“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

Affichage des articles dont le libellé est contemplatif. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est contemplatif. Afficher tous les articles

samedi 11 novembre 2017

FLEET FOXES - Crack-Up (2017)



OOO
Lucide, audacieux, contemplatif
Folk-rock

Robin Pecknold se montre farouche, intérieur sur Crack-Up. Mais s'il paraît en retraite, c'est tout le contraire. Il a l'intime conviction que le moment de retrouver son public est venu. Les concerts pour défendre Crack Up sont les plus beaux de l'histoire des Fleet Foxes. Leur anachronisme, leur façade savante est gommée dans l'embrassement chaleureux de Pecknold, un homme qui ne ressemble à rien en une star du rock et qui, pourtant, y est pour beaucoup dans l'aura de son groupe, sa voix au bord du gouffre gageant du pouvoir de surimpression de la musique, sautant d'un continent à l'autre. En changeant d'échelle sans cesse, donnant aux circonvolutions la démarche d'un géant sensible capable de fouler les sociétés engoncées d'un continent à l'autre.

La profondeur et la distance sont des éléments fondateurs de leur musique. Ils n'ont jamais joué du folk isolé du reste du monde pour le plaisir d'être simplement différents, mais pour garder le bon recul et renvoyer un reflet le plus contrasté, cinglant, voire dangereux possible de la société occidentale en la mettant face à ses craintes. Il n'est pas question de s'échapper de cette société, puisque les Fleet Foxes n'en ont jamais fait partie. Cela fait brûler les étapes, pensez vous. Pas si sûr. Voilà peut-être la raison pour laquelle ils doivent patienter autant entre chaque disque. Pour ne pas se faire rattraper par l'esprit du temps, une chose sur-estimée basée sur des mots répétés de façon abrutissante pendant quelques années. Pour faire paraître Crack-Up, ils ont attendu que certains de ces mots superflus disparaissent. Leur vocabulaire, leur répertoire nécessitait de la place et Pecknold refusait d'assister à l'agonie de son talent, par manque de recul sur l'époque. Les nouveaux outils, les divertissements ont changé, les nouvelle façons de faire de l'argent ont dérivé, pure création humaine qui se croit à l'égal de la nature. Pecknold le fait remarquer : “Fire can’t doubt its heat/Water can’t doubt its power/You’re not a gift/You're not adrift/You’re not a flower” sur Cassius.-

Pecknold voudrait placer de son côté la constance, mais il est difficile de la connaître sans vivre dans un bonheur total et infini. Pour se sentir perdurer dans son élément, il peut s'attarder sur les images terribles et poétiques du monde humain en retirant l'intervention de l'homme de leur existence. Les fumées sur l'océan ou les feux du désert ne sont plus dus à des marées noires ou des rejets de pétrole. La même fumée pour masquer que la forêt n'a plus rien d'originel, et peut être la faire revivre sur la foi de ses cimes. La fumée c'est l'alliée dans l'illusion, pour brouiller ce que l'on sait de l'humain.

Les Fleet Foxes s'inscrivent dans une brume bienveillante, ils ne surjouent pas, par leur standards, et pourtant jouent davantage d'instruments que tout autre groupe de pop. Avec un réalisme un peu forcené, ils veulent rendre les visions exactes de qui se hisse sur les épaules de Darwin et se permet un rire inquiétant.

Les quatre éléments apparaissant sur la pochette. L'eau, l'océan, sont une nouvelle fois très présents. D'ailleurs les chansons contiennent des éléments de mise en scène, comme sur -Cassius, cette précision:[Under the Water] et [Above the Surface], pour décrire depuis quel lieu Pecknold les chante.

La vieille symbolique d'une nature vertueuse dont l'homme serait légataire est balayée, au profit d'images plus vivifiantes : le soleil, avec son lourd passif dans les chanson pop, est ici une boule enflammée, c'est la cruauté amusée de Bruegel l'ancien quand il dépeint la chute d'Icare.

Pas étonnant, dans ce monde où l'écume, le vent, ont un pouvoir létal, que Pecknold se montre aussi nécessiteux de stabilité, et parfois se montre perdant pied. Entre l'aube et le crépuscule qu'il nous décrit telles que la nature les perçoit, ils nous a conviés, une nouvelle fois, à tester l'émerveillement. Cette poésie culmine dans Third Of May/Odaigahara, avec ces paroles inscrites en capitales dans le livret de l'album : LIFE UNFOLDS IN POOLS OF GOLD/I AM ONLY OWED THIS SHAPE/IF I MAKE A LINE TO HOLD/TO BE HELD WITHIN ONE'S SHELF/IS DEATHLIKE ». Elle résume la pensée de l'album : la condition et le conditionnement. On peut vouloir une cohérence, sans pour autant se limiter à ce que l'on sait de nous.

Produire une musique naturelle, pour les Fleet Foxes, revient à chanter l'inconnu. Quelle meilleure manière que de l'inclure dans sa vie, que de le définir, en constante expansion, avec une musique à l'avenant ? Rappelons que Pecknold joue 18 différentes sortes de guitares, de synthétiseurs et percussions au cours de l'album, parfois plus de 2 ou 3 au cours du même morceau. Skyler Skelset, avec qui il a fondé le groupe, arrive deuxième. Les trois autres membres explorent d’autres pistes encore, instruments à vent notamment.

Pour être à la hauteur de la tâche, Pecknold les a toujours sentis trop jeunes. « Too young, too young » répète t-il sur Another Ocean, l'une des chansons les plus harmonieuses et totales de l'album, qui se dissout dans des notes de saxophone. Fool's Errand, lui succédant, offre un drôle de single à l'album, qui capitalise sur les sentiments jusqu'ici. Pecknold rassemble le passé et le présent. Réconcilier le passé pour les Fleet Foxes et leur habileté à jouer des focales, c'est s'y perdre, et c'est exactement ce que fait I Should See Memphis, d'une nostalgie à peine humaine.

Cela confirme que le chanteur, s'il les a intimés et les a éclatés, n'a pas fragilisé les Fleet Foxes, mais les a rendus plus pertinents que jamais avec Crack-Up. Ne plus entendre les Fleet Foxes, ne plus les commenter même, cela reviendrait à une inquiétante résignation.

jeudi 7 septembre 2017

{archive} VIRGINIA ASHLEY - From The Gardens We Feel Secure (1983)



OO
Envoûtant, contemplatif, naturel
Instrumental


Ce qui démarque un album de folk d'un autre, c'est son atmosphère. Enfin, ce disque de Virginia Ashley n'est pas un disque de folk, mais purement d'atmosphère. Elle préfigure ce qu'a depuis entrepris Julianna Barwick avec The Magic Place (2010) et les albums suivants : produire une musique intrumentale pour contemplation active. From The Gardens We Feel Secure est dans une classe à part, peut-être trop simple pour être vraiment admiré. Il n'y a pas de trace de techniques musicales visant à retenir notre attention sur cet album : il est dénué d'accroches, mais suscite pourtant notre émotion en nous plongeant là où, à un moment donné, nous nous sommes sentis si heureux. Dans un jardin paisible et silencieux. Comme beaucoup de choses naturelles, sa profondeur réside dans l'émotion qu'il nous procure.

Ashley, qui n'a enregistré que peu d'albums et un seul dans cette veine, nous offre la rêverie naturaliste où les bruits du jardin – chants d'oiseaux merveilleusement rendus, carillon, mais aussi balançoire – ambiancent des mélopées de piano parfois accompagné de flûte. Elle ne chante pas, pourtant sa voix vaut la peine d'être entendue. Le rythme de cette œuvre est apporté en creux, par le temps, subjectif, d'écoulement de la journée – matinée, apogée du jour et crépuscule. Les deux moitiés de l'album sont ainsi baptisées « matin » et « après midi ». Elles contiennent une envoûtante variété de mélodies. L'approche à la composition de ces huit pièces est d'une fraîcheur parfaite.

On ressent ce plaisir du temps indéfini passé à contempler la nature, dans un rayon de soleil, embrassant la vie du village. Ashley capte le patrimoine britannique, celui des campagnes où il ne se produit rien qui vaille d'être entendu dans le monde. Son mérite est de la faire entendre malgré tout et de le rendre universel.

Ces sons là, ces mélodies de comptines, on jurerait les avoir déjà vécues au fond de nous. Les titres même des chansons renvoient à des sensations familières et sensuelles : ce que l'on peut toucher, sentir et voir flottant dans l'air, ce qui au cœur de la nature devient pour l'être humain si proche de l'émotion musicale qui l'enlumine ici. Cet album est une démarche, fabuleusement gracieuse et pleine de sens.

Rien n'est suffisamment entrecroisé pour qu'on puisse y trouver de véritables chansons. Cependant, reprenant le travail, cette fois sur le thème de l'hiver, Ashley enregistrera Melt the Snow, reprenant des éléments bucoliques qui rendent From the Gardens We Feel Secure sublime, en lui adjoignant des formes évoquant plus directement la magie de noël. Les cordes délicates ont même attiré l'attention du label Elektra, ce qui résulta du single pop Tender en 1985. Egalement conseillé, son album Had I The Heavens de 1996. Introuvable, comme, on le soupçonne, tant d'autres trésors.

dimanche 11 juin 2017

{archive} MELANIE - Photograph (1976)






OOO
soigné, lyrique, contemplatif
Folk rock


Dans la première moitié des années 70, épaulée par son compagnon et producteur Peter Schekeryk, Melanie Safka va sembler réveiller d'anciennes coutumes et spiritualités, et faire de la nature la force de levier de sa musique, dans une version qui devancera peu à peu les visions hippies. Elle a prolongé leur contemplation du monde, mis en scène de manière bouleversante son isolement progressif en tant qu'artiste et ses challenges en tant que femme et que mère. L'un de ses meilleurs albums est baptisé Gather Me (1971), et cela signifie 'rassemble moi', une belle expression pour inviter notre diversité émotionnelle, temporelle, matérielle, à trouver une nouvelle cohérence à travers des valeurs radicales, et que cette réunion constitue le message le plus sincère que nous pouvons adresser au monde : une sorte de transparence, avec laquelle chacun décide ensuite de jouer, qu'un artiste se doit de mettre en scène. 


La mise en scène, en retrait chez Melanie, cède a place à une spiritualité en expansion. C'est immédiatement frappant si on découvre, sur Photograph, I Believe, gospel entraîné par les chœurs des Edwin Hawkins Singers. A l'aune de ce moment passionné, et le temps d'un album, on a cru que, quelles que soient les secousses auxquelles elle était exposée, la volonté de Melanie la porterait enfin au firmament, comme celle qui persévérait à explorer dans une longue traversée les valeurs importantes de la vie et sa relation avec un public découvert à Woodstock, du temps de son hit Lay Down (Candles in the Rain). « When you break my heart/you feed my will » chante t-elle sur Friends & Co, consciente d'être arrivée à un certain point de sa carrière où chaque chanson doit avoir une forte raison d'être. 

« This should be an instrumental/But it seems i've made up words/Though they have a way of getting in the way/What a way to be absurd. » Lancée au beau milieu de phrases aériennes et gracieuses, cette tirade révèle une Melanie en quête de légèreté, réalisant que l'emphase est absurde, que certains penchants semblent une perte de temps s'ils sont chantés. Photograph fait triompher la valeur spirituelle sur le nombrilisme. Son exigence de paraître organique, que chaque chanson soit une déclaration vivante, désamorce l'aspect plus conventionnel voulu par la maison de disques Atlantic, qui lui enjoignit les producteurs et Ray Charles, Frank Sinatra ou Lena Horne, ainsi que les Edwin Hawkins Singers, célèbres pour Oh Happy Day. « C'était une époque ou les valeurs de production devenaient plus importantes que l'artiste lui-même sur certains albums » explique Melanie dans les notes de l'album. 

Sa volonté à chanter les chansons en live, avec l'orchestre et le groupe, et non pas en ajoutant sa voix à une musique déjà formée, donne sa force à Groundhog Day, captée aussi dans une version de 11 minutes qui fut écartée. Que cet extraordinaire moment de création n'ait pas été choisi pour l'album montre bien que le label avait une ambition plus limitée que Melanie. « I've grown fat/I've grown a beard/i've grown alone/Seems no one comes to stay in my loneliness », les paroles d'ouverture, renvoient à Together Alone, une autre immense chanson sur le plus triste Stoneground Words (1972), et ce sentiment de se sentir connecté aux autres tout en étant seul dans sa vie. Dans les deux cas, un moment magnifique résumant la volonté de la chanteuse à définir par ses propres termes sa place dans le monde. « J'aime ce mot, magnifique : c'est un mot ancien, dans toutes ses formes ; il me rappelle tout ce qui est noble et vrai. » Elle trace ostensiblement sa propre narration au film de l'album, où les épiphanies découlent d'un développement spontané, dans des chansons en apparence rigoureusement dirigées. 

Melanie est toujours parvenue à rendre minimiser les sujets de ses chansons au profit du tout, les faisant passer au second plan derrière un flot de lyrisme capable de déloger l'absurdité là où elle réside. C'est le rêve d'une tribu urbaine sans le côté étriqué ou intellectuel que certains lui donnèrent par le passé. Des artistes comme Melanie s'assurèrent que seule la musique comptait, au premier rang des arts de la fusion des aspirations et des cultures. Ce n'est pas de la philosophie, mais de la spiritualité exprimée par la musique et le chant, parfois même en s'affranchissant complètement de message, comme avec Cyclone. « J'ai toujours aimé prendre les choses à la racine. Avec cette chanson, j'ai sans doute entraîné les gens à imaginer ce vers quoi je tendais, simplement à travers la musique et le chant sans paroles. » commente t-elle de Groundhog Day, version longue (contenue dans le deuxième disque de l'album réédité). 

Cette capacité à écrire des chansons progressives, changeantes, échappant à la rigidité des formats, s’illustre aussi avec Save Me. « C'était si excitant pour moi de m'étendre au delà du type d'écriture que j'avais pratiqué auparavant. » Dans ce mouvement de l'avant, I'm so Blue semble anachronique dans sa nostalgie. Quant à la participation du saxophoniste Art Pepper sur ce morceau : « Il se produisait à ce moment là dans un club de la même rue que le studio, Peter est allé le voir et lui a demandé s'il voulait jouer sur la chanson. Il était si brillant et pur – nous étions tous complètement silencieux. » La touche la plus inattendue de cette spiritualité qui donne à cet album un statut spécial. 

C'est son opiniâtreté qui lui fit produire, déjà, une douzaine d'albums avant de parvenir à celui-ci à l'âge de vingt neuf ans. Cela a tenu jusqu'en 1982, avec Arabesque ; mais le public, comme l'envie d'élargir son horizon, se sont dilapidés peu à peu par la suite. Photograph est devenu le magnifique témoignage de ce que peut faire une artiste emblématique du summer of love quand elle atteint sa maturité.

mardi 14 mars 2017

MARTIN WORSTER - You (2017)




O
fait main, contemplatif, vintage

Pop rock

You est de ces albums, qui, même imparfaits, nous affectent par leur beauté inattendue, la passion qu'ils véhiculent, s'attardant, explorant des temps ralentis, des époques de façon tellement passionnée. Le britannique Martin Worster a bien fait de combiner ses chansons les plus personnelles, les plus anciennes, à des productions années 80. La gravité dans sa voix comble le temps écoulé.

Du point de vue technique, You aurait pu sortir au alentours de 2003. L'informatique qui y est utilisée s'arrête à peut près là : ensuite, commencent les fantômes, le vague à l'âme, traînent les passions pour des groupes des années 80, mieux réutilisées que prenant la poussière. L'album n'est pas un simulacre des tentations d'aujourd’hui, mais émule des souvenirs de triomphes pop introspectifs. Faire revivre des sons qui nous ont fait vibrer, une mélancolie, un certain romantisme définitivement arrêté quand Radiohead sortit Ok Computer. On entend des sons, des productions nous évoquant des souvenirs que nous ne sommes pas sûrs d'avoir réellement : des rêveries spatiales. 

Words Unsaid nous affecte comme Ed Askew dans son dénuement, la façon dont sa voix recherche un timbre, une mélodie, quelque part, aussi, dans la lignée synthétique de New Order. Les sonorités froides ne l'empêche pas de produire des morceaux chaleureux. Des tonnes de sentiments à partager, depuis son studio, et il y parvient, parachevant les meilleures compositions de soli de guitare rétrospectifs. 

Comment tirer des frissons du temps passé devant votre PC ? Même là, vous pouvez avoir du fun, même s'il faut de la patience et deux-trois écoutes. Ne pas rater Helping Hands et Old à la fin, où Worster semble imaginer une suite à The Division Bell.

https://martinworster.bandcamp.com/album/you

mardi 24 janvier 2017

THE ANGELUS - There Will Be No Peace (2017)





O
contemplatif, lourd, envoûtant
Slowcore, doom 


Une affirmation récurrente dans les forums de musique américains : « C'est comme ça que le rock chrétien devrait sonner », pour peu que la musique en question ait une qualité spirituelle, ou que ses instigateurs semblent prendre à cœur le musique parce qu'ils y trouve une chance. La possibilité même de s'exprimer à travers leur art leur devient symbolique. Ils recherchent une certaine noblesse, un lignage, et sont en général dépourvus du moindre humour. C'est par des gestes et des paroles prompts à être interprétés de mille façons différentes qu'ils bâtissent leur art, et leur art autour de leur vie. La quête de sens n'est que secondaire ; il s'agit avant tout de voir comment ils seront accueillis par le public et comment on se souviendra d'eux. Ils s'inscrivent dans un présent déjà obsolète, gravent leur contribution comme une icône de foi, ou bien une silhouette forcément allégorique, à l'image de cette colombe sur la pochette de There Will Be No Peace. Il faut rester attentif pour détecter dans leur art la trace du palindrome, elle s'y trouve inévitablement. Seul le recommencement perpétuel apporte un sens et un courage à leur attitude. Inutile d'aller jusqu'à imaginer Sysiphe heureux : ce que leur fardeau leur rapporte, c'est une foi inquiète.

Le trio de Denton, Texas, s'inscrit dans l'héritage de Lift to Experience et Midlake, originaires du même coin des Etats-Unis. Ils voient la musique comme un cycle dirigé vers toutes les résolutions, y compris la réalisation que le labeur de leur vie ne les conduit pas à être sauvés, que la clairvoyance acquise en échange des expériences vécues ne leur permet pas de s'arracher à la mélancolie. It's a Hell of a Climb et The Other Side of The Mountain laissent penser que c'est réellement un album-concept autour de la figure de Sysiphe. Auparavant, There Will be No Peace a culminé dans An Interceding, As I Live and Breathe et A Man Alive, Alone. Il est vain de vouloir départager ces morceaux, tant les sentiments s'y confondent. L'accordage original des guitares se remarque. La mélancolie est la plus intense sur la chanson titre de huit minutes qui termine l'album, une belle litanie ou le trio basse/guitare/batterie consolide tout ce qui a été joué avant. Les sons sont magnifiés, les paroles prennent un écho intemporel. Dans le reste du disque la cadence des morceaux a été travaillée pour les écourter, car autrement The Angelus aurait naturellement tendance à offrir des ruminations plutôt que des chansons de rock.



