“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

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Trip Tips - Fanzine musical !

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lundi 8 septembre 2014

JENNY HVAL & SUSANNA - Meshes of Voice (2014)







O
audacieux, pénétrant, soigné
avant pop, expérimental

(suite de la chronique de Laura Jean) « Notre Laura a aussi découvert Jenny Hval, une chanteuse et compositrice norvégienne à la voix incroyable. Laura essaie d'imaginer ce que ferait Polly Jean Harvey si elle sortait un disque aujourd'hui. Cela pourrait ressembler à cet album, sauf la pochette, aussi laide et obscure que les interprètes sont lumineuses, dans toute leur blondeur scandinave. J'ai emprunté l'album à Laura, qui en tire une étrange force ces derniers jours. Elle a compris que Berben ne s'en prendrait plus à elle avait des albums tels que celui-ci. C'est sans doute plus efficace, et plus agréable que si elle se mettait à s'habiller comme les romantiques ténébreux. En réalité, je ne l'imagine pas du tout ainsi, elle est trop spontanée. C'est la recherche d'un album castrateur à la Polly Harvey qui lui a fait trouver celui-ci. Un album à deux voix, avec piano et électronique, cela pourrait sentir le concept, mais on se retrouve avec une simplicité et une luminosité inspirées de Kate Bush. Les voix des deux chanteuses ne font qu'une, même dans leur singularité – celle de Hval est capable des note les plus hautes mais aussi de gronder – elles se complètent, viennent du même endroit, se succèdent et se rejoignent comme au fond d'un tunnel désert, où l'on entend 'air s'engouffrer. I Have a Darkness touche à cette évidente noirceur que l'on attendait logiquement, à laquelle l'album à la fois sombre et aérien, nous avait préparés sans nous inquiéter. Après ça, A Sudden Swing est l'un de ces moments de réconfort et de séduction qui jalonnent cette œuvre riche de quinze morceaux.
C'est une musique réfléchie, mais pas en retrait. Elle contient l'absence de compromis, le féminisme, une étrange forme de dignité, et une éclatante preuve de talent. La voix plus égale de Susanna, autre chanteuse norvégienne, apporte implicitement un équilibre à cet album : elle n'est pas effrayée de rejoindre Jenny Hval dans ces explorations plus à vif, comme si le piano triomphant de Wild Dog, son album de 2012, trouvait un moyen d'aller jusqu'au bout de son lyrisme lancinant, plus personnage qu'instrument. La dévotion de Susanna à la musique la plus organique et ouverte, voire mystérieuse, fait merveille ici. La meilleure collaboration de l'année ?  

samedi 22 février 2014

ST. VINCENT - St. Vincent (2014)

 

 
 
O
original, ambigu
avant-pop

Dès le début, la musique était surprenante. Depuis, Annie Clark s'est voulue dans la lignée des Talking Heads, passant de Brian Eno (Roxy Music) à David Byrne (Talking Heads), pour les références éternellement branchées. Elle a travaillé dans le milieu du spectacle New Yorkais, on attend juste qu'elle se branche avec Robert Wilson.
Les univers fragmentés de Byrne et Eno semblent regarder dans des directions opposées, et il y a aussi une dichotomie dans la musique de St Vincent, entre douceur et détachement.  
Etant donné les préférences d'Annie Clark au moment de concevoir ses albums (allumer un mac et bidouiller sur Garageband) ce n'est pas étonnant qu'elle finisse par délaisser la guitare pour des sonorités plus froides. Si cet album éponyme est voulu comme le premier où elle sonne vraiment comme elle-même, on ne peut s'empêcher de penser que c'est la part d'elle qui ne porte pas la guitare qui s'exprime ici. Heureusement qu'en fait, depuis le début, la meilleure arme de St Vincent ce sont les textes des chansons : passionnées, agressives, assez sombres, elles s'ébattent dans des climats entre claustrophobie et vulnérabilité.  Digital Witness, I Prefer Your Love, elle enchaîne les chansons à thème et les accroches provocantes.

jeudi 31 janvier 2013

BUKE AND GASE - General Dome (2013)

O
intense/ludique
noise rock/avant-pop
 





 
Bjork a fait appel à de prestigieux artisans pour concevoir le Gameleste et d’autres instruments originaux et très imposants pour enregistrer son album Biophilia. Arone Dyer et Aron Sanchez, le duo américain derrière Buke and Gase, a fabriqué ses propres bâtards - un ukélélé baryton à six cordes et un hybride de guitare et de basse, appelés respectivement le buke ‘se prononce biouke’ et le gass ‘gace’.
Animé d’une solide passion pour les techniques appliquées à la création musicale, Aaron Sanchez a travaillé par le passé à la conception d’instruments pour le Blue Man Group. Arone Dyer évoque sans doute Merrill Garbus (TuneYards ) ou Annie Clark (St Vincent) mais aussi la Bjork punk-pop des débuts. Malgré leur recherche de nouvelles limitations musicales afin de créer un langage propice à la création, c’est la voix de Dyer qui permet à Buke and Gase de vraiment s'épanouir.  Elle en contrôle parfaitement tous les timbres, surtout lorsqu’elle atteint ses limites dans les aigus ; elle enroule tous les différents tons de ses cordes vocales autour d’un bouquet de règles musicales raides mais ludiques déterminées à la conception de l’album, et dont Buke and Gase ne va pas s’écarter tout au long des treize morceaux de General Dome. Déconstruction et reconstruction, symétrie, architecture ; leur musique en staccatos est très physique, répond d’abord à une nécessité mécanique – Houdini Crush est la formidable mise en route d’une machine atonale, vaguement métallique -  avant que naisse un échange rythmique à base de syllabes nerveuses et souvent surprenantes dans la voix de Arone Duyer.  Et finalement provoquer  l’épiphanie mélodique.
Function Falls, un EP enregistré en une semaine, alors que l’album était déjà terminé, comme un test de spontanéité et une étude sur le ‘contraste des textures’, agit comme un révélateur du son de Buke and Gase. On y trouve une reprise du tube club de New Order, Blue Monday, qui témoigne de leur énorme rigueur, de leur recherche d’une articulation originale, primaire, qui permettrait de reproduire les vibrations charnelles de la musique pop. Issus d’improvisations touffues, les morceaux du duo sont comme des joutes qui s’engagent entre  la harangue de Dyer, les deux instruments à cordes tout en tension rythmique et l’important résidu : percussions jouées au pied, gadjets électroniques, pédales d’effets et vocoder découvert avec l’enregistrement de General Dome.
Le buke et le gass semblent être un ingénieux prétexte médiatique pour embrasser le feeling propre aux albums enregistrés dans des périodes de transition et d’apprentissage de nouvelles façons de jouer. « Nous ne pouvons pas céder à la complaisance, car les instruments sont difficiles à jouer, ils nous limitent, et souvent nous avons moins de contrôle [que si c’était des instruments traditionnels] ». .  En réponse au challenge que constitue leur discipline particulière, ils avouent devoir travailler tous les jours à leur musique. Le buke et le gass peuvent s’ériger en blog rugissant, produire un son intimidant, qui ne fait rien pour départager l’un et l’autre des musiciens. Les voir en concert – ils jouent, c’est assez rare pour être remarqué, assis sur une chaise – permet de mieux saisir les dynamiques qui appartiennent à l’un et à l’autre, au-delà des contraintes dynamiques qu’ils se sont imposées.

mercredi 12 septembre 2012

David Byrne & St Vincent - Love This Giant (2012)




Parution : septembre 2012
Label : 4AD
Genre : Pop, avant-pop
A écouter : Who, Lazarus, Ice Age

O
Qualités : audacieux

Remain in Light était un album à l’énergie unique autoritaire, extatique, parfois féroce ; le dernier des quatre disques des Talking Heads était parcouru d’une vibration étrange, ne tournant court qu’avec les belles ambiances contemplatives des deux derniers morceaux. David Byrne et Brian Eno, deux visionnaires de la musique pop, deux créateurs ambitieux ; y trouvaient un amour commun pour les contrastes et les assemblages inattendus, que ce soit entre les sons eux-mêmes ou entre la musique et les textes. Comme en témoigne Annie Clark, « David est capable de tant de touches et d’humeurs différentes, et l’une d’entre elle est une combinaison de paranoïa et de joie extatique. » En lui faisant ce compliment, Clark ne se rend peut-être pas compte qu’elle pourrait de la même façon parler d'elle-même ; si ce n’est qu’elle a engagé (sous le patronyme de St Vincent) sa carrière musicale quelques 30 ans après celle du célèbre touche à tout New-Yorkais. Elle continue « David ne semble jamais épuiser son énergie créative. Elle prend de nombreuses formes, mais il n’apparaît jamais nostalgique. Il cherche sans cesse à aller de l’avant. » David Byrne n’a jamais fait deux fois le même album ; sorti de l’arc électrique constitué par les quatre albums qui propulsèrent un groupe d’avant-garde tiraillé entre vague post-punk, new wave et rythmes du monde parmi les formations les plus influentes du rock, ses travaux sont divers sans être dépareillés. Des collaborations récentes lui ont permis d’apporter un peu de sang neuf à son inspiration.

Dernièrement, collaboration est le maître mot chez Byrne. S’il confirme à chaque fois que ‘tout est venu de la musique’ – avec sa façon très personnelle et érudite de s’intéresser aux genre musicaux qu’il décide de recréer – ses projets finissent par impliquer producteurs, musiciens, et jusqu’aux acteurs qui transformeront les fictions de ses textes en pièces de théâtre, puisant dans a vaste diaspora de l’art New Yorkais, où tout le monde le connait et le respecte. Même la mairie, au courant de sa passion pour le vélo, aura fait appel à lui pour illustrer les racks des vélibs new-yorkais. Car Byrne dessine, installe, fabrique : en référence à Léonard de Vinci on l’a appelé ‘the rennaissance man’, ce que même son égo plutôt heureux ne peut supporter.
 
Byrne, ces derniers temps, est plus envahi de joie et de clairvoyance créative que de paranoïa et d’anxiété, des sentiments qu’il a peu à peu relégués en marge de son système. Il peut, avec une lucidité toujours plus neuve voir les nuances qu'il a contribuées à créer, dans la musique des autres. « Je perçois une acception de la mélodie, sans aucune crainte, dans la musique d’Annie, ce qu’elle ne partage pas avec beaucoup de musiciens qui débutent. Mais ces belles mélodies sont souvent sous-tendues par des thèmes glauques et perturbants. » Il a bien cerné son poulain. C’est à elle de se démarquer dans ce qui va être une relation forcément à l'avantage de Byrne : plus d’expérience, et un ascendant sur elle qui fait que lorsqu’on écoute une chanson comme Surgeon sur Strange Mercy on songe aux Talking Heads. Les tics de David Byrne vont de toute évidence avoir le dessus. Pourtant, il a inscrit en lettres d’or quelques règles de collaboration : c’est un travail qui se passe de leader, avec dans lequel les initiatoives que chacun peut prendre sont délimitées à l’avance. Au final, Love This Giant, se rapproche, sans usrprise, davantage d’un album des Talking Heads que de Strange Mercy, le dernier St Vincent. Cette suprématie d’un groove funky qui n’a pas vieilli joue en faveur de l’album, et permet au duo de révéler encore davantage leur approche commune de la musique. Leurs excentricités, leur façon méthodique, leur exactitude, leurs approches stratéguques de l’écriture et leur talent à extraire l’émotion du processus même de création musicale sont des forces conjurées avec un plaisir si palpable à la création de Love This Giant que l’album surpasse la somme de ses talents comme celle de ses moments d’étrangeté et de grâce. Byrne semble revitalisé par l’expérience.
 
Revitalisé mais aussi étrangement tiré vers l’auto-contemplation. Les duos sur Who et Lazarus sont une bonne idée, mais ailleurs chacun chante séparément. Travailler avec Annie Clark est pour Byrne à la fois une bonne idée et un piège ; un piège parce que celle qui a appelé l’un des ses albums Actor (2009) semble prête jouer sa partition comme un rôle au cinéma. Sur cet album, sa présence évasive empêchait l’auditeur de l’identifier aux personnages bizarres qu’elles décrivait ; ici, cela contribue à rendre Byrne plus possédé encore par ces propre idées. Avouer qu’il devrait davantage regarder la télévision tout en préférant se rendre à Walt Whitman (sur I Should Wach T.V.) annonce un maniérisme que le timbre flottant, voire réflexif de clark, s’il est intéressant, ne vient pas contrebalancer. Byrne opère, lui, dans le mode le plus idéaliste, à gorge déployée, ou bien sur le mode d’une étrange conversation (de type “I took a walk down to the park today”, un style adopté dès les Talking Heads). Chacun a conjuré son lot d’images mystérieuses, comme cette ‘statue of a man who won the war’ sur I am a Ape. Comme le reste, nature, télévision, les mots de Whitman deviennent partie d’un mouvement plastique qui trouve son apogée dans la pochette frappante de l’album – une interpretation peronnelle de la Belle et la Bête. Ce n’est pas un hasard si les mots sont aussi surprenants, les histoires aussi excentriques, et que le résultat est à la fois ludique et parfois profond ; à la manière typique et toujours plus raffinée de Byrne, phrases et musique doivent entrer en conversation. « J’ai réalisé qu’écrire des paroles pour ces compositions centrées sur les sonorités cuivrées impliquait que je devais changer mon approche des textes. Les cuivres sont associés à de nombreuses choses – les marching bands, les fanfarres Italiennes, les groupes de la Nouvelle-Orléans, le rythm and blues et le funk. En général, ce n’est pas un sont très subtil, et les mots devaient répondre à cette franchise. »



L’idée de d’enregistrer avec beaucoup de cuivres – saxophone, tuba, - est venue de Clark, et des conditions dans lesquelles les premières ébauches de l’album ont été pensées. Il s’agissait d‘enregistrer un morceau pour l’association caritative New Yorkaise, The Housing Works. Comme ils ne disposaient pas d’une vraie salle de concert, mais d’un local peu adapté, le duo a dû compenser le manque de possibilités logistiques en essayant d’obtenir le son le plus acoustique possible ; l’utilisation de cuivres leur permettait de n’utiliser une amplification que pour les voix et de ne pas nécessiter de console de mixage au moment de performances. Les cuivres ont fini par devenir comme un troisième personnage sur Love This Giant. Et s’ils apparaissent dans une telle variété de textures et d’humeurs, c’est grâce à l’intérêt infini de Byrne pour la musique qu’il perpétue. Il a listé plusieurs groupes, parmi ses favoris, qui chacun utilisent les cuivres de manières différentes. C’est aussi bien le Rebirth Brass Band que Björk, l’Hypnotic Brass Ensemble ou même certaines de ses propres chansons qu’il réinvoque. « Nous voulions vraiment que les cuivres deviennent le groupe, et non pas juste une source de ponctuation musicale comme c’est souvent le cas. Je voulais découvrir de combien de manières différentes nous pouvions utiliser ces sons, afin de différencier les chansons sur l’album. »



Comme pour ses propres disques, Annie Clark s’est saisie à nouveau de Garage Band, et un échange de fichiers s’est engagé, à distance, entre les deux, qui a duré de long mois. « Parfois, c’est Annie qui m’envoyait des versions synthétisées de cuivres ou de riffs de guitares, que j’arrangeais un peu, et pour lesquelles j’écrivais une ébauche de mélodie et des paroles ; d’autres fois c’était l’inverse, c’est moi qui fournissais les idées musicales. Ces bribes jonglaient entre nous. Il y a des chansons pour lesquelles l’un d’entre nous chantait sur la démo, et l’autre finissait par interpréter la version terminée. » Dans l’effervescence de leurs échanges, les musiciens ont veillé à ce que Love This Giant regorge de grooves funk et afrobeat. Weekend in the Dust, Dinner For Two ou Lightning en sont des exemples. Les rythmes électroniques proposés par le producteur/musicien John Congleton ont aussi été un élément déterminant pour transformer ces essais en une collection de chansons pop cohérentes. « Beaucoup de gens, en entendant une description de ce que nous faisions, ont pensé que ce serait un genre d’indulgence artsy, mais à un certain point ça a pris vie différemment. » Ce moment est peut-être venu, lorsque Byrne a impose son talent logistique et fait d’un album bricolé avec des logiciels une réalité. « Nous avons travaillé avec un groupe de très bons arrangeurs, leur donnant les versions midi que nous avions créées avec nos ordinateurs. Ils nous ont fait écouter à leur tour des versions synthétisées des arrangements avant que les véritables musiciens ne nous rejoignent. »  Le résultat final est à la fois engageant et cérébral, parcouru de sonorités grondantes et fauves. C’est ainsi que les Talking Heads devraient sonner s’ils existaient encore, si ce n’est pour ces moments bizarrement optimistes : "Sing along with the one who broke your heart /Sing it loud, it will keep you safe and warm”, sur The One Who Broke Your Heart.

jeudi 5 avril 2012

Julia Holter - Ekstasis (2012)


Parution : mars 2012
Label : RVNG
Genre : Avant-Pop, Expérimental
A écouter : Marienbad, In the Same Room, Moni Mon Amie

°
Qualités : soigné, pénétrant, audacieux

« Have you been here before ? » « Es-tu déjà venu(e) ici ?"  semble questionner le deuxième album de Julia Holter en l'espace de six mois. Son aspect cyclique, ses textures sous forme de boucles, la réapparition d'un morceau déjà présent auparavant, Goddess Eyes, comme un travail de l’inconscient, dans deux nouvelles versions différentes, laisse deviner une œuvre en circuit fermé, la reproduction d'un monde propre à la californienne – paradoxalement, sans être un monde intime. Ekstasis semble pétri de concepts désincarnés, propres à l'égarement ; la traduction littérale d''ekstasis' (depuis le grec ancien) est 'être à l'extérieur de soi-même'. Ce n'est donc pas un travail sur soi par l'artiste mais sur une chose évanescente qui ne se trouve peut-être nulle part ailleurs. De plus, l'album existe dans un temps incertain.

Avec comme leçon première le fameux adage comme quoi le passé n'existe plus et le futur, pas encore, Julia Holter façonne un monde à l'écart de celui, linéaire, dans lequel le calendrier de parution de cet album a un sens. Ekstasis est un album sensuel. Un journaliste poétisait sur ses contours, suggérant que le temps n'existe que hors des confins de notre enveloppe de peau, dans les contours incertains de l'autre ; cet autre est tour à tour radiance suave ou nuit opaque, avec nuances de lumière qui se déclinent à l'infini. Défaut, Ekstasis est au moins visuel. « J'aime reproduire l'emphase d'un seul instant, commente Holter. 'Très souvent, je vais être inspirée par un film ou une image. Vous savez combien ces images GIF ont un mouvement d'une seconde qui se répète sans arrêt ? Je vais repérer un instant que je veux capturer encore et encore, dans une chanson, pour en tirer toutes les émotions. » Ekstasis est un laboratoire, sans être trop cérébral : tout au plus laisse t-il une impression de claustrophobie assumée.

Ekstasis est un ensemble autonome, pour une artiste résolument entrée dans une boucle de création détachée de tout. Parmi les phases de la constitution de Julia Holter, on sait qu'elle apprit le piano classique à partir de huit ans, puis découvrit le Court and Spark (1974) de Joni Mitchell et Le Live-Evil (1971) de Miles Davis, qui opérèrent comme déclencheur. Holter comprit que beaucoup de combinaisons sonores étaient possibles, et qu'elles permettaient de provoquer ce sentiment où l'esprit semble quitter le corps, cette euphorie. Avec Tragedy et Ekstasis enregistrés côte à côte, Holter s'est fait totalement confiance pour délivrer sans arrière-pensée ses envies, privilégiant l'intuition. Holter explique aillant pris les décisions « l'oreille ouverte : ce qui semblait le mieux sonner sur le moment. » Les synthétiseurs prédominent, soulignés d'instruments classiques (violon, marimba, saxophone), tandis que sa voix, très présente, apparaît parfois en plusieurs plages simultanées qui s'entrecroisent. Si la compositrice est à l'aise avec les sonorités réparatrices, les résolutions heureuses (Moni Mon Amie), les morceaux vastes et profonds (Boy in the Moon), Ekstasis n’opère pas simplement comme une vague musicale dans laquelle on se laisserait berçer ; il produit de petits instants, fait éclore la grâce de compositions parfois austères, une clé mélodique au terme d'une dépression. L'auditeur ne s'abandonne jamais en vain, il est toujours récompensé.

Ekstasis est parcouru d'empreintes artistiques et émotionnelles tangibles ; on peut y entendre la modernité de Julianna Barwick, pour le travail sur les voix chorales, la pop d'avant-garde de Laurie Anderson, et on peut se demander dans quelle mesure accompagner la mystérieuse Linda Perhacs pour son retour sur scène a également influencé la pensée musicale de Holter. En terme d'ambition, elle n'est pas loin de la harpiste chanteuse Joanna Newsom. « J'entends beaucoup de musique paresseuse – des gens dans leur chambre qui se contentent de chanter dans un micro. » est le genre d'analyse que Newsom pourrait avoir faite. Holter a travaillé dur pour parvenir à ce labyrinthe 'Borgesien', avec le morceau-titre en guise de minotaure à la fin. Cela inclut une maîtrise musicale hors du commun, avec l'apparition de tonalités orientales sur Our Sorrows, par exemple. Comme Ys (2006), disque de Newsom, l'album de Holter récuse toute catégorisation, laissant l'audace le décrire le mieux, et prêtant son flanc aux accusations de prétention. 

