“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Folk (118) Pop (88) Rock (81) Rock alternatif (78) Americana (72) indie rock (69) Folk-Rock (65) Blues (51) Country (42) Psychédélique (39) Soul (39) Rythm and blues (32) Alt-Folk (31) Expérimental (30) orchestral (29) Garage Rock (26) Synth-pop (25) Noise Rock (23) Rock progressif (20) Funk (19) Métal (17) Psych-Rock (16) Jazz (15) Atmosphérique (14) Auteur (14) post-punk (14) Dream Folk (13) Electro (13) Punk (13) World music (13) acid folk (13) shoegaze (13) Lo-Fi (12) reggae (12) Post-rock (11) Dance-rock (10) Stoner Rock (10) Indie folk (9) folk rural (9) hip-hop (9) rock n' roll (9) Folk urbain (8) Grunge (8) Rock New-Yorkais (8) avant-pop (8) Bluegrass (7) Surréalisme (7) instrumental (7) Post-core (6) Dub (5) krautrock (3) spoken word (2)

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mardi 24 octobre 2017

BIG BIG TRAIN - Grimspound (2017)




OO
soigné, épique, vintage
Rock progressif


Big Big Train est un groupe au milieu du gué, selon les mots de Gregory Spawton, bassiste et fondateur du groupe. Contrairement à d'autres, à ce stade de leur carrière, ils n'ont jamais été meilleurs. Ils continuent de se consolider, reposant sur d'excellents descendants d'une lignée de musiciens aussi novateurs qu'intransigeants. Ils donnent vraiment l'impression que le rock progressif contient les meilleures possibilités musicales, dans sa combinaison de styles et sa structure attentive.

Il en existe, des capables de se vouer à l'excellence mélodique, mais Big Big Train reste à part. Leurs thèmes et mélodies renvoient à la matière légendaire de la culture britannique, née des campagnes, et leurs formats héroïques évoquent les destins intemporels de grandes figures de la nation. Big Big Train est en train d'obtenir une reconnaissance internationale, et même s'il leur est difficile d'être aussi importants que certains de leurs modèles reconvertis en stars de la pop, ils s'y emploient. C'est sur les traces de Peter Gabriel, de Genesis, qu'ils s'orientent en enregistrant aux studios Real World. Et c'est pour en dégager un travail considérable ! Deux (doubles) albums reposant sur des tournures communes, celui-ci et The Second Brightest Star.

Tout du long, ils maintiennent vivace ce style plein de tensions rock, rendu intemporel par Genesis. Ils s'alignent exactement sur cette époque révolue, dont ils rendent le charme et le chatoiement de nouveau parfaitement actuel.

La qualités musicales sont la première force d'attraction de Big Big Train. Leur précision, leur capacité à jouer serré, entrecroisé. La structure des morceaux est d'une rare finesse : tout groupe qui souhaite faire durer durer une chanson au-delà de six ou sept minutes doit réfléchir à la récurrence des éléments mélodiques, à la fréquence des refrains, etc. Les considérations semblent avoir été maîtrisées par Big Big Train grâce à l'arrivée de nouveaux musiciens, connaisseurs de l'histoire de cette musique typiquement anglaise.

Au cœur de leurs albums on ressent la musique diffuse capable de reprendre corps, brusquement étourdissante.

La tension dramatique est également servie par les refrains évoquant comme des plaidoiries, largement poétiques, pour un monde plus fantaisiste, plus responsable, plus vaillant.

La composition apporte des tournures souvent à la fois naturelles et réjouissantes. Brave Captain nous engage dans un voyage vers le passé, avec une tendance épique qui rappelle Iron Maiden et le renouveau du metal britannique dans les années 80. Les influences de Big Big Train ne s'arrêtent ainsi pas à Van der Graaf Generator ou Genesis. Elles suivent une logique qui puise certes plus dans le folk et la pop que dans le metal, au service d'une riche orchestration. Mais on trouve avec On The Racing Line un peu de jazz tellurique, à la manière de The Esbjörn Svensson Trio.

Leur voyage est brave et suppose une boussole réussissant les points cardinaux. Une musique si vaste nécessite un point d'ancrage, une place où se tenir. A aucun moment le groupe ne semble perdu dérouté, désaxé.

Sur Experimental Gentlemen ils fusionnent encore mieux le fond et la forme, explorant l'histoire. Synthétiseur vintage et violon créent des textures à la fois organiques et spatiales,garantissant l'immersion, tandis qu'une mélodie entêtante évoque Kraftwerk. Mais elle est ici proposée par un sursaut de violon, et se retrouve vite plongée dans les entrecroisement de piano, de guitare électrique, la combinaison d'un émerveillement littéral. La coda du morceau apporte une grande suavité, dans une fusion de jazz et de soul évanescentes, se dissipant dans un fondu terminé par un ultime balayage des claviers atmosphériques.

Poésie et mélodies sont portées à un état de grâce sur Meadowland. La délicatesse des guitares laissent présager d'une direction complètement romantique, mais la suite révèlera l'extraordinaire exigence d'un groupe qui ne s'en tient pas à une manière, mais innove sans cesse dans ses projections.

Grimspound érige un autre cordeau narratif et mélodique commun avec The Second Brightest Star. La chanson, éminemment romantique, a cette volonté de résumer la mythologie du groupe, telle qu'elle est perçue tout au long de deux heures de musique, car ce qui se trame dans cette chanson irrigue toute l’œuvre. Ainsi, le second album ne sera constitué seulement de reprises thématiques de celui ci : il y répondra et viendra enrichir la matière du groupe.

A Mead Hall In Winter, avec ses quinze minutes et sa partie très dynamique vers la fin, nous incite à cette écoute attentive et répétée, au risque de lasser. Ce n'est pas ainsi que Grimspound devrait être le mieux apprécié, mais écouté de bout en bout, avec The Second Brightest Star, inlassablement. Big Big Train ne cherche pas à valoriser une chanson plutôt qu'une autre. Il n'y a pas ici de pièce maîtresse, pas de grand œuvre central. Chaque morceau tend vers une autre, et l'écoute se fait sans frontières. On ne sait plus toujours où se termine une chanson et où démarre une autre.

La dimension littéraire et lyrique du groupe peu alors pleinement être appréciée. La dimension épique de A Mead Hall in Winter continue de donner l'impression que le point décisif d'une quête a été atteint, mais c'est une astuce narrative plutôt qu'une réalité. Grimspound joue des illusions de bien-être et d'achèvement pour décrire le travail d'une âme sans repos, d'une humeur volatile, d'une mémoire fragile que l'auditeur est mis dans la confidence pour préserver. C'est une histoire ancestrale qui se transmettrait oralement. Et la fonction des mélodies est de nous la rendre plus affective, de nous aider à nous identifier aux messages positifs qu'elle véhicule et, dans un second temps, de prendre conscience de sa teneur mélancolique. As the Crow Flies, encore puissamment métaphorique, nous appelle à garder à distance les puissances corruptrices, pour préserver la singularité de Big Big Train, sa geste héroïque telle qu'elle est entrée dans notre mémoire.

dimanche 7 février 2016

ATLANTER - Jewels of Crime (2016)





O
soigné, groovy
Rock alternatif, rock progressif

Un groupe suédois dont c'est le deuxième album. Ils évoquent par l'éclatement de Jewels of Crime, la construction peaufinée et complexe de leurs chansons, les danois de Efterklang, mais aussi les circonvolutions classiques de Genesis ! Ils en gardent l'idée d'une boite à musique dont peuvent surgir des surprises, les inspirations surprenantes d'un voyage trans-continental. 

