Parution | 1992 |
Label | Sub Pop |
Genre | Rock |
A écouter | Turn On the Water, Conjure me |
/10 | 7.25 |
Qualités | intense, sensuel, sensible |
Il manquait à Up In it (1990), le second album des Afghan Whigs (le nom était une idée du bassiste John Curley) le sens du drame et des dynamiques qui va presque complètement éclore avec Congregation (1992). Avec leur troisième album, pour lequel le groupe fut signé par Sub Pop (ils resteront fameux pour être le premier groupe hors de Seattle à avoir été attrapé au col par les découvreurs de Nirvana), déballe avec fracas l’histoire d’une formation qui trouve son bord identitaire, ses extrêmes, sa maturité et qui ne sera plus comparée à The Replacements, à Johnny Thunder ou aux Stooges tout en souffrant de cette comparaison. Musicalement, bien que les Afghan Whigs fassent assez ostensiblement partie de la vague grunge dont le public semblait insatiable jusqu’au milieu des années 1990, ils vouaient un respect rare au rythm and blues, dont ils empruntaient les grooves et les couplant de rock énergique – deux guitares entremêlées et indissociables. Greg Dulli admirait en outre les chanteurs soul de l’âge d'or Stax et Motown, bien que, faisant preuve de réalisme, il ne cherchât pas à se mesurer à eux (s’il l’avait fait, sa carrière aurait été beaucoup moins créative).
La personnalité et les textes au romantisme extrême de Greg Dulli, chanteur et guitariste rythmique du groupe, et l’une des figures les plus charismatiques du rock de ces 20 dernières années, ont échoué à faire de son groupe un phénomène mondial comme l’ont été Pearl Jam, les Smashing Pumpkins et évidemment Nirvana. Pourtant, ces ingrédients ont fait des Afghan Whigs une expérience unique. Si de nombreux disques du genre – ceux de Mudhoney par exemple – s’épuisent au bout de quelques écoutes, Congregation et les prochains disques des Whigs révèlent toujours une nouvelle source d’intérêt, largement tributaire de l’abyme d’apitoiement et de dépréciation qu’ouvre Dulli sans remords ni lassitude, et de manière répétée, dans chaque titre.
Le chanteur inlassable, songwriter inspiré (qui continue aujourd’hui au sein des Twilight Singers) est l’œil d’une tornade émotionnelle qui pourrait tourner au nombrilisme mais se rapproche plus finalement du don de soi – avec une pointe de cynisme. Il est entre prédateur et proie. Ses doutes et ses provocations sont une forme de partage, une rebuffade de mâle dominant mais néanmoins au cœur plus fragile qu’il n’y paraît. Sur Congregation, l’attitude de Dulli soutient encore la comparaison avec l’esprit naïf et adolescent propre au genre musical qu’on les voyait déjà terrasser à force de caresses létales, le grunge. On détecte cependant les marques qui vont faire du chanteur des Afghan Whigs une figure importante. Dulli explore l’amour insalubre, les séparations douloureuses – on sentirait presque un mal physique à l’écoute de certaines chansons - mais plus consciencieusement que beaucoup de ses contemporains, et surtout avec plus de force. Congregation a cependant, par moments, des airs de célébration (phénomène peut-être expliqué par la voix à la justesse approximative de Dulli, pouvant faire passer son désespoir pour de l’enthousiasme). L’émotion est immédiate, ce qui n’empêche pas une certaine ambivalence.
Le trio d’entrée, I'm Her Slave, Turn On The Water et Conjure Me (qui profite d’un clip un peu morbide) atteint une intensité que le disque reproduira par la suite avec davantage d’atermoiements. C’est guitares dévastatrices et chant des plus énergiques – et c’est encore mieux en live. Le venin et la ferveur dont sont envahis ces titres les mettent d’emblée parmi les meilleurs enregistrés par le groupe.
Outre l’amour et les femmes, les thèmes du disque portent aussi sur la religion. Dans le morceau titre, Dulli joue le rôle de Dieu : « I am your creator/Come with me my congregation” tandis que The Temple oppose Jesus à une foule assez crasse qui évoque bizarrement du System of a Down avant l’heure. Miles Iz Ded, qui clôt le disque, est aussi à écouter avec attention. La plus grande victoire des Afghan Whigs n’est pas commerciale, mais c’est qu’on continue à écouter et à redécouvrir Congregation aujourd’hui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire