“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

mardi 30 décembre 2014

Album de l'année : CLAP YOUR HANDS SAY YEAH


A ce point de leur carrière, Radiohead enregistrait Kid A pour rester en avance sur sont temps.

Avant de partir en tournée, Alec Ounsworth a trouvé le moyen de préparer un 4ème album aliéné, composé en duo et joué (parfois) en groupe. Quand le précédent, Hysterical a fait fuir 60 % du groupe, plus besoin de se soucier de dérouter qui que ce soit. Etre doué et avoir une voix si reconnaissable ne suffit pas, de toute façon, quand internet ne vous porte plus autant qu’avant.

C’est un virage synthétique : le batteur, Sean Greenhalgh, est chargé de programmer les machines. Mais Ounsworth joue de l’accordéon et de la guitare acoustique. Au final, l’album qui devait être un geste bizarre se trouve porter en lui tous les hauts et les bas propres à la musique indie rock, tiraillée depuis des années au point de ne signifier plus rien, au point que beaucoup désormais se dirigent vers des musiques plus ‘dures’, désincarnées, dirigées par les machines plus que par les hommes. Ici, ce sont de vraies chansons, chantées dans une attitude de fuite en avant par celui qui a entendu dire que de toutes façons, l’indie c’était toujours que couplets refrains identiques. Il y a un sens de l’honneur à défendre une évolution personelle sans basculer dans la caricature.

La sincérité des chansons et l’omniprésence vocale de Ounsworth finissent par tout mettre en exergue et donner une jolie fragilité, que la version alternative d’Impossible Request, en duo, parachève très bien.

Les boucles d’electronica suggèrent un vortex retenant les chansons ensemble, leur donnant un aspect étranger qui rend les mystères personnels de leur créateur plus intéressants à décoder.

Groupe de l'année 2014 : REAL ESTATE


Voilà un disque auquel on revient parce qu’il est... agréable. C’est toujours le dilemme avec le rock qui ne boit ni ne se drogue. Mais leur désillusion n’en est que plus vraie. L’imaginaire du groupe prend sa source dans l’étalement des grandes villes, sans glamour. Leur patronyme même, « immobilier » littéralement, renforce cette idée qu’il s’agit de la musique des banlieues pavillonnaires, le genre de futur à priori peu excitant qui peut devenir poésie. Real Estate sait ce qui se cache derrière les façades de maisons-témoin de banlieue. Ce sont les histoires laissées de côté par ceux qui quittent leur foyer le matin et ne le retrouvent que le soir. Ils n’ont pas le profil d’un groupe qui réagit sur le vif, mais s’imprègne et déteint sur l’auditeur. Les chansons ont toujours la capacité de nous plonger dans la rêverie par leur rythme lancinant et leur finesse mélodique. Past Lives, The Bend ou Navigator sont tétanisantes
.

Artiste de l'année 2014 : HISS GOLDEN MESSENGER

Acheter un disque tel que Lateness of Dancers c’est comme planter un arbre fruitier. Vous le laissez grandir, vous ne vous lassez plus de ce bout de jardin sur lequel il étend son ombre... Quand il donnera ses fruits, il aura remplacé les amis absents, les anciens qui ne sont plus, ceux qui sont partis trop tôt... Les fruits vous donneront envie de planter d’autres arbres, un peu différents... Les années auront passé. Ou vous irez chercher ailleurs un arbre plus vénérable dont celui-ci a pu descendre. Toutes choses sont liées et revêtent un sens, si on prend le temps. 

On revient à Lateness of Dancers car la voix de Michael Taylor a un goût bien particulier. Mais comment décrire le goût d’un fruit nouveau, s’il n’est ni acidulé, ni vraiment sucré, mais sûrement pas fade ? C’est ce qui vaudra sans doute à Taylor, un chercheur existentiel, de passer pour ‘trop discret’.

Dans l’année 2014, Taylor et son ami Scott Hirsh, basés au sud-est des Etats-Unis, ont sorti deux albums sous le patronyme de Hiss Golden Messenger, mais Taylor a aussi produit le disque d’une légende du bluegrass, Alice Gerrard. C’est un passeur d’une culture musicale plus large, plus humaine et plus nuancée que beaucoup d’autres : country, country soul, rythm and blues, swamp pop, bluegrass, country funk, folk. Des affiliations qu’il vit en les travaillant en lui même, leur donnant la modernité de son propre quotidien plutôt que d’en répéter les clichés. Il a fini par admettre qu’il valait mieux faire cohabiter la musique et la vie, donc accorder l’une avec l’autre. «La façon dont j’ai incorporé la musique à ma vie, c’est de la tisser dans la fabrique de toutes les obligations que j’ai. Que ce soit les enfants, ou le jardinage. Je n’ai pas le choix, donc c’était soit ça, soit la musique et le reste de ma vie engagés dans un combat.»

Le premier album à être sorti cette année, Bad Debt, était déjà prêt, sous une forme un peu différente, dès 2010. Les émeutes sociales à Londres sont restées tristement célèbres pour avoir causé des dommages tels que l’incendie des entrepôts de Sony. Tous les exemplaires de l’album, publiés par un petit label, Blackmaps, seront brûlés. Dad Debt le laisse... avec une dette. Le label ne peut plus assurer sa diffusion. Vers qui se tourner ? Taylor doit retrouver la foi. « C’est un disque qui parle de Dieu. S’il y en a un, et s’il y a une place pour moi dans ce monde. Je ne vais pas à l’église. Et je ne suis pas sauvé. Bad Debt a été ma révélation. Il y en a beaucoup pour qui je ne ferai jamais un meilleur disque que celui-ci. » Certains le comparent à Nebraska de Springsteen, voire à Pink Moon de Nick Drake. Lui dira que c’est son For Emma, Forever Ago, car les chansons ont été captées dans un dénuement spirituel semblable à l’album à succès de Justin Vernon. (Qui deviendra un admirateur de Hiss Golden Messenger à son tour.) 

Dégoûté, M.C . Taylor décide de passer à autre chose... mais il a alors le sentiment que cet album contient les premiers versets d’un nouveau chapitre de sa carrière. Il commence alors à enregistrer Poor Moon (2011), un disque sur lequel il rhabille les chansons dépouillées de Bad Debt, accompagné d’une douzaine de musiciens. Le résultat est tourné vers l’avenir, même si les instruments sont traditionnels : fiddle, mandoline, banjo, saxophone, orgue à pompe, clavinet (un piano électrique fabriqué entre 1964 et 1977), Célesta (un piano-percussion inventé en... 1886 !), violons... Dans la pochette, M.C. Taylor est en photo avec son fils, alors âgé d’environ deux ans. Pieds nus et chapeau de paille, il ressemble plus à un père, ou à un jardinier, qu’à un musicien. 

Malgré cela, on a entre les mains un album racé parfaitement construit. Sa voix, captée en profondeur désormais, est grave, certaines intonations descendant même en dessous de ce qu’on a entendu chez Bill Callahan. Il laboure là où Bad Debt avait posé les jalons, et cette fois, il triomphe. Le balancement en ½, parfois accompagné de mains frappées, évoque à la fois country rock et gospel. L’ambiance est à l’ouverture comme au recueillement. L’album sort chez Paradise of Bachelors, un label prometteur que Taylor partage triomphalement avec les talentueux Chris Forsyth, Elephant Micah ou Steve Gunn. C’est une édition vinyle de 500 exemplaires. Puis il est repris plus largement en CD chez Tompkins Square, connu pour des disques de gospel étonnants ou les exhortations du fiddle fou de Frank Fairfield. En comparaison, Poor Moon paraît ratisser beaucoup plus large, et met l’accent sur la personnalité du chanteur déjà expérimenté et le contenu très personnel des chansons. 

Poor Moon est déjà le troisième album de Hiss Golden Messenger, et Taylor chante depuis plus de 10 ans, car d’autres projets l’ont mené là. C’est un album qui brûle lentement, mais innove aussi. Lambchop comme Megafaun viennent à l’esprit. Dans son aspect chaleureux et méticuleux, on pourrait le comparer à ceux enregistrés à Laurel Canyon comme Fanfare, de Jonathan Wilson (2013) par exemple. Le sommet est atteint avec Super Blue (Two Days Clean), l’histoire d’un junkie que la sobriété forcée commence à ronger, et la méditation expansive de Jesus Shot me in the Head. Under All the Land ou A Working Man Can’t Make it No Way confrontent la bonne volonté du personnage (comme un alter ego de Taylor écrivant son journal) à la réalité du terrain. Under All the Land a un air de reggae, une inspiration spirituelle et musicale pour le chanteur. Le groupe transporte les dilemmes de l’album, plonger dans la foi ou au contraire s’en détacher, dans une country rock où les sens fusionnent. Jamais pédant, Poor Moon est plutôt comme la main chaleureuse posée sur une épaule, et de nos jours, nombreux sont ceux qui en ont besoin. 

Comparer les deux versions de Super Blue contenues sur Bad Debt et Poor Moon, c’est comme comparer un lac désert, au crépuscule et le même, quelques années plus tard, occupé par des mobile-homes de néo hippies. Un endroit qui ressemblerait à Saralyn. « Il y a eu ce professeur (Wallace Kaufman, l’auteur de Coming Out of the Woods : The Solitary Life of a Maverick Naturalist), dans les années 50 et 60, qui a acheté une grande surface de terre, des centaines d’acres [ancienne unité de mesure de la superficie des champs]. Il en a vendu 20 pour que ses amis puissent y vivre. C’étaient des artistes, musiciens, bouddhistes. Il y a vraiment une vibration bouddhiste forte à Saralyn. Les gens ont construit des maisons. Et nous avons déménagé dans l’une de ces maisons. Elles se ressemblent toutes ; elles sont en cèdre, car c’est ce qui pousse ici. On a pensé : ‘C’est le moment ou jamais. On a toujours voulu vivre au fond de ce pays.’ » 

L’expérience ne durera pas, mais elle a marqué Taylor car c’est dans cette maison de cèdre qu’il a enregistré, sur un coin de table Bad Debt, et balisé les 5 prochaines années, au moins, de sa carrière. Quand il reviendra leur rendre visite un peu plus tard, il croisera sur la route un homme méfiant qui lui demande ce qu’il fait ici, ignorant qu’il est l’un des leurs, un ancien de la communauté de Saralyn. Comme si son passage n’avait pas laissé de trace. 

Haw (2013) poursuivra la quête du songwriter de plus en plus affirmé, y apportant une instrumentation originale et riche, à mi-distance entre la sobriété et la mise en abyme. La puissance d’une chanson telle que Sufferer (Love my Conqueror) révèle un album plus vaste, électrique, voire mystérieux. Une interrogation profonde nécessite une réponse urgente, les instruments s’entremêlent dans une sorte de transe (Cheerwine Easter...) pour souligner que la révélation est proche. Dans Sweet as John Hurt, Taylor atteint le plus fort de son charisme folk en évoquant un ancien musicien de Blues du Mississippi. Malgré le sang et la sueur investis par Scott Hirsch, Hiss Golden Messenger est son projet, il tient le rôle de celui qui doit invoquer ou révoquer, car c’est cela le songwriter. 

Être songwriter a quelque chose de naturel, directement en rapport avec une chaîne alimentaire. « Pense à tout ce qui intervient : le label, la personne qui s’occupe de la pochette, celui qui fait le master de l’album, ceux qui le fabriquent... Mais le seul, dans tout le processus, qui puisse faire apparaître la moindre chose, c’est le songwriter.» Quelque part en 2013, James Jackson Toth, de Wooden Wand, interroge Michael Taylor. Une manière de célébrer l’amitié de ces hommes, leur admiration pour ceux qui découpent comme eux les gabarits de leurs albums, qu’ils travaillent de leur main. Il ne sera pas question de jeu de guitare pourtant, car au fond, peu importe la méthode. Ils ont avant tout un fil narratif à tirer. « Toth a cette qualité picaresque qu’avait aussi Dylan dans sa verdeur, quand le narrateur se fraye un chemin au travers de plusieurs épiphanies – c’est noir, capricieux, mais amusant - il vous emporte dans une histoire qui vous laisse mystifié, à la fois heureux et triste. », témoigne Michael Gira, du groupe Swans. 

Beaucoup de choses dans leur musique sont au delà des mots. Presque tout pourrait se deviner, à les entendre, lorsqu’ils se souviennent d’un concert hommage, qu’ils évoquent une influence qui leur tient particulièrement à cœur. Jusque dans des volutes de slide guitar de Dambuilding (sur l’album de Wooden Wand sorti en 2014, Farmer’s Corner), on peut entendre les échos d’un cruel manque. Jason Molina a disparu, malade, à 39 ans, en mars 2013, et 2014 aurait dû être l’année d’un nouvel album de Magnolia Electric. Molina participera pour Taylor au processus introspectif qui lui a permis de comprendre ce qui comptait, comme songwriter. « Les gens qui le connaissent ont une relation spéciale avec sa musique. Il y avait en lui quelque chose de magnétique. Apprendre sa musique m’a vraiment fait prendre conscience de cela. Pour tout le respect que je lui dois, ses chansons sont faites de très peu de chose. Ce qui les rend si difficiles à accomplir, c’est qu’il y manque sa présence, la façon dont il les chante. Son outil le plus puissant était sa voix. Je veux dire, il avait un vrai talent avec les mélodies, un alphabet bien établi, mais les mêmes mots ont tendance à revenir dans toutes ces chansons. » 

En donnant son impression sans ambages, Taylor montre le chemin à prendre. Utiliser les mêmes mots, mais dans un canevas toujours plus raffiné, mettant l’accent sur les points forts du songwriter. Le plus souvent, il faudra que celui-ci ait une voix qui frappe. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle chanteur, ‘singer’, par commodité, plus qu’auteur de chansons, pour faire l’impasse sur l’angoissant, voire l’ennuyeux processus qui consiste à créer. 

