“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

Affichage des articles dont le libellé est lyrique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est lyrique. Afficher tous les articles

dimanche 11 juin 2017

{archive} MELANIE - Photograph (1976)






OOO
soigné, lyrique, contemplatif
Folk rock


Dans la première moitié des années 70, épaulée par son compagnon et producteur Peter Schekeryk, Melanie Safka va sembler réveiller d'anciennes coutumes et spiritualités, et faire de la nature la force de levier de sa musique, dans une version qui devancera peu à peu les visions hippies. Elle a prolongé leur contemplation du monde, mis en scène de manière bouleversante son isolement progressif en tant qu'artiste et ses challenges en tant que femme et que mère. L'un de ses meilleurs albums est baptisé Gather Me (1971), et cela signifie 'rassemble moi', une belle expression pour inviter notre diversité émotionnelle, temporelle, matérielle, à trouver une nouvelle cohérence à travers des valeurs radicales, et que cette réunion constitue le message le plus sincère que nous pouvons adresser au monde : une sorte de transparence, avec laquelle chacun décide ensuite de jouer, qu'un artiste se doit de mettre en scène. 


La mise en scène, en retrait chez Melanie, cède a place à une spiritualité en expansion. C'est immédiatement frappant si on découvre, sur Photograph, I Believe, gospel entraîné par les chœurs des Edwin Hawkins Singers. A l'aune de ce moment passionné, et le temps d'un album, on a cru que, quelles que soient les secousses auxquelles elle était exposée, la volonté de Melanie la porterait enfin au firmament, comme celle qui persévérait à explorer dans une longue traversée les valeurs importantes de la vie et sa relation avec un public découvert à Woodstock, du temps de son hit Lay Down (Candles in the Rain). « When you break my heart/you feed my will » chante t-elle sur Friends & Co, consciente d'être arrivée à un certain point de sa carrière où chaque chanson doit avoir une forte raison d'être. 

« This should be an instrumental/But it seems i've made up words/Though they have a way of getting in the way/What a way to be absurd. » Lancée au beau milieu de phrases aériennes et gracieuses, cette tirade révèle une Melanie en quête de légèreté, réalisant que l'emphase est absurde, que certains penchants semblent une perte de temps s'ils sont chantés. Photograph fait triompher la valeur spirituelle sur le nombrilisme. Son exigence de paraître organique, que chaque chanson soit une déclaration vivante, désamorce l'aspect plus conventionnel voulu par la maison de disques Atlantic, qui lui enjoignit les producteurs et Ray Charles, Frank Sinatra ou Lena Horne, ainsi que les Edwin Hawkins Singers, célèbres pour Oh Happy Day. « C'était une époque ou les valeurs de production devenaient plus importantes que l'artiste lui-même sur certains albums » explique Melanie dans les notes de l'album. 

Sa volonté à chanter les chansons en live, avec l'orchestre et le groupe, et non pas en ajoutant sa voix à une musique déjà formée, donne sa force à Groundhog Day, captée aussi dans une version de 11 minutes qui fut écartée. Que cet extraordinaire moment de création n'ait pas été choisi pour l'album montre bien que le label avait une ambition plus limitée que Melanie. « I've grown fat/I've grown a beard/i've grown alone/Seems no one comes to stay in my loneliness », les paroles d'ouverture, renvoient à Together Alone, une autre immense chanson sur le plus triste Stoneground Words (1972), et ce sentiment de se sentir connecté aux autres tout en étant seul dans sa vie. Dans les deux cas, un moment magnifique résumant la volonté de la chanteuse à définir par ses propres termes sa place dans le monde. « J'aime ce mot, magnifique : c'est un mot ancien, dans toutes ses formes ; il me rappelle tout ce qui est noble et vrai. » Elle trace ostensiblement sa propre narration au film de l'album, où les épiphanies découlent d'un développement spontané, dans des chansons en apparence rigoureusement dirigées. 

Melanie est toujours parvenue à rendre minimiser les sujets de ses chansons au profit du tout, les faisant passer au second plan derrière un flot de lyrisme capable de déloger l'absurdité là où elle réside. C'est le rêve d'une tribu urbaine sans le côté étriqué ou intellectuel que certains lui donnèrent par le passé. Des artistes comme Melanie s'assurèrent que seule la musique comptait, au premier rang des arts de la fusion des aspirations et des cultures. Ce n'est pas de la philosophie, mais de la spiritualité exprimée par la musique et le chant, parfois même en s'affranchissant complètement de message, comme avec Cyclone. « J'ai toujours aimé prendre les choses à la racine. Avec cette chanson, j'ai sans doute entraîné les gens à imaginer ce vers quoi je tendais, simplement à travers la musique et le chant sans paroles. » commente t-elle de Groundhog Day, version longue (contenue dans le deuxième disque de l'album réédité). 

Cette capacité à écrire des chansons progressives, changeantes, échappant à la rigidité des formats, s’illustre aussi avec Save Me. « C'était si excitant pour moi de m'étendre au delà du type d'écriture que j'avais pratiqué auparavant. » Dans ce mouvement de l'avant, I'm so Blue semble anachronique dans sa nostalgie. Quant à la participation du saxophoniste Art Pepper sur ce morceau : « Il se produisait à ce moment là dans un club de la même rue que le studio, Peter est allé le voir et lui a demandé s'il voulait jouer sur la chanson. Il était si brillant et pur – nous étions tous complètement silencieux. » La touche la plus inattendue de cette spiritualité qui donne à cet album un statut spécial. 

C'est son opiniâtreté qui lui fit produire, déjà, une douzaine d'albums avant de parvenir à celui-ci à l'âge de vingt neuf ans. Cela a tenu jusqu'en 1982, avec Arabesque ; mais le public, comme l'envie d'élargir son horizon, se sont dilapidés peu à peu par la suite. Photograph est devenu le magnifique témoignage de ce que peut faire une artiste emblématique du summer of love quand elle atteint sa maturité.

samedi 20 mai 2017

{archive} THE AFGHAN WHIGS - Black Love (1996)


OO
Rock
nocturne, intense, lyrique


Greg Dulli a été désigné de bien des façons tout au long de sa carrière. Il a été qualifié de misanthrope, de misogyne, d’arrogant. Ses obsessions charnelles, bien documentées dans son œuvre, et son attitude extravagante en concert ont certainement cimenté la perception de Dulli comme de la star de rock caricaturale - froid, insensible, et complètement égocentrique. Toutes ces allégations pouvaient être vraies à d’autres époques, tandis que le groupe fonçait, dévoyé par sa fascination pour les sentiments extrêmes.

En 1996, dans l'indifférence de la critique et surtout accablé de comparaisons défavorables avec son prédécesseur toxique, Gentlemen (1995), paraît Black Love, une tentative d'album grunge romantique. Greg Dulli, Rick McCollum, John Curley, Paul Buchigani, et une cohorte de participants incluant Doug Falsetti aux percussions et aux chœurs et Harold Chichester au piano rhodes ou à l'orgue, arrondissent le son des Afghan Whigs, le rendent plus mouvant et existentiel, laissent s'insinuer les doutes et les hésitations, ne laissant comme provocation qu'un sens de la mise scène audacieux. En témoigne l'un des refrains les plus excitants du disque, sur Going Into Town : « Go to town, burnt it down, turn around/and get your stroll on babe/I'll get the car/you get the match and gasoline. »

L'égocentrisme supposé de Dulli réside dans sa façon de dramatiser les brèches les plus condamnables de sa psyché. Évidement un tel don n'est pas évident à contrôler, et on pourrait énumérer les débordements des premières années. Mais le chanteur a depuis montré un profond respect pour ses amis, pour les gens qui gravitent autour de lui, et toutes les accusations portées ne sont devenues que jalousie stérile. Il ne reste de cette période le souvenir que d'une seule confrontation, assez banale : celle contre le label accusé de négligence, pas de quoi salir la réputation d'un homme.

Reste que Black Love est un album hybride, qui brille mieux à travers la subtilité de sa production que ne l'ont fait les précédents chapitres du groupe. C'est notamment vrai pour les ballades, même si elles offrent, tout comme les moments plus rock, des raisons de se méprendre sur la teneur des propos du chanteur. "The drug of your smile has gone and left me alone … I need it, sweet baby, please. Won't you answer the phone ? ... I have to ask. I need to know. Was it ever love?" C'est à toi de me le dire, connard, pourrait t-on lui répondre. On trouve sur dans ces moments de vulnérabilité inhabituelle des allusions aux mensonges et aux infidélités supposés de Dulli, certains diraient énoncés avec une maladresse volontaire exprès pour susciter l’indulgence de son entourage et de son public. Mais comment se débarrasser de ce dont on l'accable, si enregistrer un tel album ne suffit plus ?

Peut-être Black Love répond t-il d'un 'concept' volontaire , plus profond que tout ce qui a été exprimé par le groupe jusque là : un homme perpétuellement infidèle ne peut jamais connaître l’amour – ne jamais connaître la sincérité de la douleur à la perte de celle qu’il a continuellement bafouée. Et si c'était vraiment le cœur noir de l'album, l'album serait t-il mauvais pour autant ?

Malgré des chanson intransigeantes, comme Double Day et Blame, Etc, le sentiment n'est jamais à la haine, l'injustice révèle un aspect subjectif assumé, comme avec le même panache que les Afghan Whigs assument reprendre le flambeau du rock tel qu'il s'est toujours exprimé : matamore et sensible. S'ils jouent de leur renommée, c'est en jouant sur le lyrisme idéaliste de leur combat.

Night by Candlelight met Greg Dulli au pied du mur, tandis qu'il nous prend à parti à propos de sa sincérité. « Repeat these words/After Me/In all honesty/If you dare to believe this/Yourself. » Il trouve les termes justes pour désamorcer le présumé vernis prétentieux. Comme si c'était l'arrogance qui faisait rutiler les chansons ! Au contraire, Gentlemen avait éconduit Greg Dulli, mal à l'aise à l'idée d'interpréter ses propres chansons en concert pendant des années, jusqu'à ce qu'il se décide à les prendre au second degré.

Musicalement, l'album profite de la participation de Harold Chichester dans les atermoiements, même s'il rend parfois la trame un peu brouillonne. La guitare brûlante de McCollum prend les devants sonores pour éviter que Black Love ne sacrifie son immédiateté, même lorsque Dulli se traîne lui-même sur la braise. John Curley et Paul Buchignani préservent le mordant rythmique qui avait retenu l'attention auparavant.

L'album devient peu à peu plus limpide, tandis que les paroles cherchent à retrouver le contact de la vérité. La discorde émotionnelle de Dulli n’est pas entièrement résolue à la fin - bien que la seconde moitié de l’album soit nettement moins ambivalente. Il y a peu à peu une sorte de percée, comme si le chanteur mettait de côté la colère, le regret et la luxure: "Love I can't hide / But it's been easier since I said it now." sur Bulletproof, a chanson qui ouvre sur un véritable revirement vers un groupe momentanément plus apaisé et un chanteur plus confiant. Summer's Kiss poursuit dans cette voie. « Come lay down in the cool grass/with me, baby let's wtach taht/summer fade. » Et si les pulsions morbides vont toujours de pair avec l'extase que montre le chanteur, leur rock devient pourtant bien plus conciliant.

« Better get your ass up in the mountain, baby, i'll take you up tonight. » Femme ou homme, rien ne contre-indique qu'on puisse chanter cela sans être accusé d'un crime. Le crime serait de se défiler. Black Love, un album démarrant avec l'évocation d'un suicide, la perte injuste d'une amie, en sait quelque chose. « Me remettre en selle avec cette chanson, ouvrir les concerts avec Crime Scene était super. J'avais oublié combien j'aimais cette chanson, qui est un message très sensible adressé à une amie ayant choisi de partir de sa propre main. Tandis que c'était une chanson douloureuse au moment de l'enregistrer, le temps a passé, et j'ai été heureux de la ressentir désormais plutôt comme un hommage que comme un exorcisme. » confie Dulli lors de son interview à music OMH à l'occasion de la sortie de Do To the Beast, en 2014.

vendredi 19 mai 2017

DOMINIC WAXING LYRICAL - Rural Tonic (2017)



OO
extravagant, lyrique, romantique
Folk alternatif


Un album progressant avec une liberté de ton vivifiante ! La salve de violon de King ouvre sur des chansons explosives et mouvantes, entre vieille tradition et folk psychédélique. Le canevas musical repose hardiment sur un foisonnement de violons et violoncelles, puisque Dominic Waxing Lyrical est une gageure collective de musiciens de la scène d’Édimbourg avec le Scotish Chamber Orchestra. L'accent du chanteur/songwriter Dominic Harris fait dans l'éloquente gouaille écossaise. La pochette décalée et le titre décrivent un objet à la fois familier et appartenant à un univers subtilement différent du notre. Ce contraste de familiarité et de dépaysement est le premier sentiment à frapper. Puis vient Laïka, une ballade au romantisme étrange et un peu magique. Le clavecin nous rappelle les audaces possibles à Abbey Road en 1968, mais que dire du lyrisme de la scie musicale ? La précision des mélodies, leur sens du mécanisme et leur dynamique maintiennent l'attention et nous gagne la sensation d'une traversée multi-dimensionelle. River Styx met en avant l'urgence et le romantisme complètement incarné par un Dominic Harris comme possédé par une vision.

On est surpris de la fluidité de l'ensemble, et de la façon dont les références multiples sont intégrées, Tim Hardin ou Tom Rush parmi eux. Les morceaux s'enchaînent dans l'ardeur des meilleurs disques du Summer of love. Harris retravaille la palette du rock anglais populaire des années 70 en ajoutant cet ingrédient spécial, cette mélancolie, cette incertitude, forçant la netteté des images pour mieux nous dérouter et nous subjuguer. Les références sont encore plus visibles tandis que l'album avance, nous imprégnant d'une apparente complaisance. Susan Sontag se fredonne facilement, mais on poursuit ensuite dans une ambiance toujours plus onirique et imagée. Kill Everyone est complètement baroque, librement inspirée de l'époque de Sgt Pepper. Et on termine par une seconde ballade au clavecin, parfaitement dans l'esprit d'artistes folk aventureux, devenus très rares. Rural Tonic côtoie à plusieurs reprises les trublions de l'acid-folk de Tom Rapp ou de Ed Askew. Octopus Man mêle ainsi exubérance poétique et textures sublimes, avec des arrangements qui entre d’autres mains auraient pu sembler pompeux.  Cet album devrait logiquement avoir un grand succès dans la contrée qui l'a vu naître, et pour nous c'est le merveilleux témoin certains refusent le conformisme pop.

mercredi 15 mars 2017

DA CAPO - Oh My Lady (2017)





OO
lyrique, sensible, lucide
Pop rock, jazz

Déroutant au début, tant il n'est pas ancré dans un endroit bien cerné, mais vole au contraire vers de vagues étendues, par touches enfiévrées. La tension, le magnétisme d'une guitare acoustique sont retranscrites et amplifiées, prenant au départ un essor à l'exaltation académique, puis les amarres lâchent, guidées au son d'une voix nuancée dans la lignée de celle de Conor O'Brien (Villagers). Les amarres, c'est parfaitement en phase avec le sentiment de transit du refrain, We have been waiting here for too long. Il y à la fois la tension statique, contenue dans un orage de saxophone et de trompette, et le mouvement nébuleux d'aspirations aériennes. Puis une guitare espagnole. 

Da Capo semble rechercher la voie charnelle en même tant que l'élan vers les choses diffuses. Le chanson titre offre un virement surprenant, nous place dans une situation plus délicate, tourne un sentiment tragique en instants qu'il faudrait saisir en funambule. On pensera plus loin au funambulisme de Robert Wyatt. A. Paugam pousse ses contemplations vers l'insolite. Le refrain, rassemble les fractions éparses dans une mélodie bizarre et réussie. 

L'évocation de l’Espagne est de retour, comme le thème d'un voyage abstrait, avec You Really Don't Know. Voyage fait de ressentis et progressant par vibrations sourdes, dont la fraction évidente est dans la veine pop folk classieuse. Les chœurs rappellent l'album A Church That Fits Your Needs, de Lost in the Trees, un trésor américain que je conseille chaleureusement aux français de Da Capo. Il y a la même propension à faire pénétrer les chansons en territoire païen mais sacré. 

On pense à Villagers surtout sur le plus enlevé I Fell in Love, A. Paugam joue du timbre de sa voix à gorge déployée, c'est un instrument dont il restitue toute l'émotion et le désarroi. On l'imagine, les yeux fermés, se rendant à la note juste, la tête inclinée, les coins de la bouche relevés, figés un instant en une expression de dévotion et de félicité. 

Dès lors, on se laisse amener au gré des arrangements, par exemple sur la très intense Heal Me, qui assoit l'élégance et la verve jazz de Da Capo. On a l'habitude, dans la pop, de cuivres ; mais ici, rejoints par d'autres sonorités, ils vont plus loin, consument l'énergie, absorbent notre rythme de marche et nous laissent flotter pour atteindre des lieux idéels.


https://dacapo1.bandcamp.com/album/oh-my-lady

jeudi 12 janvier 2017

{archive} ESSRA MOHAWK - Primordial Lovers MM (1970 - 1974)





OOO
intemporel puissant, lyrique
Rock, songwriter, soul

Le sort d'un album est lié à sa disponibilité dans le commerce. Tant qu'aucune maison de disques ne fait l'effort de le rappeler au souvenir d'une nouvelle génération d'auditeurs, l'œuvre et le message ne retrouvent pas leur public. Essra Mohawk a insisté sur le fait qu'elle avait avant tout un message crucial, et c'est ce qui lui a donné la témérité d'enregistrer, en s'entourant de musiciens capables d'épouser favorablement son style vocal libre et obsédant. Primordial Lovers MM rassemble Primordial Lovers, sa déclaration d'intention, son hymne au pouvoir libérateur de la nature et de l'émotion, et son album éponyme. Sur l'un elle ouvrait une voie, sur l'autre elle semblait émuler Leon Russel et une génération douée de songwriters. Jamais elle ne reproduira la quête menée à bien sur Primordial Lovers.
Elle aurait aimé une pochette plus lumineuse, avec des corps entremêlés courant sur le recto et le verso, sur-imprimés du soleil et de la terre. « L'horizon aurait été fait de la ligne de rencontre des corps ». Pour le reste, son message consistait à montrer une vérité absolue, sensuelle et entière. A incarner cette personne entière, capable de nous toucher tous, d'enter en relation avec chacun dans ce qu'il a de plus profond. « I am a woman/And i got to tell the truth » chante-elle dans Song to an Unborn Soul, avec une emphase à couper le souffle. Cela peut paraître banal, mais elle donne au rivage de la vérité une nouvelle dimension mouvante et charnelle. Très peu d'artistes privilégieront avec autant de liberté et de fougue leur message. Comme Laura Nyro, Essra Mohawk ne prenait rien plus au sérieux que son art. Elle voulait toucher les limites du sentiment humain, avec cette capacité à basculer dans la vulnérabilité et à se montrer péremptoire à la fois. « All life is two lovers/Spinning, spinning towards each other/Reaching, reaching to be one/Just like two primordial lovers/Once created our sun. » Sur Primordial Lovers, en comparaison avec son disque suivant de 1974, elle n'articule pas toujours suffisamment pour que l'on saisisse exactement ce qu'elle chante. Comme s'il s'agissait avant tout d'un flot de musique. Primordial Lovers se veut universel, voit Mohawk traverser de multiples phases, à la fois provocante, noble et mystique, comme si elle ne changeait pas seulement de voix, mais de corps. C'est une musique épidermique, qui fait frissonner.

Le premier chef d’œuvre de l'album arrive avec I Have Been Here Before. Le vibraphone et des cuivres rodent avant de s'élever, sur les mots « Now i'm here with you. ». Mohawk utilise le scat des chanteurs de jazz, et montre comment elle privilégie l'énergie live et la spontanéité, avant de retomber dans un chant mystérieux, dans un nouveau basculement. On comprendra ce qu'on pourra. I Have Been Here Before crée l'un de ces moments que seule une performance de concert peut habituellement ménager, un moment unique dans l'esprit de l'auditeur. En conséquence, on se fera attentif, lors des écoutes suivantes, pour tirer de ce moment décisif de nouvelles raisons de considérer Primordial Lovers dans toute sa radieuse originalité.

