“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

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Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

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mardi 5 décembre 2017

WATERMELON SLIM - Golden Boy (2017)




OO
communicatif, élégant, original
blues


Watermelon Slim a enregistré cet album comme une lettre d’amour au Canada. Invité en 2003 à jouer à Toronto, ce pays lui a beaucoup donné, dans la dernière partie de sa carrière. Lui aussi, comme Smoky Tiger, joue d’une ouverture sur le monde manifeste, comme un sport de combat. Si on y combine son feeling de vétéran de la guitare slide, et sa voix de basse dont il explore toutes les possibilités, évoquant un peu Captain Beefheart dans certaines intonations, c’est une vraie magie.

On débute avec le très rock n’ roll Pick Up My Guidon, et on finit par côtoyer les esprits en entonnant des chants rituels... Scott Nolan, figure de la scène folk de Winnipeg, a apporté une tranche de tendresse, Cabbagetown, et plein de bonnes vibrations à l’album. «Musiciens et vocalistes ( je n’en connaissais que quelques uns auparavant) m’ont fait participer à une expérience nouvelle pour moi de communauté musicale en studio. » témoigne Slim dans les notes de l’album.

Ce sentiment communautaire est aussi nourri par la participation de représentants de peuples natifs canadiens. La production est riche en tours de passe-passe, l’originalité étant cette décision de mettre en avant la voix, le révélant un personnage medium capable de canaliser la danse des nuits et des jours, le passé et le présent avec une sensibilité pour le travailleur, l’explorateur, le militant de la liberté des peuples. L’inventivité des arrangements ne fait pas oublier qu’ils sont au service d’un grand partage. Watermelon Slim apparaît, dans les photos accompagnant le disque, comme un parleur de rue, toujours micro en main. Une personnalité atypique, refusant de s’incliner dans le sillage des héros. Les mots puissants, les histoires vécues peuvent donner le change, et aussi Barrett’s Privateers, le chant viril Irlandais maintes fois repris depuis qu’il fut enregistré par Stan Rogers, entre autres par Smoky Tiger. Dark Genius, qui évoque les ombres totémiques de dirigeants politiques, culmine sur cette phrase : « He was a dark, dark genius/And i’ll probably just end like him some day ». Pas de fausse modestie, mais une majesté méritée pour un homme prenant le parti de la générosité et de la sincérité totale dans tous les aspects de cet album.

dimanche 26 novembre 2017

NATASHA AGRAMA - The Heart of Infinite Change (2017)




O
élégant, frais, soigné
Jazz, fusion


Parmi les moments de magie musicale sur The Heart of Infinite Change figurent l'apparition de Austin Peralta, dont ce fut les dernières sessions. Son âme seventies, sa révérence pour le piano Rhodes mâtine l'album, d'entrée, d'un halo saint. Il est retrouvé à l'âge de 22 ans, ayant succombé d'une pneumonie aggravée par l'alcool et les drogues. Les vétérans George Duke (Piano, claviers) et Stanley Clarke (le beau-père d'Agrama) à la basse rejoignent l'album dans un ballet suggérant le déroulé d'un concert, mieux, d'une célébration. Une certaine histoire de Los Angeles, à travers des lieux de passion qui ont servi de cadre pour l'album. A qui le confier, sinon à Gerry Brown, connu pour son travail avec Prince, Marvin Gaye, Wayne Shorter, Earth Wind & Fire...

Le lien entre Natasha Agrama et Austin Peralta, c'est Thundercat. Sa basse ondoie dans les deux premiers morceaux de l'album, donnant aux dehors plus frêles de la composition de Joe Henderson, Black Narcissus, un côté rutilant sur lequel a voix de Natasha Agrama vient apporter son contrepoint léger et virevoltant. C'est l'exercice de ce premier album étonnant et scotchant : convoquer certains des favoris du jazz du XXème siècle, Mingus, Ellington, ou l'incomparable saxophoniste Joe Henderson, et compléter leur musique par du chant. Parfois simple plaisir de lyrisme, le chant peut aussi évoquer les souvenirs de ces artistes hors normes et dessiner un certain sentiment du jazz. Raffiné, singulier, parfois ostracisé, et triomphant, finalement, du fait de son élégance.

Il y a aussi à fêter les 100 du premier morceau de jazz enregistré. L'humilité, la dévotion de cette musique spirituelle et connectée à la soul music et certaines choses des plus contemporaines. Agrama ne choisit pas entre le monde d'hier et celui d'aujourd'hui. Elle projette de son mieux une personnalité soulful, même si c'est pour son don du phrasé, les acrobaties de sa voix qu'on la trouve réellement vibrante.

Belle histoire que celle qui l'a conduite à cet album. Alors qu'elle se destinait aux arts visuels, elle se mit à écrire sans en informer personne, et développa son sentiment musical lors d'une expérience à Paris, avant de retrouver les États-Unis transformée par sa nouvelle vocation. Encore intimidée par les génies du jazz, elle a rejoint à Los Angeles les derniers tenants du titre, participant aux chœurs sur The Epic de Kamashi Washington, et le conviant à ses côtés pour sa propre musique. C'est de cette affirmation musicale qu'il est question dans l'album. Briser l'armure pour s'apprêter à donner et recevoir à travers la musique. Les musiciens l'entourant semblent presque trop bienveillants avec elle dans leur perfection.

Un autre participation très en phase avec l'univers de Natasha Agrama, c'est celle de Bilal, l'expérimentateur lyrique qui mêle les styles sur des albums à fleur de peau. All Matter, tiré de son album Air Tight's Revenge, met en valeur la délicatesse du texte qui explore le sentiment amoureux. Son propre arrangement était résolument soul et moderne, ici, on revient à un contexte plus dépouillé mais qui continue de nous récompenser après plusieurs écoutes, son texte sensuel dans la continuité d'autres choix de l'album, et du questionnement émotionnel d'Agrama.




mercredi 30 août 2017

{archive} THELMA HOUSTON - Sunshower (1969)




OO
orchestral, élégant, romantique
soul, funk, blues


La musique extraordinaire produite par Jimmy Webb semblait déjà, au moment et de sa parution, apparentée aux disques orchestrés, que le rock devait balayer. Si c’est là l’un des travaux les plus éclatants de Jimmy Webb, l’un des plus talentueux et prolifiques auteurs compositeurs des années 60, il n’en reste rien dans les biographies hâtives du net. Pourtant, c’est quand Houston reprend Jumpin Jack Flash qu’on mesure avec quelle complexe élégance l’album supplante le rock de l’époque. La façon dont l’orchestre des cuivres transforme la musique, à chaque apparition, fait de Sunshower un cas unique. On croirait les chansons empruntes d’une grâce sans limites, avec leur émotion explosive. Les premiers albums de Scott Walker paraissent lacustres en comparaison. Thelma Houston combine à l’extraordinaire personnalité des arrangements une voix étourdissante. Revêtue d’une sorte d’une toge aux motifs imprimés, elle apparaît mi-fée mi déesse, assumant parfaitement une apparence entre la fée bouddhiste, et la déesse énergique.

Houston et Webb sont à peine adultes quand paraît cet album. Elle n’est dans le business que depuis 2 ans, et déjà signe avec Capitol. Il écrit toutes les chansons sur Sunshower, une unique source qui valorise leur collaboration. Il faut reconnaître que les textes sont facilement oubliés dans les premières écoutes, tant l’orchestration renverse la perception qu’on se fait habituellement d’une chanson. En d’autre termes, ces chansons paraissent de si petites fictions face au pouvoir total de l’orchestration. Les relations de couple, comment on se perçoit, en sommes-nous au même point dans la vie, désirons nous les mêmes choses, pourrons nous vivre toujours dans les respect l’un de l’autre ? «This is your life/Not just something to do/This is your life/And it’s my life, too » chante t-elle sur This is Your Life.

Cette musique abolit aussitôt les querelles (à tenter chez soi). Si vos querelles dérivent que vos ayez fait une remarque, un comportement misanthrope, passez Sunshower et vous serez pardonné instantanément. C’est sa texture tout en souplesse et si sensorielle, mais aussi le penchant réconciliant de Houston, qui manie la soul, le jazz (Didn’t We), le blues (Cheap Lovin), le rock et le funk en laissant entrevoir combien elle est permissive. Elle sait résister à la tentation de paraître trop affectée, spirituelle, privilégiant faire preuve d’une présence à l chanson qui la plonge au cœur de la musique plutôt que de l’en distinguer.

This is Where i Came démarre à l’orgue, en grande mélancolie, et se termine sur un riff de rock, prouvant que la guitare peut être utilisée de manière aussi excitante dans le rêve idéal de Jimmy Webb que par les Rolling Stones. Et quand il décide de se relier au moment présent, c’est un feu d’artifice de funk et de guitare électrique, tandis que l’orchestre se fait enlevé. Pourtant, l’urgence mimée dans cette chanson n’est qu’une quantité négligeable à l’intérieur de l’album, et Jimmy Webb, incrédule, lui aussi, du résultat, nous rappelle que la musique dont il incarne le pouvoir visionnaire avait un autre objectif sacré : l’urgence de la musique est celle d’être écoutée par le public. « Je vous presse de découvrir Thelma... le plus prodigieux talent que j’aie jamais rencontré » s’extasie t-il dans les notes de pochette. Glen Campbell n’avait pas tout à fait la même énergie, il faut croire.

jeudi 10 août 2017

REAL ESTATE - In Mind (2017)






OO
élégant, apaisé, hypnotique

indie rock

Les membres de ce groupe ont sans doute dans leur vie autant d’événements que la moyenne des gens traversant l'existence dans la banlieue d'une grande ville. Il y a les occasions culturelles et sociales, les naissances, les raisons de se sentir progresser ou au contraire régresser. Même reprendre la vie au stade antérieur est envisagé, comme tout le reste, avec un flegme brillant par Real Estate. « I woke up sunday morning, back where i belong. » chante Matrin Courtney sur Serve the Song avec une léthargie trop familière, tandis que les guitares ondoient dans un gaze puis s'affolent, nous rappelant la promesse du groupe que cet album devait sonner 'différent'. Être père, la belle affaire. Aucun changement, pas même le départ de leur principal guitariste, ne les pousse dans leurs retranchements. Ils gardent leur poste d'observation, au coin de la rue, plus intéressés par les détails anodins et la poésie des silhouettes peuplant coûte que coûte le quotidien. Leur musique irradie d'une forme de chaleur que, parfois, il aimeraient peut-être transformer en menace planant, provoquer une catastrophe et libérer de leur monotonie les formes qui se meuvent mais ne s’arrêtent pas. 

Stained Glass leur fait retrouver leur meilleur vivacité, la mélodie comme habituellement découpée, la batterie ultra précise et bien sentie, que le tempo soit enlevé, comme ici, ou plus lent, d'ailleurs. Le producteur de Beck et Julia Holter a très bien su clarifier à l'extrême le son d'un groupe qui refuse de jouer comme les autres, mais cultive toujours une différence devenant fondamentale vers la cinquième écoute de l'album. On se rend à l'évidence de l'agencement des instruments, qui leur donne ampleur et légèreté. Les paroles sont toujours contemplatives et un peu amères, comme dans l'appréhension de ce que pourrait provoquer un vrai événement. After the Moon est une sorte d'exploit sans effort audible, montrant ce rare groupe capable de sublimer la résignation sans élever la voix. « Daydream the whole night through /Trust me, the moon will abandon you ». In Mind est le fruit d'un labeur évident pour parfaire la cohésion d'ensemble. 

C'est le son d'un groupe ayant compris l'inutilité de lutter contre la conformité des choses, trouvant son salut dans celle-ci. Chaque chanson contient une lumière pour embraser cette monotonie. Peut-être, finalement, le changement climatique viendra à point nommé, quand le problème aura dépassé les faux débats et les discutions de voisinage en rapport avec la météo, et que les choses commenceront à détériorer sérieusement la qualité des relations qu'entretiennent les gens avec leur quotidien estampillé sans histoire, alors Real Estate aura assez subtilement changé pour continuer de rayonner exactement de la même façon. Ils seront demeurés actifs, comme en atteste la qualité hypnotique de leurs chansons. Ils auront se soucier de la nature humaine sans chercher à la départager du sol ou des objets anodins qui l'entourent ; sans chercher à la différencier vainement du terreau de son fléau. Produire des chansons assez vigilantes pour ne pas se laisser surprendre par le monde extérieur, et continuer éternellement. N'est ce pas le l'idéal de tout groupe ? Real Estate s'est installé depuis trois albums et on attend de vérifier à nouveau vers 2019 ou 2020.



samedi 5 août 2017

{archive} DUKE ELLINGTON - Duke Ellington's Far East Suite (1966)



OOO
orchestral, élégant, varié
jazz, brass band



Ce disque de Duke Ellington semble nous parler entièrement de sa propre musique, et non pas de ce qu’elle devient combinée avec celle d’autres grands jazzmen, Louis Armstrong, Max Roach... La carrière très sociale du compositeur a laissé beaucoup de collaborations, mais ce qui est fabuleux sur cet album, c’est d’entendre jouer ‘son’ orchestre comme un seul homme. Et de surcroît, avec une densité préparant la fin de sa carrière. A 60 ans, il inclut beaucoup de formes de jazz dans sa musique, mais ne se voue pas à l’improvisation. Elle est au contraire fondée en un bloc de maîtrise grâcieux. Nourrit des inventions et des riffs de piano du jazz tels que façonnés par les plus grands, il les télescope avec son propre imaginaire, et d’une spontanéité ancrée, capable de servir de témoin pour les dérives à venir. Car sa musique est étudiée, reproduite, elle sert d’ADN à des générations de musiciens, comme celle de Louis Armstrong. A l’échelle d’une vie, mais d’une vie musicale, avec les humeurs que cela suppose. Jazz is not dead, it just smells funny, disait Frank Zappa. Il n’y a qu’un écart de sensibilité entre l’auteur de The Grand Wazoo et Duke Ellington. Les meilleurs compositeurs savent toujours placer les règles de leur côté quand leur musique le nécessite.

On oublie facilement que cet album résulte d’une tournée de Duke Ellington et de son orchestre dans les pays du moyen-orient, à l’exception de Ad Lib On Nippon, une longue exploration tonale composée pour la venue du big band au Japon.

Des thèmes langoureux comme Isfahan ont charmé des amoureux de musique dans des clubs du monde entier. Mais la vivacité de cette musique, on l’imagine remonter une rue de la Nouvelle Orléans, ou de New York, quittant son berceau noir américain, sortant de son lit pour éveiller les sensibilités dans tous les recoins des villes endormies.

Mount Harissa est une autre de ces mélodies très imagées, servant de visa sonore pour Duke Ellington, prouvant qu’où qu’il s’aventure c’est bien lui, sa façon d’être au monde, d’orchestrer. On y retrouve l’émotion réarrangée qu’il avait empruntée à Grieg sur son interprétation de Peer Gynt en 1961. Pour parvenir à évoquer la musique des maîtres classiques du XX ème siècle, tels que Stravinsky, les instruments les plus distincts sont ses alliés dans l’expression ; les saxophones, puissants et rigoureux, le trombone charnel, la trompette contemplative, douce, ou la clarinette plus alerte.

Cet album est paru à une époque ou ce type de large ensemble n’était plus populaire. Pourtant, depuis cette œuvre opiniâtre, il est difficile de quantifier l’inspiration suscitée par Ellington, auprès de ceux découvrant en même temps que sa musique le plaisir de la faire vivre là où se crée la société, par le brassage, et dans un souci de toujours porter l’ambiance naturelle des lieux à une joie pure, laissant les règles du sentiment, de la sensation, prendre peu à peu le dessus sur les règlements écrits par Ellington dans sa partition. Quand s’élève la seconde mélodie de Blue Pepper, on a déjà l’illusion du lâcher prise. La batterie propulsive et le tempo enlevé donnent cette impression. Mais ce quand on l’imagine réinterprétée, dérivée, prenant un autre chemin, qu’elle révélera son potentiel évolutif sans limites. Agra, toute en retenue et tension, laisse se dissiper cette impression de facilité.

samedi 29 juillet 2017

JAMES ELKINGTON - Wintress Woma (2017)




O
élégant, hypnotique
Folk, americana

L'album de James Elkington concentre ce qui fait du Paradise of Bachelors une maison de disques aussi intéressante. Ils choisissent des guitaristes au talent confirmé et un goût pour leurs aînés des années 60 tels que John Fahey et Davy Graham. Des personnages pour qui le folk, plutôt qu'une tradition, était surtout une façon d'être au monde, avec gravité et rigueur, ainsi qu'un fameux réservoir d'accordages sur lesquels hisser leur créativité, avec l'envie d'orienter vers d'autres rivages.

A ce point de l'histoire du label, qui vient de faire enter Michael Chapman dans son catalogue, il devient un peu superflu de citer encore ces ouvreurs de tonalités. On préfère rapprocher James Elkington, 46 ans, de jeunes gens : James Blackshaw (sur When i Am Slow) ou Steve Gunn, pour la façon dont il mêle le son du folk anglais et une production vaste, riche et aérienne.

Délivré lui aussi de la tradition, il prend le meilleur des deux côtés de l'atlantique, avec une prédilection pour Bert Jansch, qui le voit rapidement évoquer Nick Drake dont il réitère l'élégance et la méditation. C'est comme d'instinct qu'il marie son timbre au violoncelle sur son propre Cello Song (Vading in Vapour), envoûtant. La pedal steel est également un bon choix en contrepoint du jeu en picking sur Grief is not Coming. Une même façon de jouer caractérise Chapman , le 'plus américain' des guitaristes anglais.

Comme cette cohorte à laquelle il appartient, Elkington reprend des chansons traditionnelles sans chercher à apparaître comme un puriste folk, au contraire. The Parting Glass est de cette espèce, s’inscrivant avec assurance et fluidité dans cet album qui s'écoule avec magie. Le guitariste sait aussi insuffler du dynamisme, de la vivacité, avec des chansons telles que Make It Up ou Sister of Mine. Greatness Yet To Come garde le meilleur pour le temps second : avec, pour être à la hauteur de l'ironie du titre, un arrangement de cordes laissant pencher cette « grandeur à venir » du côté la l'appréhension sublime. Une de ces plages qu'on imagine tout à fait étirer une chanson sur un temps bien plus long.

Au final, grâce à une écriture ciselée et sans prétention, tout converge vers la guitare.



samedi 10 juin 2017

{archive} PHIL UPCHURCH - Darkness, Darkness (1972)






OOO
groovy, élégant, funky
Fusion, jazz

Phil Upchurch, compagnon de route de George Benson, Curtis Mayfield et Donny Hataway, qu'il considère comme « l'un des plus grands vocalistes, compositeurs et arrangeurs de la musique classique américaine du XXème siècle (c'est ainsi que j'appelle notre musique.) ». Musicien de session hors pair, il est le passeur d'une tradition de fusion des styles, encore aujourd'hui. Sa combinaison si fluide de jazz, de blues, de rock, de soul et de funk pouvait se montrer presque provocante en 1972, lorsqu'il déballait avec une précision monstre des thèmes de James Taylor – Fire and Rain – James Brown – Cold Sweat – Percy Mayfield – Please Send Me Someone To Love – Marvin Gaye – Inner City Blues – leur insufflant une fluidité et un nouveau format confortable, comme un lit providentiel au tournant d'un échange de couple suggestif. Il va travaillant des thèmes intransigeants et durs, pour les laisser pantelants, et les coiffer, une fois qu'il ont capitulé à sa méthode, d'un solo, rendu possible aussi par l'intensité croissante du groupe toujours inspiré et bien arrangé. Le sens de l'arrangement, Upchuch l'a éprouvé à à son maximum sur son album éponyme de 1969. A ses côtés ici, Donny Hathaway est donc présent au piano Rhodes, le légendaire Chuck Rainey est à la basse et Joe Sample est au piano. 

Les élancements latins de la chanson titre nous font entrer en une seconde dans cet album, qui ne nous lâchera plus pendant plus d'une heure, et nous marque durablement par sa combinaison de tendresse et de virtuosité. La structure de Fire and Rain ou You've Got a Friend est étourdissante, Upchurch s'éprenant d'une petite mélodie délicate, avant que les cordes et claviers ne s'en saisissent, lui permettant de peindre la trame de son jeu particulier, par touches expressives, en cascade. Tandis que la température monte, il restaure la mélodie de son invention incessante. Partout il se révèle capable d'honorer cette mélodie dans ses multiples dimensions. 

C'est cela, la tradition selon Upchurch : combiner avec défiance le camp des pieux puristes et celui des innovateurs, celui des jazzmen à quatre épingles et des bluesmen baignant dans la sueur. La netteté du son n'empêche pas la moiteur funk de s'inviter sur Cold Sweat, avec ce sens intuitif de la retenue et du lâcher. Au final, on sent que tout au long de ce double album, Phil Upchurch n'oublie jamais l'intention première qui résulte de chaque pièce, en sonde les tréfonds avec ses langages, différents de ceux de la musique psychédélique, par exemple, mais tout aussi efficients. Les textures et les rythmiques produisent l'attache nécessaire, l'élément jazz à ces morceaux, incitant les musiciens à engager une conversation, provoquant dans cet album une forme de transcendance.


mercredi 4 janvier 2017

{archive} MICHAEL FRANKS - Tiger In The Rain (1979)




OO
élégant, romantique, sensuel
rock laid back, jazz


Si écouter la musique de Michael Franks peut être comme respirer un peu d'air frais, découvrir son histoire l'est aussi. Pour commencer, il a composé plusieurs morceaux et joué guitare et banjo sur l'album Sonny & Brownie (1973), de Sonny Terry et Bobby McGhee, un sacré moment de fraîcheur lui-même, un disque country blues parfaitement produit avec son piano et son harmonica d'anthologie. Tiger in The Rain est produit par John Simon (Leonard Cohen, Janis Joplin, The Band...) Déjà, avant même de l'entendre, on peut commencer à se détendre. Si c'est l'hiver dans vos contrées, de préférence en compagnie d'une Piña Colada ou autre cocktail latino stéréotypé. Franks le mérite bien : ce qui démarque cet album, c'est sa conviction latine, dorée dans un hédonisme quasi licencieux. Underneath the Apple Tree, Jardin Botanico
... De quoi rendre attractif un chanteur dont la voix est si douce qu'elle lui vaut d'être relégué avec le jazz un peu honteux. A mon sens, il s'agit d'un rock, extrêmement laid-back, avec du swing mais pas réellement du jazz, ni surtout dans la veine molle. Le tempo latin et les percussions les plus sensuelles, telles le vibraphone, n'empêchent pas le saxophone de marquer une chanson Hideaway par exemple, où l'on est en territoire jazz pour le coup. Cependant même après avoir entendu la chanson titre, tellement feutrée, on rechigne encore à le comparer à des combos jazz propres sur eux ! C'est comme qualifier les Walker Brothers de simple groupe de pop sixties... C'est peut être encore son introspection folk (Living on the Inside) qui séduit.
Tiger in The Rain dissimule. Il s'offre à qui s'attarde. Car Franks est le preux détenteur d'un doctorat en Littérature Américaine. Ce qui lui permet de jouer, en demi teinte, l'homme compassé : « All these books upon your shelves/Did they teach you how to kill yourself/Not even Sigmung Freud/Can save you from the love you destroyed. » (When it's Over) Il n'est pas en reste du point de vue musical, puisqu'il a collaboré avec Ron Carter, Flora Purim, Carla Bley, Michael Brecker, Dean Parks, Steve Gadd, Kenny Barron, Larry Carlton, Ernie Watts, Bucky Pizzarelli, et beaucoup d'autres musiciens à découvrir. Tiger in the Rain crée un monde parallèle pour une Amérique vivant parfois dans un paysage gris de montagnes (l'Utah?), sans parler de villes laides (Los Angeles?), sans loisirs, c'est le parfait moment de détente après une dure journée de travail, surtout au vu de la nature du travail en question. Il apporte une élégance, un sens esthétique entre les critères duquel ont peut tous trouver une bonne raison d'écouter. La voix de Franks, si inoffensive et si peu menaçante, pourrait bien en détourner certains de son objectif : vous leurrer ou vous inciter à examiner de plus près son oeuvre.
Ainsi, ' le pays de Sampaku', contrée imaginaire dont il est question au début apparaît au premier abord un lieu voluptueux. Un endroit sauvage d'où le narrateur est avisé d'échapper, une 'femme aux yeux bruns' le prévenant que 'cette vie empoisonnée sera ta perte'. C'est la fin d'un voyage de jeune homme, pour devenir la percée, par petites touches, d'un gandin plus mûr à sa façon. A la façon de M Craft dans son album Blood Moon, on l'imagine nous mettre en garde, à nous rendre plus attentifs à la nature environnante, même lorsqu'elle semble invisible.
Chez Franks, les secrets ne sont pas seulement cachés dans le paysage, mais dans la langage aussi. 'Sanpaku' est un terme du chinois ancien, que l'on peut traduire par 'trois blancs'. Il se réfère à l’œil et la pupille humaine, et comment, selon le dicton, si le blanc des yeux est visible sou la pupille il s'agit d'un 'œil de sanpaku' qui est souvent le propre des drogués. Justement, le narrateur de la chanson a l'air sur le point, non seulement de se trouver, mais de mettre fin à ses jours après avoir mâché une plante hallucinogène... Depuis la pochette du tableau iconique du douanier Rousseau, le compositeur nous incite à chercher quelque chose d'imprécis mais de réel, et c'est peut être ce qui fait que les fans sont unanimes : Michael Franks relaxe aussi bien le corps que l'âme.

01. Sanpaku.
02. When it’s over.
03. Living on the inside.
04. Hideaway.
05. Jardin botanico.
06. Underneath the apple tree.
07. Tiger in the rain.
08. Satisfaction guaranteed.
09. Lifeline.


A écouter aussi : The Art of Tea (1975)

dimanche 4 décembre 2016

TREMBLING BELLS - Wilde Majestic Aire (2016)





O
hypnotique, élégant
folk-rock 


Les héritiers du folk rock psychédélique, de Judy Collins jusqu'à Comus, The Trembling Bells sont la quintessence de la musique britannique. Ce court album prolonge The Sovereign Self (2015). Leur art est tellement culturel dans tous ses aspects mais réussit à nous le faire oublier grâce à la voix de Lavinia Blackwell. Elle remonte comme Sandy Denny aux odes chaleureuses, aux sources des territoires qui ont marqué la vie d'Alex Neilson, le batteur et leader du groupe. Swallows of Carbeth, en particulier, est fascinante, dans l'entrecroisement de la l'évocation si puissante de Blackwell et des mélodies d'un autre temps, provoquant un frisson que seul un très bon groupe, capable d’embrasser le sentiment, l'élégance et l'énergie, et un harmonium en embuscade, sont capables de susciter.


Neilson, est aussi un journaliste responsable d'articles importants pour The Wire. «Ça développe mon esprit d'analyse mêmes si mes connaissances en musicologie sont mauvaises. Je pense que ça m'a encouragé à être plus conceptuel et sensuel dans la musique. », révèle t-il en 2015 à Mark Corcoran pour le site Narc Magazine. Son univers en expansion perpétuelle est plutôt une affaire de sentiments, comme lorsqu'il s'intéresse aux héros des tragédies de la Grèce antique. «Vous rendre le sujet d'immensités vertigineuses, d'immaturités vampiriques, et leur permettre de tenter de contrôler votre système nerveux. Je suppose que je suis intéressé par le désespoir héroïque. Mais aussi par le sexe, les hallucinations, sublimer des lieux qui sont riches de significations personnelles, la rédemption d'une personnalité troublée à travers l'art. » Toutes choses qu'on peut retrouver chez les Trembling Bells, dont le revêtement traditionnel révèle une densité et une âpreté qui a toujours défini le rock anglais le plus imaginatif.

samedi 22 octobre 2016

HISS GOLDEN MESSENGER - Heart Like a Levee (2016)



à découvrir aussi :





OO
sensible, funky, élégant
americana


Un monde sans fin, où on prend place un certain temps. C'est à la fois frustrant et nécessaire. Des trajets sans fin, sur la route, d'une ville à l'autre. Est-ce bien nécessaire ? Le jeu en vaut t-il la chandelle ? Oui, quand MC Taylor (Artiste de l'année 2014 dans Trip Tips) parvient à se conformer à la hauteur de vue qu'il vise, à évoquer pour nous un profond désarroi, et à le conjuguer avec une intensité météorologique. “Should I wade in the river/With so many people living just/Just above the waterline?” s'interroge t-il, soutenu par une chanteuse qui lui ressemble, Tift Merritt.

Très peu de choses devraient être dites sur un tel disque, si limpide est son mélange de folk, de country, de blues, l'americana réinventée au son de cette voix affectée et affirmée en même temps. Si limpide qu'à la première écoute, la douceur de la chanson titre, de Cracked Windshield ou de Happy Day (Sister my Sister) sont faciles à sous estimer. Mais c'est là le pouvoir de HGM. Souvent a t-on l'habitude d'encourager les écoutes successives d'un album pour le faire apprécier. Avec MC Taylor, ces écoutes viendront sans effort. En deux ans, je n'ai jamais cessé de me replonger dans Lateness of Dancers (2014), l'album qui marquait sa percée commerciale. Pour ses moments impétueux ? Plutôt pour sa façon, dans les chansons les plus ordinaires, d'aligner les mots et la musique avec une perfection si émouvante qu'elles impriment l'esprit.

Peut être a t-il choisi ce patronyme de Hiss Golden Messenger car sa musique est un prêche, une révélation née de la lassitude, de la spoliation, et d'un autre côté contemplation naturaliste, formulant son propre positivisme au monde, plus utile que tous ceux que l'on énoncera pour vous ; plus fructueux est celui qui n'est pas énoncé pour vous, mais pour soi. Cette contemplation, elle contient en creux le bonheur de pouvoir vivre de mieux en mieux de sa musique. A sa manière de s'inscrire, aussi, dans la lignée des héros country funk des années 70 tels Larry Jon Wilson, il le mérite amplement.

Il y a des lieux – Nashville, Atlanta, le salon ou se déroule un anniversaire - et des personnes, au premier rang desquelles ses deux enfants et sa femme. La musique est un levier par lequel il recherche le soutien de ses proches. Sa démarche depuis Bad Debt (2010), celle du doute et de l'incertitude, réclame la foi la plus totale, une foi qui entre en résonance, dans sa musique, provoquant des raz de marée audiophiles tels Ace of Cups Hung Low Band. L'approche de MC Taylor le démarque, dans les tournures traditionnelles qu'il aborde, parce qu'il essaie par le biais d'une production soupesée, intelligence, d'insuffler à chaque chanson les raisons de leur bonne foi ; il les arme pour répondre : oui, cela sert d'être sur la route plusieurs mois, éloigné de ceux dont on a besoin pour vivre. La déchirure prend les tons parcimonieux de cordes, de cuivres, jusqu'à la ballade finale, qui est facile à sous-estimer ; c'est à dire, en ce qui concerne HGM, si vous avez retenu la leçon, vite indispensable. De ce manque, il tire une vigueur qui en fait un cas à part dans la musique américaine, si le timbre de sa voix ne suffisait pas.

La photographie de pochette est de William Gedney (1972).



vendredi 7 octobre 2016

LURRIE BELL - Can't Shake This Feeling (2016)






OO
élégant, groovy, intemporel
Chicago blues

L'harmonica est un instrument tellurique, vibrant. Tout à fait à même de secouer les sentiments, les pressentiments, de relever les esprits accablés. C'est celui de Matthew Skoller, grand musicien et compositeur de sa propre musique, ici au service d'une petite légende partie célébrer une nouvelle fois, après Blues in My Soul (2013), le son de Chicago que contribua à fonder Delmark, la plus ancienne maison de disques indépendante américaine de jazz et de blues. Sans doute encouragé par les récompenses récoltées récemment, et par la confiance que lui voue le label, Lurrie Bell engage ces festivités sans fioritures, en formation resserrée, et parvient à saisir dès la première seconde l'essence de cette musique virtuose et vigoureuse en diable. Lui et son groupe nous tiennent en haleine au long d'un disque si dynamique qu'il finit par nous inculquer un peu de blues sans nous par la densité des sentiments.

La spontanéité est celle d'un concert, d'ailleurs ont entend clairement des gens siffler et applaudir par moments. La voix nuancée de Bell brille particulièrement quand le tempo ralentit, sur une reprise de T Bone Walker, I get so Weary, qui fait briller la guitare du maître, capable d'aller chercher des notes les plus triturées et gutturales. Cette guitare se fera houleuse sur l'extraordinaire This Worrisome Feeling in My Heart, dans un registre mélancolique, où Bell se montre hanté par le blues, c'est à dire à la poursuite de sa propre vie. "These troubles i seem to find/It won't just let be me." C'est l'une des quatre compostions de cet album. Sinner's Prayer exacerbe le sentiment religieux avec une fougue surhumaine. La clarté de la formation brille sur la chanson-titre, dès l'introduction où presque tout est dit, avant qu'un balancement extrêmement familier et plaisant s'enclenche, une rengaine émotionnelle avant tout, paroles oblige, et qui produit des déroulés successifs de piano et d'harmonica sur une base basse batterie indéboulonnable. Born With the Blues mais à profit les capacités divertissantes de cet ensemble, peaufine à n'en plus finir. Sa voix modulée empreint Do You Hear d'une immense élégance. Au rayon des blues lents, qu'il faut rechercher dans le blues en général pour son pouvoir émotionnel supérieur, et du côté des compositions, Faith and Music assied définitivement Lurrie Bell parmi les grands esprits de cette culture nationale à la teneur artistique absolue. C'est une musique qui se joue avec un mental d'acier, pour lutter contre l'égarement que provoquent les émotions, avec une endurance héroïque.


Une émission blues vivement recommandée :


https://www.mixcloud.com/DrWax31/clarksdale-radio-show-2016-2017-01/

dimanche 18 septembre 2016

COURTNEY MARIE ANDREWS - Honest Life (2016)




OO
lucide, lyrique, élégant

folk, bluegrass

On attendait cet album en 2015 ! Mais on devine quelle difficulté il y a pour une artiste, avec le sentiment que sa maturité artistique est venue, à se convaincre d'enregistrer et produire sans autre support que des amis musiciens réunis pour l'occasion un album à la hauteur du potentiel. « C'est difficile quand vous commencez si jeune, car vous êtes passionné et vous avez tendance à vouloir faire écouter toutes les chansons que vous écrivez. Mais je n'y étais pas encore. Les deux dernières années, sont celles où j'ai vraiment eu l'impression de trouver ma singularité. » Remisés, alors, seront les précédents albums, On My Page (2013), No One's Slate is Clean (2011) et For One I Knew (2010), qui suscitaient pourtant déjà l'admiration. Honest Life se résume à ces mots, recueillis par Stephen Deusner pour le Webzine The Bluegrass Situation : « Je pense que j'ai finalement compris comment écrire ». 

Dans ses expériences passées, dans l'accompagnement d'autres musiciens et le développement de sa propre écriture, la songwriter a appris à enrichir le répertoire universel des chansons folk, capables de voyager autant que Courtney Marie Andrews elle même l'a fait, depuis sa naissance en Arkansas en 1991. Des chansons qui doivent trouver un sens autonome et être suffisamment bonnes pour se trouver interprétées par d'autres, dans dix ans, cinquante ans. Qui n'ont pas besoin des artifices que les producteurs contactés lui proposaient. Il y a un sérieux dans l'entreprise que la pochette de l'album traduit bien : la volonté de se présenter avec une franchise définitive, jusque dans le fond de ses capacités artistiques, c'est à dire sentimentales et intuitives.

Honest Life est, on l'espère un peu, un album qui devrait amener plus souvent le nom de Courtney Marie Andrews dans les conversations des pourvoyeurs de musique et pas seulement des chanceux qui on pu la voir en concert. Là, de passage deux ans plus tôt en France, elle n'était déjà plus au stade de l'essai. Elle sait que tout ne vient pas d'un coup ; mais quand elle reconnaît, sur Rookie Dreaming, la difficulté qu'il y a à donner le meilleur de soi même, elle nous persuade qu'un pas a été franchi. Honest Life se caractérise dès lors par une maîtrise (vocale, remarquablement) dont l'ostentatoire s'efface derrière un sens concret et lumineux. Les paroles sont celles d'une jeune femme qui refuse d'être instrumentalisée, dans des relations où on ne la comprenne pas. Elles sont directes, familières et nous incitent à aller mieux. Elle chante avec un calme détonnant pour quelqu'un conscient que la seule chose qu'on s'imagine faire dans la vie peut souffrir d'un revers. Il y a une force impassible, elle parvient à nous faire croire que « c'est la vie » et ne cherche plus à provoquer la colère ou la pitié de personne.
Les détours de ces chansons sont ceux qui vous permettent, sous la claire influence des toutes choses formelles, la voix forte et engageante et les thèmes country-folk authentiques, de redessiner votre propre vie émotionnelle, que ce soit pour s'élancer dans une allée droite ou pour louvoyer encore. On se prend à croire que la jeune femme, encore dans sa vingtaine, puisse utiliser à dessein le futur antérieur, comme un subterfuge. « Tout ce que j'aurai voulu c'est une vie honnête/et devenir la personne qui se trouvait vraiment au fond de moi. » On veut croire ses chansons de belles expériences temporelles, qui ont le pouvoir d'être hier, aujourd’hui, demain.

samedi 16 juillet 2016

MARISSA NADLER - July (2014)


oo
élégant, hypnotique, contemplatif
Folk, pop alternative, americana



Quand les murs tombent, cela apporte au lieu d’amenuiser ses forces, cela lui permet de voir plus loin. Incapable de rester sans inactive, Marissa Nadler se nourrit désormais des transformations incessantes d'un climat que l'on croyait éternel et qui s'est mué en force ennemie, aspirant nos souvenirs, et précipitant notre isolement, que ce soit en déclenchant les guerres, comme le chaleur syrienne, ou en faisant disparaître des maisons et des quartiers entiers dans les inondations. Elle a toujours semblé vouloir rester à faire le ménage de son entité en conjurant le vide, la poussière, les mots. Mais cette entité, ce vide, ont évolué vers plus de spécificité, de précision, décrivant un monde de plus en plus conscient, dont les manifestations à l’encontre des hommes se multiplient. Le monde d'enregistrement de ses chansons s'est enrichi, elle s'est mise à faire des démos, et cela se traduit par la présence de plus en plus grande d'harmonies vocales.

« J'ai préparé chaque chanson sur Garage Band, puis en créant les harmonies sur une piste séparée. J'ai écrit les mélodies avec les harmonies en tête. Quand je suis arrivée en studio, chaque harmonie était déjà écrite, ainsi que toutes les idées pour les parties vocales. L’instrumentation s'est faite de ce que Randall Dunn a apporté de son côté, avec une facilité géniale. » Après July, elle savait déjà qu'elle confectionnerait le prochain album avec ce même producteur, présageant d'une longue relation avec celui qui sut si bien comprendre comment sa musique était liée aux atmosphères amples du black metal.

Les atmosphères austères et enveloppantes de July sont aussi concrètes que la relation des groupes drone comme Sunn O))) avec leur équipement. La buée s'échappant de cette musique pourrait aussi bien être le chaleur des enfers, et on peut clairement imaginer les changements d'état de l'eau à son contact, les troncs vibrer et les feuilles frémir sur les arbres et tomber jusqu’à ce qu'il n'en reste plus une seule. D'ailleurs les goût de Nadler pour les harmonies vocales s'est combiné aux ambiances du groupe black metal Xasthur en 2010. La musique metal contemporaine recherche des atmosphères très sophistiquées. Finalement, les harmonies soigneusement détaillées, sont, mieux encore que les arrangements, ce qui démarque les chansons de Nadler et forge leur esprit.

«Mes fans les plus loyaux ont toujours été des hommes d'un certain âge qui jouent en finger picking et des fanatiques du songwriting. J'ai aussi maintenant, une légion de fans de black metal suite à ma collaboration avec Xasthur. J'aimerais qu'il y ait plus de dames à mes concerts... » July est l’album qui devrait lui apporter, dans le temps, son public le plus varié, plus jeune et féminin. Les histoires de cet album donnent l'impression qu'elle apporte des conseils ou des mises en garde à une personne plus jeune. Le cap de la trentaine joue son rôle. Ce n'est plus seulement le jeu de se perdre dans un autre lieu et un autre temps, comme dans les premières chansons, à 23 ans : "I once was young and I once was strong." Il y a transmission.

Il y a cette volonté d'identification, d'empathie, une générosité renouvelée pour la nouvelle génération. Ce n'est plus seulement sa musique nous ouvrant les bras dans un envoûtement ininterrompu, ce qui avait attiré ses premiers fans. Ce n'est plus seulement pour faire passer la nuit aux insomniaques, mais pour être utilisé en plein jour. Elle tend à aller vers plus de réalisme, d’éléments pour ceux et surtout celles cherchant à ne plus se laisser abuser. Sur Holiday In : "You have a girl in every state/ I know I'm in the way."


Ce qui rend ses chansons puissantes, c'est les possibilités, ce qu'elle laissent entrevoir. Elle se tient en gardienne, en interprète, comme les poètes en sont, comme le chant l'est, et les rêves peuvent l'être. Une barrière, une forme d'inertie à l'inverse de l'inconstance. Elle encaisse comme tout le monde les visions, les images, s'en imprègne. «Looking through the windows/ to other people’s rooms ». Elle est aux limites de l'inconstance, de la trahison de son propre être, le met en danger en brouillant les frontières entre elle et le monde. Auparavant, les personnages étaient seuls dépositaires de leur temps, ils décidaient de la manière de le dépenser. « Ce disque s'appelle July car il fait la chronique des événements de ma vie, d'un mois de juillet à l'autre. Ainsi, c'est très chronologique, la façon dont l'album avance est aussi la façon dont ma vie le faisait. »

vendredi 17 juin 2016

NAP EYES - Thought Rock Fish Scale (2016)








O
lucide, apaisé, élégant
Indie rock

Thought Rock Fish Scale est un disque discret, humble, qui passerait inaperçu sans un tour sur le site de Paradise of Bachelors. C'est une nouvelle perle du catalogue de ce label, à qui on doit les rénovations de la musique traditionnelle américaine par Hiss Golden Messenger (cette voix!) et Steve Gunn. La musique du canadien Nigel Chapman, le songwriter de Nap Eyes, et de ses trois acolytes, est sèche et accrocheuse, à l'image du dernier morceau, qui termine le disque ainsi « trust, trust, trust, trust me ». La voix est assurée et posée, le chant parlé comme chez Lou Reed (une influence évidente sur cet album). Sa façon de chanter, de laisser traîner les syllabes, est effective, elle nous affecte et nous attache. 

S'il chante l'isolation, les erreurs passées, c'est en étant capable de tout remettre à plat pour l'avenir. «And i know something is wrong here / but you don't know what it is / Could it be me ? » La question est posée avec un flegme que ne renierait pas Stephen Malkmus (Pavement). En comparaison avec son premier album, Whine of the Mystic, était plus chaotique ; désormais, comme dans les derniers Bill Callahan, la batterie se résume à quelques hit-hat, à une expression minimaliste, pour mieux mettre en avant le détail et la lucidité touchante d'une homme avançant toutes proportions gardées. Il y a la volonté d'une poésie de restitution d'autres temps, d'autres lieux de liberté, mais comme en réduction. Cette modeste échelle donne aux mélodies leur limpidité, ceinte de guitare suave sur les refrains, comme si Chapman s'adressait directement à nous, en conversation.





dimanche 24 avril 2016

HAYES CARLL - Lovers and Leavers (2016)





OO
Doux-amer, attachant, élégant
Americana, Country folk



Un album de Hayes, on en attendait un deux ou trois ans après le dernier, KMAG YOYO (2011). Il lui a fallu plus de cinq ans pour reparaître avec une collection de chanson qui trahit son dégoût des tournées, des passages radio et du music business. Pourtant, un album de Hayes Carll, c'est toujours une émotion immédiatement assimilable, et qu'il est bon de faire découvrir et de partager. Comme son ami Scott Nolan, traversant une forme de crise de la quarantaine, il a recherché un équilibre dans sa vie, le conduisant à l'enregistrement de cet album. Ces chansons, dont il serait facile d'exagérer le rôle et l'impact en les qualifiant de catharsis, se coulent néanmoins dans une volonté réparatrice. «Je n'avais pas une seule chanson pour faire danser les gens », résume celui qui la a tant divertis avec Stomp and Holler, Bad Liver / Broken Heart, Another Like You ou Hard Out There.

Lovers and Leavers, enregistré en cinq jours, profite d'overdubs brillants, piano, orgue électrique, ou percussions atypiques. Un son voluptueux, sur My Friend par exemple, avec la guitare pedal steel qui semble venir de partout à la fois. Cela compense l'absence de chansons propulsives ou plus communicatives. Cette différence persistante de ton et de tempo entre les deux disques marque l'écart et les cinq ans écoulés dans une certaine lassitude entre les deux albums. Lovers and Leavers est à la fois l'album qui trahit un certain égarement de son auteur, et celui par lequel il doit se focaliser de nouveau sur son entourage et son message. Pour y parvenir, il y a le levier de l'amitié, pour se soigner de l'amour, l'amour capable de 'remplir tout l'espace vide', dans la chanson déchirante Love Don't Let me Down (Hayes Carll s'est trouvé une nouvelle compagne en la personne d'Alison Moorer, grande compositrice qu'on aime beaucoup chez Trip Tips).

Ce n'est pas seulement la façon très laid back dont il sonne, mais Lovers and Leavers présente une façon différente d'interpréter des chansons, cela transparaît dans une version filmée de la chanson The Magic Kid, l'une des plus belles de l'album (et sans doute adressée à son fils, qu'il a peu vu pendant ces années de tournée). Le groupe fait preuve d'une décontraction au bord de l'absence, en toute félicité, comme pour contrecarrer l'implication usante habituelle que nécessite cette musique propre à être partagée et dont les paroles furent reprises avec bonheur par le public.

Hayes Carll se montre pourtant toujours aussi intelligent dans sa façon d'écrire les chansons d'amour, pleines d'un humour capable de contrebalancer l'amertume qu'un divorce a implantée en lui. Il ne sur-estime pas le rédempteur, ou quoi que ce soit, de son expérience dans sa musique. Hayes Carll est réputé élégant, mesuré, et aillant la tête sur les épaules, et même s'il semble parfois perdu ou à deux doigts du coma éthylique, c'est toutes proportions gardées. C'est son charme naturel qui lui permet de sortir triomphant, jusqu'aux plus dégagées Love is so Easy et Jealous Moon, une chanson évoquant See The Sky About to Rain (Neil Young), avec son piano Rhodes. For the Sake of the Song reprend la façon blessée de chanter de Neil Young sur Ambulance Blues, également sur l'un de ses albums cruciaux, On The Beach (1974). Après des écoutes répétées, l'album nous affecte, tandis qu'on saisit comment Hayes Carll se positionne pour y rester longtemps, au carrefour de la musique de grands songwriters américains – Jim Lauderdale, avec qui il a écrit Drive, Townes van Zandt, Guy Clark, Rodney Crowell, Kris Kristofferson et Ray Wylie Hubbard.

jeudi 7 avril 2016

STEVE GUNN - Eyes on the Lines (2016)








OOO
élégant, groovy, apaisé
Rock alternatif, psychédélique


Après Way Out Weather, un album exploratoire et acoustique, qui profitait d'une attitude décontractée, jazz, Steve Gunn se dirige vers un son plus électrique et intriqué que jamais, avec des chansons complexes et enivrantes. Un album plus dynamique, inspiré par Kurt Vile (dont il a été le guitariste jusqu'à Smoke Ring For My Halo), mais chaque élément - guitares, percussions - entrent dans un système différent, interne à Steve Gunn, qui relie aussitôt Eyes on the Lines à son prédécesseur. Ancient Jules célèbre une liberté et une assurances toujours plus grandes, la capacité à gérer une grande densité de guitares aux accents divers pour les faire communier vers des soli qui échappent au psychédélisme pour offrir un déroulé maîtrise. Steve Gunn joue de sons qui sont propre aux 'primitivistes' américains tels John Fahey, une candeur qui souligne des paroles insouciantes et opérantes sur Full Moon Tide, qui le relie comme jamais à l'âge d'or des années 70. Il reconstitue une partie de l'histoire de ce qui fit le charme de la guitare en offrant à ces sonorités enchantées des mélodies accrocheuses , des rythmes cavalants, une profondeur de champ telle qu'il est difficile de s'en détacher.



Sa voix, un peu déformée par les effets, lui donne un air flegmatique, plus désaffecté que Vile et Adam Granduciel (The War on Drugs) à qui il est comparé. The Drop est une vaste dérive qui culmine sur les paroles en écho au titre de l'album : «Eyes on the Line/You know they hold every move ». Nature Driver, avec son rythme plus poussé, évoque directement The Waron Drugs, mais propose toujours d'entrecroiser trois guitares plutôt que d'en faire hurler une seule. Là, la formule semble un peu se répéter, Rien qui soit de l'intensité rock plus immédiate de Drifter, un morceau de Way Out Weather qui évoquait furieusement le Velvet Underground. Avec Park Bench Mile, Gunn se dirige plutôt vers un shuffle jazzy dansant, avec un rythme sous pression, permettant à la musique de se s'épaissir à toute vapeur. Heavy Sails contient un solo fluide et distinct qui semble être dû à Kurt Vile. Ark se démarque encore à la fin, par un sentiment de complétude et d'extase suave que les artistes ont tendance à oublier de toucher, parfois, lorsqu'ils font primer la forme sur le fond. Sans frime, Steve Gunn y a gagné un vrai charisme. Eyes on the Line est un album contemplatif, hardi et luxuriant.

(Paraît le 2 juin)

dimanche 31 janvier 2016

MARLON WILLIAMS - S./T. (2016)






O
envoûtant, élégant, lyrique
Folk-rock, country australienne, soul

Marlon Williams lance les paris sur l'étendue de son succès, basé sur sa voix impressionnante de maîtrise, capable de lui valoir des comparaisons élogieuses avec les Buckley, ou des voix distinctes comme celle de Hayden Thorpe (Wild Beasts) ou Peter Liddle (Dry the River) et le propulser en avant, quelles que soient ses dettes aux veilles formules, de Nina Simone à Roy Orbison. Il fallait qu'il s'émancipe de Delaney Davidson, son compatriote australien, connu pour ses sorties enfiévrées en one-man band - avec lequel il a enregistré trois albums. Il le fait avec la candeur d'un enfant de chœurs, et c'est son autre force, celle avec laquelle il finit de convaincre : sa capacité à habiller ses chansons, de les hanter d'arrangement subtils (Ondes Martenot sur Strange Things ?), cette volonté de créer un album se saisissant fermement de son thème de catharsis et ne le lâche plus avant de l'avoir laissé résonner en plusieurs personnages, de s'être abandonné un peu, et musicalement, d'en avoir exploré la candeur quasi religieuse. Vos sens vous intimaient encore de résister à la séduction trop évidente de ballades où la trace de l'école de chant reste présente – I'm Lost Without You ou When i Was a Young Girl, a chanson qui sert de culmination à ses concerts. 

En d'autres termes, cet album tiendra pour avoir réussi à articuler les lubies d'un élève idéal de la chorale religieuse (véridique) avec ses tentations de gamin fourbu à la recherche de liens sociaux et asociaux, finalement retapé au whisky, ce qui n'est pas, à la réflexion, sans danger pour sa voix. Sa face angélique lui vaudra d'autres rôles.

Le 18 février à la Maroquinerie. 

jeudi 12 novembre 2015

CHRISTIAN SCOTT - Stretch Music (2015)





OO
Elegant, soigné
Jazz, fusion 

C'était un concert intéressant, au New Morning le 4 novembre. Christian Scott Atunde Adjuah, de la Nouvelle Orleans - entouré de six musiciens en provenance d'un peu tout le sud des Etats Unis, assez juvéniles - se lançait en reprenant la mélodie de Videotape, de Radiohead. Avant de reprendre plus loin The Eraser, une chanson de... Thom Yorke. Radiohead, inventeur de la stretch music ? Ici, les rythmiques de Of A New Cool semblent inspirées par une autre chanson du quintet anglais, Reckoner. 

Ce "Videotape" était le morceau le plus en retenue d'un set qui s'approchera de la jam-fusion-session - tout en restant lisible. Les mélodies sont là, bien suggérées. C'est seulement que Scott veut laisser à chaque musicien de quoi se faire plaisir au cours du concert. Elena Pinderhugues, à la flûte, que Scott est très chanceux d'avoir découverte, subjugue facilement par sa vélocité virevoltante qui correspond à l'esprit léger et fluide. Elle est crédité en premier lieu sur la pochette, même si elle n'apparaît que sur deux morceaux. 