La voix donc. Un peu aiguë, lyrique comme celle de Jason Molina, capable de faire ressortir une mélancolie terrible des chansons. Michael Taylor, lui, sait y montrer à la fois l’incertitude et la confiance en lui. Le songwriter le sait ; face aux questions qu’il se repose sans cesse, faire face aux paradoxes est le seul moyen d’avancer. « Jason restait une énigme. C’était quelqu’un de franc et direct. Aussi très drôle. Mais il y avait en lui une mythologie qu’il portait comme un linceul, même auprès de ses amis. » Jason Molina était très prolifique. James Jackson Toth sort généralement un album par an. Hiss Golden Messenger, quatre albums en cinq ans. C’était la condition pour trouver l’élégance d’être appelé songwriter. Il lui a fallu vingt ans pour le mériter. « J’ai beaucoup pratiqué l’écriture de chansons, j’ai toujours décidé de continuer. J’ai senti que c’était une chose importante dans ma vie, et ça m’a pris très longtemps pour faire une chanson qui me paraissait authentique, qui semblent affecter les autres gens. » 

Sur ses albums Poor Moon, Haw, et Lateness of Dancers (2014), chaque chanson dans son canon comporte l’empreinte d’une autre. « C’est comme de répéter une suite de mots encore et encore, jusqu’à ce qu’ils se mettent à prendre la forme d’une réponse. J’ai cette collection de mots, et quelque part dans cette collection, il y a une réponse, donc je continue de répéter ces mots de différentes façons, et enfin, il va s’en dégager une phrase que je ressens comme une déclaration qui a sa place dans la chanson. Ce n’est pas une réponse, mais quelque chose qui a du sens.» Les chansons se produisent d’elles mêmes, et ne répondent à aucune question. Une fois que le songwriter est conscient de cela, sa pertinence vient de sa position vis à vis de ses sujets. A la fin, c’est toujours : de quel droit je peux me prendre pour un créateur? Comment vivre une vie d’homme responsable sans être vraiment rangé? Quelles libertés me réserve mon métier? Taylor se pose ces questions. Tout l’art est d’en faire une œuvre sans cesse renouvelée et touchante pour nous, comme d’autres font des films ou des fresques peintes. «J’ai l’impression qu’un livre a été ouvert dans ma tête au moment de Bad Debt qui n’a jamais été refermé. Toutes les questions que je me posais au temps de Bad Debt sont les mêmes que celles que je remue sur ce nouvel album. Genre, y-a t-il un endroit au monde ou je puisse être heureux ?». 

Si Lateness of Dancers est une aussi grande réussite, c’est qu’il est le fruit d’un équilibre parfait. On ne prétendra plus que la condition à cette réussite était une connaissance de toutes les tendances de la musique américaine, mais il se trouve que M.C. Taylor et Scott Hirsch ont tous les deux une immense culture en la matière. Taylor pourrait nous emporter dans une large digression englobant les premiers chants gospel et jusqu’aux sérénades des marins irlandais du siècle dernier. « La poigne de Mike quant aux musiques américaines est déconcertante», raconte Phil Cook, multi-instrumentiste au sein de Megafaun et invité chez Hiss Golden Messenger. « Il m’a branché sur chaque disque pour lequel j’ai eu une obsession ces trois dernières années,. Il a connecté beaucoup de points et ouvert de nombreux mondes pour moi. » Il écoute Fisherman’s Blues (The Watersons) comme du reggae, saisit l’essence des musiques, en apprécie les multiples dimensions – la dimension humaine, religieuse, autant que les influences rythmiques, pour le reformuler dans sa musique. Ensuite, il a sa propre façon de construire un album, de varier les tempos, de produire des atmosphères, de la vigueur, de la spontanéité, de la fraîcheur. 

Au final ? La première chanson du nouvel album, Lucia, résume tout.

TRIP TIPS 24















lundi 15 septembre 2014

PYPY - Pagan Day (2014)




O
groovy, extravagant
garage rock, psych-rock


(chronique fiction d'après un idée pour bande dessinée)
Notre colocataire, Berben, écoutait Charlie Parker, et des chants espagnols de la guerre civile, la chose la plus exubérante qui soit. Il aimait les cuivres tonitruants. A côté de ça, le garage rock ne paraissait plus aussi dérangeant. Il disait qu'écouter du jazz l'aidait ensuite à comprendre toutes les autres musiques. Pourquoi PYPY, plutôt que les Thee Oh Sees ? Peut-être simplement à cause du label, Black Gladiator, avec ses deux sabres croisés, ou alors la pochette qui a vraiment plus de gueule que les tableaux que les étudiants artistes de Paris veulent bien afficher dans les devantures des magasins, encouragés par la politique fiévreuse  de la Société. PYPY parait bien innocent, maintenant que tous les instruments les plus farfelus ont été utilisés de nouveau. Et pourtant, il faut reconnaître qu'ils se sont introduits, en six mois, dans la famille des plus fiers du garage rock, la branche canadienne. Ils ont compris que l'étrangeté des sons ne doit pas céder au groove. On parle beaucoup de virus dans le reste du monde, il en deviendrait cynique de jouer une musique aussi infectieuse sans qu'un peu de pop, voire de féminisme, vienne gracier ceux qui n'ont pas été humiliés. On préférera les trompettes aux machettes, ou l'antique sabre recourbé das la version antique. Ils sont menés par Annie-Claude Deschênes, un prénom et sans doute un accent jusqu'alors étrangers à Berben, habitué à la franchise et à la vulnérabilité catalane. Ils ont une manière de déconstruire les codes, et en même temps de fabriquer une sorte de muséologie des années 60 à 2000, en ignorant les périodes de blanc et de passage à vide. L'album décolle et culmine dès New York, la guitare en rasoir et les intonations de gorgone de Deschène, comme si elle allait nous envoyer tous ses serpents. Le genre de musique qui pousse à se remettre dans le contexte où elle a été créée. Une joute physique un danse sur des cordes comme des rasoirs, comme chez Speedy Ortiz, Fucked Up (pour citer canadien) et d'autres bon groupes du moment. Daffodils ralentit les groove pour exhuder le côté improvisé et lancinant. Les voix sont soulignées d'un grondement caverneux évoquant le son d'un saxophone baryton, de quoi voir le jazz partout. Glorieux chapitre.

dimanche 14 septembre 2014

ROBYN HITCHCOCK - The Man Upstairs (2014)






OO
poignant, apaisé, 
folk 

Découvert comme guest sur un album de I Was a King. Il est dans une sphère où se trouve aussi Norman Blake (Teenage Fanclub). Peut-être est-ce son air d'effleurer les composantes de la poésie romantique, cette manière grave et légère à la fois, combiné à la justesse un peu nasillarde de sa voix, qui donne des chansons plus émouvantes à chaque écoute. Et la sagesse de reprendre la poésie de Jim Morrison (The Crystal Ship) pour se positionner à l'orée des rêves, aux portes d'un monde au charme si vrai qu'il en devient presque irréel. Before you slip into unconsciousness/I'd like to have another kiss/Another flashing chance at bliss/Another kiss, another kiss. Cette félicité capturée à la volée, c'est toute la vie selon Robyn Hitchcock. L'accent est mis sur les paroles, plus palpables que jamais, sans drogues, sans l'accent Californien. Comme Toujours est une autre superbe chanson, pleine d'esprit, en partie en français. On a parfois l'impression que l'album pourrait donner à voir les failles d'un artiste fasciné par la fragilité psychologique, mais que les arrêtes psychédéliques, la bizarrerie anglaise de Hitchcock ont été effacés par la production de Joe Boyd, connu pour avoir travaillé avec Nick Drake surtout. The ghost in you, la reprise des psychedelic Furs, avec des phrases telles que "angels fall like rain” et “stars come down in you" permet à Hitchcock de montrer avec une précision à fendre le coeur la manière dont il a choisi d'aborder la musique et de vivre à l'intérieur. S'il 'dort dans un trou' comme dans la reprise de It's Obvious' de Syd Barrett (ci-dessus), c'est un endroit paisible et émouvant. 

lundi 8 septembre 2014

JENNY HVAL & SUSANNA - Meshes of Voice (2014)







O
audacieux, pénétrant, soigné
avant pop, expérimental

(suite de la chronique de Laura Jean) « Notre Laura a aussi découvert Jenny Hval, une chanteuse et compositrice norvégienne à la voix incroyable. Laura essaie d'imaginer ce que ferait Polly Jean Harvey si elle sortait un disque aujourd'hui. Cela pourrait ressembler à cet album, sauf la pochette, aussi laide et obscure que les interprètes sont lumineuses, dans toute leur blondeur scandinave. J'ai emprunté l'album à Laura, qui en tire une étrange force ces derniers jours. Elle a compris que Berben ne s'en prendrait plus à elle avait des albums tels que celui-ci. C'est sans doute plus efficace, et plus agréable que si elle se mettait à s'habiller comme les romantiques ténébreux. En réalité, je ne l'imagine pas du tout ainsi, elle est trop spontanée. C'est la recherche d'un album castrateur à la Polly Harvey qui lui a fait trouver celui-ci. Un album à deux voix, avec piano et électronique, cela pourrait sentir le concept, mais on se retrouve avec une simplicité et une luminosité inspirées de Kate Bush. Les voix des deux chanteuses ne font qu'une, même dans leur singularité – celle de Hval est capable des note les plus hautes mais aussi de gronder – elles se complètent, viennent du même endroit, se succèdent et se rejoignent comme au fond d'un tunnel désert, où l'on entend 'air s'engouffrer. I Have a Darkness touche à cette évidente noirceur que l'on attendait logiquement, à laquelle l'album à la fois sombre et aérien, nous avait préparés sans nous inquiéter. Après ça, A Sudden Swing est l'un de ces moments de réconfort et de séduction qui jalonnent cette œuvre riche de quinze morceaux.
C'est une musique réfléchie, mais pas en retrait. Elle contient l'absence de compromis, le féminisme, une étrange forme de dignité, et une éclatante preuve de talent. La voix plus égale de Susanna, autre chanteuse norvégienne, apporte implicitement un équilibre à cet album : elle n'est pas effrayée de rejoindre Jenny Hval dans ces explorations plus à vif, comme si le piano triomphant de Wild Dog, son album de 2012, trouvait un moyen d'aller jusqu'au bout de son lyrisme lancinant, plus personnage qu'instrument. La dévotion de Susanna à la musique la plus organique et ouverte, voire mystérieuse, fait merveille ici. La meilleure collaboration de l'année ?  

LAURA JEAN - S./T. (2014)



O
intimiste, attachant
Folk, Folk-rock

« J'ai écrit sur les révolutions en Grèce, en Turquie, en Ukraine. Et j'avais l'impression d'avoir besoin de vacances. Je me demande si l'Europe de la Société m'intéresse toujours. Pourtant, à chaque fois que je veux partir pour New York, une inspiration, de plus en plus singulière, me retient ici. Je me retrouve à écrire sur les groupes de black metal européens. Enfin, j'avais commencé, mais je me suis arrêté. C'est l'enthousiasme de Laura qui m'en a empêché. J'ai cru que cette fois ci j'allais marcher à fond. Elle m'a fait croire qu'elle partait pour toujours, mais pas à New York. Elle m'a fait passer pour un petit joueur avec New York. Elle allait à Melbourne. Mais avant de partir, elle a découvert une autre Laura. Et le temps d'écouter ses disques, elle ne vouait plus partir. C'est souvent ainsi que ça se passe. Nous prétendons prendre le large, mais finalement, nous sommes bien contents de notre monde étriqué. Il suffit de me souvenir combien j'ai trouvé le petit jardin de ma sœur sur la route de Paris pour m'en contenter, et ne plus avoir tellement envie de partir. PJ Harvey manque déjà à Laura. Aux deux Lauras, peut être. L'autre, Jean, chanteuse introspective de Melbourne, qui partage son deuxième nom avec Polly Harvey, l'icone anglaise. Laura, la notre, est plutôt inclinée vers la mélancolie. Ce n'est pas étonnant vu la façon dont Berben la traite ici. Il insiste toujours pour qu'elle dorme avec moi, il aimerait libérer une chambre pour héberger une colocataire de plus. Elle voudrait bien, mais j'évite à chaque fois de répondre à ses avances. Quand elle écoute First Love Song, la chanson la plus tétanisante de cet album de frustration, je me sens envahi d'un vrai malaise. 