Une trentaine de musiciens ont rendu cet album possible, s'adaptant selon l'esprit des chansons. On retrouve notamment le guitariste Lee Underwood, qui a joué sur plusieurs albums de Tim Buckley ; Dallas Taylor le batteur original de Crosby Still & Nash, et Doug Hastings. Des connaissances du producteur Frazier Mohawk, le mari d'Essra Mohawk. Leur entente et leur confiance communes ont ouvert des possibilités musicales inédites, que ce soit soit dans le jazz puissant qui sert de moelle ou dans la façon d'Esrra Mohawk d'agir comme si elle s'épanouissait en direct sur l'album. L'une de ses techniques préférées est ce qu'elle appelle le 'vocal collage', pour rendre plus dense encore une œuvre déjà très développée. Le résultat est bouleversant sur le pont de I'll Will Give It To You Anyway

Primordial Lovers n'est pas une œuvre isolée dans sa création, mais inspirante pour beaucoup d'artistes dès l'époque de sa conception. Ainsi, I Have Been here Before fascina David Crosby au point qu'il suppliait toujours Mohawk de jouer cette chanson plutôt qu'une autre lors de leurs rencontres, au point qu'elle finisse par influer sur le refrain de sa propre chanson Deja Vu. « Quand je l'ai entendue, c'était vraiment du 'déjà vu ' pour moi », se souvient Esrra Mohawk. Look Forward to the Dawn se déploie encore plus posément. Mohawk se dit inspirée pour le piano par Joni Mitchell, qui elle-même écrivit Woodstock en pensant à Mohawk. celle-ci avait raté le festival à cause d'un problème d'organisation de son management. L'une des raisons, selon elle, pour que ses albums continuent d'être si secrets aujourd’hui. Thunder in The Morning déploie encore une énergie communicative que l'on a envie de reproduire, de partager, de faire connaître, et deviendra l'une des favorites des admirateurs de Mohawk. Sa voix est celle de la plaidoirie, dans le sens de louange. Son attitude envers les éléments ne passe jamais la ligne de la supplication ; dans son abandon le plus sincère, c'est encore la force impérieuse qui garde le dessus. Une grâce irradie des guitares et des cuivres sur It's Up To me, avant de terminer avec une chanson soul, presque gospel où l'on s'entendrait à ce que Mohawk se décide à recréer Dieu pour parachever son expérience naturelle.

Sur l'album éponyme qui suivra, elle affirme encore son message. Accrocheur et entêtant, il est la meilleure façon d'écouter Essra Mohawk si vous préférez l'immédiateté à la recherche. Mais si vous voulez ressentir une émotion étrange et inédite, Primordial Lovers reste la clef qu'il suffit de tourner pour faire échapper l'art d'Esrra Mohawk à son bannissement perpétuel.

01. I Am the Breeze
02. Spiral
03. I'll Give it to You Anyway
04. I Have Been Here Before
05. Looking Forward to the Dawn
06. Thunder in the Morning
07. Lion On the Wing
08. It's Up to Me
09. It's Been a Beautiful Day

dimanche 20 novembre 2016

EFTERKLANG & KARSTEN TUNDAL - Leaves - The Color of Falling (2016)







OO
inquiétant, soigné, lyrique
Opera, rock alternatif, expérimental


Considérant la musique left field qui passe 24/24 à la radio mise en ligne par d'Efterklang, on peu se réjouir que la leur soit aussi écoutable. C'est le cinquième album d'un groupe qui a annoncé son hiatus après Piramida (2012). Mais il occupe une place à part. Leur rapprochement avec l’orchestre national du Danemark n'est pas nouveau, mais les voilà qui combinent des éléments de leurs propre musique – les trames, les instruments à maillets, les mélodies lancinantes, la mélancolie qui renvoie à des chansons marquantes comme Sedna ou Monument sur Piramida – avec les cordes vocales de chanteurs d'opéra. Qui participent à la création d'un opéra, en fait.

Force est de constater que la voix humaine, qu'elle se mue en sons surgis de votre propre environnement – essayez d'écouter cet album dans la rue -, se perde dans des profondeurs en rapport avec la poésie biblique de ce qu'elle chante, ou stoppe brutalement, laissant la nette impression d'un silence pesant. C'est un souffle palpable, très physique, pour lequel, sur cet album, on écrit en priorité, avant de composer et d'arranger pour d'autres instruments. Peu importe qu'il s'agisse de la voix du chanteur d'Efterklang, Casper Clausen, ou de celles de chanteurs et de chanteuses énigmatiques à nos oreilles. Ils prolongent, d'une certaine façon, le travail de détachement engagé par Clausen, avec sa voix trop rare. Puis il y a la théâtralité. Imaginez simplement Stillborn chantée par Scott Walker. La chanteuse un peu dérangeante des premières chansons est devenue une source de fascination. Un peu comme la première fois que vous écoutez Peer Gynt, et que vous vous demandez à quoi bon avoir fait chanter sur une musique déjà parfaite. Lorsque vous comprenez, votre oreille musicale a franchi un pas.

Les pièces montées en vidéo pour le site internet et les réseaux sociaux nous font penser à la folie telle qu'elle a été représentée au cinéma, orientée sur une froideur clinique, où la folie, s'illustre dans les particularités des sujets filmés, comme si on avait tenté d'en capter les derniers résidus d'âme intacte. En fait, cet album lugubre me rappelle une historie imaginée il y a quelques années, das laquelle deux parents élèvent leur fille dans une forêt. Le père se fait assassiner, et la mère est obligée de fuir avec sa fille. Elle va croiser un femme isolée, elle aussi, qui la menacera d'une hache sans raison apparente, etc... Un conte où l'ennemi n'est pas celui qu'on imagine. Et une trame qui suit leur fuite, ou la progression narrative devait se ressentir comme dans un conte, ou dans un rêve. On ressent la progression de Leaves plus qu'on ne la perçoit : et j'ignore si voir l'opéra en vrai apportera quelque chose de mieux – de différent, c'est sûr – à cette oeuvre déjà très sensorielle. Ce n'est quand même pas Siegfried, même si Wagner n'est parfois pas loin.

La fin de l'album, et des pièces telles que Abyss et No Longer Me, marque les esprits au-delà de ce qu'un album conventionnellement chroniqué sur ce genre de blog est capable. A une voix gutturale, au fracas de chaînes et de fers, répondent les imprécations de choristes spectrales, décrivant des choses qu'aucun œil humain n'a vu, mais que son esprit est parvenu, miraculeusement, à imaginer.Le miracle, c'est cela, pas les choses saintes et les guérisons inespérées ; la blessure qui est inventée, la chute provoquée, et la résolution douloureuse qui y est apporter, et qui nous inquiétant, nous inspire un changement. Éteindre les couleurs pour en créer de nouvelles, diaphanes ; des ocres, des marrons, des verts de gris inimaginables.

dimanche 18 septembre 2016

COURTNEY MARIE ANDREWS - Honest Life (2016)




OO
lucide, lyrique, élégant

folk, bluegrass

On attendait cet album en 2015 ! Mais on devine quelle difficulté il y a pour une artiste, avec le sentiment que sa maturité artistique est venue, à se convaincre d'enregistrer et produire sans autre support que des amis musiciens réunis pour l'occasion un album à la hauteur du potentiel. « C'est difficile quand vous commencez si jeune, car vous êtes passionné et vous avez tendance à vouloir faire écouter toutes les chansons que vous écrivez. Mais je n'y étais pas encore. Les deux dernières années, sont celles où j'ai vraiment eu l'impression de trouver ma singularité. » Remisés, alors, seront les précédents albums, On My Page (2013), No One's Slate is Clean (2011) et For One I Knew (2010), qui suscitaient pourtant déjà l'admiration. Honest Life se résume à ces mots, recueillis par Stephen Deusner pour le Webzine The Bluegrass Situation : « Je pense que j'ai finalement compris comment écrire ». 

