Hopkins et dont The Shine est le vingt-neuvième album.
White entame sa carrière en 1968 avec astucieusement nommé Black and White, disque sur lequel figure déjà un classique, Polk Salad Annie et son clip lugubre. Pour présenter ce premier album, il passe en France avec Creedence Clearwater Revival et Steppenwolf. Il produira Tina Turner, mais de manière générale il restera si discret qu’il faudrait encore le réhabiliter de ce côté de l’atlantique, comme l’ont fait à travers les Etats-Unis les artistes qui ont repris ses chansons, comme par exemple Rainy Night in Georgia qui a fait l’objet de plus de cent interprétations ; Elvis Presley, Ray Charles, Roy Orbison, Dusty Springfield, Etta James, et aussi Eric Clapton, Mark Knopfler, Michael McDonald, Waylon Jennings, Emmylou Harris, Lucinda Williams ou Shelby Lynne. Tous savent la différence ça fait que d’incarner quelque chose, que d’être conforté dans l’espoir que ce qu’on fait est culturellement viable à l’échelle de son pays. Ce panel de musiciens hors du commun ont largement donné à Tony Joe White des raisons de garder espoir ; ce qu’il fait, en 2010, avec une superbe simplicité qui transcende son image de vieux renard des marais de Louisiane et donne un beau contrepoint aux disques bourrés d’invités qu’étaient The Heroïnes (2004) et Uncovered (2006). C’est l’art de ne prendre aucun repos tout en paraissant immobile.
“[les chansons] questionnent toutes la vérité et la vie et des évènements diurnes ou nocturnes. », explique White des morceaux sur The Shine. “Elles sont toutes venues à moi, la guitare et les paroles, peut-être autour d’un feu de camp au bord d’une rivière avec quelques bières fraîches. Je vais m’assoir là, jouer un petit peu, et soudain il va se passer quelque chose – sauf pour celles que j’ai écrites avec Leann (White, sa femme]. C’est une personne de mots, et elle va me dire « qu’est ce que tu penses de ça », et soudain une petite lumière s’installe dans ma tête, un accord de guitare va s’imposer et allons-y. » La majeure partie des chansons semblent hésiter dans les limbes entre passé et présent, pétries d’images élémentaires – pluie, vents sifflants et animaux sauvages. D’autres chansons, telles Painting on a Mountain, se rapportent à un souvenir précis. « Nous avons une maison à Taos, Nouveau-Mexique. Notre maison est construite au dessus d’un village indien. C’est un endroit magique. A la fin de l’après-midi, le soleil suscite des peintures sur le flanc de la montagne ; elles changent quand le soleil se couche. »
Le tempo lent provoque un balancement, un abandon quasi lascif des corps qui donne aux motifs simples des compostions de Tony Joe White l’aura des meilleures réussites rock. Le magnétisme provoqué par ses chansons lentes et austères a bien sûr été assimilé au fantasme d’un certain « renard des marais » comme Dr John a été le « voyageur nocturne » - chacun incarne à sa manière la Nouvelle Orléans et ses atours ésotériques. La fascination éprouvée pour White peut être suscitée par la nature de sa musique aux différents niveaux de conscience, de l’immatériel au bien vivant – ce qu’ont compris les publics qui abandonnent leur corps aux pulsations régulières de la guitare et à la douce régularité de la batterie. La voix baryton de White, douce et effrayée, souvent à peine plus d’un murmure pour lequel il faudrait tendre l’oreille, fait sonner ses chansons d’une manière unique, honnête, naturelle, et vivante, mais une vie qui aurait pris coup sur coup (ici on pense à Johnny Cash), et qui n’en serait que plus digne de célébrations.
Plus on avance dans The Shine et plus il apparaît comme un puits miroitant une forme propre de désolation, le genre de celles qui suscitent la nostalgie – l’image même d’un vieux magasin de son enfance que l’on retrouverait fermé et vide. La musique de Tony Joe White est réduite à sa plus simple impression, habitée simplement de sa voix, de ses mots, de son harmonica. Le reste de la musique joue le rôle de murs, de sol et de plafond. « Parfois je disais ‘simplifiez’ mais c’est tout », se souvient White des sessions d’enregistrement avec ses quatre musiciens – basse, batterie, claviers, violoncelle. « J’étais presque comme un spectateur. J’avais cette sensation étrange de regarder tout le monde tandis que l’on jouait, assistant à la chanson sans faire de gros efforts pour qu’elle se mette en place. » La plupart des chansons ont été enregistrées en une seule prise, tout se passant comme si les accords qui amènent White de plus en plus profond n’étaient pas complètement de son fait. « Nous étions tous conscients que quelque chose se produisait dans l’air entre nous. Peut-être y avait-t-il des esprits autour de nous”.
Le résultat est une collection de dix chansons qui laissent libre cours à la rêverie en s’étirant souvent sur plus de cinq minutes. Tell Me Why, la plus belle de l’album, dépasse six minutes de litanie délicatement soulignée par l’orgue électrique. C’est dans ces moments entre deux eaux que la voix de White est la plus belle, et le disque ne se joue presque qu’à cette vitesse. « It takes courage to dust off your dreams.”, commente White dans ce titre. L’acte d’écriture prouve qu’il a ce courage. Et les rêves dont il est question sont effectivement dépoussiérés dans la clarté des atmosphères de The Shine. Deux chansons se démarquent aux extrémités du spectre que constitue The Shine : Strange Night capture ce que lui doivent Mark Knopfler (Dire Straits) ou Chris Rea. Roll Train Roll est, quand à elle, interprétée par White seul, dans un style de blues old-school. « Je pense que celle-ci était une façon d’être rappelé dans le passé. C’est pourquoi elle sonne comme si j’étais retourné à l’époque où j’écoutais Lightning Hopkins, quand je vivais au bord de la Bœuf River à Goodwill, en Louisiane, débutant la guitare. C’est le genre de choses que je jouais sous le porche la nuit. » Difficile de trouver plus authentique en 2011.
Traduit de Pitchfork à l’exception du premier paragraphe.
Dès l’entrée en matière, Her Eyes Are Underneath the Ground, The Crying Light est insondable. “Cette chanson, c’est à propos de la manière dont les enfants s’inquiètent que leurs parents vont mourir un jour, le moment où vous réalisez que personne ne va durer pour toujours » « Puis j’ai pensé que c’était peut-être ma mère qui chantait à propos de sa mère, et ainsi de suite, parce que je suis très intéressé par l’idée d’être le bout d’une ligne de vie qui remonte au début de la création ». Un « drôle » de jeu de poupées russes, en somme. « Je suis un enfant de la terre, et la terre est ma mère, ou une figure maternelle. Donc dans un sens, la chanson raconte le deuil et la manière dont nous sommes affectés des problèmes d’écologie de notre mère la terre, comme l’est l’enfant affligé pour sa mère ». Epilepsy is Dancing est encore plus surprenante ; mais mieux vaut voir la vidéo réalisée pour cette chanson par les frères Wackovski (Matrix) pour en saisir, sinon le sens, au moins l’idée esthétique. « C’est l’histoire d’une personne qui a des crises. La chanson raconte comment elle est happée par le chaos mais en réchappe ensuite, et elle commence à y voir un motif, à en saisir la chorégraphie ».
Ce qui ramène à la pochette du disque. Elle ressemble assez à celle de son prédécesseur, l’acclamé IAm a Bird Now (2005). Ce dernier représentait une photographie en noir et blanc du performer travesti Candy Darling sur son lit de mort à l’hôpital ; cette fois, on a une image encore plus désolée du danseur de Butoh japonais Kazuo Ohno, un héros d’Antony Hegarty depuis qu’il le remarqua pour la première fois sur un affiche alors qu’il étudiait en France, étant adolescent. Tandis qu’Ohno se penche en arrière, ridé et apparemment proche de la mort lui aussi, la fleur dans ses cheveux pointe la même direction que les bouquets clairs qui entourent Darling.
Mais c’est les différences entre ces deux photos qui en disent le plus sur The Crying Light. Le plus gros de ce que l’image de Darling représente – l’identité de genre, la performance artistique, l’underground New-Yorkais autour de la Factory de Warhol – est reflété dans la largesse stylistique de I Am a Bird Now, ainsi que dans son usage d’invités qui incarnaient ces thèmes, comme Lou Reed et Boy George. Le symbolisme de l’image de Ohno est plus simple. Le danseur, cité par Hegarty comme un modèle de «vieillir en tant qu’artiste » a 102 ans et ne peut plus bouger ni parler ; il apparaît dans les limbes entre deux mondes. « Il s’est entraîné jusqu’à ce qu’il ne puisse plus bouger », a expliqué Hegarty au magazine The Wire en décembre 2008. « Ensuite il a continué à effectuer les bons pas au fond de sa tête ».
SurThe Crying Light, Hegarty est fasciné par ces pas – les transitions et les chevauchements entre la vie et la mort, la mort et la vie, ce monde et le suivant. « From your skin i am born again », chante t-il sur One Dove, une ode pour un oiseau qui vient de l’ « autre côté » pour « apporter un peu de paix ». Plus loin, Aeon illustre l’éternité comme un jeune garçon né pour prendre soin de son père, alors que le temps mélange les générations. Des concepts similaires parcourent chaque chanson. Avec un touche adroite, Hegarty utilise en les répétant des mots comme « utérus » « tombe » et « lumière » et il revient aux métaphores primales – l’eau pour la vie, la poussière pour la mort, la terre comme endroit à la fois pour l’enterrement et la renaissance. « I’m only a child/born upon a grave », insiste t-il sur Kiss my Name, capturant presque l’album entier dans une seule déclaration puissante.
Bien que faciles à résumer, ces idées ne sont pas moins complexes que celles sur I Am a Bird Now. En fait, elles sont plus vastes et universelles que les perspectives New-Yorkaises de ce précédent disque. Mais elles ont aussi poussé Hegarty à créer des chansons plus simples et subtiles. A la fois épuré et riche, The Crying Light atteint une grande intensité avec un mélange relativement minimal de mélodies basiques, de paroles concises, et d’arrangements sous estimés. C’est difficile de croire qu’un disque qui crédite quatre arrangeurs et deux demi douzaines de musiciens puisse être minimal. Mais la façon qu’a Hegarty de choisir leurs contributions est plutôt question de précision que de volume, davantage de moments attentivement choisis que de voix multiples. Le sombre violoncelle qui termine Her Eyes are Underneath The Ground par exemple, ou la douce floraison de vents au milieu de Epilepsy is Dancing, ou encore les claquements de doigts qui donnent une dimension charnelle et spirituelle au morceau titre.
Peut-être qu’Hegarty a enregistré des prises avec plus de chair pour ensuite en supprimer des parties, laissant leurs échos flotter dans les limbes qu’il chante. Quel que soit son procédé, l’utilisation qu’Hegarty fait de l’orchestration pour accentuer et souligner crée un pouvoir indéniable, le genre qu’une densité sonore plus grande n’aurait pas pu contenir.
Le disque commence par un enregistrement à la volée, dans un endroit ouvert sur la rue et un piano fabuleux qui reprend une malédiction lyrique oubliée par le temps… Et la suite nous dit effectivement que les « chutes » de studio enregistrées entre The Cold Nose (2003) et In Ear Park (2008) privilégient la texture, le relief, la spontanéité et une liberté sonore rare.
Si ce Practice Room Sketch 1 qui sert d’introduction au disque est un montage, alors Archive 2003-2006 est un album psychédélique et décomplexé de première volée. Par ce premier petit bout de vie sonore, le disque se met hors d’atteinte de tout empressement – et le simple fait qu’il s’agisse de titres enregistrés il y a « déjà » sept, six et cinq ans lui donne cette pertinence à vouloir arrêter un peu sur lui le défilé des découvertes, des nouveaux groupes qui apparaissent comme des champignons. Ces Archive peuvent avoir l’air mal assurées, faites de pièces sur lesquelles le doute était permis, c’est en fait un disque plein de volonté, intelligent en plus d’être beau. Ses circonvolutions et ses rebondissements nous font réfléchir sur la musique d’aujourd’hui tout entière, peut-être parce que Department of Eagles produit quelque chose qui n’est pas exactement en accord avec son temps – trop de contemplation et de suggestion – invitant par là l’auditeur à l’intérieur de sa musique organique -, quand il faut aujourd’hui des résultats plus concrets.
L’autre projet de Daniel Rossen, Grizzly Bear est adoré par beaucoup tandis que Department of Eagles est simplement ignoré. En fait, l’explication du manque d’intérêt pour ce duo discret est que la clef de sa magie est dans des sphères un peu en décalage avec la plus grosse partie de la production rock ; les mélodies sont surprenantes et Rossen a tendance à préférer chanter de manière originale. Mais plus que ça, c’est peut-être leur intérêt pour la musique classique qui les rend étrangement difficiles à saisir ; leurs arrangements ont une complexité plus grande que celle des Beatles – il suffisait d’écouter In Ear Park ou Phantom Other pour s’en convaincre.
Il y a chez Department of Eagles la musique populaire… et autre chose, une flamme que l’on entrevoit sans jamais parvenir à la capturer, une verve qui se fait parfois flots tumultueux – et on croirait alors entendre le groupe le plus accompli des temps modernes - mais qui est le plus souvent insaisissable, et frustrante. En temps qu’auditeur, on a pas forcément envie de partir à la chasse aux couleurs et aux formes. On peut être perdu l’esprit aventureux de ceux qui écoutaient de la musique exploratoire à l’époque où le rock a cherché à dépasser pour la première fois l’héritage d’Elvis pour aller dans des voies moins unidimensionnelles. En fait, Department of Eagles n’a pas si bien marché parce que c’est un anachronisme en son temps.
