“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

dimanche 3 juillet 2011

Bob Marley - Dernière croisade (2 ème partie)

Lire la 1ère partie>

Dernier album enregistré par Bob Marley, Uprising s’avéra être une œuvre à la force décuplée par le présage qui planait sur elle. Il balançait, le temps de fameux riddims revisités par son excellent groupe, entre épiphanie personnelle et problèmes sociaux globaux. Bien sûr, le trio vocal des I Threes y était en pleine forme, donnant aux messages sociaux de Marley la saveur du meilleur miel. Assez sombre dans son ensemble, Uprising décrivait avec une acuité renouvelée les déséquilibres de plus en plus grands, et le remède de plus en plus évident en la personne du dieu Jah. L’aspect religieux était ainsi particulièrement marqué avec des chansons comme Work, Zion Train ou Forever Loving Jah.
Marley ne se méprenait plus sur le pouvoir que pouvaient avoir ses textes – s’il en avait douté, une chanson comme Zimbabwe lui avait donné un aperçu de sa responsabilité. Il rappelait sur presque toutes ses chansons combien son engagement avait été le fruit de convictions personnelles et pacifiques, voire de son tempérament enclin à l’empathie. En regard de la pochette fortement symbolique, où l’on voit Marley s’élever du sol et tendre les deux poings tandis que le soleil darde ses rayons, Uprising le voyait au mieux de sa force de persuasion – et conscient que le temps où ses actes allaient être jugés approchait, le temps pour lui de regagner une place dont il avait toute sa vie cherché à comprendre à partager les principes fondateurs. Marley allait en effet prendre conscience de la gravité de son cancer au moment de l’enregistrement de Uprising.

Coming in From the Cold ou Bad Card étaient de grandes chansons militantes, avec la première pleine de la puissance ressentie par Marley à faire partie des enfants de Jah. Real Situation méditait sur l’avidité du commun («Donnez leur un mètre, ils en prennent cent/Donnez leur cent mètres, ils en prennent mille ») et la venue inévitable d’un Armageddon qui conclurait cette décennie chaotique pour la Jamaïque comme pour l’Angleterre. La musique de Marley reflétait aussi le sentiment d’attraction-répulsion du peuple pour la politique, celui-ci ayant réalisé plus durement que jamais, durant les dix années précédentes, combien il était difficile de ne pas abandonner son destin aux politiques, de ne pas se faire phagocyter par elles – un sentiment projeté par Marley, qui pouvait être directement rapproché d’expériences personnelles. Uprising décline ce modèle : extase philosophique et personnelle contre dissolution politique et sociale. Work ou Forever Loving Jah contre We and Dem et Pimper’s Paradise, qui critiquait la façon dont les femmes Antillaises s’ « américanisaient » - une conséquence de la perte de racines culturelles propres à la Jamaïque. «Bientôt elles vont baisser la tête », concluait t-il. Il insistait ainsi une nouvelle fois sur l’idée qu’une perte de repères culturels et qu’une atrophie spirituelle conduisait à remettre son destin entre les mains des puissants, malgré toute la fierté éprouvée.
Could You Be Loved, belle déclaration d’indépendance en forme de disco balancée, était un hit potentiel (« Ne les laisse pas de trahir/ou même t’enseigner/Nous avons nos propres pensées ») et Marley sentait que Uprising serait un bon disque.

Une première version de Uprising fut envoyée à Island Records, mais Chris Blackwell la retourna à Marley, car, à son avis, il manquait une chose pour faire du e ce très bon disque un chef d’œuvre. Il lui suggéra de réenregistrer le dernier morceau, Redemption Song, seulement lui et sa guitare. Un exercice acoustique que Marley n’avait jamais tenté avec autant de succès, car il donna l’une de ses meilleures interprétations, pour une chanson déjà très forte et symbolique. Selon Rita Marley, « il souffrait déjà beaucoup, secrètement, et jouait de sa propre mortalité, une chose qui est très apparente sur l’album, et particulièrement sur cette chanson ». Redemption Song semble résumer l’ensemble des précédentes chansons de Marley, et c’est un tour de force en cela: « Tout ce que j’ai eu/des chansons de rédemption ». Il jette un regard apaisé sur sa propre œuvre, tout en continuant son travail pour la liberté. « Emancipez-vous de l’esclavage mental/Personne d’autre que vous ne peut vous libérer l’esprit ». Enjoignant enfin ceux qui l’ont supporté à marcher sur ses traces. « Ne vas-tu pas aider à chanter ces chansons de liberté ». L’austérité de la chanson fait résonner chaque mot avec une émotion sans précédent dans l’œuvre de Marley. Redemption Song a été le dernier simple de Marley, ainsi que la dernière chanson qu’il a jouée en concert, à Pittsburg, en septembre 1980. L’album était paru en juin.

Le troisième album de la trilogie voulue par le chanteur Jamaïcain, et le sixième en huit ans, Confrontation, fut terminé par sa femme Rita après la mort de Bob Marley en mai 1981, à l’âge de 36 ans. La pochette représentait Marley en Saint-George tuant le dragon Babylonien. C’est une compilation de simples (Rastaman Live Up !, Blackman Redemption) et autres morceaux jamais parus (I Know, Mix Up Mix Up) ou démos (Jump Nyabinghi). La chanson Buffalo Soldiers rencontra un grand succès en Angleterre. Depuis la disparition de Marley, son label Tuff Gong continue d’enregistrer de nouveaux artistes reggae et, bien entendu, la fratrie des Marley, qui compte onze enfants. La Jamaïque se prépare aussi pour le triomphe de l’équipe Jamaïcaine, et de Usain Bolt, aux jeux olympiques à Londres en 2012…

Uprising

Parution Juin 1980
Label ; Island Records/Tuff Gong
Genre : reggae
A écouter : Work, Zion Train, Redemption Song

8.50/10
Qualités : Communicatif, engagé, lucide


vendredi 1 juillet 2011

Marissa Nadler - Marissa Nadler (2011)





Parutionjuin 2011
LabelBox of Cedar
GenreFolk, dream folk
A écouterThe Sun Always Reminds me of You, Baby, I Will Leave You in The Morning, Puppet Master
/107.50
Qualitésenvoûtant, pénétrant, sensuel

Marissa Nadler est de ces très bons auteurs de chansons embarqués de toute leur foi dans un long voyage émotionnel où peu de gens les ont suivis – ou même les personnages fantasmés de leurs chansons ne peuvent plus que les voir partir, sans une chance de goûter longtemps à leur présence. Son cinquième album est encore profond et ambigu et s’écoutera, l’air de rien, pendant les vacances, dans tout autre fraction de temps suspendu ou dans tout lieu de fuite. « J’aime la musique qui crée une atmosphère et un endroit vers lequel s’échapper », révélait Nadler interviewée par le web fanzine américain Minor Progression. « Je crois que je ressentais un besoin particulièrement fort de m’échapper pendant la création de Little Hells, et j’ai créé une atmosphère dense comme une forêt pour y exister ». Little Hells (2009), le précédent album de Nadler, montrait une artiste toujours aussi farouchement indépendante, toujours en expansion entre ses racines folk minimalistes, la présence d’un quartet ou de synthétiseurs pour rehausser la magie dans sa voix languissante. Puis, malgré le succès critique, elle se fera mettre à la porte par son label et se verra obligée de lancer une campagne depuis la plateforme Kickstarter pour rassembler les fonds qui lui permettront de produire ce nouveau disque éponyme, le plus luxuriant, voire chaleureux, de sa très belle carrière débutée voici une dizaine d’années, et jamais interrompue. « Je suis le genre de personne qui ressent une immense quantité de culpabilité si je n’accomplis pas quelque chose de créatif chaque jour ».

Ce qui frappe c’est l’homogénéité de cette collection de onze chansons. Elles sont empruntes d’un psychédélisme tout californien, à la fois nostalgique et accueillant, avec ses bouquets de cymbales, son Rhodes et cette sensation que les instruments – pedal steel, harpe…-, sont là pour caresser. Une chanson comme Alabaster Queen est partagée entre romantisme et érotisme, sans trop de rapport avec la pop des années 1960, suggérant un mystère plus ancien. Si Nadler n’avait été que l’interprète de ces chansons, elle aurait déjà été une artiste fascinante et unique ; elle semble capable de faire venir à elle les notes plutôt que d’aller les chercher, se contentant apparemment d’ouvrir la bouche et de les laisser couler. Mais elle est aussi très bonne guitariste : son secret le mieux gardé est au bout de ses doigts ; un jeu rythmique et plein d’un balancement qui devient soudainement étrange au détour d’un vers. « Je joue du banjo, de l’ukulélé, du dulcimer, de la guitare douze cordes. Je suis assez rudimentaire au piano, mais ça a toujours été l’instrument des mes rêves ». On pourra d’ailleurs qualifier de cette musique de dream folk ; cet album en particulier a la mystique d’un enregistrement par Mazzy Star, un groupe que Nadler apprécie, sans surprise. « En ajoutant davantage d’instruments, c’est difficile de ne pas perdre en intimité. L’intimité est quelque chose que je veux garder», répond t-elle pour commenter ce qui distingue ce disque du précédent : un meilleur équilibre.