Enregistré et joué avec une intelligence presque excessive, Atlanter sait pourtant se rendre à la joie et à l'entêtement, nous faisant danser sur le morceau titre, où la rythmique particulièrement réussie rappelle l’exubérance du morceau Reflektor d'Arcade Fire. L'album est galvanisé par des moments extatiques et qui retiennent l'attention, Lights, le single Jareeze ou le petit hymne Let it Fade, où Jens Carelius, charismatique, envoie son meilleur David Byrne et Talking Heads. L'ambiance y est chorale, voire tribale, avec des voix qui se mêlent à l'arrière plan du morceau. 

Human vs Human laisse intervenir des ambiances plus progressives et échappées, la batterie étant, mieux que chez les Besnard Lakes, par exemple, à la hauteur de leurs ambitions de transformation incessante. Leur metronomie leur permet de repousser leurs frontières jusqu'au krautrock de Wear the Rag – là, on pense à la modernité de Gitead. Les voix, les guitares, les claviers d'une autre époque sont traités comme des field recordings, captés, importés et intégrés puis prêtés au dynamisme très contemporain du groupe. Mais si les parties instrumentales subjuguent, on sent que les paroles ont été tout aussi méticuleusement taillées.

lundi 4 août 2014

STEVEN WILSON - Cover Version (2014)





O

OO
nocturne, soigné, lucide
indie rock, rock progressif

D'abord une reprise d'Alanis Morisette. Steven Wilson, chantre de la chanson 'progressive', y est vulnérable. Avec une guitare acoustique, il se révèle avec simplicité, recherchant une présence par les ambiances et les mots. Un peu le pendant de Jonathan Wilson, il en donne une preuve éclatante avec Moment I Lost, une ballade qui laisse un peu plus entrevoir ses capacités hors du commun à imaginer une chanson, ou comment trouver le chemin depuis le départ, la voix, et l'envoyer dans des endroits aussi vastes qu'intimistes. Puis c'est ABBA, et surtout The Cure, qu'on est heureux d'entendre dans ce contexte parfait pour elle, car c'est l'une des meilleures chansons de rock jamais composées ! Wilson enregistre un album respectueux, aussi calme que lucide, lui qui est capable de voir à travers les chansons l'essence de ce qui nous émeut et nous remue à l'intérieur. Il tire tout le parti de sa voix, de se qualités de compositeur poltergeist, de sa capacité à ajouter d'autres dimensions à une simple trame acoustique. Simplicité, légèreté et profondeur ne seront pas réunies de façon aussi élégiaque que sur The Day Before you Came, la reprise d'Abba, tandis que la mélancolie de The Guitar Lesson et la magie progressive de Lord of the Reedy River nous font comprendre, rétrospectivement, ce qui a pu pousser un groupe de death metal, Opeth, à enregistrer un album de rock progressif (Wilson a collaboré avec le compositeur du groupe). An End to an End termine de façon quasi sépulcrale. 

vendredi 21 février 2014

PALMANANA - Green (2014)

 



OO
intense, lourd, ludique
stoner rock, garage rock, rock progressif

Green est un album long (1 heure 12) avec un son organique, qui ondule en de longs solos (Sunflora, 12 minutes), qui fuzze beaucoup, et qui, selon le groupe (italien), 'peut rappeler la musique stoner des nineties'. Le plus impressionnant est la façon dont l'album progresse, depuis les énormes riffs et les structures léchées de la première partie jusqu'aux 'erreurs de jeunesse' maîtrisées de la fin d'album, avec une voix de môme de quinze ans pour que l'illusion tombe : Universal Instant Trip ou Ken's Revenge, qui au fil des écoutes semblent pourtant aussi déterminées que Cameltoe ou Goatpussy, sans doute enregistrées ultérieurement. Il y a bien une raison pour laquelle toutes ces chansons cohabitent : faire une forte impression, de celle que laissent les grandes œuvres musicales. Un album aventureux et parfois sauvage. Aussi prometteur, dans un autre genre, que Sun Structures, des Temples.

lundi 14 octobre 2013

JONATHAN WILSON - Fanfare (2013)

 
OO
soigné, épique, vintage
rock, rock progressif
 
 
Les musiciens de la trempe de Jonathan Wilson sont des voyageurs qui savent pourtant très bien où ils sont chez eux. Chez lui, c’est le studio à Echo Park (Los Angeles), où Wilson a déménagé en 2009. Il y reviendra toujours jouer un accord sur son piano à queue pour produire le son qu’il préfère entre tous, et reprendre contact aussi bien avec des membres des Black Crowes, avec Josh Tillman (ex Fleet Foxes), Will Oldham (Bonnie Prince Billy) et d’autres. On dit qu’avec sa façon d’inviter ses amis David Crosby et Graham Nash chanter sur quelques compositions, et son habitude d’émuler Neil Young (Illumination, sur le nouvel album, ressemble beaucoup à Danger Bird sur Zuma !), il est le renouveau de la scène de Laurel Canyon.
Sa musique, douce, caressante, c’est celle d’esprits bienveillants, ceux qui, après 1973, auraient voulu repartir doucement, du bon pied. Jonathan Wilson est né en 1974, l’année de On the Beach, l’album que Neil Young enregistrait alors qu’il peinait à digérer une rupture amoureuse et la mort de son ami Danny Whitten. Whitten un symbole de comment l’esprit rêveur d’un musicien peut se briser, soudain rattrapé par les angoisses et en proie aux drogues dures. Longtemps musicien de session, Wilson, lorsqu’il se met à écrire des chansons, ne se contente pas de revisiter une époque, il apaise, soigne les blessures, ressemble à ses côtés les cœurs demeurés tendres et ceux, parmi les rêveurs, qui ont tiré les meilleures leçons de l’époque. Les chansons Gentle Spirit et Can We Really Party Today rendaient impossible l’hypothèse d’une replongée factice dans le passé. Gentle Spirit gagnait sur l’auditeur, même s’il abolissait les lois du temps comme les doubles LP de l’époque. Il le faisait avec une absence de prétention et une ouverture qui permettaient à faire de Wilson l’Artiste de l’Année pour le magazine Uncut, alors qu’il fêtait ses 37 ans.
Jackson Browne, avec qui il a joué. Les Heartbreakers. Crosby, Stills et Nash. Le Grateful Dead. Dennis Wilson. Et la façon dont il mélange le folk, le funk, le jazz évoque les innovations de Tim Buckley. Derrière Jonathan est à redécouvrir un certain catalogue musical de l’Amérique. Mais ses influences ne s’arrêtent pas là. Des passages sur Fanfare, nouvel album de chansons progressives, nouveau panel de presque 80 minutes, nous font même songer à Ok Computer. Même si on n’en reste à la façon dont chaque partie des chansons sonne, Fanfare est très divertissant : on y verra s’y refléter Roy Harper, par exemple. Le musicien folk et poète anglais a écrit les paroles pour New Mexico ; il a aussi travaillé à son album Man and Myth (2013) avec Wilson. Les deux partagent un répertoire commun de tons, de saveurs sonores. On pense aussi souvent à Pink Floyd, au cours de Lovestrong, l’une des chansons les plus évidentes de l’album. Le seul à jouer (de la plupart des instruments) sur tous les morceaux de son album, Wilson traite toujours ainsi son héritage musical : il ne le pirate pas mais l’enveloppe élégamment et le fait devenir après une minute un idéal d’authenticité.  
Sur Gentle Spirit c’était Natural Rhapsody, Rolling Universe, Magic Everywhere… Wilson enferme les prétentions épiques et omnipotentes de certaines des images qui naissent dans son esprit, en parant les chansons d’arrangements généralement simples et naturels. Seul le morceau-titre qui introduit Fanfare délaisse ce désir de composition ‘au naturel’ pour quelque chose de plus pompeux, de moins intéressant. Il s’agit d’un instrumental, et la raison qui explique sans doute l’équilibre particulier qui existe ailleurs sur cet album comme sur le précédent, c’est que Wilson n’a pas une voix qui porte beaucoup. Il est obligé de baisser le volume lorsqu’il se met à chanter. Dès lors, même si les orgues, les guitares électriques et la batterie particulièrement ample peuvent donner l’impression que l’on se trouve au beau milieu du studio pendant l’enregistrement, les meilleurs moments sont ceux où les participations aux harmonies vocales de Crosby et Nash (sur Cecil Taylor) ou de Josh Tillman (sur Desert Trip) triomphent. Le mentor Jackson Browne fait une apparition à la fin de cette chanson. Etant donné la patte musicale de Jonathan Wilson, s’inquiéter de voir se multiplier les invités était vain : il a naturellement trouvé comment les intégrer au canevas de ces nouvelles ‘visions’ faussement prétentieuses. Il loue en réalité la simplicité, la paix, la méditation, jamais bien loin du désert et des fantômes amicaux.  La richesse musicale attendue pour un album voulant se mesurer aux meilleures expériences de studio est mise en valeur au fil des écoutes alors que se révèle un album intelligent, sachant provoquer l’affection.
 