Dans ses expériences passées, dans l'accompagnement d'autres musiciens et le développement de sa propre écriture, la songwriter a appris à enrichir le répertoire universel des chansons folk, capables de voyager autant que Courtney Marie Andrews elle même l'a fait, depuis sa naissance en Arkansas en 1991. Des chansons qui doivent trouver un sens autonome et être suffisamment bonnes pour se trouver interprétées par d'autres, dans dix ans, cinquante ans. Qui n'ont pas besoin des artifices que les producteurs contactés lui proposaient. Il y a un sérieux dans l'entreprise que la pochette de l'album traduit bien : la volonté de se présenter avec une franchise définitive, jusque dans le fond de ses capacités artistiques, c'est à dire sentimentales et intuitives.

Honest Life est, on l'espère un peu, un album qui devrait amener plus souvent le nom de Courtney Marie Andrews dans les conversations des pourvoyeurs de musique et pas seulement des chanceux qui on pu la voir en concert. Là, de passage deux ans plus tôt en France, elle n'était déjà plus au stade de l'essai. Elle sait que tout ne vient pas d'un coup ; mais quand elle reconnaît, sur Rookie Dreaming, la difficulté qu'il y a à donner le meilleur de soi même, elle nous persuade qu'un pas a été franchi. Honest Life se caractérise dès lors par une maîtrise (vocale, remarquablement) dont l'ostentatoire s'efface derrière un sens concret et lumineux. Les paroles sont celles d'une jeune femme qui refuse d'être instrumentalisée, dans des relations où on ne la comprenne pas. Elles sont directes, familières et nous incitent à aller mieux. Elle chante avec un calme détonnant pour quelqu'un conscient que la seule chose qu'on s'imagine faire dans la vie peut souffrir d'un revers. Il y a une force impassible, elle parvient à nous faire croire que « c'est la vie » et ne cherche plus à provoquer la colère ou la pitié de personne.
Les détours de ces chansons sont ceux qui vous permettent, sous la claire influence des toutes choses formelles, la voix forte et engageante et les thèmes country-folk authentiques, de redessiner votre propre vie émotionnelle, que ce soit pour s'élancer dans une allée droite ou pour louvoyer encore. On se prend à croire que la jeune femme, encore dans sa vingtaine, puisse utiliser à dessein le futur antérieur, comme un subterfuge. « Tout ce que j'aurai voulu c'est une vie honnête/et devenir la personne qui se trouvait vraiment au fond de moi. » On veut croire ses chansons de belles expériences temporelles, qui ont le pouvoir d'être hier, aujourd’hui, demain.

lundi 11 juillet 2016

MARISSA NADLER - Strangers (2016)




OOO
lyrique, pénétrant
Folk rock

Extrait provisoire de l'article sur Marissa Nadler à paraître dans Trip Tips 28.



La musique est un formidable moyen d'imputer des éléments personnels, de les formuler, de les façonner, et c'est exactement ce que fait Marissa Nadler en décidant d'animer elle-même la vidéo pour Janie in Love, la chanson la plus entêtante de Strangers, son septième album. Elle donne une forme physique au ressenti, insuffle la vie dans les corps obtus, en pâte à modeler, en éléments de papier, animés par la magie du cinéma. Malgré le soin apporté, cet art de la mise en scène paraît bien creux en comparaison de la musique, qui tient du romantisme pleinement assouvi, produisant un jeu d'ombres et de lumières très évocateur, emprunté à la soul orchestrée de Nina Simone, Billie Holiday, Sam Cooke, Roy Orbison qu'on aurait plongée dans une torpeur dont Opal et Mazzy Star reste les meilleurs représentants. Comme parfois lorsqu'on veut représenter une scène trop dure au cinéma, elle donne corps en projetant un jeu d'ombres, le plus doux possible, sur les murs qui délimitent son entité.

Les artistes qui sont perçus comme nébuleux, élusifs, sont ceux qui ont le plus fort rapport à la silhouette, à la forme que leur musique. Ils émergent convaincus par leur hésitation même, par leur timidité (Marissa Nadler reconnaît, qu'à ses débuts, elle n'osait dévisager les gens dans la rue) pour se donner les moyens de tout définir ; la façon dont cette musique sera vêtue, son odeur, son visage, sa couleur, son appartenance à une culture ou à une autre. Pour ces artistes là, la musique est d'abord l'entité de leurs rêves, et ils ne seront toujours qu'à travers elle. Elle concrétise leurs désirs intérieurs.

Le trait le plus évident de la musique de Marissa Nadler, c'est sa couleur : le noir. C'est si évident qu'on n'y prête plus attention, on sait que la pochette de son nouvel album devait être aussi noire que celle du précédent. Sur Strangers, elle apparaît comme une statue, en élément en regard de sa musique, en réceptacle, plutôt qu’instigateur de ces mélodies profondes. Peut-être le noir est t-il là parce qu'avec ces deux disques, July (2014) puis Strangers, elle est entrée dans une phase plus lourde, pus sourde, se fondant mieux que jamais avec son entité, se permettant d'entrer osmose et de parler d'elle dans ses chansons, un changement qui a été largement remarqué par les fans de July. Son travail avec Randall Dunn (Sunn O))), Björk, Black Mountain), a aussi encouragé cette projection musicale à se faire plus totale, les synthétiseurs contribuant beaucoup à l'évolution des ambiances, surtout sur les chansons Skyscraper et Hungry is the Ghost.

Dans le noir, les mouvements sont invisibles, gratuits. C'est la couleur d'une fluidité, d'une mouvance, parfaite illustration d'une musique d'apparence statique mais qui, en réalité, est sans cesse en évolution, ne se repose par sur un rythme ou un schéma d'accords figés mais sur une progression continue. Prenez par exemple Katie I Know. C'est la meilleure forme de chanson s'il s'agit de développer une tension, Nadler donnant encore l'impression, à la première écoute, qu'elle se contente de poursuivre sur le même ton qu'avec son précédent disque, alors qu'on devine, après plusieurs écoutes, une ouverture progressive qui ouvre la voie aux plus grandes chansons de l'album, Skyscraper, Hungry is the Ghost, All the Colors of the Dark. Puis vient la chanson titre, le moment le plus engourdi.

Elle ne doit pas retenir d'aller chercher les pépites en fin d'album, et en particulier Dissolve, qui fait songer, étrangement, au songwriter britannique Richard Hawley. Lui introduit toujours un sens du lieu dans ses chansons ; et au début de son album le plus crépusculaire, Truelove's Gutter (2009), il emprunte le langage de l'ombre et de la lumière commun à ceux qui observent depuis l'ombre et veulent définir leurs ressentiment avant de s'avancer. « As the light creeps over the houses/and the slates are darked by rain». Aidé du crystal bachet et de l'harmonica de verre du français Thomas Bloch, Hawley paraît cependant avancer plus en lumière, se permettant d'être davantage lui-même. «In this morning search for meaning/ I hear a songbird melody/And she's singing just for me. » Marissa Nadler ne chante pas seulement pour vous, comme dans la chanson de Richard Hawley, mais pour un entremonde.

Le noir, c'est la couleur du mouvement, du frémissement, du trouble, de la peur. Toutes choses que, de façon générale, l'artiste peut décider de révéler ou de cacher, mais seulement à condition de les trouver, de les reconnaître, et de les projeter. Les possibilités sont dès lors infinies, et des chansons ressemblantes en apparence cachent mille formes d'avancement et dessinent le parcours d'audaces intérieures.

