“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

dimanche 27 juin 2010

Toute l'histoire de PAVEMENT





Découvrir Pavement avec Wowee Zowee, leur troisième disque paru en 1995, est une expérience étrange. Après une ballade qui démarre avec un « there is no castration fear » d’anthologie (et continue avec « pick out some brazilian nuts for your engagement/check that expiration date, man/it's later than you think », ce disque est joué à l’emporte-pièce, laissant s’entrechoquer avec un flegme génial des guitares tirées par la bride et un chant qu’il aurait fallu inventer si Stephen Malkmus (chanteur et parolier) ne l’avait fait. Il y a une alchimie, un jeu d’équilibre spontané qui doit autant aux drogues douces qu’à la démarche erratique qui a toujours été la force motrice souterraine du groupe. 
Les éléments qui composaient Wowee Zowee étaient reformés à l’envi, au sein d’un environnement hostile, parfois d’un abandon qui montrait bien où était le cœur du groupe ; volonté à se laisser emporter, à perdre la tête, à avoir l’air de conceptuels de la spontanéité, avec Malkmus qui faisait le jeu des manigances des autres, qui démontait leurs plans et leurs calculs pour mieux affirmer une liberté - celle qui ne donne aucun droit, mais provoque la jubilation. Le non-sens était élevé comme une défense. Il passait au crible les obessions de ses contemporains, en faisait la dynamique de son propre mouvement. La répétition et la monotonie des autres devenait un tremplin. 


Wowee Zowee laisse rêveur… Les journalistes n’avaient déjà plus d’emprise sur le groupe en 1995. Ou plutôt, ils ne pouvaient en dire que du bien, parce que s’ils adoptaient une attitude négative envers eux, on pouvait toujours arguer qu’ils n’avaient pas compris, qu’il leur manquait un élément. Et ce, encore plus maintenant que le groupe a atteint le statut de culte ; nulle âme qui vive ne peut leur mettre de bâtons dans les roues. D’ailleurs, à quoi ça servirait ? 

Un moyen d’échapper éventuellement à tout rôle politique et social dans un pays plein de mal-être et de paranoïa. De trouver un confort de vie.
 
Pavement était à l’origine un duo fait de Scott Kannberg et Stephen Malkmus, ils s’étaient rencontrés gamins dans une équipe de foot. Malkmus avait suivi les traces de son père en entrant à l’University of Virginia, où il obtint un grade d’histoire et devint disk-jockey pour la college Radio WTJU. Il y rencontra David Berman qui allait fonder un autre groupe-phare de la scène indépendante, le tout aussi endurant Silver Jews, et James Mc New (Yo la Tengo). Il est ensuite employé comme gardien dans un musée à New York, et c’est à ce moment qu’il rencontre Bob Nastanovitch qui intègrera plus tard Pavement en tant que percussionniste. 
D’après Kannberg, Stephen était la grande gueule dans le voisinage tandis que lui-même était plutôt le mouton noir, et « il avait l’habitude de toujours me taquiner et j’avais l’habitude de le frapper ». Partageant un intérêt certain pour la musique - du moment qu’elle ne soit pas trop cadrée – les deux garçons tournent dans les bars et les clubs et ne jouent presque que des reprises. Cependant, Malkmus a déjà commencé à écrire ce qui va devenir les premières chansons de Pavement.
Après un projet de courte durée, Bag’o Bones, c’est à deux qu’ils scellent Pavement en décidant d’enregistrer un premier EP, Slay Tracks. Cinq titres sortis de nulle part, ce qui laisse déjà présager de la productivité du groupe de tous temps chapeauté par Kannberg et Malkmus, rebaptisés S.M. et Spiral Stairs. « Nous avions quelques chansons que nous venions d’enregistrer dans ce petit studio de Stockton [Californie] et on s’est dit que ça pouvait être genre fun de sortir un petit disque » « C’était raisonnable de faire un disque poue 1000 dollars, donc on a décidé de le faire. Nous n’avions pas de plans car nous n’étions pas un véritable groupe ». Plus tard, Malkmus chantera, critique : « Music scene is crazy/Bands start up each and everyday ». Mais eux aussi sont apparus sans tambour ni trompette.
Tous les morceaux furent écrits par Malkmus. Ses inspirations sont diverses nombreuses, obscures et surprenantes.
Quant à Kannberg, sa contribution à Slay Tracks ne fut pas négligeable, puisqu’il est supposé avoir emprunté huit cents dollars à son père pour l’enregistrer. Les morceaux qui allaient constituer ce premier effort, ils les mirent en boîte en quatre heures – dans le moins bon des deux studios de Stockston, parce qu’ils étaient fans de groupes punks qui y avaient enregistré et aussi pour une question de coût - en compagnie du producteur et batteur Gary Young. « [Young] avait de tout partout, de vieux chiens couchés par terre, de grosses plantes en pot partout, et il nous a dit qu’il avait eu tout l’équipement en vendant des plantes en pot ! » Les parties de batterie furent jouées par les trois musiciens selon les morceaux, en laissant une grande part à l’improvisation.
Ils pressèrent mille exemplaires de Slay Tracks et en vendirent huit cents, ce qui est très honorable étant donné qu’ils n’avaient alors aucune visibilité. La formation anglaise The Wedding Present fit une reprise de Box Elder, elle devint un hit underground. Malkmus commente : “C’était tellement cool que quelque groupe anglais veuille faire une reprise de ce morceau obscur et horriblement mal enregistré. A ce moment je n’ai probablement pas apprécié à son juste titre combien cette reprise a aidé Pavement, surtout en Angleterre, mais ça a vraiment été le cas, et je leur serai toujours redevable pour cela ». La presse locale, et surtout les fanzines qui avaient reçu une copie du disque en feront une critique très positive. « La plupart des morceaux fonctionnent sur la vertu de leur éclectisme, de leur fraîcheur et de leur originalité » lira t-on dans Maximum Rock’nRoll. 

« le point où le post-punk se transforma en rock alternatif ». 

Le groupe constitué de Bob Nastanovitch (percussions), Steve West (batterie), Mark Ibold (basse) plus les deux membres originaux va naître à la suite de Slay Tracks. Ils vont signer avec Drag City, un label de Chicago (qui habrite aussi Bill Callahan, Will Oldham ou Silver Jews), qui les a repérés au moment de Slay Tracks. C’est sur Watery Domestic (le disque à la tête de coq) que joue pour la dernière fois Gary Young, dont le comportement devenait difficile à gérer du fait de ses consommations diverses (héroïne) et de son caractère expansif.
Ce dernier fit allusion à la guerre du Vietnam pour expliquer son instinct auto-destructeur. Cette guerre, le dégoût et la peur qu’elle engendra ont sans doute eu des répercussions importantes sur la qualité de la musique des années 1990.
En ce qui concerne Young, quel autre batteur donnerait des laitues et des pommes de terre aux fans après les avoir acceuillis à la porte de la salle avant le concert?

Nastanovitch l’assiste pour l’enregistrement du Watery Domestic, l’aidant à focaliser ses efforts ; mais c’est Steve West qui le remplacera, Nastanovitch jouant un rôle plus polyvalent dans le groupe. Le premier batteur de Pavement va ensuite publier trois disques sous le nom de « Gary Young Hospital », comme s’il s’agissait d’une thérapie. Il a aujourd’hui 57 ans.
Mark Ibold, le bassiste du groupe est assez connu aujourd’hui puisqu’il a intégré les tout aussi culte Sonic Youth avec lequel il a enregistré Rather Ripped (2006), puis The Eternal (2009) comme membre du groupe à part entière. Il fut marqué par le punk de Patti Smith, Television et Wire.