 
 

jeudi 29 septembre 2011

Opeth - Heritage (2011)


Parution : septembre 2011
Label : Roadrunner
Genre : Rock progressif, metal
A écouter : The Devil Orchard, Slither

°
Qualités : soigné, atmosphérique, envoûtant

« Je ne sais pas comment les gens se souviendront d’Opeth, mais ce n’est pas vraiment important » lâche Mikael Akerfeldt en 2010. Vingt ans après la formation de ce quintet suédois désormais révéré par des amateurs de musique avertis du monde entier, il n’est pourtant pas encore temps pour eux d’entamer une auto-analyse. Ils continuent plutôt à produire de nouvelles émanations de leur poésie clair-obscure, à souligner toujours davantage ce contenu émotionnel et technique – les deux sont étroitement liés chez Opeth – récurrent dans leurs compositions, et dans leurs albums. Opeth est admiré par un public toujours plus large pour sa capacité à mélanger les styles en toute inspiration et beauté : death metal, heavy, rock progressif et influences folk. Au-delà des genres, ils créent leur identité à partir d’imagination brute, non sans une pointe de romantisme bon enfant et de naïveté trahissant la sincérité d’Akerfeldt, s’il est le seul : lui qui se définit avec humour comme un fils à maman et n’a jamais eu l’intention de paraître méchant. « C’est juste de la musique », dédramatise t-il à l’intention de ceux qui exigeraient de grands gestes de désespoir gothique en provenance de l’un de leurs groupes favoris.
Leur adresse est de parvenir à autant de cohérence que de nuance, l’un des outils majeurs cette gymnastique étant le chant, tantôt hurlé (par le passé…), tantôt plus classique, d’Akerfeldt. Opeth est un groupe attachant parce qu’il cherche sans le revendiquer haut et fort à entretenir son originalité, en gardant sa sincérité. Heritage, leur nouvel album enregistré à Stockholm dans un studio un jour couru par Abba, semble questionner ce qu’est « l’esprit» de la musique metal, de le conserver au cœur du groupe, alors même que celui-ci tend maintenant beaucoup plus vers un hard-rock progressif, entre Deep Purple et King Krimson. La réponse est là, sur Folklore peut-être : son final épique et choral sur le couplet « Lost control and called your name/Left a home in the pouring rain/In a sea of guilt and shame/Will we sustain » semble être un hommage à tout un univers qu’Opeth n’est pas prêt de quitter. Les paroles restant, pour Akerfeldt, un art secondaire, mieux vaut s’attacher à la musique, cette musique qui nous transporte en premier lieu.


Heritage est encore très atmosphérique, mais plus terrestre, enregistré avec le plaisir de faire sonner les instruments avec la plus grande authenticité (analogique) possible. Le résultat est presque chaleureux, plus classique, surtout pour ceux qui ont entendu les albums de Yes, Crimson et Purple. En témoigne la belle pochette, c’est peut être un disque parcouru enfin de vie plutôt que de mort, avec moins des brumes et fumées qui étaient la marque visuelle et, d’une certaine manière, sonore, du groupe. Cette volonté de faire dans le naturel est un grand succès – les flûtes, par exemple, sont réellement envoûtantes ( et rappellent Jethro Tull, une autre référence), et la base basse (Martin Mendez) - batterie (l’exceptionnel Martin Axenrot) est tout simplement vibrante. Les overdubs sont pourtant nombreux, sur la voix d’Akerfeldt, plus modulée que jamais, par exemple. Surjoue t-il son nouveau rôle ? Impossible en tout cas de reprocher à Opeth son enthousiasme, belle leçon après deux décennies de musique… Ces dix chansons sont entrecoupées d’interludes, de transitions, de changement de rythme, et superbement sous-tendues de claviers – mellotron, piano Rhodes, et orgue Hammond B3 (Per Wiberg, qui jouait ces instruments, a cependant quitté le groupe à la fin de l’enregistrement). Lorsque Opeth joue ses plus gros riffs, - sur The Devil Orchard ou Slither, il conjure toute l’aura démoniaque de Black Sabbath ; la première est servie par un clip psychédélique à souhait, qui tente sans trop se vautrer de suivre sa dynamique en dents de scie et d’illustrer le schéma central selon lequel « dieu est mort ».

La guitare acoustique d’Akerfeldt est aussi très à propos sur I Feel the Dark ou Nepenthe par exemple. Le groupe ménage systématiquement de longues respirations au sein des morceaux, tout en les gonflant autant que possible d’idées plus ou moins adroites. Chaque titre contient est déjà suffisamment intriqué en lui même, pour de surcroît se fondre dans le disque (56 minutes) à tel point, qu’écoutés bout à bout, il n’est pas facile de distinguer le passage d’une plage à l’autre. C’est que la construction, épineuse, de ces titres, n’est pas évidente pour l’auditeur, qui pourra parfois regretter cette impression que tout est disjoint, tout en gardant la sensation d’une grande cohérence globale – les instruments et leurs couleurs respectives étant mis à contribution pour créer des réminiscences. Famine, avec ses percussions latines, bruitages dignes de Diablo II et multiples atours évanescents, s’étire sur huit minutes et demie et mérite vraiment d’être qualifiée d’expérience abstraite. Les interludes – le morceau-titre en introduction, et Marrow of the Earth à la fin ajoutent à l’aspect soigné de l’album.

mercredi 7 septembre 2011

{archive} Jan Dukes de Grey - Mice and Rats in The Loft (1971)


Parution  : 1971
Label : Breathless
Genre : acid folk, Rock progressif,
A écouter : Sun Symphonica

Qualités :  audacieux, extravagant, intense


Amené par Derek Noy et Michael Bairstow, Jan Dukes de Grey fut l’un des groupes les plus célébrés de l’acid-folk. Initialement dans la musique en tant que mercenaire, selon ses mots, Derek Noy se prit au jeu de l’expérimentation au tournant de leur premier album, décidant au terme de l’enregistrement de Sorcerers (1970) que Jan Dukes de Grey ne se définirait pas par ses compromis mais par la plus grande liberté artistique possible. C’est ainsi avec Mice and Rats in the Loft (1971) que Jan Dukes de Grey put devenir l’un des groupes expérimentaux les plus intéressants de la période, et le disque un classique acid-folk. Après avoir vu Donovan accompagné d’un flutiste à la télévision, et eu la rumeur du succès du Incredible String Band et de Fairport Convention, le jeune Noy abandonna le groupe de soul qu’il avait monté parce qu’il pensait que c’est ce que les gens voulaient entendre, recruta Bairstow pour jouer de divers instruments, empoigna une guitare 12 cordes et se mit à écrire des chansons. Les chansons eurent du succès dans les clubs folk, et Sorcerers fut bientôt en route, sous la houlette du producteur David Hitchkock.



L’album parut en janvier 1970. Il contient 18 vignettes, à cause de la volonté de Hitchkock de faire l’impasse sur toute l’improvisation propre aux performances live du groupe. L’improvisation était pourtant le moyen pour Jan Dukes de Grey de montrer qu’il arrivaient à la fin d’une chaîne de tradition, qu’ils amalgamaient tous les sons et les influences pour créer une musique dense et intense. Au contraire, Sorcerers fut décrit par Noy comme un disque sur lequel les gens peuvent « s’assoir et se relaxer », ce qui venant de lui était pure frustration. Un sentiment injuste si éprouvé par un musicien crédité pour jouer bongos, congas, céleste, batterie, basse, orgue, piano, Tabla, trompette, percussions sur son disque.



Mice and Rats in the Loft (1971) ressemblait beaucoup plus à un processus de synthèse, ce fut un disque progressif dans un sens très différent de ce que jouaient Pink Floyd par exemple. Tandis que ceux-ci polissaient leur son autour de quelques blues étirés, et gravitaient autour de la musique populaire, Jan Dukes de Grey nous embarquait dans un voyage à la rencontre de tout ce qui avait été fait de plus romantique et de plus mystérieux, le recrachant avec une fougue rare et une sorte de transe hallucinée. Sun Symphonica, la pièce maîtresse de Mice and Rats in the Loft, démarre de façon bien innocente, avant que la saxophone arrive et que tout devienne plus sinistre et imprévisible. Le groupe, forcément anglais à ce point, se démarque notamment par ses parties de guitare inspirées. De la même façon, Call of the Wild démarre comme un morceau qui pourrait être du Forest ou du Trees, deux formations Britanniques assez bucoliques, avant de s’attacher à faire de nouveau diversion par des explorations musicales menées à la guitare acoustique et à la flute. Le morceau-titre est encore plus surprenant et lugubre que le reste. Jan Dukes de Grey donne parfois l’impression d’expérimenter au-delà de leurs propres talents techniques, afin d’accomplir avec ce disque quelque chose d’unique, qu’eux mêmes ne pourraient égaler, en terme de densité et de complexité instrumentale. Une réussite d’autant plus étonnante que « Il y a probablement 40 % de musique écrite. Le reste est purement improvisé. Et c’est entièrement live. » Un chorégraphe tenta de persuader Noy que son disque pouvait servir de bande son pour un ballet.

mardi 18 janvier 2011

Swans - My Father Will Guide my up a Rope to the Sky (2010)



Parution : novembre 2010
Label : Young God Records
Genre : Noise rock, folk alternatif, Rock progressif
A écouter : You Fucking People make me Sick, Inside Madeleine

°°
Qualités : intense, puissant, onirique

Ce qui fait de My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky une expérience rare, c’est la qualité et la radicalité des choix musicaux qui sont pris. « No Words/No Toughts », avertit le titre de la première pièce de ce premier album des Swans depuis 14 ans. Pas de mots, pas de pensées ; ce que l’on trouve ici est la substantielle moelle constituée de ce qui donne à Michael Gira, l’incarnation des Swans, l’envie de continuer ; l’instinct. Eternel étranger à la complaisance, à la musique faite pour être vendue, il parvient à réconcilier comme personne l’émotion crue, mise à nu et à la portée de chacun, et une démarche  artistique totale – il ne s’agit pas d’une relecture de tel ou tel genre musical, encore moins d’une reformation jouant sur la nostalgie pour ses Swans, mais d’une invention parfois radicale, et extraordinairement intense, que la vie pourra désormais imiter. Le peu de ce qui reste attaché à quelque chose, sur cet album hors normes, ne manque pas de charme ; on retrouve ce bruitisme cher à ce groupe apparu en 1983 et cousin de Sonic Youth. Une nonchalance malsaine, voire létale, une monotonie farouche comme le signe le plus naturel qui soit de la rébellion. A propos de Jim, le troisième morceau du disque : “je vois ce groove comme contenant la graine de quelque chose qui va continuer sur le prochain disque des Swans. Pour l’instant, je vois le prochain album comme ayant très peu de paroles et basé sur des grooves qui se transforment et le genre de sons qui vous demandent de souffrir pour les générer. » Son expérience au sein des Angels of Light, groupe plutôt folk, ces dernières années, sert également.   

My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky est le disque d’un homme persévérant. Il a raison, puisque les idées qu’il réutilise – ces guitares glauques et bruyantes – sont transformées en messages d’intention sans équivalent. Il y a toujours une part de rêve, une émotion grondante, une histoire secrète prête à surgir, parfois au bout de plusieurs minutes. Quand ce morceau de bravoure arrive, dont tout le reste ne semble être que la traînée, le scintillement superficiel mais indispensable, ce n’est jamais comme on l’imaginait. A ce titre, Inside Madeleine est un petit chef d’œuvre, ne prenant qu’au bout de cinq minutes tout son sens, mystique. Les crescendos qui amènent la révélation, la clef de chaque morceau, sont laborieux. La narration est décousue, les paroles portées sur des éléments forcément spirituels, voire religieux, quand Gira ne s’attache pas même, dans ses dévouement et sincérité, à faire le portrait d’un de ses modèles. Un agrégat de poussières cosmiques, un amalgame d’éléments auparavant sans vie, si bien réchauffés qu’ils parviennent à nous parler d’expériences humaines.

Le pivot du disque est You Fucking People Make me Sick – cette chanson à elle seule justifie que le Michael Gira ait réactivé les Swans alors que le groupe était en sommeil depuis 1996. Envisagé comme une suite de sons, un peu comme les éléments de bande sonore cinématographique condensés – et dont le caractère étrange, hors de leur contexte, se trouverait sublimé. Mais Gira va par la suite décider d’y jouer de la guitare, et y inviter Devendra Banhart, avec qui il partage le label Young God Records, à venir y chanter les paroles.

Il faut aussi dire que Gira a un problème avec sa propre voix. Il excelle pourtant dans un registre difficile, grave et minimaliste, ailleurs sur le disque. Pour No Words/NoToughts, il aurait souhaité chanter des harmonies élégiaques comme Pink Floyd sur Echoes. On ne se refait pas.

Sur You fucking People, il est allé plus loin ; sa fille de trois ans et demi chante aussi. Une drôle de démarche qui montre combien il eut être facile et naturel de faire une musique différente, en envisageant des possibilités inédites. Et c’est sans compter, à la fin de ce morceau, le piano martelé dans le notes les plus graves, et les trompettes à l’agonie et les mandolines qui lui donnent une tournure définitive. Le processus a pris énormément de temps.

Malgré l’impression que My Father… est une sorte de monolithe ardu taillé pour l’éternité, Gira lui-même a déjà des choses à reprocher à son travail. Mais les reproches en question sont davantage ceux d’un esprit jusqu’au-boutiste forcené – faire une version de vingt minutes de No Words/No Toughts, avec quinze minutes d’introduction, comme c’est le cas en concert n’est finalement pas une si bonne idée. La démarche a beau être sincère et l’énergie mise en jeu considérable, la lassitude de l’auditeur aurait eu raison des sons de cloche à outrance. « La section centrale va être allongée à 20 minutes jusqu’à ce que la dernière goutte de sang soit chassée hors de la chanson », dit Gira (s’adressant à New Noise Magazine, n°1) à propos de Eden Prison. Cette application, cette volonté d’épuiser les corps et les morceaux, est le trait de caractère des Swans et celui qui leur a valu d’êtres imités par des musiciens de la scène métal de la trempe de Neurosis. En s’éclipsant en 1996, les Swans avaient laissé à la musique lourde de beaux jours devant elle ; en revenant en 2010, ils reprennent les choses là où ils les avaient laissées, avec une force qu’ont diluée leurs suiveurs. « La plupart des groupes qui se disent influencés par les Swans ne m’intéressent pas », déclare Gira. Dans sa bouche, ça ne sonne pas comme de la prétention mais comme le professionnalisme le plus banalisé. 

jeudi 22 avril 2010

Neurosis - Times of Grace


Neurosis est la formation qui a fait redevenir le rock progressif excitant et instense, comme ça n’avait peut-être jamais été le cas. Aujourd’hui shamans cultes de la scène indépendante américaine, imités par une poignée de groupes et source d’inspiration pour bien davantage, ses membres continuent leur route dans le noir, que ce soit au sein de Neurosis ou en produisant des disques sur le label qu’ils ont lancé, Neurot Recordings. Ce label est aussi la maison de projets parallèles pour les deux chanteurs du sextet, Steve Von Till et Scott Kelly, respectivement au sein de Harvestman et de Shrinebuilder. C’est l’une des meilleures idées au sein de Neurosis, ces deux voix complémentaires, mais qui rivalisent, toutes deux guturales et profondes (Kelly a cependant plus de temps de présence que Von Till). On peut écouter le morceau titre de Times of Grace pour se persuader que chanter à deux de la manière dont ils le font, dégage une vraie puissance infernale, parfaitement complétée par le son de guitares accordées très bas.

Chez Neurosis, les instruments communiquent de manière inhabituelle ; ces guitares se lançant dans de sourdes lamentations caverneuses, entre deux riffs incroyablement lourds et puissants, tandis que la batterie a une approche tribale, même sur des tempos rapides. L’effet recherché est d’illustrer la rudessee d’un monde instable ; envoûtant, sans doute beau, rougeoyant et mourrant ; mais toute mort, à cette échelle, n’est synonyme que de transformation. C’est une musique mutante issue du hardcore et devenue illustrative, comme le suggère Descent et sa cornemuse, ou The Last You’ll Know – lequel morceau est construit autour des échantillons de Noah Landis, le bruiteur dont la place dans le groupe se justifiera de plus en plus (en effet, alors que les premiers disques de Neurosis contenaient quantité de dialogues subliminaux dans un style daté, sur les derniers ses éléments électroniques vont devenir sons liés complètement au reste dans une sorte d’expérience multisensorielle ; ce sentiment est particulièrement vrai si l’on écoute Times of Grace avec Grace, le disque du projet expérimental Tribes of Neurot qui est destiné à être écouté simultanément).

La structure du disque montre que le groupe a atteint sa maturité. Les morceaux sont moins sombres et globalement moins longs que sur Through Silver in Blood (1996), le disque de l’escalade d’un nouveau genre éprouvant et réjouissant pour Neurosis. La plus longue pièce sur Times of Grace, Away, est d’ailleurs le morceau le plus calme du groupe jusqu'à présent, pour l’essentiel une longue plage volontairement terne, mais où l’on sent bien l’énergie en receuil (il est toujours question de spiritualité chez Neurosis), un pont vers l’âme après tant de fureur extériorisée. « Cease this long, long rest/Wake and risk a foul weakness to live”. Sur Away, c’est la première fois que Kelly prend une voix dégagée et que Neurosis autorise à une “faiblesse” d’exister. Finalement, le morceau se termine avec « away », simple mot crié sur un arpège progressif, lent et lourd. Les textes du groupe sont souvent concis, parfois cryptiques ou plutôt esthétiques ; on devine que la forme est aussi importante, ou plus importante, que le fond. De ce simple « away » à d’autres bouts de phrases, on sent que les syllabes ont maturé, deviennent parfois traînantes dans l’intonation caverneuse qui les interprète. "To deny/Until i say/Fell us alive/Sight as i speak/Inside us born…” On le devine, la manière dont les vers sont découpés provoque l’interaction des deux voix.

The Doorway et Under the Surface, deuxième et troisième morceau du disque, sont les plus convaincants. C’est ceux sur lesquels les sentiments se font les plus extrêmes, écorchés. « Your shell is hollow/ Your shell is hollow/ So am I/ The rest will follow/ The rest will follow/ So will I” crie Kelly sur le climax de Under the Surface, pendant lequel le groupe atteint son objectif avec le plus de brio ; une fusion de toutes forces, sentiments, sensations, une alliance sauvage et païenne (forte symbolique sur pochettes à l’appui). On voudrait que ce flot inextingible ne cesse jamais. Cependant,les résultats de cette exploration sont parfois plus mitigés, bien qu’on s’en délecte tout autant. Chaque nouveau titre demande à Neurosis de remobiliser toutes ses connaissances, de retrouver l’équilibre, comme si rien, jamais, n’était acquis. Progresser, s’améliorer leur demande de grands efforts, oun travail obsédant. L’expérience accumulée se concrétise pourtant lentement, et Times of Grace est un tournant de leur carrière (dans la manère dont il est séquencé…), un modèle dépassé par A Sun That Never Sets (2001) et The Eye of Every Storm (2004). A noter que le dernier morceau, Road to Sovereignty ouvre la voie pour le futur EP Sovereign (2000).

Times of Grace a été réédité récemment en édition double CD avec Grace. Ecouter les deux simultanément est une expérience à la hauteur de la réputation du groupe.

  • Parution : 1999
  • Label : Neurot Recordings
  • Producteur : Steve Albini, Neurosis
  • Genre : Post-hardcore, Sludge metal, Progressif
  • A écouter : The Doorway, Under the Surface, Times of Grace
 
  • Appréciation : Monumental
  • Note : 8/10
  • Qualités : intense, original

samedi 20 mars 2010

David Gilmour - On An Island


On peut parfois se demander quel est le disque que l’on aimerait amener sur une île déserte. S’il devait y en avoir qu’un. David Gilmour, se posant cette question, n’est pas allé chercher chez d’autres ce qu’il aurait pu faire lui-même ; un album somptueux, sensuel, reposé, qui est le chef-d’œuvre évident de sa carrière solo – ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on parle de l’un des plus grands guitaristes du monde encore en activité.

"La voix et la guitare de Pink Floyd", comme il se présente souvent, c’est aussi une bonne partie de l’âme qui traverse les albums du Floyd que sont Meddle (1971) ou Wish you Were Here (1975), sans compter ses excellents solos sur Animals. Ici, on est cependant à des années-lumière de la fureur rentrée de ce pamphlet inspîré par Georges Orwell et sorti sans grande surprise en 1977. En 2006, Gilmour a soixante ans ; ses relations avec Roger Waters se limitent à des salutations polies (par exemple lorsqu’ils se croiseront alors qu’ils préparent leurs shows dans deux hangars voisins). On an Island est coécrit avec Polly Samson, sa femme depuis 1994. En découle une œuvre de grande cohérence et de grande force, un disque courageux aussi puisqu’il n’est jamais démonstratif, laissant le sentiment servir de fil conducteur. Les chansons racontent la poésie du couple, l’alchimie du bonheur, la recherche de quiétude après une vie d’explorations incessantes – de tournées à perdre haleine.

Castellorizon ou Red Sky at Night montrent Gilmour qui tente de communiquer son cœur à la seule force de son instrument – et il n’est pas mauvais saxophoniste, il a bien compris qu’un bon solo de saxophone remplace avantageusement une énième ligne de voix. Cela d’autant plus que le disque est construit dans l’optique d’une tradition théatrale contemporaine, comme une expérience multisensorielle, plutpôt que comme un disque de rock – et que chaque intervention doit répondre à celle qui l’a précédé. Les éléments qui le composent se fondent les uns aux autres ; les atmosphères progressives du Floyd deviennent le plus souvent l’écrin à l’affect de Gilmour, avec parfois de dramatiques envolées. Les orchestrations sont ainsi complètement naturelles, rien n’est plus forcé. Then I Close My Eyes introduit la prestation de Robert Wyatt au cornet, un instrument qui transmet une émotion incroyable (il n’a a qu’a écouter aussi le morceau Ordinary People de Neil Young, vers la quinzième minute, pour comprendre).

Take a Breath nous rappelle que nous sommes en présence de celui qui a écrit Young Lust. Gilmour y est comme souvent accompagné de Phil Manzanera (Roxy Music), ainsi que de Guy Pratt à la basse. Le morceau ressemble à un léger retour de vent après la traversée de grande quiétude que constitue le triptique Castellorizon-On an Island-The Blue (lesquels morceaux contiennent de magnifiques solis de Gilmour, qui maîtrise les tempos lents à merveille et ménage l’arrivée d’une plainte électrique comme l’entrée en scène d’un personnage animé bien plus présentable que ceux de The Wall (1979). Smile ou Where We Start apportent la félicité ultime, portés par de superbes mélodies de chant. This Heaven la joue cool, et il l’est vraiment, à braver vents et marées.

La fascination du Floyd pour les pays du sud de l’europe – qui a sans doute culminé lors de leur fameux concert aux arènes de Pompéï en 1972 - est encore présente ici, dans l’imaginaire de Gilmour. Ainsi, Castellorizon est est méditation du guitariste après une nuit passée dans le ville côtière de Castellorizon en Grèce… On se souvient avec un pincement au cœur de l’amour de Richard Wright pour la mer et la navigation – … voir son disque solo Wet Dream (1978). Il est probable que les notes en introduction de Echoes, l’un de leurs tirtres les plus célébres et les plus longs de leur répertoire, soient voulues comme des sonorités « aquatiques ». Comme un appel humain à travers la mer. Sans compter, sur On an Island, le thème de la quiétude et de l’île, ou encore les titres The Blue et A Pocket Full of Stones.

En concert, David Gilmour est apparu accompagné de Richard Wright, feu le claviériste de Pink Floyd ou de David Crosby et Graham Nash, qui ont aussi participé sur le disque aux chœurs du titre On an Island.

Disque enregistré sans compter, On an Island est enfin, en 2006, la manifestation entière de l’univers de Gilmour, un sommet romantique.


  • Parution : 6 mars 2006
  • Label : EMI
  • Genre : Rock progressif, Blues
  • Producteurs : David Gilmour, Phil Manzanera, Chris Thomas
  • A écouter : On an Island, Take a Breath, This Heaven, Smile


  • Appréciation : Monumental
  • Note : 8/10
  • Qualités : poignant, soigné, heureux

 

lundi 8 mars 2010

Comets on Fire - Avatar (2006)



Parution8 août 2006
LabelSub Pop
GenreRock progressif, Psych-rock, Hard rock
A écouterDogwood, Lucifer’s Memory, Holy Teeth
/107.25
Qualitésludique, rétro, hypnotique


Tandis que Comets on Fire avait déjà trouvé un moyen de faire bouillir son pedigree d’influences dans l'adrénaline pure, il semble soudain utiliser un champ plus large, capturer de plus vastes bribes temporelles, en se fendant de chansons plus lentes par exemple. Les fans de l'album précédent, Blue Cathedral (2004), se demanderont ce qui est arrivé au rock psychédélique de la formation, habitué à serrer la vis, à mettre la pression jusqu'à nous faire décoller de terre. Dogwood Rust, qui ouvre le disque en mid-tempo, est entraînant lorsqu'on le compare à certaines compositions (au piano !) qui suivent. Le chant de Ethan Miller s’est assoupli, mais les musiciens n'ont pas encore vraiment brouillé leurs capacités de marteleurs psychiques, l’atmosphère étant juste un peu plus calme qu’auparavant – 2 ans ont passé, et le groupe que l’on soupçonnait inamovible a quelque peu détourné son attention de sa folie primale. Pour en revenir au commencement : le calme relatif de la voix ne peut cacher la mélodie vintage bien dans l’esprit, dégageant à un moment donné l'espace pour que le bassiste puisse s’exprimer en improvisation.

Au travers de la plus douce Jaybird, on apprécie les tons plus cléments de la voix de Miller - tandis que la guitare se tortille encore avec dépit dans la distance, inévitablement, à l’école de Comets on Fire. Plusieurs de ces pistes promettent de se dévergonder après leurs entrechats initiaux, mais le changement vient toujours progressivement et naturellement. Détournez votre attention pendant une minute, et vous pourriez croire que Jaybird est finie, mais c'est seulement le gros riff de blues qui se racle la gorge et reprend son souffle pour enfin se faire entendre dans le tourbillon.

Pour un groupe qui travaille avec la surenchère type space-op (ils sont les dignes rejetons de Hawkwind par exemple), ce nouveau faciès mélancolique s'adapte assez bien à leur propos. La narration se fait plus contemplative. C'est étrange de les entendre chantonner sur un piano vacillant, et il est intéressant de noter combien ils paraissent à l'aise dans ce rôle, et avec quelle facilité ils glissent de ce registre à davantage de densité. Bien sûr, quelqu'un booste l’ambiance de gribouillis de guitares abstraits ou d'un couinement plombant à chaque fois que le baromètre « cliché » vire au rouge (Lucifer's Memory est la plus proche démonstration du groupe dans le genre power-ballade). Et Comets on Fire sont dans l'extraction minière sonore depuis si longtemps, que ces moments d'auto-sabotage viennent avec naturel et sans automatisme – Avatar capture jusqu'à maintenant, le moment de leur carrière où ils sont le plus souples – Blue Cathedral était incroyablement tendu.

Ca aide que le disque soit très bien rythmé ; commençant avec l’accrocheur et lourd Dogwood Rust, puis basculant dans de plus en plus de silence jusqu’au quasi-instrumental Swallow's Eye, et revenant ensuite en force avec l’énergique Holy Teeth, un tableau alléchant de trois minutes qui témoigne d’une nouvelle prétention du groupe à des vitesses de pointe – toute allusion à une croisière spatiale est à sa place avec Comets on Fire mieux que n’importe où ailleurs. Leurs disques soignés de bout en bout finissent de faire d’eux les parangons du psych-rock des années 2000.

Shining - Grindstone (2007)



Voir aussi la chronique de Blackjazz
Parution 29 janvier 2007

Label : Rude Grammofon

Producteur : Kåre Chr. Vestrheim

Genres : Rock progressif, Avant-garde, Metal

A écouter : Winterreise, Psalm

Note : 7.50/10
Qualités : original, sombre, intense



Shining est groupe norvégien quasiment indescriptible. L'amalgame impie de riffs de metal, de coupures de jazz, de départs classiques et d’anticipation dégénérée ressemble à un véritable challenge pour qui décide d’en tirer les fils. Même les propres mots du groupe pour décrire leur musique à la presse s'appuient davantage sur la comparaison que la dénomination réelle. Essayer de capturer la matière créative qui ceint le groupe avant-gardiste serait renier la pure joie qui nous gagne à l'écoute de Grindstone

Tout semble aller avec eux à l'encontre de la convention, et près de la confrontation et du défi. La musique est trop lourde pour les amateurs de jazz, trop abstraite pour les fans de metal et trop structurée pour les amateurs de musique d'avant-garde (genre proche d’un jazz abstrait). Même les titres des chansons semblent provoquer délibérément la confusion, avec le morceau-phare, In the Kingdom of Kitsch You Will Be a Monster, qui répète le nom du précédent album de Shining. Un autre titre est intitulé en points et tirets de code morse (il se traduit par Bach), tandis que deux autres partagent exactement le même titre (procédé qui sera utilisé à nouveau sur Blackjazz (2010), le successeur de ce disque, et à deux reprises).

Shining effectue un gros travail d’acclimatation, en donnant dès les deux premiers titres la plupart des clefs aux auditeurs. Cette voie d'accès à Grindstone est constituée d’une première charge d'agressivité, avec riffs de guitare saccadée et d’un clavier éructant, rythmé d’onomatopées martiales (mais le disque est instrumental). On retrouve sur le premier disque l’agressivité de son successeur, Blackjazz, mais l’illusion ne va pas durer et Grindstone apparaît comme une étape entre In the Kingdom of Kitch… et Blackjazz, alliant atmosphères spacieuses et inquiétantes du premier et coups d’éclats death-metal du dernier. Ce sont des flûtes que l’on entend au milieu de la chanson, et même un gong, quelque part. Sans oublier, bien sûr, l’interaction psychédélique entre riffs et percussions tribales ou techno. Winterreise fait monter l'adrénaline d'un cran avec une batterie toujours plus délirante et plein de sections de cuivres détournés qui désorientent à la première écoute, mais gratifient dans les suivantes. Le dernier tiers du morceau se transforme avec la même impulsion en un genre de musique de film, passant sans heurt de progressions étouffées à une belle flambée orchestrale. 

Il existe plusieurs groupes qui, en surface, s’essaient à la même spontanéité, dans des genres hybrides. Ce qui rend Shining si exceptionnel est qu’il sonne de façon quasi organique, vivante ; et aussi que les frontières de la raison, peu souvent franchies par les artistes de rock, sont ici repoussées. Sur Blackjazz, elle le seront à la limite de l’outrage, en en faisant un disque à double tranchant. Dans les mains d'autres artistes, le travail de Shining serait au mieux une mise en scène de secousses, et au pire inaudible. Le groupe sait parfaitement où il va, ses intentions créatrices radicales le mettent en marge de toute la scène metal, et en marge de la production scandinave. Il bénéficie aussi d’un savoir-faire étonnant. Deux membres de Shining étaient autrefois partie prenante du pendant léger et plus traditionnel Jaga Jazzist (One Harmed Bandit paru début 2010), tandis que les deux autres sont des musiciens de session et des compositeurs pour la danse, le cinéma et le théâtre. La performance de Shining permet aux musiciens de se libérer de leurs origines formalistes.


vendredi 5 mars 2010

Série Londonienne # 1 : Pink Floyd - Animals


La pochette du disque se devait de retenir mon attention. En découvrant Londres en 2007, j’ai tout de suite été fasciné par la Battersea Powerstation, cette ancienne usine électrique aujourd’hui désaffectée et laissée comme une coquille vide sur les bords de la tamise, encore dressée dans un environnement hostile ; une zone d’entrepôts démolis et de grues de déchargement rouillées. J'ai eu, en la voyant, le souvenir de la pochette de ce disque des Floyd, Animals, que je ne connaissais pas bien à ce moment. C’est en découvrant l’intérieur de la pochette (pour l’édition vinyle) que l’on découvre un peu de cet espace mystique qui provoque l'attirance pour la bête ; grilles, barbelés à contre-jour, champs de ruines, déjà en 1977 – je ne peux pas dire si l’usine fonctionnait encore à l’époque – intérieurs vétustes d’ateliers, quai où les trains déchargeaient leur charbon.

Impossible d’approcher la powerstation de près – le plus près étant le pont de Battersea qu’emprunte le train, et c’est suffisamment proche pour être très impressionné par cette cathédrale de briques géante. Un bâtiment austère et froid, déshumanisé, déserté, comme le sont ces vestiges d'une ère pas tout à fait derrière nous, entre deux eaux ; qui devient peu à peu obsolète. Dire qu'un beau quartier va être construit tout autour, que l’usine deviendra le centre de l'attention locale, inscrite dans le cercle d'une place neuve, que les toits du bâtiment vont être couverts de verdure… Alors ce sera vraiment la fin d'une époque, mais c'est heureux que la municipalité n'ait pas décidé de la détruire.

De l’autre côté du pont suspendu, un parc, Battersea Park (vous l’aurez deviné, nous sommes dans le quartier de Battersea). Très vaste, plein de surprises, comme d’autres parcs londoniens (Hyde Park, Regent Park… ) Sa particularité est de border la tamise sur sept cent mètres au moins, avec, à un moment donné, une construction d’inspiration tibétaine sertie d’un buddha doré. J’ai souvenir d’un autre disque de Adam and the Ants lorsque je me suis installé, l’espace d’une après midi, dans le cœur aménagé de fontaines de ce parc (comme beaucoup d’endroits à Londres, désert en semaine, Battersea devient très fréquenté le week end).

Battersea powerstation est impossible à visiter, du moins je ne crois pas. Pourtant, on la voit de loin ; pas si on longe la tamise, à cause des méandres, mais depuis Hyde Park, depuis le centre ville, il m’est arrivé d’en apercevoir les cheminées, comme quatre dents dans le ciel rose.

La photo sur la pochette est prise depuis l’arrière de la powerstation, c’est le côté opposé à la tamise que l’on voit ; et le pont de Battersea que l’on aperçoit sur la gauche. Derrière ce pont, le quartier de Chelsea. Plus loin sur la gauche (à l’arrière de la pochette), les quartiers ouest de Londres qui bordent le fleuve ; Hammersmith, etc.

C’est plaisant de voir à quel point l’usine a peu changé depuis 1977, vue de l’extérieur. Elle a toujours cette présence dramatique qui la caractérise ici, traitée par Storm Thorgerson – l’artiste dont les visuels de pochette sont les plus reconnaissables, peut être, les plus aboutis. A propos du travail de Thorgerson, le cochon volant entre les deux cheminées n’est pas qu’un (b)détail, mais un point crucial – du point de vue de Roger Waters au moins – qui a nécessité des heures de travail. De la taille d’un camion, les tentatives pour le rendre photogéniques furent répétées maintes fois, manifestement à cause des intempéries et des nuages qui dissimulèrent même cheminées et cochon pendant la séance. On voit l'animal, à l’intérieur de la pochette, couché sur le côté, comme mort.

Ce n’est qu’en tournant autour de la powerstation – traversant le pont, tournant à droite, puis lui faisant face – que l’on se rend compte de la supercherie – les ouvertures de la façade ne renvoient que la lumière du jour, nous laissant deviner que le monstre a été désossé, qu'il est complètement vidé. C'est de ce point de vue que j'ai fait le plus photos, tant m'intéressait l'idée d’une cathédrale industrielle, imaginant ce qu'il pouvait y avoir à l'intérieur. Je crois que ce que suscitait le bâtiment est aussi du à sa position, un peu en marge du centre de la ville, mais pas complètement isolée non plus ; entourée de quartiers résidentiels calmes discrets et plutôt riches (Chelsea en particulier). Continuant vers Westminster, je parviens à Pimlico ; c'est une autre partie de Londres, une autre histoire.