Laura Jean semble nous signifier qu'elle ne serait pas revenue à la chanson si ce voyage en Angleterre aux côtés de John Parish, le mec qui a tellement travaillé avec Polly Harvey, n'en avait pas décidé autrement. Notre Laura dit que cet album met la chanteuse à nu, faisant ressembler ses intonations à celles de Polly Harvey sur White Chalk, son album le plus aérien. Un geste artistique qui répond à une crise d'inspiration en privilégiant la fragilité et la mise en abîme. »

samedi 6 septembre 2014

LAURA JEAN - A Fool Who'll (2011)





OO
Folk, Alt-folk
Pénétrant, lyrique, sombre

Des paroles incroyablement désenchantées, mais beaucoup de lyrisme caractérisent Laura Jean. Son album en 2014 est produit par John Parish, sans presque rien d'autre que sa guitare et quelques chœurs. Mais ici, il y a des cuivres, des incursions chaleureuses au milieu de la grande dépression. La pochette rappelle bizarrement celle du deuxième album de Nick Drake, Bryter Layter (pour me souvenir du nom, j'ai levé les yeux sur ma collection de CD et l'ai repéré tout de suite). Bien sûr, Laura Jean est, ou sera comparée à Cat Power, voire à PJ Harvey, dont elle partage le deuxième prénom. La densité émotionnelle dont elle fait preuve sur les ballades électriques et fragiles de cet album est saisissante. A chaque écoute, on s'enfonce un plus, que ce soit par la grâce des arrangements ou par la magie de sa voix, sans doute pas le produit de cours assidus mais plutôt d'après-midis à exprimer de la frustration. Les trémolos sur Missing You, toute en retenue avant soudain de prendre de la hauteur, prêtent à une extase inquiète, tandis que Noel a quelque chose en commun avec une chanson de Let England Shake, dans le traitement de ses voix, et l'impression de courir en cherchant les vivants sur un champ de bataille. On pense, parfois, sur quelques arpèges divins, à l'étrangeté de l'acid folk anglais dans années 1970, qui fascine sans aucun doute Laura Jean. Ecouter Valenteen nous retourner là où les saisons changent, dans un pays lointain aux propriétés magiques, ou tous les objets inanimé nous rappellent l'être aimé, se mettent à chanter. Le melodica et les envolées falsetto complètent les penchants originaux d'une chanteuse très inspirée.   

KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD - Oddments (2014)







OO
Garage rock, psyché, lo-fi
attachant, original, vintage

Mettons qu'on invente de toutes pièces un passionné de musique, installé à Paris, qui déciderait de partir mystérieusement pour l'Austraslie, Melbourne. Mettons que ce soit une fille (oui, ça évite qu'on me soupçonne de vouloir partir). Enfin, le groupe qu'elle (ou il) devrait rencontrer d'urgence, voir sur scène live, c'est celui-ci. Pour reprendre les gens de là bas : "These dudes are one of a kind, or seven of a kind, I don't know how many of them there are but regardless, fucking sweet." Oui, ils sont sept. Et 'doux' n'est pas vraiment l'adjectif qui leur irait le mieux. Il sont piquants. Du psychédélisme cru, strident, qui déborde, mais se paie le luxe de ressembler à Pavement, le temps de Stressin'. Pour le reste, on pense du vent de liberté garage des Thee Oh Sees, dont King Gizzard partage la créativité prolifique. De sorciers, ceux-là n'ont pas que le bâton de pluie (il est bien là, sur Homeless Man in Adidas, avec un incursion aussi des oiseaux locaux), mais tout l'attirail mélodique très particulier. Ils utilisent l'électricité comme Captain Beefheart, pour le plaisir de la télékinésie, pour mentir aux sens, produire des formes et des couleurs forcément hallucinées. Work This Time est un morceau incroyable. Ah oui, j'oubliais : le son est volontairement pourri. Heureusement que le son mp3 ne ressemble pas toujours à ça. 

YOB - Clearing the Path to Ascend (2014)






OO
sludge metal/doom metal
sombre/hypnotique/intense

Avec un casque, cet album de quatre morceaux gigantesques vous envahit de noirceur d'une mélancolie étrangement confortable. In Our Blood est impressionnante dans sa construction et ses riffs hypnotiques, faits pour que l'auditeur soit gagné d'indolence. Nothing to Win est ce que j'ai entendu qui se rapproche le plus du qualificatif de 'sans appel'. Ou 'sans respiration'. 11 minutes incroyablement denses et assommantes, mais on en redemande. Du moins si on a décide que l'heure était venue d'écouter des choses un peu plus extrêmes que la moyenne, comme ce superbe disque de "sludge metal" un genre 'popularisé' par quelques groupes échappés de l'explosion death/grindcore des années 1990 et qui jouaient la musique extrême la plus lente, d'où sludge, 'limace'. Sleep ('sommeil') est souvent désigné comme l'un des chefs de file de ce mouvement, et Yob est signé désormais sur le label de Neurosis, un autre groupe culte qui a effleuré, si on peut dire, ce genre musical à son tour.
A la fin, les 18 minutes de Marrow dégagent une telle tristesse qu'elle pourrait bien finir par vous gagner, vous qui avec pourtant pas l'habitude de vous laisser influencer par l'humeur de la musique que vous écoutez. Les accords répétés laissent penser que la simplicité cohabite avec l'intelligence, tandis que les deux voix, très différentes et fascinantes toutes les deux, se partagent le 'travail' vocal conséquent de cet album aussi très bien produit. Clearing the Path to Ascend est ce qui se produit quand un groupe de métal atteint le nirvana musical, se rend compte qu'il y est peut-être déjà venu (ils ont déjà une carrière impressionnante) et en fait une grosse dépression. 

dimanche 10 août 2014

BEAR IN HEAVEN - Time is Over One Day Old (2014)




OO
nocturne, contemplatif, lucide
synth pop

Qu'est-ce qu'un style musical ? A l'écoute de Bear in Heaven, l'un de mes groupes préférés au sein du label Dead Oceans, on serait tenté de dire, que c'est une humeur. Ce qui importe au sein d'un label, c'est la diversité, le contraste, et derrière cette façade, la façon dont les humeurs se recoupent. La cohérence des artistes donne quelque chose de fort, le portrait d'une décennie se construit. Au fil des écoutes, Time is Over One Day Old s'est affirmé, dans ses moments le plus accrocheurs (Demon) comme dans ses espaces dénudés, (la deuxième moitié de They Dream, la fin de Way Off, la totalité de Dissolve the Walls). Il y a toujours cette impression que Bear in Heaven essaient d'explorer deux dimensions simultanément. Etre immédiatement entêtants, et se plonger dans une solitude spatiale. Il jouent à s'éloigner de nous, laissant des balises sonores gratifiantes sur le tard. Leur détachement semblait être l'attitude la plus indie de l'année sur leur album de la confirmation, Beast Rest Forth Mouth (2009), avec déjà ces synthétiseurs singuliers, l'impression qu'on pouvait écouter de la synth pop et encore se sentir en terrain inconnu. 

Leur rock éthéré, calibré mais selon leurs propres rites, ne fait plus tout à fait le même effet. Après le très accrocheurs Time Between et le balancement huilé du réussi If I Were to Lie viennent des moments qui ressemblent à des improvisations tardives, comme des réflexions après coup, décrivant des sensations trop vraies pour vraiment être retranscrites avec des 0 et des 1 lancés sur le bitume refroidi. Idéal pour déambuler dans les rues d'une grande ville la nuit. They Dream, donc, se réécoute toujours avec une légère appréhension. Les sirènes de la réalité sont altérées a la moitié de la chanson, menée tambour battant, quand le groupe s'offre sa première parenthèse de solitude, qu'on serait tenté de décrire comme 'bien méritée'. Le prédécesseur de ce disque avait la densité d'une équation difficile à résoudre. Les guitares de la contemplative The Sun and the Moon and the Stars ne font que nous perdre un peu plus, et on entend surtout les mots 'once in a lifetime', comme un écho à l'angoisse des vies calibrées chez les Talking Heads. Chaque blip sur Demon provoque une sensualité presque agressive que I Love You, It's Cool (2012) avait à peine suggérée. Ils titillent le vide, celui, créatif, de New York à l'époque où la finance a remplacé le rêve ? Les choeurs, réels ou fantasmés ensuite sur Way Off, sont une bonne trouvaille. N'appartenant à aucun genre réel, ce disque revendique le droit de laisser flotter des humeurs que l'on ne peut pas toujours rassembler. Ce n'est pas toujours facile, comme le sublime le refrain de Memory Heart.

CHEATAHS - S./T. (2014)





O
groovy, pénétrant, efficace
shoegaze, indie rock


Ils ont été décrits comme le lien manquant entre Dinosaur Jr. et My Bloody Valentine. Il n'y a pas les solos, ou même les compos épiques de J Mascis, ou encore l'agressivité sonixuelle de Kevin Shields/Belinda Butcher pour le confirmer. Mais dans cette ère où même Rather Ripped (2006), l'album des Sonic Youth, commence à s'éloigner et à faire partie de l'histoire, ce genre de rock les rappelant clairement ce qu'il est possible de faire avec des guitares électriques est le bienvenu. On a envie de croire que le shoegaze est plus fort que jamais, avec les sons de Loveless (1991) et tout le reste ressuscité. Le groupe sait ce qu'est le développement harmonieux d'une chanson : les meilleurs morceaux sont certains des plus longs : The Swan (très Sonic Youth), Mission Creep, IV... Cette dernière chanson montre leur capacité à nous faire rêver, plus souvent qu'à les soupçonner de répéter des formules, et dès lors, peu importe qu'il n'y ait pas de riffs particulièrement mémorables ; on y reviendra, encore et encore, car le shoegaze crée cette sensation de manque. A l'épreuve de la scène en Août à Saint Malo, déjà riche en jeunes sensations britanniques avec Toy et Temples, ils franchiront sans doute la ligne des groupes les plus attachants de 2014. Ils ont déjà l’attitude généreuse, produisant, mixant eux-mêmes dans une profusion de sons qui met à l'honneur toutes les guitares, jouant à se renvoyer des vagues de riffs comme celles de l'atlantique (du canada, le guitariste/vocaliste Nathan Hewitt a fini à Londres).

I WAS A KING - Isle of Yours (2014)





OO
entraînant, soigné, naturel
indie pop

L'album des New Mendicants, le duo qui réunit Joe Pernice et Norman Blake (Teenage Fanclub) ne m'a qu'à moitié transporté. Les harmonies auraient du le traverser sans efforts, la production aurait pu être subtile comme sur cet Isle of Yours, par un groupe qui doit beaucoup à Norman Blake. Il aurait fallu au moins les effets, et le souffle de l'orgue électrique. Le précédent album de ces norvégiens sympathiques, le superbe You Love it Here (toujours en écoute et en vente sur Bandcamp), souffrait d'un seul défaut : trop ressembler à Teenage Fanclub (un rock dense et enlevé, des ballades power-pop hyper faciles à écouter, trois compositeurs au coude à coude, capables de rendre crédible le rock mélodique dans une décennie impitoyable). Ici, Anne Lise Frokedal devient le centre l'attention, quand c'était plutôt l'osmose entre Frode Stromstad et les invités Robyn Hitchcock et Norman Blake qui était à l'honneur précédemment, répétant inlassablement la même formule rodée soutenu par des refrains ravageurs. Sur deux des meilleures chansons, Pet Cemetary et One of Us, Frokedal trouve le bon équilibre entre légèreté et austérité, et la justesse de ses performances illumine tous les arrangements, qui prennent le pli de plus d'orchestration ou de rêverie  électrique. Quelques expérimentations, telle la fin de Pet Cemetary et ses violons, donnent l'impression que le groupe est à la recherche d'un son plus vaste, capable de satisfaire même ceux qui avaient laissé tomber REM dès la fin de leurs années de collège. On écoutera moins Accelerate (2008) maintenant qu'on a des chansons comme Bygdoy 30. Même quand les mélodies paraissent déjà entendues, quelque chose dans le développement du morceau ne peut nous empêcher de penser que le trio a longtemps réfléchi à sa singularité et sa pertinence.

lundi 4 août 2014

SELECTION - Août 2014


STEVEN WILSON - Cover Version (2014)





O

OO
nocturne, soigné, lucide
indie rock, rock progressif

D'abord une reprise d'Alanis Morisette. Steven Wilson, chantre de la chanson 'progressive', y est vulnérable. Avec une guitare acoustique, il se révèle avec simplicité, recherchant une présence par les ambiances et les mots. Un peu le pendant de Jonathan Wilson, il en donne une preuve éclatante avec Moment I Lost, une ballade qui laisse un peu plus entrevoir ses capacités hors du commun à imaginer une chanson, ou comment trouver le chemin depuis le départ, la voix, et l'envoyer dans des endroits aussi vastes qu'intimistes. Puis c'est ABBA, et surtout The Cure, qu'on est heureux d'entendre dans ce contexte parfait pour elle, car c'est l'une des meilleures chansons de rock jamais composées ! Wilson enregistre un album respectueux, aussi calme que lucide, lui qui est capable de voir à travers les chansons l'essence de ce qui nous émeut et nous remue à l'intérieur. Il tire tout le parti de sa voix, de se qualités de compositeur poltergeist, de sa capacité à ajouter d'autres dimensions à une simple trame acoustique. Simplicité, légèreté et profondeur ne seront pas réunies de façon aussi élégiaque que sur The Day Before you Came, la reprise d'Abba, tandis que la mélancolie de The Guitar Lesson et la magie progressive de Lord of the Reedy River nous font comprendre, rétrospectivement, ce qui a pu pousser un groupe de death metal, Opeth, à enregistrer un album de rock progressif (Wilson a collaboré avec le compositeur du groupe). An End to an End termine de façon quasi sépulcrale. 