Le premier véritable disque de Pavement, en 1991, est une sorte de chef-d’œuvre. La presse fut unanime ; Rolling Stone magazine le fit 134 meilleur album de rock de tous les temps, et le plaça en tête de sa liste de l’année devant Nevermind et Ten de Pearl Jam.
On y assiste clairement à la montée en puissance de la personnalité de Malkmus et de son phrasé apparemment aléatoire, et l’on devine qu’il va incarner Pavement comme nul autre au sein du groupe. Slanted and Enchanted est un disque de rock brut, avec des morceaux trop abstraits pour du grunge, qui opèrent plutôt comme des vignettes offrant des visions approximatives et hantées.
Comme tous les grands groupes, Pavement assimila ses influences les plus évidentes et, sans être vraiment originaux, les musiciens parvinrent à sonner différemment simplement parce qu’ils jouaient différemment. Ils ne cherchaient à ressembler à personne mais ne tentaient jamais désespérément de ne ressembler à personne. Ils semblaient conscients que la musique rock, au fond, n’était qu’un moyen de ne pas s’ennuyer, et d’échapper éventuellement à tout rôle politique et social dans un pays plein de mal-être et de paranoïa. De trouver un confort de vie. La musique de Pavement représentait la pulsion de liberté de cinq esprits que la morosité sociale aurait miné autrement.
De nombreux imitateurs du son du groupe apparaîtront, décidés à adopter une attitude aussi ouverte que Pavement, mais ils ne décolleront pas malgré le fait que Pavement faisait volontiers jouer de tels groupes en première partie de leurs shows. En 1993, la scène américaine underground était envahie de groupes à l’esthétique empruntée à Pavement. C’est aussi à cette époque que l’étiquette « rock alternatif » devient un label commercial utilisé par les radios.
Qu’ils aient rencontré une réponse enthousiaste dans leur pays longtemps avant de réussir à s’exporter n’est pas inhabituel. Les américains ont toujours trouvé d’instinct les meilleures sources de divertissement ; d’une part celles qui s’avèreraient les plus populaires (Hollywood…), et d’autres part les plus nobles, comme Pavement et pas mal d’autres groupes qui ont suscité une passion un peu similaire – avant de s’imposer ou non, comme des formations vraiment importantes et capables de toucher des gens dans le monde entier.

Pas nécessairement rapide, volontiers psychédélique, et surtout juvénile, la musique de Pavement surprennait sans cesse. Les gens qui l’écouitaient sentaient qu’ils faisaient partie, d’une certaine manière, de l’énergie véhiculée par cette musique ; qu’en la laissant se propager, en la partageant, ils la rendaient plus forte. Que le fait d’accepter Pavement, et d’écouter ce groupe était une manière de rentrer dans le jeu de Malkmus et de sa bande, d’ajouter encore à leur pertinence.
On peut rapprocher Pavement du mouvement punk, dans lequel l’énergie du public devait répondre d’intensité à celle des musiciens, pour créer finalement un élan qui pouvait faire tomber toutes le barrières.
Matador, leur second label, les décrit comme marquant « le point où le post-punk se transforma en rock alternatif ».

Contrairement aux punks et au grunge, deux genres de rock très directs, passe-partout et assimilables, la musique de Pavement demeurait plus hermétique, véhiculait une énergie basée sur la dérision autant que sur l’efficacité épisodique des morceaux. Leur style musical fut dès lors qualifié de « slacker rock », rock de fainéant, en égard à certaines influences qu’ils revendiquaient. Ce qui est peut être vrai d’un point de vue purement esthétique ne l’est sûrement pas véritablement puisqu’il commençaient seulement ce qui allait s’avérer un long et incessant travail.
Pavement allait toujours pouvoir compter sur le support d’une communauté d’admirateurs. Ce support remplaça le succès de masse que le groupe n’obtint jamais, et cela lui permit de continuer à travailler de manière suffisamment confortable. Tant qu’ils ne tentaient pas de toucher le grand public ne jurant que par Smells Like Teen Spirit, ils pouvaient garder la tête haute. Ils n’essayèrent jamais d’être un groupe fédérateur.
Malgré leur succès médiatique et l’estime qu’on leur a prêtée (heureusement qu’il y avait eu avant eux des formations comme Sonic Youth pour ouvrir la voie), seuls les auditeurs qui se sentaient concernés par la scène DIY (« do it yourself », le slogan punk) semblaient prêts pour Pavement – ou ceux qui étaient sensibles à leur humour décalé… 

les chansons qui devaient donner des vidéos étaient choisies avec soin, par exemple pour leur capacité à montrer en quoi consistait la quête du groupe

Les clips auraient pu être un aspect mineur dans la carrière du groupe, si celui pour Cut Your Hair n’avait pas autant tourné sur MTV, et si Pavement n’avait pas appris en détourner le principe de la vidéo promotionelle comme ils l’ont fait. Alors que la première tentative, dirigée par Kim Gordon (Sonic Youth), les montre en train dexécuter le morceau live dans un noir et blanc crade, la vidéo pour Cut Your Hair les montre comme de véritables acteurs (plutôt mauvais heureusement). Manifestement, il ne sont pas prêts pour le succès, et s’affichent en fans de films de science-fiction ou de comics de seconde zone.
Evidemment, les clips de Pavement sont à petit budget, ils n’ont demandé ni beaucoup de temps ni beaucoup d’argent – montrant comme dans Range Life le groupe en train de jouer, de s’amuser et d’être filmés dans des situations loufoques. Malkmus a toujours l’air de s’éclater à faire mine de chanter face à la caméra et de fixer de spectateur avec dépit, ici, ou sur les vidéos pour Major Leagues ou Stereo.
Les clips vidéo de Pavement donnent le sens de la liberté du groupe, leur côté irréfléchi et adolescent ; reflet de leur vie peu influencée par le succès et la célébrité. Pavement sont d’éternels adolescents, une bande de copains dont Malkmus est le centre de l’attention. Sa tête est là 50% du temps des clips de Pavement (fair trade : il est le plus à l’aise et le plus drôle face à la caméra).
Il y a dans leur comportement un peu de ces « quatre garçons dans le vent » que l’on voulait que les Beatles soient encore, et encore, et même après leur mort ; cette innocence. Plutôt que de capturer la puissance d’un empire indestructible, les vidéos de Pavement sont des tranches de leurs vie commune, de bons moments d’une aventure qui ne va pas durer éternellement. S’il y a beaucoup d’humour sur ces images, il n’y a pas un brin de cynisme. Inutile de préciser que les chansons qui devaient donner des vidéos étaient choisies avec soin, par exemple pour leur capacité à montrer en quoi consistait la quête du groupe, comme c'est le cas avec Range Life, tirée de leur album suivant.

Fort d’un soutien passionné, Pavement continue sur sa lancée avec Crooked Rain, Crooked Rain (1994), qui est produit par Joe Boyd (Richard Thompson, Fairport Convention, Nick Drake : les cordes sur Five Leaves Left, c’est lui !), les montre dans une humeur plus noire mais capables d’écrire des morceaux entêtants comme Stop Breathin’ et Cut Your Hair, ce dernier titre attaquant l’importance de l’image du musicien au détriment de son talent dans l’industrie du disque. Et foudroie les prétentions carriéristes : « Career, career, career », répète Malkmus avec amusement.
Sur Range Life, ces paroles firent plutôt sensation : « Out on tour with the Smashing Pumpkins/they don't have no function/i don't understand what they mean/and i could really give a fuck.” Et « The Stone Temple Pilots/they're elegant bachelors. » Ces deux formations américaines affiliées à la scène grunge eurent du mal à avaler la pilule. Malkmus eut beau s’en défendre en expliquant qu’il s’agissait du point de vue du personnage de la chanson et qu’il aurait pu citer n’importe qui d’autre, les Pumpkins menaçèrent de ne pas jouer au festival Lollapaloozza en 1994 si Pavement s’y produisait également.
Les groupes du calibre des Pumpkins étaient un peu la vitrine de l’amérique que Malkmus pensait contrer avec l’action de Pavement. « Those who sleep with electric guitars/range rovin' with the cinema stars/and i wouldn't want to shake their hands/'cause they're in such a high-protein land” Les piques de ce genre s’enchaînent avec allure.

Cut Your Hair fit le top 10, de manière assez inattendue malgré le fait que les ventes de disque devenaient très bonnes pour le groupe – qui avait changé d’écurie et rejoint le label indépendant Matador.

On se souvient de Gold Soundz, un point culminant où le son du groupe devient une alchimie vivante, une marque de fabrique, où les dissonnances qui l’habitent sont comme des objets familiers. Et Fillmore Jive, un dernier titre majestueux et mélancolique qui semble emprunter à David Bowie, avant que Malkmus ne cesse de chanter juste et que les guitares ne dissonnent avec plus d’élégance que jamais chez Pavement.
On commença à imaginer que le groupe avait peut être plusieurs aspects qu’il cherchaient à réunir à une seule force cohérente, et ça fonctionna très bien au moment du second disque.


Et pourtant, l’album est plus sombre et nombriliste que Slanted and Enchanted, un peu amer du fait de la fatigue du groupe qui enchaînait les concerts. La Californie y devient quasiment une obsession. Scott Kannberg se défendra de ce sentiment partagé par de nombreux critiques en expliquant que le disque est plutôt une somme musicale qu’un état d’humeur : « On avait 15 chansons qui sonnaient complètement différemment de celles-ci. On avait juste mis ces morceaux ensemble parce qu’il allaient bien ensemble, et il y a un thème musical qui traverse le disque ».
Cette explication révèle aussi l’importance de l’album en temps que séquence et non comme un simple ensemble de pièces détachées dans l’imaginaire de Pavement. Et c’est ainsi qu’il faut apprécier Crooked Rain... et leurs autres disques ; en les écoutant de bout en bout, pour en savourer tous les retournements, et arriver au point où l’on sent que l’équilibre se fait – et ce n’est souvent pas tout de suite.
Crooked Rain… confirme les motivations de ceux qui ont repéré Slanted and Enchanted et suivent maintenant le groupe avec attention. Pavement devient l’une des formations les plus populaires et les plus faciles à aimer aux Etats Unis. 

Le même soir, le chanteur avait une paire de menottes suspendues à son pied de micro. Les désignant, il fit remarquer qu’elle symbolisaient ce que c’est que d’être dans un groupe

Le cas de Wowee Zowee en 1995 – dont le titre est à la fois un hommage à Gary Young qui avait l’habituide de crier Wowee Zowee sur scène, et un clin d’œil à Franck Zappa – fut perçu par certains comme un demi-tour face au succès qui pouvait leur nuire. Malkmus préféra dire que le disque long de 18 titres était un peu abscons à cause de la consommation de drogues au moment de l’enregistrement. Assez étrangement, il fut perçu par les uns comme trop aléatoire et par d’autres comme leur disque le plus accessible.
Le troisième album de Pavement fut accueilli par la presse spécialisée avec autant d’enthousiasme que ses prédécesseurs et se vendit encore mieux. A ce moment, c’est la capacité du groupe à se recycler sans se transformer qui confirma leur statut important. On pouvait être séduit simplement en entendant quelques notes dérisoires et erratiques sur l’introduction de leurs morceaux. La plus grande réussite de Pavement, à ce point de leur carrière, c’est de n’avoir été dépassés par personne ; d’avoir suscité, comme d’autres formations américaines phares avant eux, tellement d’envies et de copies sans être égalés dans leur rôle de poseurs de pièges. Leur malice est évidente ; la manière dont ils détournent systématiquement le cours des choses. Et retournent finalement à ce qu’ils ont créé, faisant de Wowee Zowee un prétexte pour élargir leur palette sonore, un exercice plutôt qu’un grand disque. Les meilleurs albums de rock, dont celui-ci fait peut-être partie de manière fortuite, sont ceux qui donnent une leçon. Et à l’occasion un retour à la réalité : « boys are dying on these streets... » sur Grounded, l’un des plus beaux morceaux de tout le répertoire du groupe. Rattled by the Rush contient cette belle ligne : « I'm drowning for your thirst”, “je me noie pour que tu aies soif”. Rien à voir avec la jubilation mal dégrossie qui arrive ensuite sur Brinx Job : « ho! we got the money now/and i won't even let you hoooooo.... »

La leçon d’incohérence ne fut pas du goût de tous ceux qui vinrent les voir au festival Lollapalooza en 1995. Pavement était alors le groupe le moins populaire à l’affiche, entre Sinead o’Connor et Beck, Cypress Hill et Sonic Youth. Leur humeur du moment, qui les faisait privilégier les improvisations alors qu’on s’attendait à ce qu’ils jouent Cut Your Hair comme dans la vidéo de MTV. La fréquentation assidue des bars aidant, ils se firent remercier par des poignées de boue collante. Kannberg commente : « Mais nous avons été très bien payés. J’ai acheté une maison avec cet argent. Alors , merci, Lollapalooza. »
Cet évènement fut peut être l’occasion pour Pavement de se rendre compte qu’ils n’étaient pas faits pour être à l’avant-garde d’une quelconque révolution, mais qu’ils resteraient un groupe d’amis dont la musique était faite pour susciter la sympathie et non l’aversion ou l’incompréhension.
Cependant, ils ne cessèrent leur escalade de succès, malgré leur manque de prétention et leur envie de rester dans des formes libres. Le disque suivant, Brighten the Corners devient disque de platine. Pavement deviennent alors des stars, sans rien perdre de leur simplicité. Ils signeront un contrat de six millions de dollars pour rejoindre Warner Bros.
Par moments sur Brighten the Corners, il semble que le groupe n'ait jamais aussi bien joué. C'est le cas sur les deux premiers morceaux, Stereo et Shady Lane – tandis que, cependant, continuent de couver les envies aléatoires de ceux qui sont devenus de véritables musiciens. Malkmus chante mieux que jamais, comme s'il assumait enfin complètement son jeu à double-tranchant – répulsion et séduction. Le titre Transport is Arranged semble trouver, enfin, l'endroit où Pavement se sent bien, après tous ces disques à la musique tendue vers l'avant, toujours à la recherche d'un avenir et faisant toujours en sorte, jusque là, de le garder incertain. Blue Hawaian est aussi dans cette veine, une sorte de fenêtre au soleil où le laisser-aller a remplacé l'audace et l'impétuosité.
S’ensuit le fameux contrat, et Terror Twilight, en 1999, qui est un disque un peu à part dans la discographie de Pavement, plus pop et doux. Le son du groupe y atteint une maturité et une finesse sans précédent.
Pavement fit alors ses premiers stades aux Etats Unis – mais continuait de jouer dans des petits clubs en Europe. Cette tournée laissa le groupe lessivé – Malkmus, lors du dernier concert de Brixton, termine le set par la ballade émouvante Here, extraite de Slanted… : « I was dressed for succes/But succes it never comes… Everything is ending here. » Comme une prémonition. Le même soir, le chanteur avait une paire de menottes suspendues à son pied de micro. Les désignant, il fit remarquer qu’elle symbolisaient ce que c’est que d’être dans un groupe.