La différence avec In Ear Park n’est pas forcément au niveau de la qualité (et In Ear Park était sûrement l’un des meilleurs disques à avoir vu le jour en 2008) mais dans une plus grande nonchalance. C’est comme si, loin d’être frustrés par un travail de studio qui n’aboutissait pas – en voilà qui sont vraiment exigeant envers eux-mêmes – le duo s’amusait de la nature un peu folle de sa musique. Et semble avoir idée sur idée mélodique et rythmique, propulsant de simples schémas au rang de pièces symphoniques vaguement fantomatiques. Même les interludes – appelées avec pragmatisme « Practice Room » - sont bourrées d’idées, notamment d’excursions vers la musique concrète – bruits de pas… Elles ont été le fruit d’un travail très important qui ne se reflète pas forcément dans l’impression d’énormément d’espace y est laissé – ce fameux « espace de création », ce flottement qui, lorsqu’il apparaît en studio, donne l’impression de caresser quelque chose. Il n’y a au final que six chansons sur ce disque, pleines de force du fait qu’elles semblent évoluer en roue libre. Même While We’re Young, et sa rythmique claire et précise, est finalement bien difficile à attribuer à un genre. C’est un genre d’extase autant que leurs solides connaissances musicales (et leur sensibilité à octroyer un grand espace « vital » à leur musique) qui guide le duo. The Golden Apple est un sommet un peu noir du disque. C’est aussi le morceau le plus long, empreinte d’un romantisme naturel. D’un autre côté, le délicieux Brightest Minds a une urgence toute personnelle (« Remember when i cut you down for the second time »), et son piano virevoltant fait le reste...
Archives 2003-2006 partage plus encore avec In Ear Park. Des bribes des Archives se retrouvent en effet, dans un contexte bien différent, sur In Ear Park ; la mélodie du deuxième morceau des Archives, Dead Disclosure, par exemple, a donné, légèrement accélérée, la fin de Balmy Night sur son successeur.
Parution : 2010 Label : American Dust Genre : Folk, Orchestral, Rock A écouter : Grand Army Plaza, While We’re Young, Brightest Minds
Antony Hegarty est de ces artistes qui réfléchissent beaucoup aux mécanismes les plus simples de l’existence, pour en tirer les satisfactions les plus réelles ; de ceux qui se sont cherchés continuellement, longtemps après avoir naturellement créé un univers qui leur est propre. Quand d’autres s’investissent avec autant d’énergie et d’insatisfaction dans la création d’un monde virtuel, et de rapports aux autres qui ne sont fondés que sur ce qu’ils aimeraient être, Hegarty essaie de comprendre, année après année, quelle personnalité se cache vraiment en lui, et quels sentiments ultimes il voudrait exprimer. En fait, Hegarty n’a rien à voir avec le commerce de la musique – et son caractère, son humeur, son expression dépasse sa pratique musicale. Il est devenu célèbre pour sa voix unique et fragile, mais sa sensibilité artistque porte dans les arts visuels de manière générale, sur une vision qui dépasse largement une histoire de « bien chanter ».
Thank You For Your Love est le petit frère du disque à venir d’Antony and the Johnsons, Swanlights ; l’un des évènements de l’automne ; peut être un disque fait pour cette saison, qui viendra accompagné d’un superbe livre aux collages fauves, ocres. Swanlights est annoncé pour être plus lumineux que son prédecesseur, The Crying Light. Celui-là semble dater d’il y a tout juste quelques jours, il est bien hors du temps et des modes ; issu du monde interlope New Yorkais que l’on devine à peine à travers l’extraordinaire sensibilité aux phénomènes physiques et culturels dont fait preuve Hegarty. The Crying Light avait un aspect mysthique – dédié au danceur de butoh japonais Kazuo Ohno, et où Hegarty reconnaît être perdu dans « the middle place/ between light and nowhere ». Un sentiment de solitude qui atteignit auparavant son apogée dès Hope There’s Someone, sur I Am a Bird Now – Hegarty apparaissait prêt à s’en remettre aux autres pour tenter de le définir lui, invitant de ce fait en featuring des personnalités proches de son univers comme Boy George, Devendra Banhart et Lou Reed - un « parrain » pour lui.
Ceux qui provoquent des batailles d’égo sont ceux qui se sentent le plus menacés par leur duplicité, dont la personnalité est secrètement brouillée – Reed n’est qu’un exemple (mais maintenant, en revisitant son passé, il a cessé d’être en conflit avec lui –même – et ce même peut être depuis New York, en 1989), Bowie en est un autre (et Hegarty est peut-être un Bowie pour le XXI ème siècle). De telles duplicités chez les artistes, les musiciens en ce qui nous concerne, seront aussi parfois le reflet d’une époque politique trouble, où il n’est pas facile d’entrevoir des solutions d’avenir. Etrange passe quand les artistes sont étiquettés « de gauche » parce qu’ils ont une sensibilité qui n’est manifestement pas partagée par tout le monde. Antony and the Johnsons, avec Bush, ce n’était qu’un acte alternatif, un accessoire de l’excentricité New-Yorkaise.
Hegarty n’a pas cessé ces dernières années d’afficher son inquiétude quand à la mauvaise image de son pays dans le monde, il a donné volontiers des réflexions politiques et expliqué qu’Obama était le premier président avec lequel il se sentait en accord depuis qu’il avait une conscience politique. Négociant avec son désordre intéreur en même temps qu’il éprouvait un genre de culpabilité globale à l’idée d’être américain – et ce n’est pas le premier dans ce cas – Antony a donc eu la bonne idée de chercher les tenants et aboutissants qui existeaient dans son entourage – véritable faune New Yorkaise d’artistes jusqu’au boutistes, conceptuels, et le conceptuel semble bien être l’anti-fabrication de personnalité factice. C’est se plier en quatre pour tenter d’explorer des nouvelles facettes de sa propre psyché. Et écrire de bonnes chansons, c’est être suffisamment lucide pour savoir d’où viennent les mots, les réactions que l’on a face au monde extérieur – nécessairement de l’intéreur de soit. C’est élucider les réactions. Les chansons d’Hegarty sont des méditations sur ses propres réactions.
Thank You For Your Love, ce sont les morceaux qu’Antony est capable d’enregistrer maintenant que les Etats Unis sont un pays sur la voie de la réconciliation, entre son identité culturelle et celle de ses artistes. Sur Thank You For Your Love, Hegarty en a fini avec une crise d’identité, il peut y voir clair et se plonger à la source de sa propre carrière. Il se débarrasse de l’image de musicien complexe et excentrique en apparaissant plus insouciant que par le passé. Le morceau titre à lui seul, plein de joie et d’énergie, justifie d’écouter cet EP constitué de cinq morceaux, dont deux reprises ; Pressing On emprunté à Dylan période catholique ; et Imagine, méconnaissable, mais quoi de plus naturel pour l’auteur d’un Another World qui avait l’esprit du grand morceau de Lennon dans son ADN. L’autre inédit, You Are the Treasure est dans le même esprit que Thank You… : tout démystifier, exprimer la plus simple reconnaissance, comme un signe de maturité. A travers les images qui accompagnent Thank You For Your Love dans un clip constitué dimages d’archives en super-8, Hegarty revisite son passé…
Il manquait à Up In it (1990), le second album des Afghan Whigs (le nom était une idée du bassiste John Curley) le sens du drame et des dynamiques qui va presque complètement éclore avec Congregation (1992). Avec leur troisième album, pour lequel le groupe fut signé par Sub Pop(ils resteront fameux pour être le premier groupe hors de Seattle à avoir été attrapé au col par les découvreurs de Nirvana), déballe avec fracas l’histoire d’une formation qui trouve son bord identitaire, ses extrêmes, sa maturité et qui ne sera plus comparée à The Replacements, à Johnny Thunder ou aux Stooges tout en souffrant de cette comparaison. Musicalement, bien que les Afghan Whigsfassent assez ostensiblement partie de la vague grunge dont le public semblait insatiable jusqu’au milieu des années 1990, ils vouaient un respect rare au rythm and blues, dont ils empruntaient les grooves et les couplant de rock énergique – deux guitares entremêlées et indissociables. Greg Dulli admirait en outre les chanteurs soul de l’âge d'or Stax et Motown, bien que, faisant preuve de réalisme, il ne cherchât pas à se mesurer à eux (s’il l’avait fait, sa carrière aurait été beaucoup moins créative).
La personnalité et les textes au romantisme extrême de Greg Dulli, chanteur et guitariste rythmique du groupe, et l’une des figures les plus charismatiques du rock de ces 20 dernières années, ont échoué à faire de son groupe un phénomène mondial comme l’ont été Pearl Jam, les Smashing Pumpkins et évidemment Nirvana. Pourtant, ces ingrédients ont fait des Afghan Whigs une expérience unique. Si de nombreux disques du genre – ceux de Mudhoney par exemple – s’épuisent au bout de quelques écoutes, Congregation et les prochains disques des Whigs révèlent toujours une nouvelle source d’intérêt, largement tributaire de l’abyme d’apitoiement et de dépréciation qu’ouvre Dulli sans remords ni lassitude, et de manière répétée, dans chaque titre.
Le chanteur inlassable, songwriter inspiré (qui continue aujourd’hui au sein des Twilight Singers) est l’œil d’une tornade émotionnelle qui pourrait tourner au nombrilisme mais se rapproche plus finalement du don de soi – avec une pointe de cynisme. Il est entre prédateur et proie. Ses doutes et ses provocations sont une forme de partage, une rebuffade de mâle dominant mais néanmoins au cœur plus fragile qu’il n’y paraît. Sur Congregation, l’attitude de Dulli soutient encore la comparaison avec l’esprit naïf et adolescent propre au genre musical qu’on les voyait déjà terrasser à force de caresses létales, le grunge. On détecte cependant les marques qui vont faire du chanteur desAfghan Whigs une figure importante. Dulli explore l’amour insalubre, les séparations douloureuses – on sentirait presque un mal physique à l’écoute de certaines chansons - mais plus consciencieusement que beaucoup de ses contemporains, et surtout avec plus de force. Congregation a cependant, par moments, des airs de célébration (phénomène peut-être expliqué par la voix à la justesse approximative de Dulli, pouvant faire passer son désespoir pour de l’enthousiasme). L’émotion est immédiate, ce qui n’empêche pas une certaine ambivalence.
