“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

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lundi 26 octobre 2015

JOANNA NEWSOM - Divers (2015)


OOO
lyrique, extravagant, audacieux
Alt-folk 

Divers, non pas comme le ‘divers français’, mais du verbe anglais to dive, draguer le fond de l’eau. Amusant quand sait que son label s’appelle Drag City, même s'il y a dans ce cas un peu des drag queens qui n’ont rien à voir avec la pratique commune au pêcheur de rivière et au chalutier. Les métaphores aquatiques de Newsom sont du type de l’incroyable mise en images de Bill Callahan dans Rock Bottom Riser. Pas sûr que ce rapprochement avec un album de son ex, A River Ain't too Much To Love (dans lequel elle a joué), lui plaise.

La nature semble être une énorme source d’inspiration pour Joanna Newsom, ou au moins les mots qui donnent à cet environnement ses atours pittoresques et pourtant graves. Au laconisme de Callahan (‘Oh my foolish heart/Had to go/Diving, diving/Into the murk…’) elle oppose un flot rythmé au cordeau de mots ornés, qui brisent les codes du songwriting habituel et lui permettent d’être la rare artiste commercialement viable, dix ans après la parution d’un livre sur la scène Acid Folk intemporelle (Seasons they Change), à mériter de figurer dans la section de l’ouvrage consacrée aux musiciens contemporains. Meg Baird et The Oh Hellos sont dignes d’y apparaitre, mais Newsom crée une musique aux frontières mouvantes, sans égale, au phrasé furieux, construite au détour de moments d’intimité, de petites saynètes baroques et des refrains – pour manque d’un meilleur mot – enchanteurs. Jamais elle ne fait de la pop, et c’est extraordinaire.

Elle n’a pas eu de tube, pas une maison de disques qui la pousse à sortir quelque chose à une échéance raisonnable, mais néanmoins ce doit être épineux d’être Joanna Newsom. Il faut se régénérer continuellement et prendre une forme qui n’est pas tout à fait la même pour surprendre des fans attentifs au détail. Elle réussit un album conceptuel qui n'a l'air au premier abord que d'une modeste collection de chansons en comparaison avec ses oeuvres passées. Elle saisit l’amour, son amour sans doute, et en fait une distorsion minime de la mort, tous deux suspendus dans le temps et interpénétrés l’un de l’autre. Elle contrecarre sa peur d’un amour seulement passager en lui donnant des airs d’éternité.

Ce qui l’empêche de sombrer dans le rituel et le sorcier, c’est sa capacité à évoquer tant de lieux, tant de rivages. En version dense, plus concise, mis travaillée avec autant de soin – on a successivement aux arrangements huit musiciens, partenaires de longue date, pour Divers est une nouvelle cartographie de la Californie, comme Have One on Me avant lui. On a une exploratrice des replis du temps, prête à aller au-devant de toutes les déceptions, envoyant des oiseaux en éclaireurs, les poussant à la fin à transcender la passion du monde en ouvrant le dialogue musical (et sensuel) avec les étoiles et tous les auditeurs pudiquement cachés derrière elles.

Palpables sont les cuivres, les cordes éternelles du célesta, du mellotron et du bouzouki, du piano Rhodes et de ces "cinq glorieuses secondes d’orgue Hammond", et puis la scie musicale ou le piano-accordéon. Ce cycle (comme l’album Song Cycle de Van Dyke Parks, son arrangeur ?) se termine sur un mot interrompu, pour commencer sur la fin de ce même mot. On a une partie centrale où les autres s’étirent, avant que l’album ne se rassemble sur deux dernières chansons parmi les meilleures Pin-Light Bent et Time, as a Symptom.

mardi 13 avril 2010

Joanna Newsom de A à Z



A paraître dans le numéro 4 de mon fanzine, Trip Tips.


Artefacts

Newsom les accumule, elle aime se mettre en scènes’entourant d’un bric-à-brac sentimental et symbolique. Allez savoir pourquoi elle brandit une faucille sur la pochette de son disque Ys.