Le secret et l'album, ce qui explique ce son à la fois presque électronique et tribal, ce sont les deux batteurs, Joe Dyson et Corey Fonville. L'un dispose d'un tome électronique, l'autre d'une grosse caisse qui est en fait un djembé, un tambour ouest-africain. Scott recherchait avant tout à mélanger les rythmes de diverses provenances, voir ce qui allait se produire... entre Les variations et les trames qu'ils produisent, sont, au côté d'un pianiste inventif, certaines des clefs sur lesquelles reposent le son en expansion de Scott, au risque de s'éparpiller...

Tandis que le concert s'oriente de plus en plus vers le rituel chamanique, Christian Scott se met à beaucoup parler, allant en digressions quand il aurait pu simplement rappeler que son grand père est le chef de quatre tribus indiennes à la fois. Il est mu par une fierté vaniteuse, mais que serait la musique de la Nouvelle Orleans, cette ode à l'affirmation de soi et à la reconstruction du monde, sans fierté ? 

Sa musique avance toujours, par bonheur, tête baissée. Pour aller où ? La destination idéale, semble être les mélodies en mode mineur qui sont sa marque de fabrique depuis Litany Against Fear. Ici, après avoir proposé différentes directions (sous les maillets de Warren Wolf, au xylophone, par exemple), retour au bercail avec The Last Chieftain. La stretch music reste une musique progressive, à mon avis plus intéressante dans les plus long titres comme West of the West ou Of a New Cool. 

samedi 7 novembre 2015

JOSH RITTER - Sermon on the Rocks (2015)


OO
entraînant, élégant, heureux
country rock, folk rock

extrait d'un article sur Josh Ritter à paraître dans Trip Tips 27


Désormais Josh Ritter atteint un niveau de cohérence plus fort encore avec Sermon on The Rocks (2015). Le titre déjà, fait écho à l'une de ses précédentes chansons, Rumors, commençant ainsi : « Serenade me with rocks ». Contenue dans son album le plus brut, The Historical Conquests of Josh Ritter (2007). Mais c'est un chapitre plus ancien que je vous laisse découvrir par vous mêmes.

« [Sermon on the Rocks] est une réaction à l'ambivalence des écritures bibliques », révèle t-il à Eric Swedlund pour Paste Magazine. « Il redonne une dimension humaine au Sermon on the Mount, selon lequel les pauvres devraient hériter de la Terre, et que nous devons être bons les uns pour les autres. » « Ces idées ont été tant fétichisées par des milliers d'années d'usure que nous oublions qu'il y a des moyens réels et humains de les concrétiser. Je pense que j'ai tenté de remettre du sang neuf dans ces idées sans rien supposer de religieux. » Il ajoute : « Je n'ai jamais su ce que signifie le terme de spirituel » « Je sais ce que 'religieux' signifie, et je ne me sens pas religieux, mais concernant la spiritualité je n'en suis pas sûr. Je me sens libre de choisir de m'émerveiller de tout, et c'est sentiment assez fort. »

Le sermon prend ici une fraîcheur schématique qui sert le propos de Ritter selon lequel les images vénérables peuvent servir des discours et des actes, pour le meilleur – l'empathie. Le pire n'est que rarement envisagé par l'artiste. La direction choisie s'est imposée à lui, trouvant un prolongement idéal dans une musique plus affirmée et enivrante que jamais. « Je me suis enfermé avec le groupe, mais la musique n'est jamais assez forte”, continue t-il dans le texte de cette ancienne chanson, Rumors. En fait, le groupe s'est retrouvé à la Nouvelle Orléans et a décidé d'enregistrer dans la meilleure humeur qu'on puisse imaginer.

Les rumeurs ont prété par le passé à Ritter de fausses identités. Il est facilement pris pour un irlandais, par exemple, car il est le premier à avoir joué dans les Iveagh Gardens de Dublin, et que son amitié avec star locale de la folk, Glen Hansard, a contribué à lancer sa carrière. Sermon on the Rocks est l'oeuvre d'un homme tant habitué aux identités qu'il en embrasse de nouvelles avec encore plus d'allant, de facilité et de joie palpable que dans les meilleures chansons de son passé. Avec sa séduction soul et sa production chatoyante, il semble aussi être l'album d'un artiste en rupture avec une discographie un poil trop hésitante.

Il n'est pas étonnant qu'au sortir de l’enregistrement de cet album, Ritter soit détendu et très content du résultat. « Ce que je recherchais tout du long, c'est un sentiment d'énergie indomptable, cinétique. Je le visualisais dans ma tête aussi ben que les chansons, comme en Technicolor, saturé de rouge. J'ai vraiment l'impression d'avoir attrapé une grosse prise avec cet album. » Le meilleur poisson du lac Tibériade, dirions nous, quand on connaît l'inclinaison de Ritter pour un Christianisme primitif dont il reprend les images.

« Quand vous écrivez des chansons depuis longtemps cela peut devenir ennuyeux. Vous savez ce que vous allez écrire avant de vous y mettre. J'ai décidé de moins me fier à ma voix intérieure, de me rebeller contre moi même. » Une figure est née de cette nouvelle donne. Celle d'un prêcheur qui fait face à la tentation et à l'apocalypse (un sujet qui, réduit aux perceptions humaines, vaut bien la peine d'être mis en chansons). Une chanson telle que Seeing Me Round, l'a aidé a trouver la vibration maligne et messianique de l'album. La voix de Ritter, plus gutturale qu'à l’accoutumée, définit la direction soul et séductrice de l'album, donnant tort à un journaliste de Pitchfork, Stephen M. Deusner, qui décida qu'il semblait y avoir « plus de fabrication que d'âme dans les chansons de Josh Ritter ».

Ritter est un classique dans ses goûts et ses méthodes, et les meilleurs moments de l'album – comme Young Moses – se basent sur des archétypes de country rock ou de folk. Pourtant, Sermon on the Rocks, en comparaison avec The Beast on its Tracks (2013), l'album qui l'a précédé, est comme le bond d'un panthère noire qui s'est longtemps léché les griffes.

Écrit à la suite de sa séparation d'avec la songwriter Dawn Landes, The Beast in Its Tracks manquait de surprises, ses chansons apparaissant modestes et dépourvues de grosses distinctions mélodiques. On trouvait des comparaisons avec Eels, Paul Simon ou Conor Oberst, mais même Conor Oberst a soumis son art à quelques changements appréciables de production sur Upside Down Mountain (2014). L'intérêt de cet album de rupture était d'entrer par le chagrin et le ressentiment et de ressortir léger et optimiste, brassant les sentiments classiques dans une séquence cohérente et finalement lumineuse de chansons d'amour teintées d'ironie.

Dans les chansons de Ritter, l'amour s'apparente à l'empathie, et s'apprend dans la distance avec son sujet : sur Sermon on the Rocks, il y a cette chanson écrite au dernier moment, et qui résume l'album, Getting ready to Get Down, dans laquelle une jeune femme aventureuse essaie de s'intégrer dans sa petite ville puritaine.

My Man on a Horse is Here est la dernière douce audace de l'album, pour un homme aspirant à prendre le contre-pied d'une difficile séparation et épouser cette nouvelle ère dans laquelle il se sent « sauvage ». Dans une de se chansons les plus aimées, Girl in The War, il écrivait : « Peter dit à Paul, tu sais tous ces mots que nous avons écrits/sont juste les règles du jeu et les règles sont les premières à perdre leur prix. »
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