"Es-tu déjà venu ici ? » C'est ce que demande, dans le film d'Alain Resnais, L'année dernière à Marienbad, un homme déclare à une femme qu'il est sûr d'avoir déjà vue, avant de se faire étrangement humilier par le mari de celle-ci. Les conversations et les événements se répètent à plusieurs endroits du château où se passe l'histoire, nous laissant en attente d'un dénouement. Marienbad, c'est le nom du premier extrait, complexe mais séduisant, qui fut tiré d'Ekstasis pour l'introduire. Les 'conversations' de l'album ne doivent pas être inutilement interprétées ; comme Tragedy, c'est une œuvre absorbante qui gagne à rester divertissement.

jeudi 1 décembre 2011

St. Vincent - Strange Mercy (2011)


Parution : septembre 2011
Label : 4AD
Genre : Pop alternative
A écouter : Cruel, Strange Mercy, Dilettante, Year of the Tiger

°°
Qualités : féminin, sensuel, ambigu

L’Amour l’Après-Midi est un film d’Eric Rohmer qui date de 1972. Un homme marié y médite son rapport aux femmes, celles qu’il observe dans sa vie quotidienne. La maîtresse d’un de ses amis de jeunesse, Chloé, reprend un jour contact avec lui. Créature impulsive et en détresse, l’homme, qui s’appelle Frédéric, décide de lui devenir en aide, et tombe bientôt sous le charme, avant d’être tiraillé par la jalousie. L’histoire a plus d’une parenté avec Le Démon de l’américain Hubert Selby (1928-2004), livre génial dans lequel un homme tout aussi marié ne peut s’empêcher de multiplie les aventures, frustré par un travail qui devrait pourtant en théorie tarir ses envies de pouvoir et de domination les plus folles. Une critique acerbe de la morale sociale, qui démarre dans l’intimité paisible d’un foyer pour se terminer en feu d’artifice de violence grandiloquent. Chloe in the Afternoon, c’est le titre de la chanson qui ouvre l’album sous des auspices bien étranges.

C’est la que se pose Annie Clark avec son alias St Vincent ; entre les apparences que l’on se donne et les envies qui nous prennent, en réaction à un environnement qui s’efforce de sembler paisible et banal pour ne pas nous stimuler. Plus une personne est elle-même marquée d’une banalité apparente, plus ses envies, sa voracité, seront puissantes. « Physiquement j’ai l’air très réservée », suggère Clark. « Mais j’ai certainement autant de colère et d’agressivité en moi que n’importe quelle autre personne, et il faut que cela s’exprime d’une façon ou d’une autre. » Ce disque subvertit l’image de Annie Clark sans pourtant jamais la faire ressembler à PJ Harvey sur Rid of Me. Ni vraiment à rien d’autre, d’ailleurs. Actor, son précédent disque, noyait un peu le propos de la chanteuse dans les ornements de ses arrangements ; Strange Mercy est né à la guitare, et le choc de cet instrument et des mots, ‘emboités ensemble d’une façon évocatrice’ est resté bien audible. La propension des claviers à emplir l’espace n’enlève rien à la crudité des mélodies.

Difficile, sans doute, d’aimer immédiatement cette entremêlement de claviers flûtés et d’électricité lubrique que Clark fait jaillir de son instrument de prédilection. "J’aime l’aspect physique de la guitare ; vous pouvez l’étrangler ou la faire chanter. Je ne peux pas dire que je sois très technique pour autant. C’est plus de l’intuition – c’est toujours plus le coup de chasser l’abstraction. » Le refrain, avec la phrase du titre répétée, intrigue. La production du morceau est conçue pour le rendre aussi séduisant qu’effrayant, ses bruitages acides et psychédéliques nous propulsent sans préparation dans un univers de tension psychologique qui confine à l’hystérie. Clark semble y manier le fouet autant qu’elle s’écrase sous les coups de langue enflammée de son instrument. Elle subit et inflige tour à tour, et souvent simultanément. Son désespoir semble appeler revanche. “did you ever really care for me, like I cared for you?” Il y beaucoup de questions rhétoriques, de faits arrêtés, les considérations précieuses sont en réalité des remparts désespérés, la chanteuse faisant mine de s’accrocher tant bien que mal à sa fierté.

