Au tournant de l'album, l’intrigante
Down in The Ground décrit le tiraillement de la chanteuse entre
intensité et besoin de flotter, la tête dans les nuages, égarée
dans les saisons. Elle chante de trouver cet équilibre entre ciel et
terre, entre félicité légère et conscience aiguë d'une condition
qu'elle ne peut outrepasser. Elle ne sait pas, ne veut pas marcher
sur la terre dans cette forme, par fantaisie ou par urgence de
trouver ailleurs autre chose. Et tout son background musical est à
l'avenant : dans la première seconde du morceau, ils sont
confiés à une élévation, une légèreté et toute a chanson va se
délivrer avec abandon. Brigid Mae Power est sans fardeau. La voix,
comme la guitare acoustique amplifiée, est un instrument qui
prolonge les notes et enroule les mots, allège les syllabes d'une
langue irlandaise que l'on a entendue chez d'autres scandée ou
ostensiblement articulée. Brigid Mae Power ne l'a pas réalisé
jusqu'à ce qu'on lui décrive : les mots s'effilochaient, dans
un temps qui ne lui paraissait pas si long, un feeling naturel,
provenant de cette sensation agréable de ne pas toucher terre,
éviter la trivialité.
On peut trouver de la spiritualité à
ces mantras de guitare, de piano, d'orgue et de percussions, ou
simplement de merveilleuses mélodies qui se déroulent au rythme de
la marche, du rêve, une cadence si sereine qu'elle suscite une
acuité spéciale. A l'heure où on nous incite à utiliser notre
temps de sommeil pour faire de la méditation ou du yoga plutôt (ce
que Brigid Mae Power pratique elle-même), son album vient sublimer
les sens de l'esprit bien reposé qui l'écoute attentivement.
Personne ne semble plus s'intéresser aux bénéfices d'un cerveau
restauré. Pouvoir impliquer sa concentration, et sa mémoire, dans
une cette écoute aux réminiscences si profondes, aux sensations si
changeantes, troublantes, est un régal. Brigid Mae Power est en
marche elle aussi, et reporte avec un regard profond et un sourire
léger pourquoi cet état de rêve éveillé s'est emparé d'elle,
quelles sont les obligations et les cas de conscience qui l'on
laissée les sens en alerte mais le sommeil dur à venir. Le
harcèlement, le regret de ne pas avoir fait taire un importun, même
à l'intérieur de sa famille, quand des paroles devaient la marquer.
Trop tard. Ici, fini les mots qui frappent, les mots faciles lâchés
pour blesser, ou pour s'en tirer à bon compte. Les mots chantés
réparent ces situations d'inconséquence.
Avec cet album, Brigid Mae Power
dépasse les genres, nous envoie des signaux depuis les tréfonds de
son univers personnel et y parvient tellement bien qu'elle en fait
une œuvre sans comparaison. Les artistes contemplatifs ne manquent
pas, ou ceux qui ont utilisé des formes familières, le folk la
country, pour faire le jeu de leur sentiments vertigineux, s'élevant
au détour d'une chanson au dessus de leur musique, comme une âme
qui aurait enfin la capacité de veiller furtivement sur l'artiste.
Chez Power, cet état n'est pas furtif, il est pleinement assumé.
Is My Presence in the Room Enough for
You? suscite une impression d'isolation, chantée comme depuis le
fond de la mer. Les chansons au piano nous font retourner aux
origines de Brigid Mae Power, dans ses premières chansons,
déambulations où son passé et son présent se rencontrent, les
choses qu'elle ne maîtrisait pas à ses débuts toujours laissées à
ce stade d'incertitude. How's is Your New Home est une promenade sous
les arbres dans un parc secret, un tour du propriétaire venu du fond
des âges.
Peter Broderick, musicien prolifique
dont les albums produisent aussi ce sentiment d 'isolation
transcendantale, joue les instruments qui ne sont pas pris en main
par sa compagne.
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