Nadler est aussi responsable de textes au fort pouvoir d’attraction, écrits surtout, depuis quelque temps, à la première personne. On ne cesse pourtant de questionner leur valeur autobiographique, tant il semble plus facile pour elle de parler de pertes, de chagrins, d’amours brisées ou de transgression en créant des personnages dont elle peut se déposséder, qu’elle peut abandonner. Cette admiratrice de Kate Bush veut montrer de quelle façon elle considère que chanter est « la forme d’art la plus pure », par rapport au « monde élitiste » de l’art contemporain auquel elle s’est frottée. « Je voulais écouter Hank Williams et entendre son blues solitaire plutôt que de voir des carcasses d’animaux collées sur des canevas», commente t-elle. Une chanson comme In Your Lair, Bear montre pourquoi ; elle y fait preuve d’une patience, d’un soin remarquables, habite avec succès le petit univers qu’elle crée pendant six minutes. Elle aime subvertir doucement les formes, et à la fin de cette chanson elle prend, pour changer, le rôle castrateur. « I took you home, and i crashed you ». C’est sauvage, un peu sale, vivant, finalement personnel. Pour maintenir l’excitation, Nadler se débarrasse ensuite de ce cadre et en pénètre un autre. Elle reconnaît son pouvoir seulement pour admettre qu’elle en a abusé, et disparaît après qu’un paroxysme ait été atteint. “Je suis plutôt du matin” confie t-elle en interview. Est-ce la raison de Baby, I Will Leave You in The Morning ? Le personnage joué par Nadler demande pardon pour devoir « te quitter le matin venu » avant d’aller boire jusqu’à perdre conscience dans les bras d’un autre amant.


Soweto Kinch - The New Emancipation (2011)


Extraits d'interview tirés de Jazz News, que je remercie pour cette découverte.


Parution : juin 2011
Label : Soweto Kinch Records
Genre : Jazz, hip-hop, be-bop, slam, rap,
A écouter : A People with no Past, Paris Heights, Trade

7.50/10
Qualités : élégant, audacieux, ludique

Soweto Kinch est une force touche-à-tout, tour à tour espoir, prodige, petite fierté de la scène musicale d’un pays dont on connaît bien mieux la scène pop rock, l’Angleterre. Saxophoniste de jazz et chanteur de hip-hop avant tout, né à Londres mais aux racines Jamaïcaines, Kinch a depuis une dizaine d’années réussit à séduire tous les publics qu’il a croisés, conquis par son adresse à donner de la personnalité à sa formation musicale de première classe, et par le lien social et culturel qu’il a su créer avec la ville où il a grandi et ses banlieues défavorisées. « Il existe un son spécifique à Birmingham. Une saveur différente, sans doute plus caribéenne. Et il y a aussi un sentiment d’entraide et une longue tradition d’affirmation de nos droits. Une histoire de luttes et d’oppositions aux vexations de la police. Notre manière de rapper n’a donc rien à voir avec le reste du pays. Plus proche des Jamaïcains. » L’île, connue dans le monde entier pour sa scène reggae et ses problèmes de violence, revient souvent dans la conversation. C’est le centre nerveux d’un monde qui dans l’esprit un brin naïf de Kinch – une qualité, ou un défaut, perceptible dans chaque seconde de son troisième disque – ne souffre pas de frontières. Sa soif de musique non plus : « Les jeunes musiciens ont en main toutes ces musiques, et ne peuvent se restreindre à un style, moi le premier, James Brown, Fela Kuti, Bob Marley ont changé notre manière d’entendre le monde ». The New Emancipation montre un jeune musicien pleinement conscient du lien possible entre deux univers, la Jamaïque et sa ville natale britannique, et raconte la façon dont il a appris à articuler les différentes influences qui l’ont instruit.