Clark a beaucoup à voir avec Nina, l’héroïne du film de Darren Aronoifski, Black Swan, et ce n’est pas seulement pour sa voix de cygne. Parfois, ses images de grandeur se concrétisent, comme sur Cruel et ses remarquables séquences de cordes, au cours d’une entêtante Cheerleader au refrain insistant ou encore sur le magnifique Year of the Tiger. Lorsqu’elle laisse la confiance l’abandonner pour paraître plus vulnérable (Surgeon, Champagne Year…), c’est fascinant aussi. Dilettante est précieux et inclassable, entre funk et instrumentation baroque, avec un final une nouvelle fois surprenant. Clark créée des enjeux imaginaires plutôt que de tenter d’obtenir le rôle de sa vie.

Malgré le faste sonore de certains morceaux, au cœur de Strange Mercy, ce n’est que doutes, atermoiements. « Si jamais je rencontre ce sale policier qui t’a brutalisée/Non, je ne sais pas ». Ceux qui ont déjà à eu l’occasion de découvrir ce disque très attendu le savent ; le pouvoir de séduction de ce disque est laissé par Clark dans l’entrelacs de ses flottements sensuels, au détour de ses structures originales. On pense aux groupes les plus ambigus à s’exprimer dans les périodes où les personnalités étaient comprimées par l’impératif du commerce de masse et de la réussite. Certains y gagnaient à être pressés comme des fruits mûrs, transformant ces stimulations insensées en luxure, la paranoïa en joie féroce, comme les Talking Heads. On retrouve un morceau de leur karma sur Surgeon.








mardi 16 février 2010

Owen Pallett - Heartland (2010)


Parution : 12 janvier 2010
Label : Domino
genre : orchestral, pop

O

On trouve toujours des raisons de ne pas s’attacher au albums non-rock, ne serait-ce justement parce qu’ils leur manque l’énergie d’un riff évident, l’excitation, la progression-tête-baissée d’un disque rock. Aussi parce qu’ils paraissaient souvent engoncés dans concepts et bouffissures.
  Owen pallett a été arrangeur pour The Last Shadow Puppets, Arcade Fire (il révélait récemment qu’il a passé les dix meilleurs jours de sa carrière sur le prochain album du groupe), et aussi pour Fucked Up ou The Mountain Goats

Heartland n’a pas de déflagrations sonores, pas d’escalades mélodramatiques, pas de scènes en plan large, même s’il est généreux. Son instrumentation est surprenante et parfois acrobatique, voire dissonnante
Album « solo » qui voit la participation d’un orchestre tout entier, mais dont les receuils sont utilisés à bon escient, comme un autre instument et non comme une base bruyante ; cela pour que le protagoniste musical central reste le violon de Pallett, musicien formé à l’école classique, et qui a eu la bonne idée, et il n’est pas le seul, d’utiliser une pédale d'effets pour enregistrer des boucles rythmiques de son instrument et ensuite lancer par-dessus des trames à la fois aventureuses et tout en retenue – se servant du violon comme de l’orchestre, dans un objectif de structure et non de décor. Après avoir ressenti, au premier abord, la qualité des sonorités et des compositions séductrices du disque, Heartland peut s’avérer une écoute reposante, à peine étrange. C’est lorsqu’on commence à s’agacer du mystère autour du disque – sa candeur, son intelligence si bien dissimulée derrière ce qui ressemble à des divagations – que cela devient plus intéressant.
Owen Pallett n’a pas résisté au concept. D’ailleurs, on apprend qu’il se produisait auparavant sous le nom de Final Fantasy, du nom de célèbre jeu vidéo. Heartland raconte en douze pièces, à la première personne, l’histoire d’un “jeune fermier ultra violent”, de sa déambulation dans les terres mythiques de Spectrum et de sa tentative de se confronter à son propre créateur, qui est Pallett lui-même, logiquement. L’efficacité des morceaux – Lewis Takes Action, Flare Gun… - est intégrée à un ensemble narratif.

 
Au sommet est la voix de Pallett, joueuse comme la musique qui la porte. Sur Mount Alpentine, il chante faux, pour notre plus grand bonheur. Et ce n'est pas la seule fois. Les graines de sédition d’un personnage bicéphale (puisqu’il est à la fois le fermier et son créateur) prennent racine là, dans le jeu que Pallett fait de sa voix.

 

vendredi 15 janvier 2010

Githead - Landing


Githead, ce sont des musiciens expérimentés (dont Colin Newman, un ancien de Wire, groupe de post punk quasi culte) qui dispensent une musique encore fraîche, après cinq ans de carrière. Devenu aujourd’hui une entité à part entière, débarrassée de son background de supergroupe, ils dispensent une musique qui, à défaut d’être originale, a des accents de gravité et d’élégance qui rappellent l’étonnante et énigmatique maturité de formations comme My Bloody Valentine. Sur Landing ou From my Perspective, le rapprochement est inévitable. Newman, Max Franken, Malka Spigel et Robin Rimbaud apparaissent comme des musiciens middle-age impressionnés par les découvertes tardives du rock – Stereolab, Bolshoi, MBV - mais pas totalement étrangers aux grooves en forme de piste de décollage de Can ou Hawkwind puis de New Order.

Ils ont notamment un pied dans les années 1980, bien que ces influences soient complètement relues sur Landing. Ainsi, Faster évoque une ouverture de Cure, – tel un Plain Song dénué de tout romantisme – cette structure allongée et muette. Vient aussi à l’esprit l’effet tunnel des rythmiques Krautrock, avec basse rebondissante. L’adresse de Githead vient du fait que si de telles structures accouchent ces derniers temps de formations incapables de susciter la moindre dynamique, eux parviennent à lifter et mélanger leurs savoirs-faire sans perdre d’efficacité. Before Tomorrow rappelle quant à elle un vieux Depeche Mode – la référence les ferait sans doute sourire -, surtout au niveau du refrain. Toujours ces battements métronomiques, que couvre une boucle de guitare, un riff juste tiède. Landing a des relents de shoegazing (guitare vrombissante et voix claire – le meilleur genre de rock des années 1990 ?) et Displacement and Time groove comme Kraftwerk (car Kraftwerk ont du groove), vocodeur compris. « Maximize » répète la voix, pour celui qui cherche à optimiser une performance. C’est réussi.

Les meilleurs titres sur Landing sont sans doute les plus atmosphériques et doux ; Landing chanté par Malka Spigel - la parité est assurée tout le long au niveau du chant. On est en terrain familier, mais c’est toujours plaisant, même confortable de retrouver ces nappes enivrantes et pleines de faux semblants : on se demande ce que Githead nous cache en jouant la carte pop. Pour le reste, c’est guindé, élégant et légèrement excentrique. Assurément moderne, peut être un peu lisse. "You don’t know me, so back off", avertit Malka sur Ride. Au niveau musical, dans les meilleurs moments, c’est à la fois métronomique, épique, groovy.

Même dans l’isoloir que nous concocte Githead pour restituer la sensation du cockpit, les vieilles rengaines reprennent le dessus. Des personnes qu’on ne voulait pas forcément croiser ni entendre, ces punks, vont apparaître. Over the Limit continue comme douce bizarrerie, Newman ressuscitant Wire dans une chassé croisé post punk qui dans cet environnement volontairement aseptisé, devient de façon inattendue une fantaisie.

C’est une musique qui reste avec vous pour quelques temps. Cependant, quelques longueurs, et une expérience qui, sur l’écoute intégrale de l’album, peut être frustrante. Si les morceaux à leur état individuel déploient d’indéniables performances, mais semblent toujours construits comme des openers, comme pour annoncer ce qui va suivre… et qui semble ici n’arriver jamais. Ce n’est qu’a l’arrivée de Tranmission Tower que les choses changent. L’album capitalise enfin l’émotion auparavant contenue et éloigne les menaces de stérilité. Cette faiblesse n’est par ailleurs pas automatiquement un défaut ; si vous cherchez un disque qui ne vous mène nulle part en particulier, Landing fera l’affaire.

Githead parvient à rester mystérieux malgré tout l’explicite qu’il met dans sa formule – phrases courtes et répétées, structures indestructibles éprouvées cent fois ; alors, d’abord, l’accélération ; le décollage, l’atterrissage, mais sans destination. Comme une grande boucle, une trajectoire en point d’interrogation. Les perspectives du mouvement, admirablement traduites en musique ici, seront peut être plus tard utilisées pour voyager de manière plus progressive – sans vouloir attribuer à Githead les qualités tripesques de formations qui en font leur ressort.


  • Parution : 9 novembre 2009
  • Label : Swim
  • Producteur : Robin Rimbaud
  • A écouter : Take Off, Lightswimmer, From my Perspective
 
  • Appréciation : Méritant
  • Note : 6.25/10
  • Qualités : rétro, groovy, shoegaze
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