Le trio d’entrée, I'm Her Slave, Turn On The Water et Conjure Me (qui profite d’un clip un peu morbide) atteint une intensité que le disque reproduira par la suite avec davantage d’atermoiements. C’est guitares dévastatrices et chant des plus énergiques – et c’est encore mieux en live. Le venin et la ferveur dont sont envahis ces titres les mettent d’emblée parmi les meilleurs enregistrés par le groupe.
Outre l’amour et les femmes, les thèmes du disque portent aussi sur la religion. Dans le morceau titre, Dulli joue le rôle de Dieu : « I am your creator/Come with me my congregation” tandis que The Temple oppose Jesus à une foule assez crasse qui évoque bizarrement duSystem of a Down avant l’heure.Miles Iz Ded, qui clôt le disque, est aussi à écouter avec attention. La plus grande victoire des Afghan Whigs n’est pas commerciale, mais c’est qu’on continue à écouter et à redécouvrir Congregation aujourd’hui.
Parution : 6 octobre 2009 Label : 4AD Genre : Folk-rock A écouter : Genesis 3:23, Hebrews 11:40, Romans 10:9
7,50/10 Qualités : habité, poignant
The Mountain Goats est un trio Californien énigmatique. Un groupe au travail d’une consistance rare, et d’une intensité que n’atteignent beaucoup de musiques jouées plus fort. Rythmiques et mélodies souvent linéaires sont jouées avec conviction, dans des genres allant de la balade au piano, jusqu’à de sèches et féroces embardées dans un ronflement de guitare. Par-dessus, une voix magnétique, vaguement menaçante, qui raconte de courts récits. Le chanteur JohnDarnielle y mélange avec astuce des images de la vie que l’on vit avec celle que l’on aimerait vivre, renvoyant les fantasmes à leur abrupte réalité. Raconte les extrêmes, invente (sur Tallahassee, 2002) et reprend des personnages, ou encore raconte sa propre histoire (The Sunset Tree, 2006). Les talents de Darnielle se rapprochent de ceux d’un conteur, ce qui en fait naturellement un excellent songwriter. Il se compare à Rainer Maria Rilke, un poète qui capturait l’émotion seulement avec les mots. The Life of the World to Come profite encore un peu plus de l'expérience accumulée au fil des années. C'est, plus que jamais, un disque basé sur des concepts ; le défi de la foi, et l'incongruité de l'homme.
Pourquoi donner aux morceaux le nom de passages de la Bible ? Récit très imagé, conte irrationnel nourri de seconds rôles symboliques, Darnielle y a trouvé matière à rapporter quelques scènes apocalyptiques, qui nourrissent ses réflexions sur la mort et l’au-delà ; mais le tout est finalement excessif, de manière à bien mettre en évidence l’idiotie à vouloir incarner un personnage biblique. Un homme n’aura jamais assez de qualités ou de défauts, nous dit Darnielle, pour devenir un Samuel, ou un Matthew - qu'il reste simplement un homme ! Dénués de toute prétention, des chansons comme Philippians se parent d'une forte humanité.
The Life of the World to Come profite encore un peu plus de l'expérience accumulée au fil des années. C'est, plus que jamais, un disque basé sur des concepts ; le défi de la foi, et l'incongruité de l'homme.
Contenant rebondissements et désillusions, ce disque à la narration puissante rassemble, selon Darnielle, « douze leçons que la Bible lui a données, en quelque sorte ». Seulement, après y avoir réfléchi, ces leçons deviennent des visions que Darnielle offre à son auditeur.
John Darnielle est un grand interprète, habitant parfaitement bien les portraits ironiques de son disque. Mais, musicalement aussi, ce disque est une réussite remarquable ; Genesis 323 évoque un peu les Dire Straits, marquant dans sa base dynamique et dans sa feinte légèreté. Psalms 402 est formidable, proprement habité par Darnielle qui n’aura pas de second éclat de cette trempe ; voix vibrante et angoissée. Sur Hebrews 11:40 ou Romans 10:9, le groupe développe autour d’une mélodie discrète, en apesanteur, les variations d’une même riche méditation, qu’accompagnent cellos et tambourins.
“Lou Reed's Berlin is a disaster, taking the listener into a distorted and degenerate demimonde of paranoia, schizophrenia, degradation, pill-induced violence and suicide. There are certain records that are so patently offensive that one wishes to take some kind of physical vengeance on the artists that perpetrate them. Reed's only excuse for this kind of performance (which isn't really performed as much as spoken and shouted over Bob Ezrin's limp production) can only be that this was his last shot at a once-promising career. Goodbye, Lou. »
Rolling Stone Magazine.
Berlin, de Lou Reed, est un disque qui contient tout, ou presque tout ce qui fait l’essence du rock. En même temps, c’est un disque farouche, solitaire, qui n’a que faire de comparaisons, de contextes – en dépit de la trame de l’histoire qu’il raconte : un couple à Berlin au temps du mur -, de patrons. C’est ce que le magazine Rolling Stone n’a pas compris lorsqu’il le qualifie, dans un formidable accès d’hypocrisie et de conservatisme (on préfère ignorer quels sont les critères de tels journalistes), de « désastre » - et ne lui accorde pas une seule étoile. Comme si Reed, par la simple idée de réaliser Berlin, avait emporté dans son sillage toute la création pour la transformer en amas d’odieux dédain. Pas étonnant que l’artiste ne devienne, les drogues aidant sans doute quelque peu, misanthrope (“Men of good fortune wait for their fathers to die – Men of poor beginning just drink and cry – and me, i just don’t care at all…”) et paranoïaque. Pour le coup réellement méprisant de son public comme des médias, sans différenciation.
Il ne voudra plus voir de tels immondices à son sujet, et on le comprend ; dès lors, Berlin devient le disque maudit dans une carrière très disparate. Lou Reed est têtu ; il y aura, après Berlin, plus de bas que de hauts, télégrammes cryptés pour dire « je vous emmerde » - Metal Machine Music (1975) en est un bel exemple. Même dans ces sombres périodes cependant, Lou Reed continuait d’être honnête, ou au moins il semblait être honnête avec lui-même.
Berlin a souffert d’autant plus de la déception du public parce qu’il faisait suite à Transformer (1972), le disque adulé de Reed – contenant Satellite of Love, Perfect Day, Walk on the Wild Side… - produit par DavidBowie en pleine vague glam-rock juste un an auparavant. On le sait, tout grand succès entraîne une dépression de l’artiste à son origine – en amenant la question difficile : que faire ensuite ? Reed répond à cette question en engageant Berlin et prouve sa force de caractère et la hargne de son égo. Il le savait, un second Transformer n’aurait été qu’une caricature – c’est justement de caricatures que s’est joué David Bowie à cette époque, beaucoup plus à l’aise à endosser des fausses identités et à émerveiller un public alors plutôt jeune que Reed. Et il n’avait évidement plus l’humeur qui prédomine sur Perfect Day, à supposer qu’il l’ai jamais eue – même à ce moment, déjà, la félicité affichée n’est pas dépourvue d’ambigüité.
Un chef d’œuvre un peu particulier du fait de son histoire, à la fois passionnant dans sa multitude d’aspects et effrayant comme une gueule béante, pour l’artiste, puisque le disque a aggravé son état et celui de son producteur : Bob Ezrin. Un disque fondé dans l’intimité, avec réserve, et pourtant avec des moyens considérables. Un disque sans grand mythe ni renommée, même s’il est confidentiellement reconnu aujourd’hui comme l’un des plus grands albums de l’histoire du rock.
Un disque pessimiste, comme on lui autant reproché – alors que pourtant il ne n’a pas l’outrance de dépasser son sujet, ce couple allemand dans le collimateur avec, en arrière plan, Lou Reed lui-même – et peut être Nico, chanteuse teutonne qui prêtait un peu de sa présence au disque de 1967 du Velvet Underground – celui produit par Andy Warhol. On peut regretter, c’est vrai, que Lou Reed n’ait pas fondé un nouveau groupe après le Velvet Underground – et on l’aurait regretté amèrement s’il n’y avait eu Berlin.
Qui tente de trouver à Berlin quelque aspect de défouloir sera deçu – hormis le solo incisif sur How does you Think it Feels et quelques autres moments. L’énergie de ce disque est viciée, comme transformée sous l’effet des drogues – Lester Bangs en sait des choses à ce sujet, cf. ses « Fêtes sanglantes » aux éditions Tristram -, reflétée dans un miroir de paranoïa. Heureusement, l’ambition immense du musicien et de son producteur va donner un résultat qui est la vision pleine d’ironie qui annonce la fin des illusions – tel le faisait Sticky Fingers (1971) dès Brown Sugar, il me semble. Ainsi l’auditeur lambda, un peu rebuté par une musique aux arrangements incongrus à première écoute – mais tout change, comme toujours chez les meilleurs – pourra passer sa frustration sur l’extraordinaire contenu des textes – et je ne parle pas encore du scénario glauque qui lie tous les titres entre eux dans l’idée de monter une terrible tragédie.
Men of Good Fortune, par exemple, prend la forme d’une observation très intelligente si l’on considère ce qui était écrit par les musiciens anglo-saxons à l’époque. "Les hommes de bonne fortune/très souvent sont impuissants/Quand les hommes aux débuts pauvres/souvent ne peuvent avoir de but." Satire sociale, ce jeu de miroirs (disque en est plein de tels face à face) met en évidence l’inutilité des classes et des conditions face à l’inexorable pouvoir des obligations sociales et financières qui clouent les riches comme les pauvres au sol. Dans cette société de l’immobilisme, le pratiquant de Wall Street ne vaut pas plus que le junkie – l’un et l’autre sont dépendants. Vision d’un Reed amusé qui voit bien que chacun dépend de l’autre ; que même les courants artistiques ne sont le plus souvent pas spontanés, mais organisés par le marché. La réflexion (réflection ?) peut aller loin… Kant disait bien qu’a l’homme ne plaît pas l’idée de liberté, elle l’effraie. C’est cette relation servile et complaisante entre les individus que décrit Lou Reed.