 
Porte drapeau de la nouvelle scène folk américaine depuis le début des années 2000, avec Cat Power entre autres. Souvent comparé à Nick Drake, Daniel Johnston ou Syd Barrett, sa musique tend à l’épure. Simple guitare et instrumentation minimale suffisent à mettre en valeur sa voix hors-mode et sa poésie surréaliste, naturaliste et inspirée, à l’image de ses pochettes de disque, qu’il dessine lui-même. À partir de l’album Cripple Crow, Banhart fait montre d’un épanouissement musical et s’entoure désormais d’un véritable groupe, les Queens Of Sheeba, avec lesquels il compose et tourne. Il délaisse le côté folk intimiste qui avait fait le succès de ses premiers albums pour développer une musique riche et communicative. Son dernier opus, What We Will Be, est paru en 2009. Il joue un rôle dans le lancement de la carrière de Joanna Newsom, en l’invitant à tourner en 2004. Il produit en 2005 une compilation de morceaux de ses amis, Golden Apples of the Sun, sur laquelle apparaît Bridges and Balloons, extrait de The Milk Eyed Mender (voir plus bas).

 
Songwriter très inspiré qui s’est longtemps caché sous le patronyme de Smog, faisant une musique lo-fi et parfois sombre sertie de paroles intimistes. L’une des fortes personnalités de la chanson folk américaine d’aujourd’hui. Pince sans rire. Pour la première fois avec son dernier disque, Sometimes i Wish We Were an Eagle, Callahan semble avoir tenté de capitaliser un peu de sa singularité. Il a été au début des années 2000 le compagnon de Newsom. Elle a joué le piano sur l’un de ses plus fameux morceaux, Rock Bottom Riser (2005). Bill Callahan lui conseilla d’écouter Song Cycle, de Van Dyke Parks, ce qui la conduisit à le choisir pour produire Ys. Callahan fit des chœurs sur ce disque.

Collaborations

En plus de son travail solo, Joanna Newsom a participé à des disques de Smog, Vetiver, Nervous Cop, The Year Zero, Vashti Bunyan, Moore Brothers, Sydney Symphony Orchestra and Golden Shoulders et a joué les claviers pour The Pleased.

Crawford Seeger, Ruth

Newsom considère la compositrice Ruth Crawford Seeger, artiste d’avant-garde comme une influence majeure. Influencée par Scriabine et Schönberg, celle-ci s’intéresse aussi à la musique folklorique américaine. Elle a réalisé une poignée de pièces pour piano (petite valse, sonate, cinq canons, cinq préludes, étude…), ainsi que de la musique de chambre et deux œuvres pour orchestre.

Dalton, Keren

Alors que Newsom fait ses armes en composition, elle montre un intérêt nouveau pour le folk et le bluegrass, ainsi que du punk et du jazz, en plus de ses différents styles de jeu de harpe. Elle écoute à cette période Karen Dalton, Texas Gladden, Patti Smith et Billie Holiday. C’est ainsi qu’elle commence à chanter en s’accompagnant, et qu’elle se familiarise avec des structures plus conventionnelles.

Drag City records

Label indépendant de chicago créé en 1989. Il habrite entre autres Pavement, Bill Callahan, Will Oldham, Weird War, Jim O’Rourke, Loose Fur, Alasdair Roberts, Papa M, White Magic, Espers ou Silver Jews. Comme de nombreux « petits » labels américains, Drag City a une approche respectueuse de l’objet disque, et propose systématiquement une version vinyle des albums qui sont produits. Joanna Newsom y reste fidèle et c’est l’une des meilleures aubaines du label ces derniers temps.

Ecole Waldorf

Joanna Newsom a suivi des cours au sein de l’école Waldorf. Elle y a appris le théâtre, ainsi qu’à mémoriser et à réciter de longs poèmes. La pédagogie particulière de cette école est fondée sur «l’anthropologie spiritualiste cosmique» d’un certain Steiner, qui expliquait cette science comme suit : « Pour connaître la nature de l’homme en devenir, il faut avant tout se fonder sur l’observation de la nature cachée de l’être humain ». Selon Steiner, la formation de l’élève est en même temps un processus d’incarnation, dans lequel l’enfant et l’adolescent se développeraient selon des cycles de sept années où les changements physiques vont de pair avec des métamorphoses plus profondes correspondant aux «naissances» successives des constituants de l’être humain.