Il en résulte une densité mettant en valeur leur dévotion mutuelle. Ils sonnent soudés, rapprochés par une motivation spirituelle parfaitement logique. Le tableau de Jean François Millet qui leur a donné l'idée du nom L'Angelus du Soir, convient à l'impression qu'ils donnent d'une procession statique, d'un recueillement. Plutôt que d'alterner la sensibilité et la rage, The Angelus opère avec une constance qui les démarque de beaucoup d'autres.

http://store.theangelusband.com/

samedi 19 novembre 2016

CHRISTIAN KJALLVANDER - A Village : Natural Light (2016)






O
pénétrant, apaisé, contemplatif
Folk somptueux

Il est parfois plaisant d'entendre un album à travers ses influences, et de se rendre compte que cela n'enlève rien au plaisir d'écoute. On peut même se dire qu'"affecté" n'est pas un terme péjoratif. Les mots doivent être employés avec précaution lorsque l'influence en question est Bill Callahan. C'est particulièrement vrai sur Rider in the Rain. C'est avant que la voix de crooner de Kjellvander se pose sur des notes qui évoquent plutôt la bande originale de Twin Peaks par Angelo Bandalenti. C'est le genre de chanson à la surface de laquelle il serait dommage de rester. C'est tellement mieux d'aller racler la boue, là où on devine une alliance perdue par un couple de baigneurs. « I picked up a hand full of earth like a fist full of god's own cash ». La finesse du jeu de Callahan, encore mieux, de son phrasé, nous frappe encore en écoutant l'album de ce suédois encore peu connu, mais dont la musique est étonnamment profonde et orageuse. Dans le registre des influences américaines, il serait plutôt Townes Van Zandt quand son compatriote The Tallest Man on Earth est Bob Dylan. En outre, A Village : Natural Light est différent de ses autres disques, plus personnel et ombrageux. 

La profondeur de la musique est en partie dû au vécu qu'elle véhicule, l'homme ayant travaillé, il me semble, comme fossoyeur. Quand il chante "I will follow you into the Grave/I will follow you into the groove » et « I will dig i will dig i will dig until the world is split in two/It is laborious work and so sad/but what else can one do ? », c'est toute une vocation qu'il laisse paraître à demi mot. Les tombes et les trous, cela correspond bien à une personnalité qu'on imagine pragmatique. Kjallvander est à la recherche d'une vision, d'une femme, d'un sentiment. Cette recherche est empreinte de la sérénité d'un homme contemplant la tempête couver, attendant qu'elle se déchaîne enfin. C'est l'effet de style plein de sang froid qu'évoque Dark ain't that dark, éblouissante de beauté suggérée. Mais le sentiment est comme détaché de l’émotion ; là ou elle véhiculerait des clichés, Christian Kjellvander s'en tient à un registre épuré et toute en retenue. La guitare, parfois inventive, reste très sobre la plupart du temps. Il y a aussi différents pianos, du vibraphone, pour créer une ambiance sourde (Misanthrope River), de la clarinette et du saxophone très dosés.

lundi 14 novembre 2016

BRIAN S. CASSIDY - Alpine Seas (2016)






OO
pénétrant, contemplatif, soigné
Indie rock

Encore une personne contribuant, sans rien demander à personne, à rendre le monde meilleur. Alpine Seas est un album profond et vaste comme un panorama, chaque chanson agrandissant par un bord ou l'autre la fresque heureuse d'une intimité particulière. On pense à Owen Pallett quand on lit la mention que l'album a été produit, enregistré, mixé et masterisé par le même Brian S. Cassidy, qui décide ainsi de produire sa propre symphonie, proportions gardées, à toutes les échelles respectueuses du genre humain - celles qui séparent la grandeur des territoires de l’émotion trop à l'étroit et incontinente produite par les glandes humaines.

Cette émotion marque chaque chanson de cet enregistrement rare, soulignée dans sa franchise par une belle production. C'est la mandoline sur (The South), la pedal steel (Uncompahgre), les atmosphères ouvrant Clare's Bridge ou les cuivres sur Make Believin'. Il y a aussi cette fraîcheur sur Rich Man, un moment de pure sensation auquel on a envie de revenir, comme pour comprendre mieux ce que révèle tant de simplicité. On se souvient de Bon Iver sur For Emma, Forever Ago, entre autres sources de frissons incapables de se tarir. La lassitude ne vient pas ; au contraire, c'est une jouvence, au fil des écoutes.

Cette émotion, Cassidy la traite comme en musique classique, avec un sentiment que l'ensemble est supérieur à la somme des parties. Ce qui inspire Cassidy, c'est le sentiment de plénitude et d'incertitude, face à un ensemble de ciel, de terre, tandis qu'il se demande ce qu'il peut en faire. C'est l'album d'un homme à qui la possibilité d'appeler la paix était offerte, puisqu'il est un auteur compositeur, un artiste. Il a réussi à rassembler les impressions sans frontières, à suggérer la félicité, pour l'explorateur, qu'il y a à reproduire en un seul endroit intérieur la somme des impressions successives de son voyage.

Il peut s'appuyer sur son expérience avec Okkervil River et Shearwater, dont il retrouve le côté plus poignant de The Golden Archipelago – et des chansons comme Castaways. Une voix dégageant un sentiment intrépide, une ouverture à tous les liens et cultures. La hiérarchie à l'oeuvre est celle des choses nobles qui élèvent ceux vivant sans exclure de possibilités, de rencontres, de liens. Il jouit, aussi, de son indépendance. Il privilégie la clarté dès l'origine de l'album, qui s'ouvre avec quelles notes de piano électrique et une mélodie épurée, annonçant à peine les subtilités à venir.

Être terrien, avec le pied sûr dans le nuage et l'océan, qui n'en a pas rêvé ? Cela semble simple, avec un tel disque, d'ouvrir les horizons.




https://microcultures.bandcamp.com/album/alpine-seas

mercredi 28 septembre 2016

KOKOMO - Monochrome Love Noise (2016)





O
sombre, contemplatif, puissant
post rock

Voilà un album qui mérite d'être apprécié, même s'il est devenu difficile, depuis quelques années, d'impressionner dans le genre post rock, qui a rencontré des sommets avec Sigur Ros, pour ma part. C'est un disque bien conçu, avec des morceaux dynamiques, autour de sept minutes pour les mieux développés. C'est quintet allemand enregistrant son quatrième album, sans chant mais pas sans quelques voix qui participe de l'ambiance contemplative. Ainsi, ils n'ont pas peur d'affronter ce genre post rock pour lui insuffler un peu de vie, ou de non-vie, puisqu'il est quasiment question de zombies (I am Bill Murray n'est-il pas une référence à Zombieland?). La peur est un thèmes universel qui permet au groupe de considérer leur musique avec honneur, comme s'ils faisaient face à leur destin. Ils voient là l'occasion de produire une œuvre énigmatique et pleine d'une appréhension sourde, avec en fil conducteur une affaire de survie globale. L'être humain et son environnement progressent dans une harmonie fragile, en recul constant, que représentent ces quelques fleurs. Judith Hess est invitée à chanter "Wake up, hold up" sur le premier morceau, Pills & Pillows, tandis que l'avant dernier, hurlé, trahit l'érosion de l'optimisme, le passage de la lumière à l'ombre :" I push you down, I watch you die »... Kokomo sonne comme un groupe se composant et se découvrant à chaque étape de nouvelles ressources dans les deux extrémités du spectre de la vie.

On parle souvent de musique cinématique pour le post-rock, mais cependant les ambiances ne sont pas totalement visuelles : il reste à la fin de l'album des choses qui n'ont pas été montrées et donc irrésolues, tandis que l’auditeur s'est laissé gagner par la puissante enveloppante des guitares, de la basse ronflante, de cuivres parcimonieux (trompette trombone...) et d'une batterie qui maintient effectivement cette expérience dans le domaine de la musique - intense, changeante à défaut d'être vraiment surprenante, et qui parfois - notamment sur I'm Not Dead – dépasse nos espoirs. C'est dans les contrastes que ce disque s'affirme, lentement, quand sa simplicité apparente, à nos oreilles habituées, devient de la franchise, et la progression de chaque morceau se fait plus définitive. Ainsi, c'est une autre définition du rock instrumental que Kokomo apporte sans litanies ni fioritures.

https://kokomoband.bandcamp.com/album/monochrome-noise-love

lundi 19 septembre 2016

WILLARD GRANT CONSPIRACY - Ghost Republic (2013)




OO
pénétrant, contemplatif, inquiétant
Americana, folk

Cet album, j'ai cru pendant une journée qu'il venait de paraître alors qu'il remonte à 2013 ! Mon histoire de Willard Grant Conspiracy s'arrêtait avec Paper Covers Stone (2009), un disque toujours demeuré dans ma mémoire pour son côté artisanal, franc-tireur de l'americana squelettique et surtout la prestation habitée de son chanteur et seul membre permanent, qui ressemble toujours plus à Scott Kelly (Neurosis) en solo. Dans une année où je découvrais Bill Callahan, Willard Grant Conspiracy s'est doucement installé comme l'autre valeur DIY à percer avec une version peaufinée de lui-même. Il y a ici comme sur Sometimes i Wish We Were An Eagle (2009, Callahan), la volonté de faire beaucoup avec peu, quelques mots répétés qui permettent à la poésie de bourgeonner progressivement, un arpège contemplatif se développant avec une lenteur naturaliste (Parsons Gate Reunion) tandis que The Only Child rappelle, violon inclus, Venus in Furs. La poésie et la façon de poser de Lou Reed peut être citée comme référence, là ou sur Piece of Pie et son lyrisme dense. La chanson titre est aussi inscrite dans ce style détaché, énumérant des choses sur le thème de « When i think of you... » et qui s'achève bien vite par cette concision : «...I think less of me ».

Ghost Republic est fondé sur l'interaction de Robert Fisher avec un artiste qui l'accompagne depuis plusieurs années, la violoniste David Michael Curry. En concert, il est capable de susciter des mélodies qui, comme les fantômes qui mettent l'inspiration poétique de Fisher à l'épreuve, ne prennent jamais vraiment corps, mais se suggèrent tout au plus. Sur l'album, sa contribution paraît au premier abord un poil timide, si l'on s'en tient aux mélodies. Ce qui contribue, et ce n'est pas un mal, à souligner le côté errant et farouche de l'album, qui m'a évoqué Daniel Johnston.

Pour revenir à ma méprise concernant la date de parution de l'album, ce n'est n'est pas innocent, à un moment ou je m'interroge sur la transversalité des époques et des temps, et comment une histoire peut être racontée et interprétée depuis une époque ou elle n'a pas encore eu lieu, ou bien retrouvée par un narrateur qui s'en improviserait le contemporain alors qu'elle a été vécue voici bien longtemps auparavant, dans une vie qui n'a pas été achevée. Fisher médite, et sa poésie confine parfois à la transe. Ghost Republic fonctionne sur les murmures et les voix dans sa tête (Good Morning Wadlow).

L'album nous embarque dans une dérive hallucinante au cœur du désert Mojave fantasmé, car Robert Fisher y vit depuis 2006. Les vivants, les morts se rencontrent et les détails de leurs divagations prennent un relief épineux et tragique comme un cactus solitaire. Cela peut prendre la forme d'une paire de bottes abandonnées. La plus grande désolation est atteinte avec The Early Hour, un instrumental où le feedback de l'alto ne se veut plus mélodique mais capable de faire froid dans le dos, même dans celui de Fisher, on imagine. C'est là que le talent de David Micheal Curry s'affirme le mieux. Si l'objectif de l'album était de créer une ambiance poisseuse qui ne vous lâche plus, il y parvient après presque trente minutes où la poésie et l'instrument se sont tournés autour de façon tentative. A la fin, la voix de Fisher a gagné de ses vibrations notre épine dorsale.

samedi 16 juillet 2016

MARISSA NADLER - July (2014)


oo
élégant, hypnotique, contemplatif
Folk, pop alternative, americana



Quand les murs tombent, cela apporte au lieu d’amenuiser ses forces, cela lui permet de voir plus loin. Incapable de rester sans inactive, Marissa Nadler se nourrit désormais des transformations incessantes d'un climat que l'on croyait éternel et qui s'est mué en force ennemie, aspirant nos souvenirs, et précipitant notre isolement, que ce soit en déclenchant les guerres, comme le chaleur syrienne, ou en faisant disparaître des maisons et des quartiers entiers dans les inondations. Elle a toujours semblé vouloir rester à faire le ménage de son entité en conjurant le vide, la poussière, les mots. Mais cette entité, ce vide, ont évolué vers plus de spécificité, de précision, décrivant un monde de plus en plus conscient, dont les manifestations à l’encontre des hommes se multiplient. Le monde d'enregistrement de ses chansons s'est enrichi, elle s'est mise à faire des démos, et cela se traduit par la présence de plus en plus grande d'harmonies vocales.

« J'ai préparé chaque chanson sur Garage Band, puis en créant les harmonies sur une piste séparée. J'ai écrit les mélodies avec les harmonies en tête. Quand je suis arrivée en studio, chaque harmonie était déjà écrite, ainsi que toutes les idées pour les parties vocales. L’instrumentation s'est faite de ce que Randall Dunn a apporté de son côté, avec une facilité géniale. » Après July, elle savait déjà qu'elle confectionnerait le prochain album avec ce même producteur, présageant d'une longue relation avec celui qui sut si bien comprendre comment sa musique était liée aux atmosphères amples du black metal.

Les atmosphères austères et enveloppantes de July sont aussi concrètes que la relation des groupes drone comme Sunn O))) avec leur équipement. La buée s'échappant de cette musique pourrait aussi bien être le chaleur des enfers, et on peut clairement imaginer les changements d'état de l'eau à son contact, les troncs vibrer et les feuilles frémir sur les arbres et tomber jusqu’à ce qu'il n'en reste plus une seule. D'ailleurs les goût de Nadler pour les harmonies vocales s'est combiné aux ambiances du groupe black metal Xasthur en 2010. La musique metal contemporaine recherche des atmosphères très sophistiquées. Finalement, les harmonies soigneusement détaillées, sont, mieux encore que les arrangements, ce qui démarque les chansons de Nadler et forge leur esprit.

«Mes fans les plus loyaux ont toujours été des hommes d'un certain âge qui jouent en finger picking et des fanatiques du songwriting. J'ai aussi maintenant, une légion de fans de black metal suite à ma collaboration avec Xasthur. J'aimerais qu'il y ait plus de dames à mes concerts... » July est l’album qui devrait lui apporter, dans le temps, son public le plus varié, plus jeune et féminin. Les histoires de cet album donnent l'impression qu'elle apporte des conseils ou des mises en garde à une personne plus jeune. Le cap de la trentaine joue son rôle. Ce n'est plus seulement le jeu de se perdre dans un autre lieu et un autre temps, comme dans les premières chansons, à 23 ans : "I once was young and I once was strong." Il y a transmission.

Il y a cette volonté d'identification, d'empathie, une générosité renouvelée pour la nouvelle génération. Ce n'est plus seulement sa musique nous ouvrant les bras dans un envoûtement ininterrompu, ce qui avait attiré ses premiers fans. Ce n'est plus seulement pour faire passer la nuit aux insomniaques, mais pour être utilisé en plein jour. Elle tend à aller vers plus de réalisme, d’éléments pour ceux et surtout celles cherchant à ne plus se laisser abuser. Sur Holiday In : "You have a girl in every state/ I know I'm in the way."


Ce qui rend ses chansons puissantes, c'est les possibilités, ce qu'elle laissent entrevoir. Elle se tient en gardienne, en interprète, comme les poètes en sont, comme le chant l'est, et les rêves peuvent l'être. Une barrière, une forme d'inertie à l'inverse de l'inconstance. Elle encaisse comme tout le monde les visions, les images, s'en imprègne. «Looking through the windows/ to other people’s rooms ». Elle est aux limites de l'inconstance, de la trahison de son propre être, le met en danger en brouillant les frontières entre elle et le monde. Auparavant, les personnages étaient seuls dépositaires de leur temps, ils décidaient de la manière de le dépenser. « Ce disque s'appelle July car il fait la chronique des événements de ma vie, d'un mois de juillet à l'autre. Ainsi, c'est très chronologique, la façon dont l'album avance est aussi la façon dont ma vie le faisait. »

jeudi 7 avril 2016

KING BUFFALO - Orion (2016)





OO
groovy, soigné, contemplatif
Stoner rock, psych-rock


Mondo Drag, Windhand, All Them Witches sont parmi leurs compagnons de route. Ce groupe issu de l'underground nord américain, amateur de dissimulation, transporte dans ses veines le mysticisme réflexif propre aux anglais de Hawkwind. Comme eux, leurs riffs circulaires et sinusoïdaux transcendent largement une voix qui se pose sans autre artifice qu'une légère aliénation, pour décrire des expériences physiologiques et hallucinatoires. L'une des chansons les plus directes de l'album, Monolith, montre bien cette efficacité héritée des power trios du rock anglais (Black Sabbath, Motorhead), nantis d'une basse et d'une batteries puissantes.

Les Black Angels et le rock psychédélique californien au sens le plus large font partie de leurs influences. La production atmosphérique et soignée souligne le sentiment de voyage, si bien que c'est un groupe que qu'on peut aussi bien écouter après les thaïlandais du Khun Narin Electric Phin Band, et toujours se perdre dans les guitares résonnantes d'un vrai sentiment d'ailleurs, sur la troisième chanson, celle de la confirmation, Sleeps on a Vine. Imaginons un Pink Floyd aux hormones. La voix de Sean McVay est entre l'homme exalté prêt à se rendre aux mystères des confins cosmiques, croisée avec celle d'un rocker en proie à une lassitude incommensurable.

Les harmonies, les solos propulsent Sleeps on a Vine vers un classicisme dans lequel King Buffalo emporte, avec ce premier album, ses lettres de noblesse. Sur disque, ils sont ainsi déjà promis d'être uniques, grâce au travail titanesque pour en arriver à cette clarté de vision. Plus loin, Goliath semble pousser encore ce qu'il est possible de faire, pour un trio, en termes d'évocation d'espace, de mélodie. Encore une fois, surgit un riff qui électrise les tentations léthargiques et propulse le morceau dans une direction très satisfaisante. Orion Subsiding nous enchante encore par la recherche d'un blues reposant sur une boucle de synthé sidéral, et dont l'ambiance donne au chant un aspect non seulement lointain mais ancien. Enfin Drinking the River Rising poursuit dans une ligne très similaire mais poussée à un niveau de construction plus étourdissant encore

jeudi 10 mars 2016

ALEJANDRO ESCOVEDO - Thirteen Years (1994)









OO
Doux-amer, pénétrant, contemplatif
Rock alternatif, americana

Un album précieux et ample, à garder pour les grandes traversées, pour les moments de solitude, une rivière de bonne chansons, mélodieuses et instinctives, empreinte d'un sens de la contemplation intense, voire déchirant. Régulièrement, il vous transportera dans d'autres contrées, déroulant un genre americana qui puisse sa source dans les reflets du pacifique autant que dans la sécheresse du désert. Way it Goes, nous enjoint à fermer les yeux. Le disque nous sollicitera pourtant souvent par sa rudesse, sa franchise. Il ne s'agissait que du deuxième album du texan Alejandro Escovedo, déjà très ambitieux et capable de surpasser ses influences. Ce disque renferme tant de détermination artistique et d'espoir pour un artiste encore au début de sa carrière, qu'il mériterait Le bon moyen de découvrir ce songwriter qui est, à dix ans d'écart, aussi talentueux que Tom Petty (la ressemblance est criante sur Helpless, mais qui ne voudrait atteindre le succès scénique de Breakdown !) et peut-être plus émotionnel. 

C'est l'album d'un artiste cherchant plus que tout se connecter avec son audience et à l'affecter par sa personnalité et sa voix, bien mise en avant. C'est d'autant plus vrai qu'Escovedo semble chanter l'isolement et se montre réflexif sur le fait d'avoir maintenu ses proches à distance pendant trop longtemps (la chanson titre). Une autre grande réussite (elle sont nombreuses) est Baby's Got New Plans, où il livre la chronique d'une séparation et parvient à rendre palpables les personnages, une habitude qu'il développera sur son album suivant (With These Hands, 1996). She Towers Above contient aussi beaucoup de charme, et on retrouve de belles inventions d'Escovedo pour illustrer ses chansons, plus que pour simplement les accompagner ; la volupté d'un simili-clavecin, et une détente qui repose sur les roulements de toms. Il nous arrache à la langueur poisseuse d'Austin. 

Thirteen Years est aussi l'un des exemples les plus gracieux que je connaisse de l'utilisation d'une section de cordes dans un album de rock ! C'est éclatant dès Ballad of the Sun and the Moon, auxquels les violons, la harpe et a guitare jouée avec gaieté confèrent une douceur quasi élégiaque. Car Losing Your Touch ou Mountain of Mud nous rappellent qu'il s'agit de rock un peu cavalier pour solitaire loin de chez lui, avant que la sensibilité et les portraits affectés reprennent bien vite le dessus.


mercredi 18 novembre 2015

La semaine Heavy metal # 3 - BALAM - Days of Old (2015)





O

vintage, lourd, contemplatif

Heavy metal


Balam est un quintet de Newport (au sud de Boston) dont la musique lourde et lente rappelle celle de leurs maîtres assumés, Black Sabbath. C'est le genre de musique qui donne envie de se replonger dans les classiques du heavy metal britannique des années 70, une musique serpentante et finalement progressive, ne serait ce que par la durée des morceaux. L'un des points forts de l'album : sa méticuleuse construction. On assiste à une montée en puissance méphitique et inquiétante jusqu'à la meilleure chanson, qui est selon moi 'With the Lost'. Mais c'est une pièce de courte durée en comparaison du morceau titre (11 minutes) ou de Bound to The Serent (15 minutes). Leur deuxième grande force : l'imagination qui leur permet de tirer le meilleur parti des parties instrumentales sans les laisser s'éterniser.

L'image de la forêt tortueuse et onirique est parfaitement rendue à travers des chansons qui décrivent l'égarement, le vertige, les hallucinations spectrales d'être mis face au symbole de sa propre vie tourmentée, et pelant les couches de vanité humaine les unes après les autres jusqu'au rituel tribal final offert par un solo gigantesque. Le groupe dispense une brume existentielle basée sur des riffs éléphantesques (With the Lost). Si le chanteur ou surtout les guitaristes sont assez limités techniquement (ça s'entend dans les solos assez répétitifs), le batteur est l'un des meilleurs entendus depuis longtemps. Days of Old, c'est un peu son showcase. Sa rythmique irréprochable, son utilisation des cymbales, et la variété de son jeu le démarquent. 

http://thybalam.bandcamp.com/

lundi 30 mars 2015

THE MOUNTAIN GOATS - Beat the Champ (2015)


contemplatif, lucide
songwriter, indie rock, piano rock

Même quand on les découvre tardivement, les Mountain Goats de John Darnielle nous ont déjà régalé de quatre ou cinq albums. Et c'est beaucoup plus si on les suit depuis les années 1990. Chacun subtilement différents, et bénéficiant de constructions de plus en plus abouties, autour de fils narratifs dont Beat the Champ restera un bel exemple. Beat the Champ, c'est "battre le champion'. Le fil est ici la lutte, sport underground dans l’Amérique des années 1980. C'est cette narration riche qui fait qu'on revient à leurs albums. 

On se rend compte avec surprise que 3 ans se sont écoulés depuis Trancendental Youth, l'un des meilleurs disques du groupe peut-être, qui cristallisait les sentiments de Darnielle et sa philosophie de vie. Comme le black métal, une autre passion de Darnielle (si menaçant sur Werewolf Gimmick !), a été défait par les clichés sans perdre, pour les vrais amoureux de musique, son intégrité, la lutte a ses puristes, qui vantent l'honnêteté du corps à corps et la grande âme de certaines de ces figures. A hauteur d'adolescent, celle que prend souvent Darnielle, sous couvert de paroles biaisées et surchargées, la lutte c'était une vraie source d'excitation, et de rêves pas encore frelatés. La musique des Mountain Goats contient une énorme quantité de jeunesse, d'incertitude nocturne, de contradiction, D'abord le paradoxe d'avoir, dans une musique née du dépouillement et faite avant tout pour donner chair aux textes, une variété d'instruments surprenants. Ils ponctuent et donne la tension nécessaire. Stabbed to Death Outside San Juan le prouve. 


Darnielle dresse  des stratégies alternatives pour vivre chaque seconde avec exultation. Ecoutez Heels Turn 2 ou Unmasked! pour s'en convaincre. Cet album contient à la fois la chanson la plus longue des Mountain Goats (Heels Turn 2, 6 minutes) et des coups de semonce comme Chocked Out. Darnielle aborde le sujet de la lutte et de ces vrais/faux champions avec une affection si particulière que vous pourriez bien la chercher longtemps ailleurs en songwriting. Il y a la volonté de croquer des portraits sur le vif (The Ballad of Bull Ramos) mais bien plus de décrire un environnement, un isolement, une atmosphère d'amertume, d'ennui, jusqu'à monter sur scène pour prendre toutes les revanches contre la vie (toujours Heel Turn 2, le sommet de ce disque). Les touches piano ou jazz (sur Fire Editorial) suscitent une touche contemplative, voire la sensation d'assister à la chronique chantée d'un journaliste nous racontant des faits divers dans l'ambiance d'un club. 

dimanche 22 mars 2015

SCOTT MATTHEW - This Here Defeat (2015)






