Voir aussi la chronique de The King Of Limbs (2011)
L’angoisse et la faiblesse face à l’adversité sont un moteur créatif dans la musique de Radiohead. Parce qu’ils étaient réellement faibles, à leur débuts ; un peu perdus ; parce que leur parcours incroyable leur a fait garder la tête froide sur le peu de différence entre percer et rester le plus triste et ridicule inconnu. Longtemps, ils n’ont pas cru qu’ils l’avaient fait : devenir célèbres. En imitant quelque peu Nirvana ou U2, mais quand même. C’est pour le reste, tout le reste qu’on les adorait. La septième piste de OK Computer (1997) ou les rafales de guitares dissonantes sur le refrain de My Iron Lung (1995)… Une aventure musicale et mentale. Lorsque Thom Yorke, lors d’un temps mort du groupe le plus cool de la planète (puisqu’il parlaient même d’arrêter de jouer ensemble, au détour de Hail To the Thief (2003)), lorsque Thom Yorke donc décide de se prêter à l’exercice de l’album « solo », c’est encore ces sentiments de fragilité excessive qui transparaissent. Alors que pourtant il est maintenant au sommet du monde (ou presque, car c’est avec In Rainbows, si l’on veut).
Parution : juillet 2006
Label : XL Recordings
Genre : Electro
A écouter : The Clock, Black Swan, Harrodown Hill
L’angoisse et la faiblesse face à l’adversité sont un moteur créatif dans la musique de Radiohead. Parce qu’ils étaient réellement faibles, à leur débuts ; un peu perdus ; parce que leur parcours incroyable leur a fait garder la tête froide sur le peu de différence entre percer et rester le plus triste et ridicule inconnu. Longtemps, ils n’ont pas cru qu’ils l’avaient fait : devenir célèbres. En imitant quelque peu Nirvana ou U2, mais quand même. C’est pour le reste, tout le reste qu’on les adorait. La septième piste de OK Computer (1997) ou les rafales de guitares dissonantes sur le refrain de My Iron Lung (1995)… Une aventure musicale et mentale. Lorsque Thom Yorke, lors d’un temps mort du groupe le plus cool de la planète (puisqu’il parlaient même d’arrêter de jouer ensemble, au détour de Hail To the Thief (2003)), lorsque Thom Yorke donc décide de se prêter à l’exercice de l’album « solo », c’est encore ces sentiments de fragilité excessive qui transparaissent. Alors que pourtant il est maintenant au sommet du monde (ou presque, car c’est avec In Rainbows, si l’on veut).
Qu’écoute Thom lorsque il se met à façonner cet album ? Des « blips », de la musique électronique, des « grooves »… De l’instrumental, moins de chansons ; Dinosaur JR. et autres R.E.M. sont partis donner de l’inspiration ailleurs. Il y a Modeselektor, aussi, projet allemand auquel Thom a prêté sa voix pour un morceau excellent, The White Flash (We have all the time…). La musique va être issue de rythmes de laptop, de bidouillages accumulés depuis le début des années 2000 et redécouverts par Thom et l'ingé son Nigel Godrich. Le « sixième membre de Radiohead » est ici extrêmement présent, si bien qu’on peut se demander s’il s’agit bien d’un projet vraiment solo.
Quelques uns des bruits synthétiques fabriqués par Godrich nous évoquent aussitôt entendus les embouteillages de la pochette de Ok... et cette angoisse d’être petit, d’être « a creep », et aussitôt l’oeuil perdu de Yorke réapparait, avec ce sourire énigmatique. Cette tête de pioche qui se noie dans son scaphandre, tout en aillant l’air heureux. Ces bruits sont ceux de la ville, la civilisation à laquelle on tente de se raccrocher. Elle est personnalisée ; c’est Londres, nous dit la pochette – dessin du bien trouvé Stanley Donwood qui épouse à merveille le propos ; schizophrénie, esprit balayé par les appels lumineux comme par des vagues de tempête. Monde qui passe, défile, se laisse emporter, refloue le sentiment. L’électronique est tout cela ; introvertie, aride ; mais parfois, cette observation du temps qui s’enfuit laisse place à un beau lyrisme, ou, surtout, à la mélancolie. La mélancolie est un sentiment que Yorke maîtrise depuis longtemps, il sait où elle l’amène. Il lui semble par ailleurs impossible d’être en colère, même s’il est pris entre deux feux et que les voitures lui roulent sur les pieds.
Le premier morceau est un bel exemple de stoïcisme « Yorkien » ou faux calme sous lequel couve l’excitation. Sit Down/ Stand Up est un sommet pour qui veut élucider le mystère psychique derrière la musique de Radiohead, mystère restitué partiellement ici. Il est là question d’effacement, de disparition, message mis en valeur par le jeu de piano de Jonny Greenwood qui ressemble à des signaux en Morse sur The Eraser. Comme s’il s’agissait de poster un télégramme.
Après cette mise en bouche quelque peu rêche, s’alternent et s’entremêlent différentes ambiances. La plus surprenante est sans doute fournie par le couple Black Swan / Skip Divided. La première a un groove rampant, aliénant. Elle est bien assez longue pour que l’on se transforme complètement en autre chose, et Thom, sans doute toujours le sourire aux lèvres, a dû le deviner en y creusant. L’osmose n’était pas évidente. Ce sentiment de peu d'évidence revient souvent au cours du disque, dont le matériau de base, il ne faut l’oublier, c’est trois notes de guitare ici et trois autres là. Skip divided est une plongée intime et étouffante. Ce chuchotement grave de chant est, somme toute, juste un nouveau jeu, de ceux qui seraient ailleurs horriblement narcissiques. Mais nous laissons tous les voitures rouler sur nos pieds. The Eraser apparaît, au travers de ces trois morceaux, sans prétention lyrique. Atoms For Peace, The Clock et And It Rained All Night confortent cette idée. Atoms For Peace est une autre “provocation” atone comme pouvait l’être le morceau Kid A (2000), sur lequel Thom exultait en live, devant tant de ce ce nihilisme joyeux dont il a le secret. And It Rained All Night introduit dans le disque le survoltage maladif de Idioteque. Et s’imbrique à merveille.
And It Rained All Night ou The Clock apparaissent comme balayées par un tourbillon alors que souvent, ailleurs, c’est la sensation d’étouffement qui prend le dessus. De ce côté-là, Godrich fait des merveilles sur Black Swan, Atoms… ou Skip Divided. Tous les morceaux, à leur manière sont plus riches que ce que l’on peut d’abord pressentir. Le jeu est de deviner combien de pistes contient The Clock, avec une mention spéciale à la percussion en bois. Véritables instruments se mêlent aux rythmes électroniques, produisent la dynamique.
L’ambition lyrique est ailleurs plus manifeste ; Analyse, Harrowdown Hill et Cymbal Rush font la part belle aux claviers qui progressent comme un brouillard d’automne dans la nuit de la capitale anglaise. Ces trois morceaux semblent s’élever en volutes au-dessus de l’agitation générale, dans le havre d’un ciel cependant envahit d’autres menaces. La liberté semble être retrouvée juste alors que le souvenir d’une mort inévitable frappe notre pauvre Thom quarantenaire. Cymbal Rush, son « morceau préféré », conclut cette méditation par une extraordinaire mélancolie.
Label : XL Recordings
Genre : Electro
A écouter : The Clock, Black Swan, Harrodown Hill
8/10
Qualités : Anxiogène, soigné, poignant, audacieux
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire