“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

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mercredi 30 août 2017

{archive} THELMA HOUSTON - Sunshower (1969)




OO
orchestral, élégant, romantique
soul, funk, blues


La musique extraordinaire produite par Jimmy Webb semblait déjà, au moment et de sa parution, apparentée aux disques orchestrés, que le rock devait balayer. Si c’est là l’un des travaux les plus éclatants de Jimmy Webb, l’un des plus talentueux et prolifiques auteurs compositeurs des années 60, il n’en reste rien dans les biographies hâtives du net. Pourtant, c’est quand Houston reprend Jumpin Jack Flash qu’on mesure avec quelle complexe élégance l’album supplante le rock de l’époque. La façon dont l’orchestre des cuivres transforme la musique, à chaque apparition, fait de Sunshower un cas unique. On croirait les chansons empruntes d’une grâce sans limites, avec leur émotion explosive. Les premiers albums de Scott Walker paraissent lacustres en comparaison. Thelma Houston combine à l’extraordinaire personnalité des arrangements une voix étourdissante. Revêtue d’une sorte d’une toge aux motifs imprimés, elle apparaît mi-fée mi déesse, assumant parfaitement une apparence entre la fée bouddhiste, et la déesse énergique.

Houston et Webb sont à peine adultes quand paraît cet album. Elle n’est dans le business que depuis 2 ans, et déjà signe avec Capitol. Il écrit toutes les chansons sur Sunshower, une unique source qui valorise leur collaboration. Il faut reconnaître que les textes sont facilement oubliés dans les premières écoutes, tant l’orchestration renverse la perception qu’on se fait habituellement d’une chanson. En d’autre termes, ces chansons paraissent de si petites fictions face au pouvoir total de l’orchestration. Les relations de couple, comment on se perçoit, en sommes-nous au même point dans la vie, désirons nous les mêmes choses, pourrons nous vivre toujours dans les respect l’un de l’autre ? «This is your life/Not just something to do/This is your life/And it’s my life, too » chante t-elle sur This is Your Life.

Cette musique abolit aussitôt les querelles (à tenter chez soi). Si vos querelles dérivent que vos ayez fait une remarque, un comportement misanthrope, passez Sunshower et vous serez pardonné instantanément. C’est sa texture tout en souplesse et si sensorielle, mais aussi le penchant réconciliant de Houston, qui manie la soul, le jazz (Didn’t We), le blues (Cheap Lovin), le rock et le funk en laissant entrevoir combien elle est permissive. Elle sait résister à la tentation de paraître trop affectée, spirituelle, privilégiant faire preuve d’une présence à l chanson qui la plonge au cœur de la musique plutôt que de l’en distinguer.

This is Where i Came démarre à l’orgue, en grande mélancolie, et se termine sur un riff de rock, prouvant que la guitare peut être utilisée de manière aussi excitante dans le rêve idéal de Jimmy Webb que par les Rolling Stones. Et quand il décide de se relier au moment présent, c’est un feu d’artifice de funk et de guitare électrique, tandis que l’orchestre se fait enlevé. Pourtant, l’urgence mimée dans cette chanson n’est qu’une quantité négligeable à l’intérieur de l’album, et Jimmy Webb, incrédule, lui aussi, du résultat, nous rappelle que la musique dont il incarne le pouvoir visionnaire avait un autre objectif sacré : l’urgence de la musique est celle d’être écoutée par le public. « Je vous presse de découvrir Thelma... le plus prodigieux talent que j’aie jamais rencontré » s’extasie t-il dans les notes de pochette. Glen Campbell n’avait pas tout à fait la même énergie, il faut croire.

samedi 10 juin 2017

{archive} GLORIA BARNES - Uptown (1971)





OOO
funky, audacieux, intense
Funk, soul

Towanda Barnes est surtout connue, par les passionnés de Soul musclée nord américaine, pour avoir interprété certaines compositions de Ohio Players, groupe leader de la scène funk nord-américaine des années 70. L'une de ces compositions, You Don't Mean It, montre bien quel genre d'intensité recherchait Barnes, bientôt prénommée Gloria pour son seul album paru en 1971. Une rareté, à peine disponible sur cette institution du net qu'est le blog Funk My Soul. Cette chanson avait été enregistrée une première fois en single 45 tours pour le label A & M records, et comparer cette version avec celle figurant sur l'album fait constater des efforts établis pour porter la voix et la personnalité de Towanda Barnes à son apothéose. Le rythme effréné des percussions, des bongos, (une marque de la réussite absolue de cet album), demeure, c'est seulement que la clarté de l'ensemble est démultipliée.

Les chœurs des Ohio Players sont désormais bien plus en retrait, leur bon aloi balayé par une ferveur intime, permettant à la Barnes de prendre pleine possession de 'sa' chanson. Dès qu'elle chante ‘You said you wanted a love that would last forever’, on vibre à l'unisson. ‘You said that your heart was always at my command’ enfonce le clou, marque les esprits. Ce qui pourrait être pris pour de la spontanéité est à tempérer, lorsqu'on écoute les ballades brûlant lentement, en particulier Old Before My Time, mais aussi I Found Myself ou I'll Go All the Way. Le travail pour leur donner du relief est considérable. En huit chansons, Uptown laisse s'étendre une maturité infinie, celle d'une artiste qui avait déjà trouvé sa destination, heureusement, car sa carrière éclair se termina là.

De I'll Call you Back Later à Home, Barnes avait ce don de rendre ses chansons viscérales, transformant les frictions de couple en force d'émancipation. La précision des situations et sentiments exprimés, encore dans She Wants a Stand In, révèle d'un sens de la mise en scène et d'une passion pour ces interstices où le doute fait place à l'impériosité, à la capacité de prendre son destin en main. En trois minutes, la chanteuse affirme sa position, elle exprime tout et jette le discrédit et la honte sur l' homme qui aurait voulu la posséder en exclusivité.

Ailleurs, la guitare supplante les percussions par son originalité, son autonomie remarquable. Cet album montre bien les efforts qui ont été faits, dans les années 70, pour rendre leur autonomie à chaque instrument, donnant leur singularité à chaque chanson. Old Before My Time, qui d'entrée joue sur 7 minutes de remous psychique sous-tendu par la présence de l'orgue, incarne déjà les profonds changements opérés depuis que Towanda est devenue Gloria, au tournant de la décennie. L'album est une œuvre d'art cohérente, pas seulement une suite de singles, et Old Before my Time sert d'ouverture dramatique à ce qui va suivre. Et l'instrument le plus pleinement émancipé de tous, le plus singulier, à la fois autonome et passionné, la voix de Gloria Barnes brille sans plus avoir besoin de se fondre dans sa gangue sonore, préférant rivaliser avec chaque instrument d'une limpidité durement gagnée.


https://www.funkmysoul.gr/

samedi 9 juillet 2016

JOSEPH LIDDY & THE SKELETON HORSE - The Big Sarong (2016)



OO
extravagant, audacieux, vintage
funk, rock 


https://josephliddyandtheskeletonhorse.bandcamp.com/album/the-big-sarong-2


Un album à la production limpide, un petit orchestre funk au service des compositions exubérantes, extravagantes de Joseph Liddy, vite qualifié de 'génie' par certains de ces fans. Les onze de ce groupe là semblent passer le meilleur moments de leur vie, depuis la sortie numérique de cet album plein de bravoure et de malice bodybuildée. Ils m'ont rappelé Saskwatch, autre combo australien plutôt dévoué à la soul, et qui avait enchanté l'été 2014 avec Nose Dive.

Les deux batteurs et le bassiste sont particulièrement sollicités à la tenue de morceaux tels Love Supernatural, entre bain seventies et modernité. Un grand bain de soleil, avec des choeurs évangélisateurs et expressifs en diable (You're Alright) et la voix parfois fervente de Liddy, en faux Lennon parfaitement sûr de son fait, virulent dans son envie de se perdre dans la musique, de simplement regarder la roue tourner, et dont l'immense mérite reste d'avoir donné tant de cohésion à 10 musiciens . Son audace brille sur Golden Shoes, une ballade à tiroir comme trop peu osent encore en faire, par peur d'anachronisme. Plus loin, les congas les sons plus analogiques les uns que les autres nous laissent en pleine lumière avec Chase the Rainbow. C'est une odyssée qui allie des moments dégageant un sentiment plus personnel (Peace of Heaven) avec un panel grandiloquent. A la fin, The Toob semble le garant du classicisme funk le plus virtuose.

Le groupe est en plein accélérationisme, semble prendre les mesures du monde de demain, forme une nouvelle écologie musicale funk, anticiper nos désirs d'une scène aux possibilités vitales seulement limitée par les raisons financières. A soutenir, sans doute !

samedi 19 mars 2016

LOU BOND - S./T. (1974)







OOO
Engagé, poignant, communicatif
Soul, folk, funk

Cet album peut vous prolonger dans une profonde mélancolie. La mélancolie est le moteur de l'écrivain et le ferment de la différence, de la liberté à laquelle aspire Lou Bond. Il chante cette liberté dès les premières secondes de son album, et partir de là, ne perdra aucune seconde dans ces sept chanson hors normes. « No more i loves yous that i could not return/no more laughing at the girl who nevers learns. » 


La production riche en cordes est de la richesse mélodramatique que l'on peut attendre d'une perle Stax, le label sur lequel fut signé Lou Bond, avant de disparaître faute, pour la maison de disques, d'avoir su vendre son mélange émotionnel redoutable de soul et de folk. On pense à Terry Callier, pourtant, et tous ceux qui vibrent au son de What Color is Love (1973) devraient trouver dans cet album un compagnon plus qu'attachant, comme les admirateurs de Gil Scott Heron. Dans cet album paru en 1974, sur Why Our Eyes Must Always Be Turned Backwards se ressent l'inspiration des plus grandes chansons de Heron (présentes sur Pieces of a Man ou Winter in America), dont elle a a la portée sociale et le groove funky. 

Mais c'est To The Establishment, qui donne à son disque son amplitude émotionnelle rare. «If i had my way, i'll put you all on the electric chair », assène t-il en guise de conclusion sans appel, avant de se lancer dans plus de cinq minutes de scat, tandis que les cordes semblent l'arracher à la simple rébellion pour le porter dans un domaine à lui seul, ou quoi qu'il arrive personne ne peut l'atteindre. Réutilisé par la suite par Outkast et The Prodigy, c'est un moment épique, à la sincérité presque épuisante, un contrepoint à l'atmosphère souvent (faussement?) sereine du reste de l'album. Encore un lien avec Gil Scott Heron, cette volonté de donner 'To give these children a happy home', en écho à Save the Children, l'une des chansons les plus douces du poète et chanteur New-Yorkais. 

Il a cette volonté de réparer les couples cabossés, la privation de tendresse et la précarité, un sentiment d'injustice impossible à retenir, et qui embrasse un forme d'écologie venue du fond cœur, qui pousse Bond à préconiser la chaise électrique pour ceux qui en sont la case. L'ambiance feutrée et la narration si évocatrice de That's the Way i've Always Heard it Should Be, avec cette émotion qui l'envahit de nouveau à la simple évocation de se marier. «My friends and collegues are all married now/They have their houses and their dogs.» chante t-il en l'appuyant, pour en faire ressortir la naïveté cocasse, d'un falsetto. C'est un disque réjouissant de distance et de sensibilité. 

Le livret de l'album est la belle histoire de la recherche de Lou Bond homme au multiples personnalités, qui a débouché sur la réédition de sa seule oeuvre musicale chez Light in the Attic. Élusif, difficile à cerner, c'est un homme un peu sorcier.





dimanche 31 janvier 2016

BOUKOU GROOVE - Let The Groove Ride (2016)








O

ludique, efficace, funky

Funk, new soul


Boukou Groove, un trio funky dont 'existence n'est pas cantonnée aux releases parties dont ils sont friands, car c'est un bon moyen de dire, hey, watcha, on est un groupe incroyablement talentueux, certes consensuel mais dont l'âme est ancrée avec conviction dans la terre de la Nouvelle Orléans. Le genre qui puisse nous faire sentir toujours un peu dignes, pourvus pour nous accompagner dans nos croisières pleines de tentations, partis dans le golfe du Mexique sur un yacht pour faire semblant d'oublier la misère du monde. 
Les interactions de Donnie Sundal et Derwin 'Big D' Perkins  méritent l'adjectif sexy de 'tight'. Ce qui correspond au contenu de cette chanson au milieu de l'album, I Can take You Further, « Imagine how it's gonna be/girl i hope you're ready. » Une ambiance positivement moite règne sur cet album pourtant loin d'être dépravé. Des interventions du guitariste qui moulent parfaitement la voix et l'approche et ses claviers nettement plus dans la tradition du rythm and blues néo Orlanais. Ils sont liés au pianiste Jon Cleary, l'un des musiciens locaux les plus talentueux, prêts à reprendre le flambeau d'ambassadeur après la disparition de Dr John. Les moments entêtants tels que Can't See Around Corners ou l'énorme End of the Bottle alternent avec des moments moins marquants, et on ne retrouve rien à la hauteur de la fracassante Stay Broke, sur l'album précédent. « It cost a lot of money just to stay broke. » Blame it on Me et surtout Can't Come Back, ont un potentiel déchirant dans leurs paroles jamais atteint musicalement, et c'est dans le fade-out de cette dernière que Sundal  choisit d'enfin chanter comme si sa vie en dépendait. Sa voix nasale est d'ailleurs un instrument fascinant, jouant sur plusieurs registres.  Il a la volonté de ne pas en faire trop, avec des paroles qui de toute façon  donnent l'impression d'avoir basculé au cœur d'un album de sentiments forts, convaincant comme tel.  

Aujourd’hui comme trois ans plus tôt, Boukou Groove est un bonbon funk amené par des musiciens que l'on brûlerait tant d'écouter live, et de partager avec le plus grand nombre.  

mercredi 18 novembre 2015

Article - GALACTIC & JJ GREY (2015)




Galactic

OO
groovy, funky, communicatif
Rythm and blues, modern R&B, funk

JJ Grey

OO
groovy, funky, communicatif
Blues rock, funk, soul, country rock


Au premier abord, la musique de JJ Grey est une soul musclée avec un goût prononcé de revenez-y. Mais plongez-vous un peu plus dedans et prenez plaisir au talent de raconteur d'histoires du guitariste et compositeur de Jacksonville, en Floride. Terre changeante au carrefour de plusieurs mondes, et surtout au bord de l'océan, la Floride a son compte de surfeurs quinquagénaires, sans doute, mais peu nombreux sont ceux qui, une fois sortis de l'eau, rejoignent le studio d'enregistrement pour produire une musique qui irradie la joie et la communion et s'exporte si bien à l'international. Le crédo de JJ Grey, tel qu'il l'a donné dans une riche interview publiée par la magazine Soul Bag en avril 2015 : « Chanter comme Otis Redding, jouer comme Jimmy reed, et écrire comme Bill Withers, sans oublier un peu de Georges Jones! » L'enthousiasme de Grey est contagieux. C'est qu'il sait quels extraordinaires moments musicaux l’attendent encore, comme celui qui l'a réuni avec Galactic, un grand groupe et l'un des meilleurs ambassadeurs de la musique de la Nouvelle Orléans, neuf heures de voiture à l'ouest de Jacksonville. Une occasion de partager ce qui réunit de tels artistes : le goût du son live, des tons boisés du fait maison et de la chaleur humaine. 

Galactic s'inscrit dans une continuité qui lui offre tous les mérites. Bien que l'hyperactif batteur Stanton Moore soit le porte parole du groupe, les cinq musiciens originels de 1994 sont toujours ceux qui font le groupe en 2015, plus de vingt ans plus tard. Cette performance à elle seule est un indice de leur osmose et de leur cohésion. On retrouve dans le son de Galactic tout ce qu'il y a de typiquement typiquement néo-orléanais, les rythmes de second line, plein de groove, un croisement d'influences à la fois musclé et souple, moderne et traditionnel, tour à tour dansant et communicatif en diable. Interroger l'un d'entre eux, c'est faire parler tout le groupe à travers lui. Démonstration avec Robert 'Rob' Mercurio, le bassiste, interviewé sur le website Jambase. « Jeff [Raines], notre guitariste, et moi, nous avons grandi ensemble. Nous sommes allés au collège [à la Nouvelle Orléans] en même temps quand nous avions 17 ans. Pendant le collège, nous avons rencontré plusieurs musiciens dont certains deviendraient membres du groupe. Vers 1994, nous nous étions stabilisés tels que nous sommes aujourd’hui, avec Rich Vogel [claviériste], Stanton Moore et Ben Ellman [saxophone]. » L'envie de former un groupe s'est manifestée naturellement, Mercurio et les autres aillant eu pour exemple les mythiques Meters et le Dirty Dozen Brass Band, inspirés par le flegme festif d'un Professor Longhair et la longue tradition instrumentale combinant dans la ville le boogie-woogie, le blues, le jazz, le funk et bientôt le hip hop.

Ils étaient talentueux. Leur histoire semblait devoir s'écrire d'elle même. Mais sont sont les circonstances de leur apprentissage qui en ont fait un groupe à part, autant qu'une voie d'accès immédiate aux sonorités de la ville. « Nous n'avions pas de véritable maison de disques ou le support qu'un groupe normal aurait pu avoir. Nous l'avons fait indépendamment. Avant nous, la plupart des groupes qui partaient en tournée avaient déjà un hit à la radio. C'était rare d'être un groupe sans pedigree et de tourner. » Les clubs leur ouvrent de plus en plus facilement leurs portes, puis le premier album se profile à l'horizon. Rétrospectivement, ils ont permis à de nombreux groupes, dans leur sillage, de se produire en concert sans n'avoir rien enregistré. C'est la raison pour laquelle Galactic est l'un des groupes cité le plus souvent comme ambassadeur de la culture vivante de la Nouvelle Orléans. Pour se développer, il fallait ensuite enregistrer en studio. Et c'est de rencontres en tours de forces et en surprises que Galactic est devenu le groupe qui est capable d'aligner Mavis Staples, JJ Grey, et la bohémienne soul Macy Gray et d'autres chanteurs-compositeurs brûlants et visionnaires sur un seul album.

Impossible de rendre l'énergie du live en studio. Et, au contraire, difficile de reproduire tous les samples et les sons présents sur les albums studio une fois les morceaux joués en concert. Alors autant faire des albums profitant d'une qualité d'écriture telle que les chansons qui le constituent sont destinées à entrer dans le répertoire de tête des interprète invités, tout en proposant une montée en puissance dignes d'une fête de carnaval. Pour faire tenter d'oublier la nature de l'exercice, se réunir tous dans un studio et écrire de la musique, Galactic a usé de différentes techniques qui tenaient quasiment de la mise en scène. Jamais en manque d'inspiration, ils ont inventé des albums à concepts, comme Carnivale Electricos, qui mettait en parallèle le mardi gras de la Nouvelle Orléans et ceux du Brésil. Le groupe y trouve avec félicité les points communs à ces cultures, tout en transformant audacieusement leur musique, comme rendue par les platines d'un DJ. Comme dans la série Treme, ils ont permis à des chanteurs de quasiment jouer un caméo, c'est à dire se mettre en scène dans leur propre rôle. Ainsi, sur Move Fast, ils invitaient le rappeur Mystikal à courir après sa réputation dans des timings à mettre hors d'haleine. Galactic est un groupe qui a la volonté de s'effacer derrière l'immense diversité d'une scène. Ils mettent leur versatilité au service de leurs éternelles retrouvailles avec le Dirty Dozen Brass Band, ou de leurs rendez-vous exceptionnels avec le rappeur gangsta Juvenile, le chef indien Big Chief Juan Pardo ou la chanteuse presque octogénaire des Staple Singers, Mavis.