Animals n'est peut être pas des meilleurs disques de Pink Floyd, mais c'est l'un des plus grands travaux de Roger Waters, parolier et bassiste du groupe. A la fois pièce musicale intéressante - ces solos de guitares multiples montrent que David Gilmour est en grande forme, ce break de plusieurs minutes où les aboiements de chiens rejoignent les sonorités étranges des synthétiseurs - et pièce politique aux inspirations littéraires (La ferme des animaux, de George Orwell). Waters montre son aise à suggérer un concept et à le décliner (ici, il dépeint trois classes sociales). Le thème emprunté à Orwell est mis en musique d'une manière désormais classique pour le Floyd, et c'est vraiment les couplets de Waters qui font la différence, images puissantes et métaphores vives qui seront développées dans d'autres directions pour The Wall (1979). Les chiens, ce sont les businessmen qui exploitent les lois du marché pour s'enrichir et enrichir leurs supérieurs :

You got to be able to pick out the easy meat with your eyes closed
And then moving in silently, down wind and out of sight
You gotta strike when the moment is right without thinking

Les cochons représentent la classe supérieure, gloutonne, avare et ignorante de la souffrance des moutons, qui représentent la classe inférieure, pour des raisons toutes naturelles… Waters se fait sarcastique, élevant ces cochons en ridicule. Le discours du Floyd, alors que le groupe est devenu le roi du monde, est moins inoffensif qu'au début de sa carrière, bien que sous la forme de concept il évite la confrontation directe et l'exposition à nu des ses idées. Le premier solo de Gilmour sur Pigs évoque des grognements porcins, et, comme la mélodie en forme de musique de cirque, ajoute au portrait pathétique. Un second solo épique et grandiloquent ferme le morceau, témoin d'une fausse grandeur, d'une opulence artificielle.

Sheep décrit les classes dominées qui finalement, dans un sursaut optimiste, viennent à se libérer :


Bleating and babbling we fell on his neck with a scream.
Wave upon wave of demented avengers
March cheerfully out of obscurity into the dream.

Cerise sur le gâteau, Pigs on the Wing parts 1 et 2, chansons d'amour de Waters pour sa fiancée d'alors. Il y décrit ses aventures passées en se qualifiant de véritable chien…


Inutile de rappelle que le message du disque est plus que jamais d'actualité, à l'heures de "crises financières", etc.



  • Parution : 23 janvier 1977

  • Label : Harvest, Emi

  • Producteur : Pink Floyd

  • Genre : Rock progressif, Folk Rock

  • A écouter : Dogs
  

  • Appréciation : Méritant

  • Note : 7.25/10

  • Qualités : soigné, engagé, lucide

vendredi 6 novembre 2009

{archive} Robert Wyatt - Ruth is Stranger Than Richard



 Ruth is Stranger Than Richard, paru en 1975, est l’occasion pour Robert Wyatt de lancer un beau « ne vous fiez pas aux apparences ». Il commence ainsi avec Soup Song, un morceau presque traditionnel au swing imparable bien différent de ce que l’on pouvait entendre sur Rock Bottom (1971), second album qu’il a, à la différence de celui-ci, entièrement écrit.


L’artiste, qui a failli à l’époque apparaître à Top of the Pops avec une chaise plutôt qu’avec son fauteuil roulant, soit disant pour ne pas choquer les audiences familiales de l’émission, décide qu’il va combattre le monde musical convenu et horriblement organisé du début des années 70 et Angleterre. N’est ce pas la principale force de l’artiste que de surprendre ? Wyatt ne manque pas de personnalité pour cela. De plus, Yesterday Man, la reprise reggae du morceau de Chris Andrew que Virgin devait sortir comme single avant ce nouveau disque – et qui donnera Sonia sur Ruth is Stranger Than Richard - , a été qualifiée de « lugubre » par la maison de disques avant d’être mise de côté au dernier moment.


C’est peu être en considération de ce refus des médias de l’accepter tel qu’il est que Wyatt a réfléchi, non à l’apport d’éléments foncièrement nouveaux dans sa musique – tout semble déjà en place dès Rock Bottom, à commencer par cette voix tendre et aigue, - mais au développement d’aspects qui puissent renouveler l’intérêt de ceux qui l’ont rapidement étiqueté comme lunaire, désespéré, voire inquiétant. Il est vrai que Rock Bottom véhicule globalement un sentiment de mélancolie et de nostalgie qui peuvent affecter l’auditeur après qu’il en ait fini avec les Beatles. C’est surtout une œuvre étrange et excessivement intime avec des morceaux longs, qui demande une réceptivité plus importante que pour les formats pop habituels.

En tout cas, il semble que Wyatt soit concerné par la question de ne pas sceller sa carrière par un second opus du même standard (dans une interview récente, il est supposé avoir dit : Je n’aime pas déconcerter les gens. Bien que même quand j’essaie d’être normal je les déconcerte quand même »), ce qui le conduit à mettre en évidence des influences jazz et brass-band – la musique est majoritairement due à ses collaborateurs et amis Phil Manzanera, Fred Frith, Mongezi Feza (à l’origine de Sonia), Brian Hopper (de son ancien groupe les Wilde Flowers) – et ainsi à donner un aspect plus concret à sa musique.

Alors que Rock Bottom était fasciné par l’abstraction et tournait autour de formes aquatiques indécises, on trouve ici des pièces qui sont à priori plus facilement assimilables. C’est le cas des premiers titres du disque, de Soup Song (dérivé de Slow Walking Talk, des Wilde Flowers) à Team Spirit – plus soutenu, épique et psychédélique - en passant par Sonia, qui emprunte à la musique de mariachis ou de salsa cubaine.  On trouve aussi une reprise du Song For Che de Charlie Haden. Ces premiers morceaux constituent ce qui va être appelé la face « Ruth » plutôt que face A du vinyle.


Puis, peu à peu – dans la face « Richard » - , tout redevient comme avant. L’instrumental 5 Black Notes and 1 White Note, par son titre même – on dirait le nom d’un tableau abstrait – renoue avec le principal intérêt de Wyatt, laisser la musicalité s’ébattre au bord de la brèche pour créer la beauté. La pièce Muddy Mouse, en trois parties, joue de la même façon une sorte de tableau que l’artiste habite d’onomatopées – en pauvre oiseau qu’il est. Wyatt a en réalité une idée derrière la tête ; si l’auditeur a apprécié les premiers titres, il va être forcé de se diriger vers les terres nettement moins balisées qui constituent, à mon avis, le sommet de son art. Muddy Mouse (c)- avec Fred Frith - n’est t-il pas le titre le plus charmant du disque ? C’est là qu’on s’attendra à retrouver Wyatt, logiquement, sur l’album suivant... Old Rottenhat, en 1985.

Les premiers morceaux, encore une fois, sont étrangement conventionnels, et, en dehors de leur qualité musicale évidente, peuvent paraître décevants pour l’artiste. Pourtant, ils révèlent l’exaltation qui peut gagner Wyatt dans la création, plus communicative ici alors qu’elle s’exprime en soli de saxophone qu’ensuite, quand elle devient un état psychologique dont seulement une partie, même si c’est une partie très précieuse, arrive jusqu'à nous.



  • Parution : mai 1975
  • Label : Thirsty Ear
  • A écouter : Team Spirit, Muddy Mouse c


  • Appréciation : Méritant
  • Note : 7/10
  • Qualités : poignant



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