CANDY CLAWS - Ceres & Calypso in the Deep Time (2013)





OO
original, soigné
shoegaze, dream pop, indie rock

Au début de l'année 2009, en plein hiver, Animal Collective faisait paraître Merriweather Post Pavillon, un album qui malgré les synthétiseurs gardait la vibration naturelle et la légèreté rayonnante des albums du groupe. Ils étaient le rayon de soleil que certains qualifièrent, dès le 9 janvier, d'album de l'année. Candy Claws respecte mieux les saisons en faisant paraître son album en juin. Mais le shoegaze (guitares fortes, riffs à effet brouillard, mélodies pop dans un chant voilé) et la dream pop semblent ces derniers temps en pleine expansion temporelle, depuis que My Bloody Valentine est réapparu 20 ans après leur dernier album. Quel que soit le moment de l'année, des groupes shoegaze, synthgaze, pop talentueux et audacieux prennent leur place dans le canon indie rock et font oublier l'impression surannée d'être une musique d'été. Candy Claws joue selon son propre livre, méticuleusement annoté depuis plusieurs années, ou désormais les riffs et les textures sonores sont balancées pas une précision mélodique évoquant plus le génie des années 60 (Phil Spector, les Beach Boys..) que les groupes des vingt dernières années. Ils ont réussi l'exploit du disque à la fois idyllique et bien construit, avec des réminiscences mélodiques qui jouent en faveur de la cohésion de l'album, des mélodies de plus en plus puissantes à chaque écoute, un son précis et détaillé. On se laisse quasiment bercer par White Seal, malgré l'étrangeté assumée de la production, noyant les voix. Quelques trémolos provoquent une irrépressible nostalgie. Sur Fern Praire, ces trémolos se mêlent de cordes d'orchestre dans un monde ou James Bond aurait croisé Willy Wonka.  Et des mondes, Candy Claws savent en construire à foison. Fell in Love et Pangea Girls continuent cette dichotomie entre le électricité discordante et rêverie. Une fois le principe accepté, on peut apprécier le voyage dans des ambiances et des rythmes toujours plus surprenants. 

lundi 28 juillet 2014

JOHN HIATT - Terms of My Surrender (2014)






OO
poignant, lucide
country rock, folk rock, songwriter

Que doit faire un songwriter dont les albums qui ont attiré le plus d'attention sont parus il y a si longtemps, si ce n'est continuer d'enregistrer ce qu'il croit bon, sans plus se soucier de savoir si ses chansons vont laisser un sillon ? Avec une voix qui se rapproche de plus en plus de celle de Dylan, Hiatt, 62 ans, en laissera un, en chantant qu'il faut prendre son temps, mais aussi redresser les torts. Peut importe qu'il chante avec le nez, les mots choisis pour Face of God frappent aussi bien que Ry Cooder entre sa campagne contre Mitt Romney et sa description malicieuse des frasques de Kash Buk, son fou de hot rods. Il chante comme si voulait nous présenter un mec à la vie terrible, pas vraiment lui. Marlene est une récréation savoureuse, Wind Don't Have to Hurry le moment le plus brave de l'album, vengeur, menaçant, qui remet dans un grondement contenu les autres à leur propre inconsistance. Si Hiatt est là pour donner des chansons à reprendre dans les parties du samedi soir, ce n'est pas ce qui transparaît le plus. Il sait, pourtant, que son statut de 'grand songwriter' fera qu'on se servira comme on pourra, en respectant, on l'espère, tout le mordant de ces versions originales déjà organiques. Pas une chanson qui n'est pas un versant raide et touchant, où chaque détail ne puisse susciter le respect, sans que le tempo n’accélère inutilement, Nobody Knew His Name est baignée de slide et de banjo. Baby's Gonna Kick s'amuse des vieux jours qui arrivent. Nothin' I Love a un riff mémorable et plein de phrases pour aller avec : "they took my money and that makes me cry." Pourtant, la seule incertitude des lendemains est celle qui concerne la santé de notre homme. Il y fait allusion, en se déchargeant toujours un peu sur cet avatar, ce mec terrible qui en fait des tonnes. En attendant, Terms of My Surrender, la chanson titre, est un régal qui nous ferait presque préférer cette version dédramatisée de lui-même.

CARLA BOZULICH - Boy (2014)





OO
intense, inquiétant, intimiste
rock alternatif, expérimental

L'intensité émotionnelle qu'elle met dans sa musique rappelle parfois Julie Christmas, la chanteuse de Made out of Babies. Mais celle-ci vient de Brooklyn, tandis que Carla Bozulich est de Los Angeles. Il y a cette impression que Bozulich couve les cendres d'une carrière musicale incandescente, démarrée à 15 ans à peine, dont le feu dévastateur s'est transformé en froide désillusion. Ce n'est pas un hasard si les meilleurs morceaux sur cet album sont hantés, mais on ne sait pas s'il s'agit de regret ou d'une veine spirituelle qui demande d'invoquer un renfort de fantômes. Peut-être n'est-ce pas des fantômes, mais seulement que, comme Carla Bozulich préfère improviser, les morceaux trouvent leur justesse dans une respiration sourde qui les parcourt, leur permettant, sur Danceland par exemple, de nous couper le souffle. Les mots agressifs et les textures sont empruntés au rock indus. C'est aussi l'album d'une artiste qui a beaucoup collaboré et se retrouve désormais seule avec ses idées, leur offrant l'audace du dépouillement. Veut-elle encore s'exprimer par la langue trop propre des hommes, après avoir enregistré avec son art-groupe Evangelista un disque baptisé In Animal Tongue ? Quel que soit le véhicule de ses idées, la critique suit : Boy commence même à lui attirer une véritable audience. Qui est cette femme-corbeau provocante et fragile comme PJ Harvey il y a 20 ans ? Boy est superbement enregistré, varié et cinématique dans ses textures, nous investit peu à peu tout en paraissant si détaché. Lazy Crossbones et What is it Baby confirment l'impression de chansons enrobées avec du cœur et non pas seulement avec une intransigeante amertume. 

JIMMY "DUCK" HOLMES & TERRY "HARMONICA" BEAN - Twice as Hard (2014)





OOO
intemporel, rugueux, spontané
Blues

Retourner au Mississippi des juke joints, après des volutes de pop, pourrait paraître un dur retour à la réalité. Entre deux inondations, le terrain fangeux laissé par le fleuve est pourtant propice à une liberté totale, un imaginaire foisonnant. Un esprit né de la réalité la plus brutale. Comme dit Jeff Konkel dans les notes de pochette de cet album miraculeux, si Holmes et et Terry Bean jouent, chacun de leur côté, un bleus assez dur, ensemble, ils produisent l'une des musiques les plus vraies du delta. Le lien qui les unit produit de l’électricité, une singularité qui les éloigne de toute société musicale préformatée. Ils agissent selon leurs propres règles. Certains bluesmen s'en sont échappés comme de grands manipulateurs de mots (et de femmes ?), d'autres comme des guitaristes impossibles à imiter. Le blues agissait comme une conversation, avec soi-même et ceux qui les écoutent de près. Twice as Hard donne l'impression d'être deux fois plus près des musiciens que la plupart des albums enregistrés aujourd'hui. Nous sommes avec eux dans de grandes salles remplies de chaises de plastique, insensibles à l'eau qui monte. Le quotidien autour de Clarksdale en de Bentonia est rude, Jimmy Holmes et Terry Bean épinglent les jours, les ralentissent jusqu'à les rendre hypnotiques. Sur Park You Car, les interjections de Holmes et les notes les plus aiguës de Bean nous redonnent la volonté que le temps, peu à peu, nous a retiré. L'envie de se remettre sur la route, complètement libre, vers le delta le plus proche.

Je remercie Hugues qui m'a offert ce disque pour mon anniversaire... Et je m'en vais écouter le dernier podcast de son émission blues de ce pas !  : 

http://www.mixcloud.com/DrWax31/clarksdale-radio-show-2013-2014-14/


KISHI BASHI - Lighght (2014)






OO
soigné, entraînant, orchestral
Pop progressive

L'autre petit prodige au violon, Owen Pallett, pouvait sembler trop réfléchir. Merveilleusement désinhibé, l'américain Kioshi Ishibashi (son véritable nom) a partagé les festivités avec le groupe Of Montreal, avant de démarrer logiquement une carrière solo, étant donné le potentiel que ses années de formation musicale sur la côte est lui avaient donné. Son deuxième album est d'abord trop pop, puis on est obligés de se rendre à l'énergie, à la joie, à la sensibilité même que dégage cette quête d'une équilibre parfait. Comme pour le prouver, sa ballade à la guitare pour chanter un amour déçu entre deux grandes séquences de chansons extraverties, amenées à un fantasque orchestre retro-futuriste par un violon électrique. Quand vient Ha Ha Ha pt.2 et ses synthétiseurs ressemblant à des voix humaines haletantes, on s'est si bien laissés portés que toute l'essence de l'album transparaît : sa lumière, c'est son élégance. Les réminiscences du rock progressif sont rendues parfaitement acceptables par la souplesse des idées. Ce qui était des aberrations de production sur les albums folk rock des années 1970 est ici transfiguré en petites victoires. Par exemple Carry On Phenomenon, où l'artiste est l'hôte parfait : voix maîtrisée jusque dans le falsetto, déhanchement musical et séquence virtuose que Rick Wakeman n'aurait pas réussi à faire passer à la postérité. Tout est une question de secondes, et Ishibashi sait qu'il ne faut pas jouer plus d'un instant sur la même corde.  Après In Fantasia, le 'finale'  assez grandiose, deux titres bonus nous amènent plus près de l'inde ou l'indie rock de Midlake sur lequel on soupçonne Ishibashi d'avoir rêvé lui aussi. 

dimanche 13 juillet 2014

SLOWDIVE - Pygmalion (1995)








OO
apaisé, inquiétant, onirique
electronica, shoegaze

Après l'écoute de Pygmalion et un aperçu de la carrière de Slowdive, c'est plus facile de voir ce qui rend un groupe attachant. Entre 1991 et 1995, ils n'enregistrent que trois œuvres avec juste assez de non-dits et de silences entres elles pour susciter le fantasme dans l'imagination. Nos rêves étant basés sur ce que ce groupe aurait pu être, et donc, par extension, deviendrait peu à peu dans les cœurs des auditeurs à venir. En 2014, Slowdive jouent de nouveau des concerts d'une grande qualité. Ils viennent combler le vaste espace qu'ils ont laissé en disparaissant sous les quolibets de la presse anglaise utilisant alors Oasis comme échelle d'appréciation. Just For a Day (1991) les a mis sur la route de Souvlaki (1993), avec lequel ils ont trouve l'apothéose de leur son, capable de provoquer tant d'effets complémentaires sur l'auditeur : relaxant, excitant et émouvant. Puis Pygmalion, enregistré presque entièrement à l'aide d'un ordinateur et de boucles, a presque failli déconnecter la musique de sa patte humaine, dans l'intention d’enregistrer l'album céleste ultime. On est loin de la musique d'ambiance de Brian Eno : d'abord parce que Slowdive reste un groupe. Qui décide de sacrifier presque tout ce qui faisait le succès des groupes des années 1990. Comme My Bloody Valentine avec Loveless (1991), ils poussaient leur volonté d'expérimentation dans ses derniers retranchements : mais alors que ce dernier ne laissait presque plus aucune place pour l'auditeur, Pygmalion fait une grande place aux appréhensions et aux inquiétudes que suscite l'écoute de cette musique. On y entend tout ce que l'electronica et le rock alternatif a fait de plus désolé depuis. S'ils fallait choisir un seul morceau, peut-être serait-ce Blue Skied and Clear : mais comme toujours dans ce genre d'expérience, chaque morceau contient des éléments visionnaires et participent de l'atmosphère qui fait qu'émane de Pygmalion un style affirmé, en dépit de ses contours diaphanes.


  • On peut écouter Alison ou Souvlaki SpaceStation pour se prouver que Slowdive faisait partie des grands du mouvement shoegaze. 
  • Inutile de préciser qu'ils ont beaucoup inspiré : Sigur Ros, Radiohead... Cette année, le groupe français Alcest, avec un morceau comme Delivrance, rappelle beaucoup Pygmalion. 


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