La musique est surtout le fait de Bob Ezrin, le talentueux producteur du disque. Puissamment orchestrée, portée par de nombreux et excellents musiciens, lourdingue diront certains, elle est parfois oppressante mais reste toujours belle, et se démarque surtout par une généreuse évocation des différentes scènes décrites par Lou Reed, répondant souvent parfaitement au contenu des textes. C’est particulièrement le cas sur le premier titre, Berlin, et son piano que l’on imagine joué ce fameux soir fête qui introduit l’héroïne Carolyne sous son meilleur jour. « It was very nice, candlelights and Dubonnet on ice » murmure Reed, une grande émotion dans la voix. Impossible d’imaginer alors que le canevas est aussi fragile et va se déchirer.
Sans vouloir en donner tout les tenants et aboutissants, puisque le principal intérêt de Berlin est la musique et les émotions qu’elle dégage, voici l'histoire de l'album. Reed raconte la romance entre Jim et Carolyne, deux jeunes allemands de Berlin par le mur, une histoire à l’avenant superficielle qui tourne lentement au cauchemar de mœurs. Le caractère imprévisible et l’exigeance de petit reine de Carolyne qui fait qu’elle décide de jeter Jim : « She wants a boy, not just a toy » (Carolyne Says I) qui se retrouve alors dans la tourmente (Oh Jim). Carolyne tente d’élever ses enfants mais est tentée par la prostitution. Avide de richesse qu’elle n’a d’autre moyen d’obtenir, elle est fascinée par les apparences ; sa propre apparence, car elle est toujours richement décorée ; et celle de ses compagnons, qu’elle passe les uns après les autres. Finalement, on lui retire ses enfants, et elle met fin à ses jours « dans le lit ou ils furent conçus ». C’est un tragédie implacable et très bien séquencée que nous propose Lou Reed, en dernier lieu ; mais on peut tout à fait se repaître de phrases apparaissant ça et là, isoler des observations ou des morceaux sans toujours se rapporter à l’histoire de Jim et de Carolyne.
D’ailleurs, Lou Reed avait des versions préformées de la plupart des titres du disque avant même d’avoir l’idée de ce qu’il y raconterait, il est donc evident que le critère de la qualité musicale n’a pas été délaissé au détriment de la narration – dans ce ces Bob Ezrin n’aurait probablement pas été invité. Berlin apparaissait sur le premier album solo de Reed ; les paroles en sont seulement simplifiées, et, on l’imagine, recontextualisées ici – tandis que la mélodie est réarrangée pour piano. Oh, Jim utilise une chanson non utilisée du Velvet Underground, Oh, Gin.Caroline Says 2 est une réécriture de Stephanie Says du Velvet également. Le groupe avait d’ailleurs enregistré une version Sad Song, qui avait des paroles bien plus légères dans cette première mouture. Men of Good Fortune avait aussi été joué par le Velvet dès 1966.
Carolyne Saysa les attraits d’une chanson pop évidente, How do You Think it Feels est un rock rageur, Lady Day est tout simplement majestueuse avec ses trois accords qui annoncent la véritable ouverture de rideau, après que Berlin ait attiré plus près les auditeurs indécis.
Le disque s’articule en 2 parties, la première racontant les scènes de couple mouvementées entre les deux protagonistes, et contenant les morceaux qui ont fait le succès – à retardement – de Berlin ; How do You Think it Feels ?, Carolyne Says I, Berlin… Ce sont les titres les plus impressionnants, mais pas les plus captivants. Car quand le disque bascule dans sa part d’ombre et de pessimisme, après Oh Jim, on est bien obligé d’être hapé par l’histoire et la façon dont Lou Reed accompagne la chute de Carolyne ; avec une tendresse évidente. Ce sont quatre titres plus longs. The Kids est très dure, avec, en dernier lieu, ces cris d’enfants appelant la mère dont ils ont été privés – on confisque ses enfants à Carolyne, considérant qu’elle n’est pas capable de les élever. Selon la légende, Bob Ezrin aurait retiré ses propres enfants à leur mère le temps d’enregistrer leurs pleurs. The Bed est quant à elle epreinte d’une vraie compassion, un sentiment que Reed, on le devine réserve aux personnages de fiction. Enfin Sad Song termine le disque de la plus belle manière, en le délivrant de la chape qui le recouvrait, de plus en plus épaisse.
Lou Reedet Bob Ezrin termineront l’enregistrement épuisés, physiquement et moralement, et incapables de défendre leur travail d’un impressionnant mépris médiatique. En 2006, trentre-trois ans plus tard, Reed décide de jouer pour la première fois Berlin en live, à New York. Il va finalement le jouer plusieurs dizaines de fois.