Faulkner, William

Les inspirations littéraires de Joanna Newsom. Toni Morrison (originaire de l'ohio, lauréate du prix Nobel de littérature en 1993, elle est à l’origine des inoubliables Beloved, Sula ou Paradise, et dépeint à sa manière les conflits de cœur et de corps au sein des communautés Noires astreintes par l’isolement), Walker Percy (originaire de Birmingham, Alabama, 1916 -1990), Hernest Hemingway (Oak Park, Illinois, 1899 – 1961), John Updike (Reading, Pennsylvanie, 1932 – 2009) et William Faulkner (New Albany, Mississippi, 1897 – 1962)…

Freak-folk

Courant du début des années 2000 incarné le mieux par Devendra Banhart (le mieux pour en connaître l’étendue est de consulter son carnet d’adresses), constitué d’une grande famille d’artistes de l’ouest américain – et d’Angleterre avec Bat for Lashes. Freak-folk pour folk monstre, en référence aux couleurs, aux maquillages et aux travestissements auxquels se livrent les acteurs de cette scène. On les a appelés tout aussi idiotement néo-hippies.

Green Man Festival

Au Pays de Galles, festival de musique dans un cadre vert. Newsom y a fait une apparition tôt dans sa carrière, en 2005, pour y retourner en tête d’affiche en 2007 et en 2010.

Harpe

Son instrument favori et sa marque de fabrique, qu’elle “a aimé depuis la première lesson”. Elle utilise une Lyon & Healy style 11 pour enregistrer son disque Ys.


Le dernier de ses disques.

Kids

En 2009, Joanna Newsom a participé au clip du morceau Kids du duo Management, dont le disque Oracular Spectacular a rencontré un gros succès.

Milk Eyed Mender (The)

The Milk-Eyed Mender (2004) est déjà un disque accompli. C’est délicat, complexe, galopant, éthéré, comme issu d’une inspiration naturelle – pourtant Newsom est sans doute extrêmement travailleuse. Elle donne à son instrument l’expressivité d’un ensemble, à ces pièces les atours d’une musique de chambre un peu rugueuse. Elle fait un musique qui lui correspond totalement, gracieuse effigie, un peu énigmatique aussi, en passe de devenir une icône – lorsque l’imagination collective s’emparera de tous les éléments qui la composent ; féerie, anciennes légendes, amour romantique, imagerie foisonnante. Sa voix ajoute à cette trame inédite un exubérance débridée, aussi attrayante que repoussante, enjôleuse, voire magique sur le refrain de Bridges and Ballons. Dimension dramatique et flamboyance ne sont ici qu’en gestation, encore bridés par une écriture plus ludique qu’ambitieuse.

Mills College, Oakland

Joanna Newsom y a suivi des cours d’écriture créative.

Morgan, Neal

Batteur et percussionniste de génie qui écrit les parties de percussion sur Have One On Me. Il mène une carrière solo (chant et percussion, dans un style minimaliste) et accompagne en tournée Newsom ou Bill Callahan entre autres.



Nevada City
 
Le lieu de naissance de Joanna Newsom. C’est une ville de 3000 habitants héritière de la ruée sur l’or en Californie. De cette ville viennent aussi le compositeur Terry Riley, Howard Hersh et W. Jay Sydeman - et aussi Alela Diane, qui a rencontré un certain succès récemment avec To Be Still (2009).
 
On a Good Day
 
Le plus court titre du répertoire de Newsom. Il fait 1 minute et 48 secondes et on le trouve sur Have One On Me (2010). Il aurait été repris par le chanteur des Fleet Foxes récemment.
 
Only Skin



Le plus long titre du répertoire de Newsom. Il fait 16 minutes et 53 secondes et on le trouve sur Ys (2006).

Ryan Francesconi

Après le travail de Parks sur Ys, Ryan Francesconi participe à la nouvelle direction que prennent les arrangements des pièces de Newsom. Avec le Ys String Band, puis sur Have One On Me, il préfère la parcimonie et l’intérêt d’un éventail hétéroclite pour développer l’identité des titres sans les épaissir.

Samberg, Andy

Un membre du casting de Saturday Night Live, avec qui Newsom partage maintenant sa vie.

Styles

A la harpe, Newsom a appris de nombreux styles différents qui donnent à son jeu une grande versatilité et à ses chansons une palette de structures intéressante. Elle connaît les styles Appalachien, Médiéval, Celtique, Sénégalais, Vénézuélien, Africain et Américain classique.

Timbre

Enfantin, strident, guttural. Plus modulé, il est comparé aujourd’hui à celui de Joni Mitchell.

Walnut Whales

Les premiers enregistrements de Newsom, qui n’ont pas été officiellement publiés. Il ont suscité ses premiers encouragements.

Yarn and Glue

Yarn and Glue est un EP paru avant le premier disque de Newsom, The Milk Eyed Mender. On y retrouve des titres qui réapparaîtront sur l’album. Cette fois, plus question de se tromper ; Newsom est une artiste unique et mémorable, même si elle ne fait pas encore l’unanimité. A découvrir, comme le reste de sa discographie officielle.

Ys

Son deuxième disque, paru en 2006 ; cinq morceaux épiques, habités d’une ferveur rare. Joanna Newsom confirme son originalité, tout en montrant des qualités de songwriting exceptionnelles. Elle expliquera qu’elle éprouvait le besoin d’écrire de longues chansons, que cela correspondait à ce qu’elle souhaitait exprimer. En effet, elle ne cesse quasiment jamais de chanter sur ce disque fleuve de presque une heure. De multiples rebondissements et frissons attendent ceux qui s’aventurent dans cet album hors normes et tout aussi personnel que The Milk Eyed Mender. Le dessin de pochette est d’un certain Benjamin A. Vierling. La luxuriance des instrumentations nécessite le travail d’un orchestre dirigé par Van Dyke Parks, qui joue aussi de l’accordéon. Bill Callahan, se fait remercier pour avoir chanté les chœurs sur Only Skin. La harpe et le chant sont enregistrés par Steve Albini ; le disque est mixé par Jim o’Rourke.

Parks, Van Dyke

«Je n’ai aucun contrôle sur la musique que je fais», remarque Van Dyke Parks dans une interview pour Warner Bros en 1995. «J’écris ce qui advient ». L’approche non conventionnelle et éclectique de Parks tant que compositeur a fait de lui une sorte de curiosité dans le monde de la musique populaire. En dépit de son statut de légende parmi les initiés, il n’a jamais obtenu de succès commercial sur son terrain. Au contraire, certains des artistes avec lesquels il a collaboré sont parmi les plus estimés du rock, notamment le leader des Beach Boys, Brian Wilson. Il s’est imposé comme un compositeur doué de musique de films, arrangeur, multi-instrumentiste et auteur pour enfants. Sa discographie s’étoffe d’un ou deux disques par décennie depuis la fin des années 1960 ; les deux premiers, Song Cycle (1970) et Discover America (1972), sont des classiques dans un domaine d’excentricité ; contemplatifs, ils sont pleins de textes insaisissables qui abordent une quantité presque infinie de thèmes. C’est une musique qui suscite une envie d’exploration. Etant donné que ces qualités peuvent qualifier aussi le travail de Joanna Newsom, ce n’est pas surprenant que Parks et elle se soient si bien accordés au moment d’arranger Ys.













lundi 15 mars 2010

Joanna Newsom - Have One On Me


Ca y est, la nouveau disque de Joanna Newsom est offert au monde. Les plus hardis ont même déjà leurs points de repère dans cette œuvre magistrale et imposante ; triple disque, plus de deux heures de musique, dix-huit titres dont seulement trois font moins de six minutes. En considération de sa qualité et de sa consistance, c’est un peu l’artefact ultime de la pop moderne – au sens large, bien entendu. Joanna Newsom est désormais reconnue, je crois, pour son audace, quand Ys (2006) n’avait provoqué qu’un intérêt trop superficiel (et frustrant pour ceux qui, comme moi, trouvaient qu’il s’agissait d'un fantastique joyau d’émotions). Non qu’il n’y ait quelque barrière à l’appréciation de l’art selon la grande Newsom ; au contraire. Sa voix, pour commencer, fut la cible des indécis ; ici clairement plus influencée par Joni Mitchell et moins caracolage elfique que par le passé ; plus conventionelle, si cela peut rassurer les récalcitrants que The Milk-Eyed Mender (2004) avait fait grimacer. Ensuite, il y a l’univers médiéval de Ys, disque « trop moyennageux » aux dires de certains. Les plus isolés et frustrés des critiques ont moqué l’imagerie, les paroles de ses chansons. Il faut vraiment être de mauvaise foi, maintenant, pour ne pas voir que l’imagerie à priori naïve de l’univers de Newsom est un incroyable tremplin qui est en train de l’emporter dans un endroit où elle est à nul autre comparable.