Le noir a ainsi de multiples fonctions, et Nadler les maîtrise parfaitement. Même une pochette entièrement noire, en apparence, resterait la preuve que rien n'est laissé au hasard. Les devenirs et les désastres intimes ne se forment t-ils pas à la faveur de la nuit ? Comme dans un conte d'ETA Hoffman, les situations les plus concrètes naissent de commencements ambigus, d'états indescriptibles. Ces positionnements intelligents permettent à Nadler d'atteindre le plus haut niveau d'abandon sur ce beau moment qu'est Janie In Love.

dimanche 10 juillet 2016

{archive} LARRY GROCE - The Wheat Lies Low (1971)






OOOO
lyrique, sensible, frais
Folk-rock, americana, songwriter

Deux hommes distincts, deux images qu’il faut sonder pour y trouver des correspondances ; Larry Groce en 2016, qui vient de faire paraître Live Forever, un album paisible, bien produit, où le chanteur songwriter reprend certaines des chansons qui lui tiennent le plus à cœur, par des songwriters ouest-américains emblématiques qu’il a pu faire découvrir à des milliers d’auditeurs de son émission de radio, Mountain Stage. Il y a Townes Van Zandt, The Band, Jesse Winchester, Billy Joe Shaver. Sur ce riche humus musical issu des années 70, repose le véritable intérêt de ce que fait Groce, ce qu’il tente de réveiller là avec quatre chansons originales. Ce n’est pas facile, 27 ans après avoir enregistré pour la dernière fois un album qui se rapproche de celui-ci. Entre-temps, son tempérament enjoué l'a naturellement transformé, rendu plus léger, comme le montrait son hit Junk Food Junkie (1976) ou ses collaborations avec Disney. Il est devenu l’hôte de ses convives, certains diraient pris en otage par la soif de divertissement sans limites de la population.

The Wheat Lies Low (1971) nous renvoie au contraire à la racine de Larry Groce, montrant ce que même Crescentville (1973) ne contient plus entièrement ; un homme capable d’émouvoir à la simple force de sa musique, sans faire appel au divertissement.

C’est l’album d’un artiste en inflorescence, dont l’insécurité semble être sur le point de se résoudre en sérénité, et cela se traduit par une douceur rare, à côté de laquelle beaucoup paraîtraient poussifs. On y retrouve un peu de la mélancolie à l’œuvre sur l’album éponyme de Townes Van Zandt, celui dont la pochette le montre attablé dans une cuisine. Prenons la chanson-titre ; la voix fragile, s’élève et se maintient avec ténacité, et ce n’est pourtant plus qu’un murmure, pour décrire un jour de vagabondage, de liberté dans l’isolement d’une campagne ensoleillée. Dans la lenteur, dans le parallèle saisissant de simplicité que fait Groce entre l’hésitation de son propre cœur et les vent dans les blés, il atteint une sorte d’apothéose malheureusement vite oubliée, dans une époque où les chansons qui décrivaient la survie émotionnelle devenaient presque un cliché. La qualité mélodique de cet album culmine avec les dérives fascinées que constituent Compton et Look Up For Your Troubles. Déjà, c’est dans ses gènes, Larry Groce semble chercher à nous redonner de l’allant.


Si la phrase et la rime semblent faciles, ces chansons sont révélatrices d’une ère de durcissement, où les enfants vont devoir se battre avec plus de pugnacité que leurs parents avant eux pour ne pas être ingérés par la société. « So they played the same old games/But the players' names had changed/And the stakes were higher than their father had/And the rules were several hundred times as bad. Par ses thèmes, par l’histoire particulière de cet album tellement lié à son époque, The Wheat Lies Low peut être rapproché des disques de Lou Bond ou de Scott Fagan. Little Bird nous terrasse autant que They Think She’s Crying Because She’s Happy, chez ce dernier. La fraîcheur qui émane de chansons comme I Love, avec sa flute altière, reste longtemps à l’esprit. 

dimanche 10 avril 2016

KEVIN MORBY - Singing Saw (2016)








OO
Lyrique, doux amer, intemporel
Country rock, pop, songwriter

Singing Saw marque les débuts de Kevin Morby pour le label Dead Oceans, à propos duquel Trip Tips a publié un article concernant Bear in Heaven, Strand of Oaks, Julianna Barwick, Riley Walker, et récemment l'australien Marlon Williams). Cet album tourne autour d'une fascination supposée de Morby pour la scie musicale, cet instrument qui provoque un son curieux et enchanteur. Cet instrument sert d'ailleurs de point de fuite à un album emprunt de gravité, qui pourrait se résumer à une série de sensations et de rencontres intenses que Morby provoque entre sa musique et certains des musiciens américains d'hier et d'aujourd'hui les plus fascinants. Leonard Cohen et Bob Dylan sont là, dans Black Flowers ou surtout la finale Water. Son lyrisme intraitable est à ce niveau dès Cut me Down : “Birds will gather at my side, tears will gather in my eyes, throw my head and cry, as vultures circle in the sky.” Son onirisme sommaire et retiré évoque Bill Callahan dans Sometimes I Wish i Were an Eagle, Apocalypse ou Dream River (la percussion sur l’enivrante Black Flowers qui renvoie à The Sing). Les arrangements somptueux de Kevin Morby, par exemple sur Drunk and On a Star, soulignent cette parenté.

Le piano participe aussi à ce sentiment de sérénité, basculant vers la morosité voyageuse sur Ferris Wheel. Ailleurs, des guitares bravaches évoquent un rock lo-fi qui aurait dérivé, insufflé de pop intemporelle mais peut-être plus reliée aux années 90 (Dorothy). On retrouve là les Babies, le duo punk pop que Morby a constitué avec Cassie Ramone des Vivian Girls. C'est comme de donner à de petites émotions le champ de grands panoramas. Le détachement contemplatif et la voix de Morby le rapprochent aussi de Cass Mc Combs, sur Destroyer. C'est dans le dénuement des sentiments que réside leur lumineuse affiliation, et jusque dans l'accent et le timbre : « Have you seen my mother she's a-lookin' for my father » Le saxophone est la touche, peut-être crépusculaire, qui ajoute au superbe de cette chanson.

Il pourfend les dépendances parentales et territoriales qui sous tendent l'existence, comme le racisme - I Have Been to the Mountain évoque le sort d'Eric Garner, le noir américain qui s'est fait tabasser à mort par un flic à Staten Island en 2014. Grandissant dans la Bible Belt américaine, il confie sur le site Aquarium Drunkard : « Ne pas aller à l'église était une déclaration d'intention plus grande que d'y aller ». Les chœurs, la steel-guitar sur Water ajoute à l'aspect intemporel et transversal à cette épopée, avec laquelle Morby, après deux albums 'en transit' avec les Babies et un en solo, est vraiment arrivé à bon port.




jeudi 7 avril 2016

RADICAL FACE - The Leaves (2016)



 

O
poignant, sensible, lyrique
Folk-rock, pop

Sufjan Stevens impressionne régulièrement, pourquoi Radical Face, dans une attention similaire à ses mélodies et aux émotions qu'il transporte, ne le ferait pas autant ? C'est un tour de force, pour Ben Cooper, que d’avoir développé un tel univers au fil de trois albums, agrandissant sa famille fictive , les Northcotes, de personnages qui se nourrissent, en filigrane, d'éléments de son histoire personnelle en Floride. Un projet à la fois si vaste et si intime que Ben Cooper assure ne pouvoir l'interpréter qu'en proposant deux concerts entièrement différents par salle et par soir, tout en reconnaissant que, certaines de ces chansons eux, ils ne les jouera plus. Elles sont finies, « They're kind of done ». Dans son utilisation du terme, sa capacité jusqu'au-boutiste à peaufiner ses chansons, pour les placer dans cette séquence délicate que constitue encore The Leaves, passera pour un désespoir.

Il y a une vraie recherche d'interdépendance car ces « feuilles » sont placées au bout de « branches » elles-même tributaires de racines » (les deux premiers albums, The Roots (2011) et The Branches (2013). Une fois le projet, démarré en 2007, mis en place, Cooper semble avancer en félicité, et le cueillir avec cet album équivaut à capter le miel d'un travail de longue haleine dont on ne sent plus la peine mais seulement l'émotion complètement relâchée. Il en faut peu pour donner à ce projet d'un seul homme les airs d'un vrai groupe, tant les chansons sont orchestrées, qui plus est avec une vision classique et entêtée, défiant courageusement le temps présent comme en témoigne la présence de hautbois... Mais c'est pour conférer à l'histoire de cette famille d'un autre siècle le cadre sonore qui lui correspondait. Pour le reste, cet album pop/folk se déploie comme une aventure, parfois à hauteur d'enfant, parfois avec la gravité et la lassitude de l'adulte. Son aspect cathartique est le mieux illustré quand la musique atteint son quotient hypnotique le plus fort, sur The Road to Nowhere, ou dans l'intensité émotionnelle parfaite de Bad Blood, dans laquelle l'auteur de ce monde réapparaît tragiquement au terme de sa propre œuvre, pour souligner la magie de voir son œuvre accomplie. Après nous avoir souvent charmés sur des mélodies cinématiques. Le storyboard de Ben Cooper ne s'embarrasse pas de visuels pour produire une atmosphère fantastique et enveloppante. 

A écouter avec : Lost in the Trees. 

lundi 29 février 2016

EMMA POLLOCK - In Search of Harperfield (2016)








O
soigné, lyrique

Rock alternatif, folk 

Malgré certains défauts, la voix un peu trop « blanche » d'Emma Pollock et des paroles qui manquent de tranchant pour se distinguer de leur écrin musical, ce troisième album de la songwriter écossaise a de quoi ravir !

La pochette représente le père d'Emma, Guy Pollock, travaillant la terre, et Harperfield, dont le titre évoque la recherche, est la maison où ses parents vécurent quand il étaient un jeune couple. Sa mère et sa grand-mère sont décédées en février 2015, à 7 heures d'intervalle.

Pollock a une approche biaisée, l'inspiration familiale ne suffisant pas sa volonté artistique. Elle semble tantôt adresser son propre passé et son héritage – Cannot Keep a Secret, Parks and Recreation – et ailleurs décrire plutôt des états émotionnels génériques, pas forcément reliés à sa propre expérience. Le plus souvent, la frontière n'est pas clairement définie, ce qui donne une sens de l'énigme à ses chansons. Dans In Search of Harperfield, chaque chanson se départit de la précédente, changeant de direction et de ton dans une construction ingénieuse, qui réserve pour la fin les moments plus introspectifs (Dark Skies, Monster in the Pack, Old Ghost) où Emma Pollock se met véritablement dans la peau d'une chanteuse de folk, agile et plus affirmée que jamais. Le violoncelle lui sied bien. Old Ghost semble résumer l'album sur un note réflexive.


Ce sont les arrangements qui hissent cet album et lui assure de produire un impact. Réalisés en partie par Paul Savage, son mari et ancien des Delgados, groupe dont elle fut membre, ils insufflent par exemple à Intermission l'austérité nécessaire pour ancrer l'album dans nos mémoires, et offrent toutes les nuances en regard des paroles exaspérées et parfois transies de Pollock. Parfois étouffés et frêles, souvent plus enveloppants et capables de la porter nerveusement au-delà de ce qu'elle était en droit de projeter.

dimanche 7 février 2016

BETH ORTON - Daybreaker (2002)








OO
hypnotique, lyrique, doux-amer
Folk, indie folk


La timidité de Beth Orton, britannique du Norfolk, est marquante en concert. Mais la façon dont elle la dissimule sur ses albums, et en particulier dans celui-ci, n'est pas anodine non plus. L'écouter, c'est comme exhumer un chapitre déjà lointain de la carrière d'une artiste alors parvenue à sa pleine maturité, et qui n'a, malgré la vie, pas tant changé depuis lors. Elle a alors déjà écrit trois albums, et Daybreaker est accueilli sans excitation par la critique. Il est facile de voir pourquoi. La contribution des Chemical Brothers (Daybreaker, Mount Washington) donne un aspect électronique malvenu quand la fraîcheur acoustique sied tellement mieux, à une chanteuse immortalisée par sa façon terriblement émotive de s'accompagner à la guitare, les doigts ancrés, rigides. Les participations de Ryan Adams ou Emmilou Harris ne sont pas impressionnantes, même si elles débordent de professionnalisme.  Daybreaker se veut, peut-être trop, un album adulte.

Pourtant, l'album prend sa dimension 'Ortonesque' sur Carmela, un morceau que l'on aimerait dire 'à l'ancienne' même si on sait qu'il préfigura son chef d'oeuvre paru 10 ans plus tard, Sugaring Season. Elle y  capacité à basculer dans un versant bucolique enchanteur. La chose est vraie aussi sur This One's Gonna Bruise, délicatement soulignée par le picking appris de Bert Jansh, dans la plus pure tradition folk. Matiné de violoncelle, c'est le contrepoint le plus attendu de l'album. On est revenu là en premier lieu pour le timbre particulier de Beth Orton, l'intensité de cette voix à l'élasticité magique. 

Mieux, Daybreaker est un album sombre comme il faut, Ted Waltz, si fluide et limpide, pour maudire le soleil et le ciel 'vicieux'. Traditionnellement, ce n'est pas avant le dernier morceau, et sans s'éloigner de la rythmique bossa nova qui parcourt tout l'album, l'optimisme remplacer l'appréhension. Beth Orton suscite une sensation physique chez l'auditeur attentif, celle d’éclaircir le ciel, de repousser les nuages. Elle est pilote et la musique est son jet. Daybreaker, n'est-ce pas cette sensation de percer à travers les nuages? Le terme anglais, tant qu'on ne le traduit pas est plein de possibilités. Beth Orton nous embarquait et nous promettait d'y croire. Sugaring Season a été l’atterrissage, évoquant les choses de la terre. Pendant l'intervalle, elle nous a fait rêver comme des enfants, et continuera encore, on l'espère. 

D'ailleurs, son album suivant s'emparera de cette image en faisant figurer un arc-en-ciel sur la pochette de Comfort Of Strangers. Les grooves, les cordes, la basse électrique gonflée tracent des lignes qui propulsent Beth Orton hors de son orbite, pour nous donner de beaux refrains tels que sur Anywhere, chanson bossa-nova que l'on croirait produite à Chicago, avec un big band en bordure. Rien ne parvient à terrasser cette voix au moment où elle cherche le plus à s'affirmer. Paris Train est une autre réussite, avec ce piano porteur de mouvement, quelques notes entêtantes. L'orchestration, avec cornet lointain et voix pleine d'écho, est enivrante comme un premier voyage. 

Il est certain qu'elle a voulu en faire un album plus gros, capitalisant sur les promesses distillées par les deux premiers, quitte à développer un art de la dissimulation, qui scintille de mille feux à la fin de Mount Washington. Cette chanson de plus de six minutes a beaucoup fait finalement, pour présenter l'humeur sombre de l'album. 

jeudi 4 février 2016

NATALIE MERCHANT - Homeland (2001)




OOO
soigné, lyrique, lucide
Songwriter

Motherland est un point de départ idéal pour écouter Natalie Merchant. Sur son troisième album solo, elle chantait mieux que jamais. Ses chansons peaufinées semblaient capables de prendre une nouvelle signification au fur et à mesure des événements. This house is on Fire par exemple, qui prit une autre dimension après l'attaque des Twin Towers, et une autre encore si l'on considère les incendies qui ravagent aujourd'hui les Etats-Unis, incapables de préserver leur environnement. La pulsation reggae de cette chanson dramatique, combinée à une mélodie arabisante, provoque une sensation de surélévation presque mystique. On s'attend à un message universel. 

Le titre de l'album, Motherland, la 'terre mère', pouvait servir d'enseignement, comme presque tout ce que contiennent les chansons de Merchant. Des sensations avisées, des avertissements auquel on pense assister comme spectateur, avant de se sentir directement touchés. Par le tour que prenait ses histoires matinées de douce désillusion, mais pas de renoncement, sa musique prenait cette capacité à nous hanter longtemps après que cet album soit terminé. Elles transmettent une histoire et l'illustrent, donnant une perspective parfois vertigineuse à des thèmes enfouis en nous, parfois depuis l'enfance, et sondés dans ce qu'ils ont de profondément adulte. Il est question de maturité, de dissimulation, de pouvoir à se diriger soi-même das la vérité ou dans l'illusion. 

Merchant nous donnait le sentiment de participer à un mauvais jeu, mais jamais de miser contre notre intérêt. Une certaine froideur se détachait désormais de chansons comme I Put a Lawn on You, si parfaitement maîtrisée, avec orgue hammond et saxophone. L'aspect nourricier et spirituel dont elle pare discrètement chacune de ses œuvres est donné ici par l'apparition, sur deux chansons, de Mavis Staples, dont le honky tonk racé de Saint Judas.

mercredi 3 février 2016

NATALIE MERCHANT - Tigerlily (1995) + Paradise is There (2015)





OO
Lyrique, apaisé, soigné
Pop

Tigerlily est resté dans les mémoires comme un album déjà parfaitement formé. Natalie Merchant n'est pas du genre à faire une musique 'tentative' même s'il s'agit du premier album où elle encourt un véritable risque, celui de se méprendre sur la manière d'exprimer ce qu'elle ressentait. Ce n'était pas tant ce qu'elle ressentait le problème, mais les mille et une manières qui se présentaient à elle pour le formuler, car il fallait qu'elle échappe à cet 'eden' constitué par un groupe où elle s'était sentie si confortablement aux commandes, sans pourtant se risquer seule dans les décisions artistiques. S'il semblait mature, c'est qu'elle savait déjà quelle position elle devait adopter. Le détachement du poète qui l'avait éveillée aux mots et marqué son enfance. Comme dans un poème, elle managerait de petites surprises, des choses intrigantes, mais dans un format prévisible, délimité.

Lorsque Natalie Merchant écrit, qu'elle arrange une chanson, c'est pour la rendre insensible au passage du temps. Mieux, elle sont faites pour défier notre esprit à travers le passage du temps, das ce monde d'instantané. Quelques instruments utilisés avec parcimonie mettaient l'accent sur l'aspect révélateur de sa voix, dont l'auditeur a le plus grand mal à se détacher. Piano, Rhodes, guitare encore galvanisés par une batterie jouée comme dans une version acoustique de morceaux des 10 000 Maniacs. Elle a depuis appris à faire survenir une beauté à la fois plus radieuse et étouffée de ses chansons, comme un gris iridescent. Sa musique semble en phase d'ouverture, déjà composée dans une emphase imbattable, comme une volonté qui ne trébuche jamais, quitte à paraître faussement hésitante. Le titre, Tigerlily, censé représenter à la fois la fougue et la candeur, indique l'état d'esprit qui est celui de Natalie Merchant à 30 ans. A l'époque, la palette de couleur et de goûts n'était pas complètement arrêtée, mais le pouvoir envoûtant des paroles, leur retenue jusque dans leur aspect précieux, ondoyant, rayonnant d'un halo fervent. La sentimentalité ne sera jamais mieux exacerbée que dans River, son hommage à l'acteur River Phoenix. Le refrain reste l'un des plus moments les plus beaux et lyriques de l'album est de la carrière de Natalie Merchant.

Tigerlily est vingt ans après, encore l'objet du mouvement le plus étonnant de la carrière de Natalie Merchant, plus encore que lorsqu'elle a rassemblé des poèmes et s'est documentée de manière approfondie sur leur initiateurs pour Leave Your Sleep (2010). Elle est l'une des rares artistes, sans doute, à avoir décidé de ré-enregistrer complètement des chansons qui déjà étaient faites pour durer. Sur Paradise is There, les différences, voire les améliorations, sont évidentes. Dès San Andreas Fault, et sa cadence décontractée, on croit être en train de l'observer en concert, sous une lumière tamisée, ne révélant plus rien de sa présence que nous ne connaissions, se ressaisissant de ce répertoire finalement ancré dans son cœur, alors qu'il était en premier lieu, en comparaison, un simple catalogue. L'émotion est patinée de sagesse. River est maintenant comme une élégie pour son propre fils. Sans ses guitares électriques, l'emphase est plus forte encore dans Wonder. Et quand la guitare réapparaît, sur I May Know the Word, mêlée de cordes, c'est à peine agressif. Dans son drôle de charme cathartique, Paradise is There évoque les dernières œuvres de Beth Orton, telles que le très beau Sugaring Season (2012). Notamment, encore, sur Cowboy Romance, avec son arrangement de violon remarquable. La musique, dépouillée, nous incite plus que jamais à porter notre attention sur la qualité des paroles, et à s'interroger sur la singularité de cet art que Natalie Merchant fait perdurer depuis toutes ces années. Comment considère t-elle la musique ? Comme une activité à laquelle elle se livre quand elle n'est pas tout simplement en train de vivre. Elle n'a jamais particulièrement réclamé notre attention, et pourtant elle a toujours fait de la pop ; elle l'a fait par conviction, parce que les rythmes et les mélodies se mariaient aux mots d'une façon toujours fraîche et simple, nous attachant directement à sa personne, elle qui nous prend la main pour nous encourager à écrire à notre tour notre propre histoire.


Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...