Pendant la longue pause qui s’ensuivit, chacun vaqua à ses propres projets musicaux. Malkmus, notamment, en profita pour travailler à son projet, Stephen Malkmus and the Jicks ; et Kannberg les Preston School of Industry pûis en solo sous son pseudo de Spiral Stairs.
Chose intéressante, le site du label, par vengeance ou simple amusement, donne une suite à Terror Twilight dans sa biographie de Pavement. Il leur attribue le mérite d’avoir sorti au cours des années 2000 les albums Out of Time, Automatic for The People, Monster et New Adventures in Hi-Fi, sans doute une pique pour signifier qu’en signant le contrat juteux avec Warner Bros. ils étaient devenus une machine de la taille de celle de R.E.M., à qui appartiennent ces 4 disques (et qui sont eux aussi chez Warner Bros.).
A ce point, la tête de Malkmus n’est plus à Pavement. Quand à la fin de groupe, il dira : « Ca me travaillait depuis un moment – avant que nous fassions ce disque avec Nigel (Godrich) et avant que nous commencions cette tournée » « C’est l’histoire typique. Ca devenait juste ennuyeux. C’était le manège de faire les mêmes scènes et la magie s’usait un peu. Vous grandissez et voyez jusqu’où vous pouvez aller. Et quand ça stagne, ca ne devient qu’une histoire de logistique. On aurait pu continuer, mais ca semblait être le bon moment pour arrêter. » Le coup de la « pause » continua de faire illusion quelques temps avant que Malkmus, sortant de son mutisme, ne se décide à faire comprendre au reste du groupe qu’il était temps d’arrêter.
Malkmus est sûrement celui qui regretta le moins cette décision. Et il fallut le persuader au moment de reformer le groupe en 2009. Pour Kannberg en revanche, le groupe ne cesse jamais d’exister ; il fournit tous les documents et les cassettes qui viennent enrichir les rééditions des quatre premiers Pavement entreprises par Matador dans le courant des années 2000. « Je porte le flambeau. Pavement était l’amour de ma vie. J’ai commencé le groupe. Chaque jour était dédié au groupe. » C’est là l’une des clefs de Pavement ; l’investissement total de Kannberg dans cette entreprise adolescente. La différence de caractère entre Malkmus et Kannberg, et leurs rôles respectifs au sein de pavement sont alors clairs. Malkmus, le leader excentrique, qui écrit presque tous les textes et toute la musique, est celui qui peut décider d’en terminer avec le groupe. Il est prêt à passer à autre chose. Et Kannberg : « J’écrivais une chanson ici où là pour Pavement, alors quand on s’est séparés j’ai été forcé de progresser comme songwriter si je voulais continuer à faire de la musique. » Sa vie est liée étroitement à celle du groupe et aura plus de mal à s’en défaire. 
Les nouvelles éditions de Slanted and Enchanted, Crooked Rain Crooked Rain, Wowee Zowee, Brighten the Corners et Terror Twilight, fortes d’un second CD rempli jusqu'à plus soif de titres issus des différents Eps et singles du groupe, de prises alternatives et de quelques outtakes, ainsi qu’un livret de 50 pages, viendront remplacer sans mal les versions classiques des disques (d’autant plus qu’elles ne sont pas plus chères).

Au moment ou sort leur best-of Quarantine of the Past (2010) ils semblent profiter d’une popularité amusante – tandis que tous les quarantenaires des rubriques « musique » se les rappellent à leur bon souvenir de fans avant l’heure nationale, cette heure est arrivée puisqu’ils jouent le 7 mai 2010 dans un Zénith de Paris pas tout à fait plein. Et cela laisse la sensation que le groupe est toujours en équilibre entre succès de masse auprès d’un population adolescente dont les goûts sont clairement de plus en plus pointus, et leur statut d’éternels outsiders.
La nouvelle de la réunion de groupe est presque aussi brutale que celle de sa séparation en 1999. Mark Ibold : « J’étais encore en train de dire que ça ne se ferait jamais deux jours auparavant ».

Avant d’attaquer la tournée, le groupe a organisé trois semaines de répétitions. « Ca faisait dix ans que nous n’avions pas tous été dans la même pièce », commente Kannberg, qui semble considérer l’occasion comme une chance de tout reprendre où ça avait cessé. « J’ai fait des cauchemars quand à cette perspective durant les six derniers mois ! » remarque t-il.
« Que les fans se rassurent, nous jouons toujours aussi mal. » cette phrase, répétée à l’envi, ferait un bon slogan pour vendre les tickets des concerts annoncés dans le monde entier, en commençant par l’australie en mars 2010.
Aujourd’hui, inutile d’attendre un nouveau disque avec impatience, tant le groupe navigue à vue. Et c’est tant mieux ; la dernière chose qui devrait leur arriver, c’est d’avoir un plan de carrière.



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