Newsom, dans son domaine, qu’elle n’a pas besoin de garder (personne ne viendra marcher sur ses plates-bandes) s’autorise des choses inouïes auparavant. D’abord, la teneur, de lyrisme et de structures de chacun des titres de Have One On Me est phénoménale. Les exceptions notables que sont On a Good Day – déjà un classique folk, incroyable d’évidence – ou 81, dialogue plus concis entre harpe et chant d’ange plus pénétrant que jamais – montrent bien que ce n’est pas la condition essentielle de l’art de Newsom. Plutôt une nécessité d’écriture qui se fait sentir le plus souvent – l’argumentation quant à ses thèmes de prédilection (confrontation au monde réel, désorientation, pauvreté, maternité (trois thèmes qu’elle semble puiser dans l’œuvre « paradisiaque » de l’auteure noire américaine Toni Morrisson), « amour conditionnel et inconditionnel », saisons, pays et villes, sphère occidentale, toutes notions qui titillent son affect, tous éléments du monde à travers sa sensibilité) se faisant très prolifique. Son affection finit toujours par triompher, et ici c’est In California (dont le thèeme est repris à la fin sur Will Not Suffice) qui le montre le mieux ; un chant d’amour pour la Californie du nord, ce pays qui est le berçeau de la musicienne. Une condition inséparable au sentiment de grande fierté qui l’habite sans aucun doute ; avoir une terre d’attache, une appartenance. Un endroit où connaître les gens, courir les villes, explorer les ports, où puiser une culture faite d’artefacts et d’autres, où être reconnue, en premier lieu, comme une amie, une complice, où Newsom peut laisser ses richesses, ses découvertes, en toute tranquillité. Là, elles sont bien gardées.

Elle a parcouru le monde entier, a fait superbe impression à chaque fois ; mais son corps et son esprit appartiennent encore, malgré tout le décorum, le mythe d’une beauté sensuelle qui est en train de s’installer autour d’elle, à ceux qui l’ont élevée ; à ceux qui l’ont faite grandir ; et son instinct originel, son choix – la harpe plutôt que le piano, la composition ardue et ambitieuse – prime au moment d’un nouveau tableau.

Produit par Newsom elle-même, Have One On Me continue dans la direction de Joanna Newsom and the Ys Street Band (2007), avec des pièces arrangées mais pas orchestrées comme l’étaient celles de Ys (par Van Dyke Parks, sans humilité, mais pleines de jubilation). Ryan Francesconi participe à cette nouvelle direction, qui préfère la parcimonie et l’intérêt d’un éventail hétéroclite pour développer l’identité des titres sans les épaissir. Neal Morgan, prodige de la percussion – et bon chanteur -, écrit des partitions sans cesse changeantes, interprète dans un style incantatoire ce qui peut être perçu comme ses propres explorations à l’intérieur de chaque microcosme/morceau. La quantité d’intervenants fait de ce disque bien davantage qu’un simple échange harpe/voix, même si dans un tel registre, Newsom excelle, évidemment.

Le morceau-titre Have One On Me fait en quelque sorte le lien avec le précédent disque ; la harpe s’y fait envoûtante, à la manière de Sawdust and Diamonds, et la construction épique rappelle Only Skin. Pièce très forte et dont la cohérence est délicieusement mise à mal par des changements d’humeur incessants – auxquels Newsom peut maintenant ajouter des intonations de voix multiples, paraissant plus à l’aise encore qu’auparavant à enchasser notes méditatives, jubilantes, et reposées, toujours illustratives. Easy ouvre le disque de manière un peu surprenante – c’est un titre au piano, instrument auquel on savait Newsom appliquée – le morceau promet beaucoup. La seconde face du premier disque s’ouvre encore avec du piano, et ce qui constitue la pièce la plus entraînante du disque : Good Intentions Paving Company, encore plein de beauté après des débuts en déséquilibre. Newsom sait qu’elle nous aura à la longue ; que l’équilibre, elle va l’avoir de toute façon au final. La mélodie évidente et magique est croisée avec subtilité aux surprises qu’on est habitué à rencontrer en route. Kingfisher est d’une finesse redoutable ; No Provenance, Soft as Chalk sont séducteurs. Avec autant de surprises que de joies mélodiques, que de tournures lyriques inventives et vivantes ; un sommet d’écriture ; une célébration de la sphère personelle et intime de l’artiste, dont on saisit ce que l’on peut, avec patience et considération.