« Le 'featuring' est souvent une idée de managers, de producteurs ou de cadres de maisons de disques », commente JJ Grey pour Soul Bag. « Rien de mal à ça, mais cest trop souvent une manière de caser un nom connu supplémentaire sur un disque. Notre démarche est différente. On est comme une famille, comme une mafia du sud-est dont Derek [Trucks] et Susan [Tedeshi] [des superstars du sud Tedeshi-Trucks Band], les Allman Brothers, sont d'éminents représentants, et tous les groupes de cette région sont plus ou moins liés. » Pour Galactic, il n'est pas question de caser un nom sur un album. La collaboration doit être donnant-donnant, et c'est encore mieux si elle débouche, comme avec Macy Gray, sur une tournée pendant laquelle le groupe se transforme en accompagnateurs de luxe pour la chanteuse, réécrivant ses chansons et leur donnant une nouvelle perméabilité. Leur premier chanteur, Theryl ‘Houseman’ DeClouet, leur avait été suggéré par leur manager de l'époque. Puis il est devenu une sorte 'd'invité permanent' prenant très souvent part aux concerts du groupe. Les musiciens comprirent rapidement qu'inviter des chanteurs provenant de sphères un peu différentes, tout en défendant souvent les mêmes valeurs spirituelles qu'eux, participait à l'hybridation de leur musique sans en entamer la cohésion. Et leur batteur Stanton Moore de défendre le secret de ces collaborations – qui ne doivent pas servir de faire valoir pour l'album. Il essaie de ménager le suspense sans citer les noms les plus célèbres : « Je groupe peux tout de même vous parler de certains d'entre eux, comme David Shaw [du groupe de soul festive The Revivalists, auteur en 2015 d'un album, Men Against Mountains] et Maggie Koerner. », explique t-il à un journaliste du website Glide Magazine début 2015.

Santon Moore est ce genre de musicien accélérant le rythme de sa vie derrière les fûts quand d'autres décideraient de s'octroyer une pause. Multipliant les collaborations et les disques en solo, il agit pour sa ville comme s'il était investi d'une mission qu'il ne pouvait jamais abandonner. Moore use de toutes les influences pour en faire un mélange unique, depuis les sons lourds de John Bonham et Bill Ward jusqu'aux feux d'artifice de Buddy Rich et de Max Roach. Et difficile de contourner pour lui Zigaboo Modeliste, le batteur des Meters, qui reste le groupe instrumental le plus célèbre de la ville.

Moore est content de la direction qu'a prise cet album, effectivement assez différent de leurs deux précédents albums, qui contenaient beaucoup de samples et un son très remixé. « Il est plus direct au niveau de la production, se focalise plus sur la façon dont on sonne quand on joue nos instruments. » Into te Deep sonne plus organique plus comme une collection de bonnes chansons, qui à paraître un peu moins cohérent pris dans son ensemble. C'est pourtant un album habilement construit, qui s'ouvre un instrumental , Sugar Doosie, puis enchaîne avec un gros morceau de blues rock, la ballade intense de Macy Gray qui donne son nom à l'album, puis un funk qui capture la patte du groupe. Un autre instrumental, puis deux chansons de R & B moderne. Domino, chantée par Ryan Montbleau est la plus entêtante surprise de l'album. Puis, après un nouvel instrumental, viennent la ballade de Mavis Staples et le tube du Jamaïcain Brushy One String, qui ne joue effectivement qu'une seule corde de sa guitare, mais produit une musique rythmique entre reggae et soul. Il existe de vieilles connexions entre la Nouvelle Orléans et tout les cultures caribéennes et sud américaines.

2015 est l'année exceptionnelle qui a vu la parution de leur nouvel album leur permet de faire équipe avec ce chanteur si puissant qui partage un producteur avec eux : JJ Grey. Retour en Floride. Ou à Paris, où le sociologue Eric Doidy a conduit son interview très enrichissante. Qu'il se rappelle les influences entendues dans le cocon familial ou qu'il parvienne à décrire avec humanité les mentalités des gens de Floride, il dessine la trajectoire d'une musique vécue comme une formidable machine de rencontres qui l'a fait échapper lui-même au grand cliché du 'tous conservateurs'. C'est un musicien humble et chaleureux, frappé par la patte funk du chanteur country Jerry Reed, par Otis Redding et par l'ombre inévitable du Lynyrd Skynyrd d'avant le dérapage. « Je viens d'une famille de la vieille école, très typique du sud. Là ou j'ai grandi, c'était moitié blanc, moitié noir, sans "minorité". Ma famille est un drôle de mélange. » Il grandit au milieu des exploitations de poulets.

Au delà, c'est son groupe tout entier qu'il s'agit de célébrer. « Le batteur, Anthony Cole, est l'un des plus formidables multi-instrumentistes que je connaisse, vient d'Orlando en Floride, mais est né à Detroit, je crois. Todd Smallie, qui vient de groupe de Derecks Trucks, est d'Atlanta. Les autres viennent du Texas, de Los Angeles... Dennis Marion, notre trompettiste, vit à Jacksonville depuis longtemps, mais il est de Baltimore. Tous sont des gens que j'ai connus au fil des années lors de tournées. Je faisais la première partie de leur groupe ou c'était l'inverse ; ou alors ils étaient dans le groupe d'un pote à moi ; ou bien ils m'ont hébergé. Mais on s'est tous connus sur la route. Au début de Mofro j'écrivais des morceaux sans vraiment avoir un vrai groupe : j'embauchais quiconque était libre selon le moment. » L'apport du producteur Dan Prothero a aussi été crucial. «Quand je l'ai rencontré pour la première fois, il m'a expliqué quelles étaient mes forces et mes faiblesses, m'aidant à consolider les unes à à me débarrasser des autres. Ce qui faisait ma force selon lui, c'est le fait de baser mes chansons sur ma vie, mon coin, les choses que j'avais vues et celles que j'avais faites. Ma grande faiblesse, c'est quand j'essayais de jouer de manière un peu artificielle au mec qui met l'ambiance. »

Si cet album nous divertit suprêmement, c'est grâce à ses solides fondations instrumentales, et aux mélodies que Grey parvient à trouver, infusant de sa ferveur originale tout ce qu'il touche. Ol'Glory est un de ces grands albums entre potes qui regardent effrontément vers le soleil. Parcouru d'un énorme groove funk, de soul bien léchée, de rock n' roll à soli droit sorti des seventies, de country rock, pour que jamais la machine ne s'essouffle. De quoi proposer des concerts juke-box. Douze valeureuses chansons écrites avec une inspiration puissante, une simplicité de ton qui invite chacun de quitter son champ et de rejoindre la party. JJ Grey & Mofro jouent comme un vieux groupe, mais un qui tente la rédemption après chaque refrain. Les citadins de la grande ville finissent invités, eux aussi. Everything is a Song secoue avec la fièvre des hommes de la terre, puis on gagne peu à peu l'apesanteur, au fur et à mesure que tout le beau monde rejoint (Luther Dickinson, des North Mississippi Allstars et Black Crowes, ou Derek Trucks) Leurs forces se rangent derrière la vitalité de Brave Lil' Fighter ou Tic Tac Toe et des ballades ou la voix rutile par dessus les cuivres, Light a Candle et Home in the Sky.

vendredi 10 avril 2015

JJ GREY & MOFRO - OL'GLORY (2015)




OO
groovy, funky
blues rock, funk, soul, country rock

C'est un de ces grands albums entre potes qui regardent effrontément vers le soleil. Parcourus d'un énorme groove funk, de soul bien léchée, de rock n' roll gallinacé à soli droit sorti des seventies, de country rock, pour que jamais la machine ne s'essouffle. De quoi proposer des concerts juke-box. 
On a beau se trouver en Floride, pour une fois, c'est un musicien humble et chaleureux, frappé par la patte funk du chanteur country Jerry Reed, par Otis Redding et par l'ombre inévitable du Lynyrd Skynyrd d'avant le dérapage. "Je viens d'une famille de la vieille école, très typique du sud, confie t-il au magazine Soul Bag. "Là ou j'ai grandi, c'était moitié blanc, moitié noir, sans "minorité". Ma famille et un drôle de mélange." Il grandit au milieu des exploitations de poulets.
Douze valeureuses chansons écrites avec une inspiration puissante, une simplicité de ton qui invite chacun de quitter son champ et de rejoindre la party. JJ Grey & Mofro jouent comme un vieux groupe, mais un qui tente la rédemption après chaque refrain. Les citadins de la grande ville finissent invités, eux aussi. Everything is a Song secoue avec la fièvre des hommes de la terre, puis on gagne peu à peu l'apesanteur, au fur et à mesure que tout le beau monde rejoint (Luther Dickinson,des North Mississippi Allstars et Black Crowes, ou Derek Trucks, des superstars du sud Tedeshi-Trucks Band dont JJ GREY mérite de partager le succès. Leurs forces se rangent derrière la vitalité de Brave Lil' Fighter ou Tic Tac Toe et des ballades ou la voix rutile par dessus les cuivres, Light a Candle  et Home in the Sky. 

jeudi 10 avril 2014

SHEMEKIA COPELAND - Never Going Back (2009)



OO
groovy, communicatif, élégant
blues, funk, rythm and blues

Dans la vie, 'il est toujours trop tard et il est temps'. En tout cas, il n'est jamais 

possible de revenir en arrière.

Shemekia Copeland sait toujours attirer votre attention avec une classe 

qui ne perd pas de son mordant depuis 1998 et la parution de Turn The Heat Up. 

Elle n’enregistre pas seulement des

 albums pleins de style, mais aussi d’humanisme. Plus trivialement, des disques que vous 

gardez dans votre lecteur mp3 et que vous réécoutez à chaque fois que vous êtes d’humeur à 

vous battre avec un salesman, un politician ou un advocate (celui du Diable, en général) dans 

un corridor aux plafonds hauts. (Important pour l’acoustique, les hauts plafonds). Que vous 

réécoutez quand vous arrivez au bout de votre journée, de votre contrat, quand il s’agit de 

supporter des gens qui à l’évidence n’écoutent jamais de blues.  Même sous des abords aussi 

doux que ceux du visage sur cette pochette (et le rendu assez fade qu’elle provoque), c’est une 

musique qui sonde tout de suite votre envie d'en découdre. Tout en vous détendant, avec le 

très ouaté Black Crow ou les funkys Born a Penny et Limousine.

Comme je l’avais remarqué d’abord sur 33 ½, paru en 2012 (et sans doute encore meilleur), 

les chansons vous saisissent, même lorsque votre compréhension de l’américain reste 

limitée ; Copeland a un talent pour décrire les déceptions et les injustices d’une manière 

qui redonne de l’élasticité à la vie toute entière. Il suffit de ne pas se sentir déjà battu 

d’avance.

La grosse claque, ici, c’est la présence de Marc Ribot (Tom Waits…) en guitariste 

providentiel 

pour un boogie (Never Going Back To Memphis) et d’autres morceaux qui remettent les 

penseurs d’opérette (religieux par exemple, sur Big Brand New Religion)  à leur place. 

Cet album n’a sans doute pas de moments aussi dramatiques qu’avant, mais grâce à un 

groupe parfait, le message est mieux soutenu sur l’ensemble de l’album. 

jeudi 27 juin 2013

JAMES COTTON - Cotton Mouth Man (2013)

 
OOO
rugueux, groovy, intemporel
blues, rock n'roll, funk
 
Un album merveilleusement simple et direct : il s’agit de ce vieux blues de Chicago qui est comme propulsé comme par la traction d’une locomotive neuve. Les attaques d’harmonica de James Cotton, 77 ans, sont aiguisées comme jamais. Les notes rugueuses sont parfois prolongées de longues secondes, sur Wrapped Around my Heart par exemple, une ballade poignante interprétée par Ruthie Foster. Cotton ne peut presque plus chanter, et laisse la génération suivante – dont Warren Haynes, dont j’avais remarqué l’album Man in Motion – donner leur plus honnête performances sans que l’intensité ne baisse jamais. Le piano funky donne presque à l’album un esprit de fête.  Vocalement, même si le maître ne se contente que d’introduire une chanson, d’intervenir lorsqu’il est trop question de lui – sur He Was There – et murmurer sur Bonnie Blues, il laisse une impression profonde. Son harmonica est l’artefact ultime de la musique blues ; il jouit autant qu’il travaille, surpasse n’importe quel autre instrument que vous entendrez dans un disque en 2013. Toutes les chansons, même si elles sont basées sur des idées mélodiques bien connues, sont originales, et écrites dans un esprit d’hommage aussi bien à l’homme qu’à la scène qu’il est  l’un des derniers à incarner. Une scène qu’il partageait autrefois avec Muddy Waters et Howlin’ Wolf.

mardi 30 avril 2013

BOUKOU GROOVE - A Lil Boukou in Your Cup (2013)


o
efficace/communicatif/groovy
rythm n' blues/funk/soul

Big D. Perkins est connu pour se laisser complètement aller à sa musique ; il ferme les yeux, renverse la tête, sourit, et dodeline en rythme. Comme son sobriquet l’indique, Big D. Perkins est une montagne, et joue avec la guitare posée sur son ventre, avec une précision et une vitesse que ses doigts épais ne laissaient pas imaginer chez le néophyte. Big D. Perkins se lance parfois dans des solos virtuoses et funky, comme sur Jump Back in Your Pants. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est entrer an interaction avec un clavier, une voix, une batterie, faire des ‘fills’ - du remplissage mais le meilleur au monde. Dans un environnement de rythmes enlevés, sensuels ou festifs, Perkins et Boukou Groove nous rappellent la bizarrerie qu'a dite Jon Cleary ; la musique de la Nouvelle Orléans a porté la syncope à une autre niveau que chez Chopin ou Bach. Perkins accompagne par ailleurs Cleary au sein des Absolute Monster Gentlemen.
Là-dessus, il est rare d’avoir un chanteur de la classe de Donnie Sundal : une voix soul, un virtuose et un amoureux de chansons. De celles qui transmettent non seulement la tradition mais l’état d’esprit de la Nouvelle Orléans ; sans dévotion excessive mais avec une ferveur qui rend sa présence très physique, électrique. Monté en octobre 2010, Boukou Groove est son projet en collaboration avec Big D. Perkins. Quand au batteur, il suffit à Sundal de choisir tour à tour entre Jeffery Jellybean Alexander, Raymond Weber (aperçu avec Dr John, Terence Higgins (extraordinaire, il accompagnait Jon Cleary lors de son passage au Duc des Lombards à Paris et joue avec le Dirty Dozen Brass Band), Jeff Mills, ou encore Jimmy Hill Jr.
Une version de Stay Broke de sept minutes, visible sur You Tube, atteste de la puissance de Sundal et de la virtuosité de Perkins. Cette chanson, avec son refrain « It take a lot of money/to stay broke » montre d'ailleurs qu'il ne s'agit pas que jams ou de vénérer le funk de Sly Stone et George Clinton, mais d'écrire des textes poignants et d'enregistrer de véritables chansons.

mardi 30 octobre 2012

Having Fun With the Songs of Allen Toussaint - un article New Orleans sur Jon Cleary, son nouvel album et Allen Toussaint





Parution : juillet 2012
Label : FHQ Records
Genre : Rythm and Blues, Funk, Soul
A écouter : Let's Get Low Down, Viva la Money
OO
Qualités : Communicatif, entraînant, poignant

« Pour être honnête, la véritable essence de la Nouvelle-Orléans est une chose intangible ; elle n'apparaît ni à travers des images, ni dans beaucoup d'enregistrements. Rien ne vaut le fait de se trouver  là-bas pour de vrai», remarque Jon Cleary, à propos de Treme, la série TV de la chaîne américaine HBO qui documente la vitalité et la singularité de celle qu'on surnomme The Big Easy ou NOLA. Son avis sur la question est l'un des plus intéressants que vous puissiez recueillir. En quelques années, Jon Cleary s'est imposé en Europe et ailleurs comme un ambassadeur de la Nouvelle-Orléans, capable d'une grande considération et affection. Britannique d'origine et adopté par la ville, il étude les us et coutumes locaux depuis 20 ans, et aime les raconter avec pédagogie, ce que sa musique virtuose prolonge à la perfection.
Ses albums et ses concerts récents ont cimenté sa réputation d'être l'un des plus brillants musiciens, et tout particulièrement pianistes, en provenance d'une ville à qui l'ont doit quasiment l'invention du piano jazz. Il n'est pas né de la dernière pluie : sa carrière discographique a démarré en 1994 avec le très imagé Alligator Lips & Dirty Rice, et il a la cinquantaine grisonnante. J'ai pu assister à l'un des concerts qu'il donnait en trio au Duc des Lombards à Paris. Son plus grand souci a été de transporter ce club plutôt chic du premier arrondissement dans le quartier français de la Nouvelle-Orléans, jouant tôt dans le set une version de Mardi Gras in New Orleans délicieusement proche de celle de Professor Longhair qui figure sur l'extraordinaire Rock n' Roll Gumbo (1974), et qui est prise à parti par la famille Bernette dans la série Treme. Ce ne sont pas les seuls, mais les Bernette considèrent cette chanson comme l'hymne officiel de la Nouvelle-Orléans, et la passent traditionnellement en préparant leur déguisement le jour du carnaval annuel.
« Having Fun With the Songs of Allen Toussaint », c'est ainsi que Jon Cleary a défini le contenu de son nouvel album, Occapella (2012), dont toutes les chansons sont d'Allen Toussaint – ou bien, pour une vieille histoire de copyright, attribuées à la mère de celui-ci, Naomi Neville. Plutôt qu''hommage à Allen Toussaint', une formulation qu'il trouve ringardisée. Les chansons choisies pour figurer sur Occapella assez connues des amateurs de rythm and blues et révérées des amoureux de la musique locale. Ces chansons ont été systématiquement popularisées non par Toussaint mais par une impressionnante galerie de stars de la soul, de funk, de rythm and blues ou même du disco, une armada de vedettes américaines provenant de toutes les époques qui ont succédé à leur création originale par Toussaint. A cette liste vient s’ajouter, en toute humilité, Jon Cleary avec Occapella.
Pourquoi Allen Toussaint ? Qui est t-il ? Un noir américain, l’un des plus grands producteurs, arrangeurs, compositeurs de bonnes vibrations que puisse abriter la ville depuis 1965 au moins. « Mon manager a suggéré que je considère différentes idées pour un nouveau disque, et l’une d’entre elles était de trouver un thème commun qui relie les chansons entre elles, d’avoir un concept pour l’album ; il a suggéré que je rejoue les chansons d’un interprète que j’aimais, et l’idée d’une collection de chansons d’Allen Toussaint est la première chose qui m’est passée par la tête. J’ai décidé de commencer avec un arrangement a cappella d’une chanson justement appelée Occapella, et celle-ci a entraîné les autres. Chaque chanson a une approche et style différent pour démontrer la diversité des ses chansons. »
Allen Toussaint est auteur de chansons, mais c’est aussi un arrangeur hors pair, et Cleary le sait. Les chansons sur Occapella font fleurir de nouveau toute la palette que couvre habituellement la musique de Toussaint, sans chercher à tout prix à sonner contemporain. « J’ai aussi décidé que je jouerais la plupart des instruments, ce qui allait donner à l’album son propre style distinct ». Allen Toussaint le dit lui-même : « On met beaucoup de choses autour de l’artiste, mais le disque doit venir, avant tout, de l’artiste. »
Exceptionellement, Jon Cleary n'est donc pas accompagné de son excellent groupe, The Absolute Monster Gentlemen. Même s’il joue sur l’album guitare, basse ou batterie, le piano reste l’instrument de prédilection de Jon Cleary. « Techniquement, c’est un instrument de percussion, qui permet de rythmer le morceau, ce qui est très important pour jouer du funk, surtout quand je joue en solo. Avec le piano vous pouvez vous permettre le luxe d’émuler un groupe entier. Vous pouvez situer le rythme, composer vos accords avec la main gauche comme avec une guitare tandis qu’avec la droite vous embellissez comme avec des cuivres.» Le piano est à la Nouvelle-Orléans, sous toutes ses formes - à queue, droit, bastringue, d'épinette, clavier funk, etc. - l'instrument noble par excellence, en concurrence avec la trompette qui évoque aussitôt Louis Armstrong. Basses et guitares sont souvent le fait d'artisans de l'ombre extrêmement talentueux, comme c'est le cas de Derwin "Big D" Perkins et de Cornell C. Williams au sein des Absolute Monster Gentlemen.  

Soul, funk, rythm and blues, grooves de second lines, jazz et même reggae se mêlent, l’inventivité des arrangements répondant au génie original de Toussaint, que ce soit pour les textes, pour les mélodies, pour les harmonies. Ce que Jon Cleary voulait retrouver en rejouant Toussaint en concert dans plusieurs pays du monde, c’était  le plaisir, l'entrain communicatif propre à cette musique multiple, au travers de chansons aux émotions riches et profondes. Retrouver la pédagogie d'un professeur face aux élèves que nous sommes, dans la classe la plus excitante qui se puisse imaginer. La meilleure façon d'enseigner, c'est connu, est de jouer.
La pédagogie, c’est un élément que Toussaint lui-même met au cœur de son travail lorsqu’il accompagne de jeunes groupes et produit des albums sur son propre label, NYNO. « Ne vous arrêtez jamais d’écrire. Mettez-vous en situation de puiser votre inspiration dans n’importe quelle circonstance. Vous traverserez des périodes dures où vous serez oublié, ne perdez pas la foi. » Il sait de quoi il parle, certaines de ses compositions les plus bouleversantes se trouvent sur des albums qui n’ont jamais été réédités – sans parler de l’épreuve qu’a constitué, encore récemment, Katrina, dévastant son studio néo-orléanais. Cleary renchérit : « On pourrait presque dire que plus vous avez de talent, et moins vous aurez de chance de réussir. »
Une affirmation à prendre davantage comme sur une réflexion sur l’attitude d’Allen Toussaint, qui préférera toujours rester en retrait de la scène et mettre son talent éblouissant au service des autres. La réussite se mesure alors autrement que sur la quantité d’albums vendus, car il est vrai que Toussaint n’a pas vendu énormément ses propres productions. C’est pourtant une situation confortable qui l’a finalement protégé de bien des désagréments. "Etre un musicien professionnel, avertit Cleary, c’est s’occuper de problèmes divers, et il peut être difficile de séparer le business de la pratique musicale." Toussaint y est sans doute parvenu et son talent est demeuré intact depuis plus de cinquante ans.

Le pouvoir endurant de ces chansons vient de ce qu'elles allient une multitude de saveurs musicales, tout en gardant le blues de Mississipppi tapi dans leurs veines, dans les récits qui les parcourent, comme une matière spirituelle.

Quant à Cleary, entre deux de ces monuments d’émotion et de joie tout en retenue et en bonne humeur, il prendra plaisir à nous expliquer ce qu’est une second line dans les défilés de la Nouvelle-Orléans. Ce sont les gens parfois costumés qui soutiennent les parades de rue et y participent à leur manière, en jouant des percussions par exemple, dont certains rythmes spécifiques à la caisse claire. Ces spectacles populaires trouveraient leurs origines dans les danses ouest-africaines... Cleary le raconte avec la conviction de quelqu’un qui sait que cette musique des rues a toutes les qualités – spiritualité, insouciance, indépendance - pour inspirer de nouvelles générations et leur donner la force de continuer dans leur passion malgré les difficultés que ces artistes peuvent rencontrer au début de leur carrière. Où qu’il joue, quel que soit son public, Cleary est un passeur.
Il y a des chansons qui semblent se dresser dans l’air, donner  la mesure d'un autre temps, alléger votre cœur et même flatter vos sens si vous avez la chance de vous retrouver là où elles sont jouées. De telles chansons vous donnent envie de les traquer jusqu’à leur origine. C’était le cas lorsque l’incroyable Jon Cleary a joué What do You Want The Girl To Do au Duc des Lombards. Cette ballade interprétée au piano est remarquable par sa générosité harmonique et sa langueur qui tire sur la soul des années 70, un registre vocal dans lequel Cleary est particulièrement à l'aise. C'est une chanson particulièrement touchante.

Tu penses que cette fille est folle
Elle gobe tous tes mensonges comme si c’était bon
Elle ne pleure même pas
Elle n’est pas folle
Elle essaie juste d’obéir à son cœur
De t’aimer

Elle a été rejouée des centaines de fois, par les plus grands interprètes. Comme Who’s Gonna Help my Brother Get Further ? Comme Everything i do Gonh Be Funky, Get Out of my Life Woman, Going Down Slowly, Yes We Can Can, Southern Nights, Let’s Get Low Down et bien d’autres. Trio rythm and blues des années 1970, les Pointed Sisters sont l’un des plus beaux succès parmi les innombrables artistes qui ont réinterprété les pièces d'un répertoire entamant sa sixième décennie. Il y a eu aussi notamment Lowell George, Robert Palmer ou Lee Dorsey. Glen Campbell a par exemple transformé la version originale, rêveuse, de Southern Nights en chanson country de saloon, entraînante.
Peut-être le pouvoir endurant de ces chansons vient t-il de ce qu'elles allient une multitude de saveurs musicales, tout en gardant le blues de Mississipppi tapi dans leurs veines, dans les récits qui les parcourent, comme une matière spirituelle. Le Mississippi descend chargé de cette matière à travers la Louisiane jusqu'à la Nouvelle-Orléans, après tout ; et se déverse dans un grand océan qui n'a de limites que le monde.

La grâce d’Allen Toussaint et de ses chansons se trouve au delà d’un question de style, de genre musical : c’est avant tout l’affaire de l’élégance de l’interprète et de la force du lien affectif qui le relie à son public. Comme le dit Cleary : « Toussaint incarne tout ce que l’on ressent dans cette ville». Ces chansons racontent bien entendu des histoires, mais elles s’adressent à vos cœurs et vous font prendre de passion pour le processus qui les a menées à bien, vous donnent goût à explorer la magie de leur conception. On retrouve bien évidemment ce plaisir d’écoute au cœur des meilleurs albums d’Allen Toussaint – Life, Love and Faith (1972) et Southern Nights (1975) comme les plus récents The River in Reverse (2006, avec Elvies Costello) et The Bright Mississippi (2009).
C’est ce que reproduit, aussi, Jon Cleary avec Occapella : une envie d’aller dans le giron des chansons, de remonter à leur origine.

dimanche 7 octobre 2012

Lee Dorsey


 
 
Tout au long de son disque le plus consistant, et l’un des meilleurs albums de soul des années 70, Yes We Can (1970), il est facile de voir pourquoi le sémillant Lee Dorsey a tapé dans l’œil du producteur fétiche à la nouvelle orléans des années 60 et 70, Allen Toussaint. Dorsey, disparu en 1986, savait donner aux compositions – de Toussaint pour la plupart – l’humour et l’élégance qui leur revenait, prouvant par la diversité des humeurs et des styles qu’il était un grand chanteur.   
Né en 1924 à la Nouvelle-Orléans, le noir américain Dorsey commença une carrière dans la boxe après avoir déménagé à Portland, sous le nom de Kid Chocolate. Il raccrocha les gants en 1955 pour ouvrir une salle de sport. C’est le soir après le travail que commença sa carrière de chanteur, qui l’amena à enregistrer de nombreux simples, pour la plupart sans conséquence, pour différents labels. Enfin, il signa en 1961 avec le label Fury et entra en studio avec Allen Toussaint pour la première fois. La relation entre les deux hommes allait être, de part et d’autre, la plus fructueuse – les titres écrits pour Lee Dorsey, tels Help my Brother Get Further ou Yes We Can, étant parmi les meilleurs dus à Toussaint. Génie du divertissement, Lee Dorsey privilégie la légèreté avec Ya Ya, qui devient son premier hit national et atteint la première place des charts R&B. Les paroles étaient selon lui inspirées de rimes d’enfants. Ce petit monument à la facilité désarmante ne fut pas évident à reproduire, et les simples suivants ont été oubliés par l’histoire. Il fut bientôt déchu par son label.
Allen Toussaint avait beaucoup aimé la voix de Lee Dorsey, et le garda à l’esprit, ce qui finit par payer en 1965 alors que Dorsey avait signé chez Amy Records. Cette époque de sa carrière reste la plus connue des amateurs de musique néo-orléanaise. Dorsey commença par enregistrer le simple Ride Your Pony, qui relança sa carrière, puis produisit avec Toussaint et les Meters The New Lee Dorsey en 1966, contenant sa chanson la plus connue, Working in a Coalmine, qu’il co-écrivit avec Toussaint. La chanson fut tellement bien incarnée par Dorsey qu’elle devint sa signature. Toussaint, qui recherchait manifestement des interprètes suffisamment bons pour s’éclipser derrière eux, avait visé juste. Ces titres sixties avec Amy Records, privilégiés par les radios seront largement réédités, au détriment de ceux présents sur les deux disques à suivre dans les années 70. Dans la tournée internationale qui suivit, Dorsey était accompagné des Meters, qui seront, sur le disque à suivre, au sommet de leur carrière.
L’excellent Yes we Can, en 1970, marquera un arrêt dans la carrière de Dorsey. Allen Toussaint n’a jamais été aussi bon, entre la soul de When the Bill’s Paid, comme taillé pour Stax, la gemme funk Gator Tail, ou le dépoussiérage du style de Dorsey pour Amy Records sur O Me-O, My-O et Sneakin’ Through the Alley, et aussi, surtout, la protestation sociale sur Who’s Gonna Help my Brother get Further ? C’est la rencontre de deux esprits parfaitement conscients de ce qu’ils font et de la direction à prendre. L’amusant sketch final, Would You, met en valeur les qualités de Dorsey, utilisant au fond les problèmes sociaux pour monter avec un partenaire, sur le vif, des gags narratifs. Quant à l’entêtant morceau titre, scindé en deux parties sur le disque, plus tard repris en campagne par Barack Obama en 2008, il n’avait, selon Toussaint, pas du tout été pensé en ces termes à sa création, touchant plutôt à la sphère personnelle de son auteur ; il fut néanmoins enchanté par l’utilisation qui allait en être faite.
Dorsey ne reprendra vraiment sa carrière qu’en 1977, avec Night People, qui ne rencontra pas de succès malgré de bonnes critiques. Yes We Can et Night People seront réédités en tandem, l’intérêt étant surtout de pouvoir retrouver le premier dans le commerce. Il accompagnera en tournée James Brown, Jerry Lee Lewis ou The Clash. Son succès d’estime a été considérable, avec Ike & Tina Turner ou John Lennon reprenant l’enfantin Ya Ya, tandis que Working in the Coalmine était passé à la moulinette new wave par Devo ; ou encore les emprunts de Everything I Do Gonh Be Funky (From Now On) par les jazzmen Lou Donaldson et récemment par Jon Cleary, ou de Yes we Can par les Pointed Sisters.
Wheeling and Dealin’ : the Definitive Collection, paru en 1997, reste la compilation de référence concernant les simples de Lee Dorsey. En sont exclus certains de ces morceaux les plus tardifs (ceux que l’on trouvera sur ses deux albums) mais les 20, morceaux qui restent sont tous des classiques ; Ya Ya, Do-Re-Mi, Ride Your Pony, Get Out of My Life Woman, Working in a Coalmine, Holy Cow, Everything I Do Gonh Be Funky (From Now On) ainsi que des titres moins connus mais aussi bons comme Confusion, Can You Hear Me, et My Old Car.
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