O
contemplatif, lucide
songwriter, pop, indie rock

Effigy évoque la collaboration de Nick Cave et Warren Ellis sur une B.O. de film. Déjà, la maison et la carcasse de l'australien Matthew brûlent d'un amour perdu. Et plus loin, Constant en ajoute une couche avec une lenteur solennelle. Il faut dire qu'on habite loin du rock avec lui : pour la première fois cependant, il utilise une guitare électrique. Soul to Save, quand à elle, ressemble à une de ces pépites cathartiques du grand maître en la matière, Marc Huyghens, le chanteur de Venus/Joy. Matthew chante à merveille comme quelqu'un qui sent ses sentiments s'évaporer et les conjure pour les retenir. Attention, c'est grave, voire carrément lugubre, quand des violoncelles s'entrecroisent, mais cette aspect 'défait' complète à merveille la voix mélodramatique de Scott Matthew. Qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher de celle de David Bowie, et parfois c'est la solitude exprimée par les instrumentaux de sa trilogie berlinoise que l'on entend. Matthew n'a nulle part les audaces du Thin White Duke, mais peut être sa force est t-elle ce manque d'audace, ou son minimalisme, qui le pousse à creuser, pendant de longues minutes, le même sillon, jusqu'à épuiser toute tension et évacuer tout sentiment. 33 minutes et 10 chansons exactement. Il construit un arc narratif parfois basé, comme chez James Vincent Mcmorrow, sur des silences, par exemple avec Ruined Heart, un point culminant en termes de délicatesse. “Come on the disaffected, believe what we need matters, I’ve had a premonition, a place where we can grieve” L'album est une quête pour cet endroit où l'on peut se lamenter en toute quiétude. 

dimanche 10 août 2014

BEAR IN HEAVEN - Time is Over One Day Old (2014)




OO
nocturne, contemplatif, lucide
synth pop

Qu'est-ce qu'un style musical ? A l'écoute de Bear in Heaven, l'un de mes groupes préférés au sein du label Dead Oceans, on serait tenté de dire, que c'est une humeur. Ce qui importe au sein d'un label, c'est la diversité, le contraste, et derrière cette façade, la façon dont les humeurs se recoupent. La cohérence des artistes donne quelque chose de fort, le portrait d'une décennie se construit. Au fil des écoutes, Time is Over One Day Old s'est affirmé, dans ses moments le plus accrocheurs (Demon) comme dans ses espaces dénudés, (la deuxième moitié de They Dream, la fin de Way Off, la totalité de Dissolve the Walls). Il y a toujours cette impression que Bear in Heaven essaient d'explorer deux dimensions simultanément. Etre immédiatement entêtants, et se plonger dans une solitude spatiale. Il jouent à s'éloigner de nous, laissant des balises sonores gratifiantes sur le tard. Leur détachement semblait être l'attitude la plus indie de l'année sur leur album de la confirmation, Beast Rest Forth Mouth (2009), avec déjà ces synthétiseurs singuliers, l'impression qu'on pouvait écouter de la synth pop et encore se sentir en terrain inconnu. 

Leur rock éthéré, calibré mais selon leurs propres rites, ne fait plus tout à fait le même effet. Après le très accrocheurs Time Between et le balancement huilé du réussi If I Were to Lie viennent des moments qui ressemblent à des improvisations tardives, comme des réflexions après coup, décrivant des sensations trop vraies pour vraiment être retranscrites avec des 0 et des 1 lancés sur le bitume refroidi. Idéal pour déambuler dans les rues d'une grande ville la nuit. They Dream, donc, se réécoute toujours avec une légère appréhension. Les sirènes de la réalité sont altérées a la moitié de la chanson, menée tambour battant, quand le groupe s'offre sa première parenthèse de solitude, qu'on serait tenté de décrire comme 'bien méritée'. Le prédécesseur de ce disque avait la densité d'une équation difficile à résoudre. Les guitares de la contemplative The Sun and the Moon and the Stars ne font que nous perdre un peu plus, et on entend surtout les mots 'once in a lifetime', comme un écho à l'angoisse des vies calibrées chez les Talking Heads. Chaque blip sur Demon provoque une sensualité presque agressive que I Love You, It's Cool (2012) avait à peine suggérée. Ils titillent le vide, celui, créatif, de New York à l'époque où la finance a remplacé le rêve ? Les choeurs, réels ou fantasmés ensuite sur Way Off, sont une bonne trouvaille. N'appartenant à aucun genre réel, ce disque revendique le droit de laisser flotter des humeurs que l'on ne peut pas toujours rassembler. Ce n'est pas toujours facile, comme le sublime le refrain de Memory Heart.

vendredi 11 juillet 2014

WILL KIMBROUGH - Sideshow Love (2014)





OO 
poignant, doux-amer, contemplatif 
americana, folk 

 Nous sommes quelque part au sud des Etats Unis, et Kimbrough mérite, s'il ne s'y trouve, de figurer sur la carte qu'Hayes Carll avait habitée de tous les singers-songwriters avec lesquels il aimait se retrouver. Le compositeur cinquantenaire a collaboré par le passé avec Rodney Crowell, Todd Snider et beaucoup d'autres que je connais moins. Des chansons épurées, brûlant lentement d'un feu intérieur, quand une ambiance de carnaval de perturbe pas le sérieux de l'affaire (sur la chanson titre). L'humour noir ne sera jamais très loin de la fragilité. Chaque phrase sonne à la perfection. De la grande chanson américaine, moderne, où la guitare slide est reine quand elle se fait entendre. Des rythmes blues, des valses, des chansons folk percutantes, des ballades, toutes des compositions poignantes qui rappellent l'esprit des années 1970 et Townes Van Zandt, Roy Harper (incroyable I Want Too Much, la version studio en tout cas) et d'autres grands noms... que je connais moins. I Can Count on You est une ballade saisissante. Alors, une perle rare ou pas ?

mardi 11 mars 2014

BRIANNA LEA PRUETT - Gypsy Bells (2013)








OO
contemplatif, pénétrant
folk, dream folk


Sun on the Mountain, une chanson de ce disque, donne la sensation que les 

voix qu'on entendait jusqu'à présent que pour nous mêmes, et qui nous 

guidaient en imagination au travers d'un pays aux intentions pures de 

réconciliation et d'amour, s'est échappée du canyon où elle était retenue.

 Présentée comme une américaine 'native' par tous ceux qui on entendu son 

message et décidé d'écrire à propos de Brianna Lea Pruett, cela nous laisse 

avec des images de jeune fille farouche, capable de jouer de la musique folk 

avec le désenchantement de ceux qui sont descendus en ville et qui en sont 

revenus avec des plaies dans le coeur. Ses tableaux à l'huile 

(http://briannaleapruettart.com/works/oil-paintings/#) montrent un art 

profondément enraciné. La place accordée par Bruett à sa fibre musicale est 

confortable au vu du soin apporté à cet album. La musique est lancinante, 

matinée de percussion subtile. La voix traînante nous éclaire, Pruett a une 

présence capable de découvrir les grand espaces. Une seule de ces chansons 

laisse un sentiment de force pour le restant de la soirée. Leur humilité nous 

surprend à chaque fois. "I wanna shine for yoouuuuuuu" chante t-elle sur la 

chanson la plus directe de l'album.
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...