  • Parution : 23 février 2010
  • Label : Drag City
  • Producteur : Joanna Newsom
  • Genre : Folk
  • A écouter : Easy, 81, On A Good Day, Kingfisher, In California, Soft as Chalk

  • Appréciation : Monumental
  • Note : 8.25/10
  • Qualités : audacieux, lyrique, soigné

 

Joanna Newsom - The Milk-Eyed Mender (2004)



Parution : 23 mars 2004
Label : Drag City
Producteur : Noah Georgeson
Genre : Folk charmant
A écouter : Bridges and Balloons, En Gallop, The Book of Right-On



7.50/10
Qualités : original, audacieux, attachant, extravagant

Originaire de Nevada City, Californie, Joanna Newsom combine à sa façon unique une ambition gargantuesque et un talent insolent. Ceux qui veulent exprimer leur dédain quand au succès de la belle n’ont qu’a perpétuer l’idée qu’elle n’est qu’une petite prétentieuse, alignant jusqu'à dix-huit morceaux pour plus de deux heures de musique sur Have One On Me (2010). D’autres se plaignent de sa passion pour un univers médiéval excentrique (Ys, 2006), même s’ils sont prêts à reconnaître la grandeur de ce disque dont le titre le plus long dépasse seize minutes. Au temps de The Milk-Eyed Mender, la deuxième pomme de l’arbre après Yarn and Glue (2003), qui opérait davantage comme une introduction à la personnalité de Newsom, la gracieuse de Nevada City sera adorée ou détestée pour sa voix.

Folle, enfantine, à l’image de la chanteuse au visage poupin. Mais on aurait tort de focaliser son attention sur le seul timbre de cette voix, même si c’est sur The Milk Eyed Mender un élément essentiel pour l’originalité et le caractère du disque, ce que la suite confirmera. Rien de tel que cette première somme pour s’éprendre du cri fluté de Newsom. Mais il ne faut pas ignorer son jeu de harpe, ni son talent à créer des moments d’apesanteur, de félicité radieuse, à vous donner des frissons. C’est ce que, j’espère, elle saura toujours faire ; quand à son dernier (triple) disque, je suis maintenant rassuré.

Pour ce qui est du jeu de harpe, Newsom combine magies celtiques, africaines et américaines et en forme des comptines de longueur moyenne – on sent déjà à travers Sadie ou This Side of the Blue que Newsom a parfois besoin de davantage de temps pour dérouler son ménage - mais à la structure pourtant déjà aventureuse. La tradition a cours aussi ; Three Little Babes est la reprise d’une chanson Appalachienne. C’est délicat, complexe, galopant, éthéré, comme issu d’une inspiration naturelle – pourtant Newsom est sans doute extrêmement travailleuse. Elle donne à son instrument l’expressivité d’un ensemble, à ces pièces les atours d’une musique de chambre un peu rugueuse. Elle fait un musique qui lui correspond totalement, gracieuse effigie, un peu énigmatique aussi, en passe de devenir une icône – lorsque l’imagination collective s’emparera de tous les éléments qui la composent ; féerie, anciennes légendes, amour romantique, imagerie foisonnante. Son travail ajoute à la riche imagerie du mouvement folk ouest-américain, des atours originaux, racés, séduisants, sauvages, bien loin des conventions qui concernent le folk. Sa voix ajoute à cette trame inédite une exubérance débridée, finalement attrayante, enjôleuse, voire magique sur le refrain de Bridges and Ballons.

C’est son attachement à certains jolis et désuets artefacts fait, en premier lieu, son art. S’il y a un endroit où l’on peut au mieux se rendre compte de ce genre d’affection, c’est les pochettes de ses disques, illustrations d’un bric-à-brac sentimental et, qui, de plus en plus, sert de message d’avertissement ; le corbeau pour Ys ou le paon pour Have One On Me… Dimension dramatique et flamboyance ne sont ici qu’en gestation, encore bridés par une écriture plus ludique qu’épique. Mais le résultat est, en un seul mot qui fait Newsom de pied en cap, harpe comprise, coincée entre les genoux ; charmant.



dimanche 26 juillet 2009

Joanna Newsom




Joanna Newsom a grandi à Nevada City, une ville de 3000 habitants héritière de la ruée sur l’or en Californie. De cette ville viennent aussi le compositeur Terry Riley, Howard Hersh et W. Jay Sydeman - et aussi Alela Diane, qui a rencontré un certain succès récemment avec To Be Still (2009).  