Introduit par un thème obsédant exécuté au saxophone sur An Ancien Worksong, The New Emancipation devient rapidement le disque à l’ambition et à la générosité rares. C’est l’album que Kinch a toujours voulu faire (et qu’il a entièrement produit lui-même), plus souple et varié que ce qu’il a enregistré jusque-là sur le très jazz et très jam Conversations With the Unseen (2003) et A Life in the Day of B19 (2006), ce dernier déjà à la lisière du jazz et du rap et avec une vraie trame. Kinch a cette habileté à se nourrir de tout ce qu’il y a de plus cool dans la Black music, du hard-bop au hip-hop et de la soul au slam. L’influence de cette culture à la fois particulière et extrêmement large est aussi présente dans ses textes. « A l’heure du supposé monde post-racial, mon album interroge sur ce qui est d’essence « noire ». Je ne parle pas de race, mais de culture. Une culture qui ne cesse d’évoluer mais charrie toute une charge historique. Crois-moi, cette tradition est encore vivante : j’en suis le fruit ». Le fruit d’une éducation artistique familiale de laquelle il tire un principe fondateur : « Dans certaines cultures africaines, il n’existe pas de réelle démarcation entre la danse, le théâtre, la musique, la parole, la peinture… La culture est un tout au service d’une histoire, d’une vision. J’ai toujours envisagé ma musique ainsi, comme une narration, avec des personnages, des situations, des silences et des rebondissements ». Le fruit aussi d’une initiation par des ainés prestigieux : Courtney Pine et Gary Crosby, de Jazz Warriors et Jazz Jamaïca, des formations que Kinch intègre après avoir été détecté comme jeune talent ; et il gagne bientôt le droit de jouer avec ses propres modèles Caribéens ; Steve Williamson, Denys Batiste, Jean Toussaint ou Robert Mitchell. Il multiplie les expériences, de Sao Paulo à New York, du drum’n bass au jazz à l’ancienne, et devient bientôt la force motrice d’un trio de plus en plus soudé.

The New Emancipation, c’est en quelque sorte le slogan de celui qui se réclame de l’affirmation et qui tente le temps d’une album fleuve, d’aborder surtout la question de l’esclavage moderne. « Peut-être que l’aspect le plus pernicieux et récurrent de l’esclavage était de persuader les Africains d’accepter et de perpétuer les termes de leur propre absence de liberté ». The New Emancipation s’intéresse en circonvolutions denses aux mutations de ces déterminismes peu visibles, au pouvoir de l’argent et aux nouvelles formes de dépendance et d’exploitation entraînées par l’économie. Avec Paris Heights, par exemple, s’affirme la passion de Kinch à faire vivre des personnages, ici des collecteurs de dettes et leur victimes, capturés dans un contexte radio-téléphonique avec une habileté satirique bienvenue. Que ce soit des joutes de voix ou des pièces de jazz pleines de mélodies et de mouvement (A People With no Past, Suspended Adolescence), souvent alternés, les plages du disque s’étirent sans cesser de communiquer entre elles, créant un fort contexte : les thèmes sont peu à peu revisités, redéfinis, développés, et les chansons sont différents aspects d’un problème global. Une chanson comme Axis of Evil est assez classique pour du hip-hop, dans son évocation de la théorie du complot, de la loi du business, et son beat bien lourd. Mais c’est la façon dont elle interagit avec son environnement apparemment très libre – elle est tout de même précédée par Trade, un jazz en spirales de plus de huit minutes - qui en fait toute la saveur. Love of Money, Paris Heights ou Raise Your Spirit ont la texture de collages, où différentes voix se débattent pour exprimer mises en garde et leçons et répandre l’émancipation à travers la ville. La new soul de Escape précède le résultat convaincant d’une autre jam session, Never Ending, bien dans la tradition de ce qu’on pouvait trouver sur Conversations With the Unseen. Help, qui n’est pas chantée par Kinch mais par Jason McDougall, évoque Robert Wyatt avec qui le saxophoniste entretient des liens manifestes.

Kinch est personnalité énergique et surtout positive autour de laquelle une nouvelle scène peut se développer, et dont des musiciens peuvent s’inspirer. De Birmingham, il pense en ces termes : « Je voulais mettre en place certaines vérités : les journaux ne s’intéressent à nous que pour les histoires de gangs, les luttes interraciales… Mais ces tours sont remplies d’histoires normales. Des travailleurs, des enfants qui veulent réussir… » L’intérêt de ses méditations reste surtout qu’il s’agit d’un prétexte à l’hybridation musicale ; mais il serait intéressant de voir comment l’intérêt de Kinch pour l’élément humain peut l’amener à lancer des actions de façon locale depuis ses lieux d’attache et avec les personnes qu’il a su impressionner.


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