Elle a commencé à jouer de la harpe à huit ans après avoir abandonné le piano (qui restera par la suite son deuxième instrument de prédilection). Sa mère se destinait à être pianiste de concert, son père est guitariste amateur et ses frères et sœur jouent de la batterie et du violoncelle ; il lui semblait naturel de s’intéresser à la musique, et de manière large, avec une affection et une passion qui vont vite en faire une musicienne talentueuse.
Elle a étudié les techniques Celtiques, Sénégalaises, Vénézuéliennes, Africaines et Américaines classiques pour son instrument. Elle a rapidement l’intention de devenir compositrice, tout en révélant bientôt un intérêt nouveau pour le folk et le bluegrass, ainsi que du punk et du jazz. Elle écoute à cette période Karen Dalton, Texas Gladden, Patti Smith et Billie Holiday. C’est ainsi qu’elle commence à chanter en s’accompagnant, non sans avoir auparavant composé quelques morceaux instrumentaux. La première chanson qu’elle composa, Walnut Whales, totalement exubérante, tomba par hasard dans l’oreille de Will Oldham, qui invita Joanna à rejoindre la tournée prévue le printemps 2002 ; elle se retrouva alors à ouvrir pour Devendra Banhart et Cat Power, deux artistes dont la renommée n’a fait que grandir. Que cette renommée ait aujourd’hui atteint la France est révélateur de l’importance du mouvement freak-folk, ou folk alternatif, qui agite l'ouest américain. Ces concerts donnèrent à l’artiste d’excellents retours de la presse nationale. Après le Walnut Whales EP, parut un autre EP, Yarn and Glue, avant que Joanna ne signe avec Drag City Records. La prochaine étape était donc d’enregistrer un album, ce qu’elle fit en 2004.

Joanna Newsom a trouvé matière dans le folk des années 60 – comme le suggère sa collaboration plus tardive avec Roy Harper - autant que dans le bluegrass actuel, plutôt que de reprendre les formules du folk contemporain. Ainsi vont ses inspirations. Mais son jeu unique et l’originalité même du choix de son instrument créent une délicatesse, une ferveur qui lui est propre et qui reflète complètement son identité ; Newsom est précieuse, gracieuse, charmeuse. Sa voix étrange, entre fée et sorcière, attire, fascine.

Lorsque Newsom écrit des chansons, elle jongle avec les objets comme elle le fait avec les époques et les styles ; la collection hétéroclite rassemblée pour The Milk-Eyed Mender rassemble entre autres os de baleines, mollusques, dents, ponts, ballons,  hiboux, gallions en flammes, avec une ferveur enchanteresse et mystérieuse. Un disque est l'occasion d'assembler  les artefacts de son imaginaire, d'opérer de son art à travers eux, à la manière d'une charmeuse d'autrefois. Son inspiration médiévale et sa grâce un peu désuète - au temps de Ys (2006) notamment - , lui donnent l’aspect d’un être hors du temps. Son travail est aussi caractérisé par son ambition et son ampleur, comme en témoigne son dernier triple disque, Have One One Me (2010). Elle semble aussi rechercher aujourd'hui à exprimer une sensualité plus classique.

Newsom considère le compositeur Ruth Crawford Seeger, artiste d’avant garde, comme une influence majeure, jonglant dans le registre folk entre forces d’expérimentation et belles mélodies. C’est toute une vision du monde, que Newsom nous fait revisiter, évoquant les objets de l’existence comme des bijoux, faisant montre d’une coquetterie dans le meilleur sens du terme – un tempérament protecteur de ce qui fait la vie, ses petites joies, servi par une innovation inédite – et avec Ys, son album suivant, elle ira encore bien plus loin, gagnant le mystique territoire de Stormcock, œuvre éternelle du génial Roy Harper, qu’elle rencontrera d’ailleurs – mais ceci est une autre histoire…

Sa carrière solo est une partie de son travail, mais Joanna Newsom est (ou a été) aussi contributrice au groupe de rock bruitiste Nervous Cop, et joue du synthétiseur avec Pleased, un groupe de San Francisco comparable à Blondie ou Television.
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