Rien à ajouter à l'excellente chronique de Nicolas disponible à cette adresse :
http://www.albumrock.net/critiquesalbums/surfer-rosa-452.html
Et que je publie ici.
"On le sait, je le sais, vous le savez, les années 80 ont été pour le rock une période proprement calamiteuse. Lente agonie du punk, mort brutale de la coldwave, extermination du progressif, recul inexorable du hard rock au profit du metal (une bonne ou une mauvaise affaire selon les chapelles), cette décennie sinistrée n'a pas hésité à sacrifier un Ian Gillian (Deep Purple, ndt), un Roger Waters ou un Steven Tyler au profit d'une Madonna bitchy, d'un Prince fadasse ou d'un Michael "Aouhhhh !" Jackson. Pourtant, les eighties ont aussi engendré, envers et contre tout (et probablement de façon réactionnelle), quelques manifestes rock parmi les plus percutants de ces cinquante dernières années, et Surfer Rosa, premier coup de boutoir de ces allumés de Pixies, en fait incontestablement partie.
On se demande d'ailleurs bien par quel miracle un tel brûlot a-t-il pu éclore dans un contexte aussi désastreux. A y regarder de plus prêt, la solution semble uniquement tenir au hasard des rencontres, comme c'est souvent le cas lors de la genèse des groupes cultes. Si Charles Thompson (alias Black Francis) et Joey Santiago n'avaient pas été copains de chambrée à la fac (et accessoirement jammeurs du Dimanche), si Kim Deal n'avait pas été la seule personne à répondre à l'annonce des deux premiers pour jouer de la basse au sein d'un groupe de rock, si cette même Kim Deal n'avait pas sympathisé avec David Lovering, batteur et vieux pote de son mari, le jour même où elle convolait en justes noces, les Pixies n'auraient jamais vu le jour. C'est aussi simple que cela. Ce groupe n'est rien d'autre que la résultante d'une rencontre fortuite entre quatre très fortes personnalités que la fatalité a mises sur le même chemin. Comment imaginer sinon qu'un petit chauve énervé, un fils d'immigré Philippin taciturne, une laborantine susceptible et un électricien débonnaire aient pu s'associer pour engendrer l'une des formations les plus influentes de sa génération, sans laquelle Nirvana et les Smashing Pumpkins - entre autres - n'auraient été que l'ombre d'eux-même ? Comment expliquer sinon l'émergence de ce rock proprement unique, fusion improbable du punk hardcore de Hüsker Dü, de la pop des Beatles, du glam excentrique de David Bowie, du metal progressif de Rush ou de la folk de Peter, Paul and Mary ?
La folie des Pixies doit évidemment beaucoup à la personnalité pour le moins hors norme de Black Francis, à son goût pour les textes surréalistes, sa passion pour le catholicisme, sa fascination pour les déviances psychiques comme le voyeurisme, l'auto-mutilation ou l'inceste ; mais aussi et surtout à la façon qu'il a de donner vie à ses écrits, à son timbre de fausset sans cesse sur la corde raide, à ses soubresauts de voix imprévisibles et à ses hurlements féroces dignes du plus dangereux des aliénés. Mais réduire le combo au seul futur Frank Black serait une grossière erreur. Rares en effet sont les groupes à avoir su si bien capturer la singularité propre à chacun de leurs membres. Si Black explose le rythme des morceaux par sa diction chaotique et ses riffs cocaïnés, c'est bel et bien Kim Deal qui cimente la musique du groupe tant par ses lignes de basses alpaguant les mélodies que par ses chœurs d'une grande pureté, oasis de délicatesse dans ce royal bordel. Là-dessus, la puissance de feu de Lovering se révèle absolument nécessaire pour contenir les saillies détructurées de la guitare de Santiago, qui s'entortille sournoisement autour des autres instruments pour mieux s'en extirper sans crier gare en électrisant tout ce qu'elle frôle. Les lutins de Boston sont comme du lait sur le feu : brûlants et imprévisibles. Mais aussi - et surtout - fichtrement doués.
Avant de mettre en boîte ce premier album coup de poing, les Pixies pouvaient déjà se targuer de posséder une solide réputation dans le Massachusetts, principalement en raisons de lives échevelés dont ils s'étaient rendus coupables et qui leur avaient valu de décrocher la première partie de la tournée de leurs idoles, les Throwing Muse, en 1986. C'est lors de l'un de ces fameux concerts qu'un producteur du nom de Gary Smith les alpagua et se mit en tête les faire signer sur le champ chez 4AD Records, ayant immédiatement repéré leur énorme potentiel. Quelques semaines plus tard, dix huit titres furent mis sur bande aux studios Fort Apache en à peine trois jours d'enregistrement, réalisant la fameuse Purple Tape de laquelle furent extraits les huit morceaux de Come On Pilgrim, premier EP officiel du groupe. Si le boulot de Smith fut considéré comme satisfaisant par le quatuor, l'individu fut en revanche jugé trop regardant sur ses honoraires pour pouvoir être reconduit au poste de producteur sur le futur album. C'est alors que Ivo Watts-Russel, patron du label 4AD, se vit souffler l'idée d'embaucher à sa place un certain Steve Albini, obscur musicien hardcore à forte affinité indu, ex leader des vénéneux Big Black et accessoirement producteur à ses heures perdues. En matière de rock, les affaires sont parfois rondement menées, et de fait il n'a fallu qu'une seule soirée chez David Lovering, soirée aussi impromptue qu'alcoolisée, pour qu'Albini se lance dans l'aventure. Le lendemain, les Pixies étaient en studio, et Surfer Rosa vit le jour dix nuits et 10.000 dollars plus tard. Une paille.
Beaucoup de disques cultes se laissent apprivoiser sans effort, mais tel n'est pas le cas de l'album à l'andalouse dépoitraillée. Preuve de son jusqu'au boutisme sonore et de son atypie foutraque, Surfer Rosa choque, bouscule, dérange, et rejoint sur ce point le style extrémiste de Come On Pilgrim. En comparaison, Doolittle, son successeur, se révèle presque mainstream. La faute (si l'on peut dire) à une production made in Albini proprement radicale, misant tout sur un lo-fi incisif, ratissant les parties vocales pour les réduire au minimum vital, démultipliant le volume de la basse, acérant les giclées de guitares telles des lames de machettes mexicaines, et surtout plaçant la batterie au tout premier plan. De fait, la sonorité des caisses de Lovering sur cet album est tout bonnement herculéenne, il n'y a qu'à se passer l'introduction colossale de Bone Machine pour s'en rendre compte. Aussi lourde que brutale, aussi cinglante que massive, cette chappe de percussions fit rapidement la renommée de Steve Albini et fut l'argument décisif qui poussa Kurt Cobain à engager le bonhomme pour produire plus tard In Utero. De même pour Pure des Jesus Lizard, ou Rid Of Me de PJ Harvey. Mais le rendu technique de la galette n'explique pas à lui seul l'étrange ambivalence que l'on éprouve en l'écoutant, de cette ambivalence qui vous fait vous demander si, vous aussi, vous n'êtes pas en train de devenir complètement cinglé. Surfer Rosa a été conçu à l'instinct tant pour pulvériser les conventions que pour repousser les extrèmes. Ainsi en est-il de ces rythmiques punk complètement allumées, de ces chansons transpirant une démence aussi étrange qu'hilarante, mais aussi des éclats de voix hystériques de Black Francis et des grondements erratiques de la 6 cordes de Santiago. Il n'y a qu'à écouter les trésors de surréalisme déployés par des morceaux comme Something Against You, Broken Face, Oh My Golly! et Vamos (déjà présent sur Come On Pilgrim dans une version plus courte) pour prendre toute la mesure de ce disque hors norme. Le dernier titre, surtout, se pose en véritable manifeste pixiesien dans toute son excentricité, avec ses textes hispaniques sans queue ni tête, ses riffs dissonnants, sa batterie métronomique et son époustoufflant concert de hurlements copyright Black.
Puis, au fur et à mesure que les écoutes s'enchaînent, on se rend compte qu'il y a plus, bien plus qu'une folie incontrôlée chez les lutins de Boston. On y découvre des chansons, des vraies de vraies, avec des lignes mélodiques en béton armé, de petites rengaines rapidement expédiées (esprit punk oblige) mais qui n'ont pas leur pareil pour nous trotter dans la tête à toute heure de la journée. Et c'est à ce moment que l'on appréhende le mieux la place absolument primordiale qu'occupe Kim Deal dans la formation. Sur River Euphrates, par exemple, même si Black assure un show vocal assez délirant, les choeurs tendus et asphyxiants de la bassiste aimantent l'attention et tractent le titre vers des sommets insoupçonnés. Kim est également l'auteur (et la chanteuse) d'un petit bijou pop répondant au nom de Gigantic, jolie ritournelle sur fond de grosses guitares imposant d'emblée la marque de fabrique la plus fameuse des Pixies : couplets calmes et refrains puissants. Oui, ce schéma qui nous semble si galvaudé de nos jours, ce schéma ultérieurement vulgarisé par un certain Smells Like Teen Spirit, ce sont eux qui l'ont inventé. Quoi qu'il en soit, ce titre représente la seule contribution de Deal au groupe. Mais dans le genre mélodies imparables, Black Francis ne s'en sort pas trop mal non plus, merci pour lui. Que ce soit dans le pamphlet barge martelé avec toute la conviction d'un détraqué (Bone Machine), le brulôt alternatif au refrain incandescent (Break My Body), le gros délire d'adolescent cancanné avec passion (Tony's Theme) ou encore la ligne de guitare qui tue transportant un duo vocal en apnée (Brick Is Red), la fibre musicale du chauve fait déjà merveille. Et puis il y a Where Is My Mind, le tube le plus connu du quatuor (bien aidé en cela par son apparition dans la BO de Fight Club), superbe morceau inspiré à Black Francis alors qu'il faisait de la plongée sous-marine à Porto Rico et qu'il s'étonnait de l'absence de réaction belliqueuse des poissons dont il dérangeait l'habitat. Placé en plein milieu de l'album, tel une bouée de sauvetage lancée à l'auditeur en détresse, il offre un instant de répit et de contemplation dans tout ce foutoir sonore grâce à la limpidité de son hymne électrique et à ses choeurs évanescents.
A sa sortie, Surfer Rosa fût un flop commercial assez retentissant, et ne fut distribué dans un premier temps qu'en Angleterre avant que Rough Trade Records ne sorte l'album couplé à Come On Pilgrim aux Etats Unis - c'est d'ailleurs sous cette forme duale qu'on peut le trouver actuellement dans le commerce. Pourtant, le disque n'est pas longtemps passé inaperçu parmi les rockeurs, c'est le moins qu'on puisse dire. Il représente la meilleure carte de visite que pouvait se fabriquer Steve Albini pour démontrer l'étendue de son talent de producteur. Kurt Cobain lui-même affirma que la sonorité de l'album, sa dynamique novatrice et cette alliance entre gros son et mélodies pop avait eu un impact très fort sur la genèse de Nevermind. Quant à Billy Corgan, il a trouvé dans cette galette la motivation suffisante pour franchir le pas et lancer ses Smashing Pumpkins sur les rails. C'est dire si le premier album des Pixies a frappé fort là où ça faisait mal, réalisant une agression aussi barrée que joviale, aussi percuttante que jouissive. Un véritable sommet du rock alternatif, et la parfaite définition d'un abum culte, en quelque sorte. "
http://www.albumrock.net/critiquesalbums/surfer-rosa-452.html
Et que je publie ici.
"On le sait, je le sais, vous le savez, les années 80 ont été pour le rock une période proprement calamiteuse. Lente agonie du punk, mort brutale de la coldwave, extermination du progressif, recul inexorable du hard rock au profit du metal (une bonne ou une mauvaise affaire selon les chapelles), cette décennie sinistrée n'a pas hésité à sacrifier un Ian Gillian (Deep Purple, ndt), un Roger Waters ou un Steven Tyler au profit d'une Madonna bitchy, d'un Prince fadasse ou d'un Michael "Aouhhhh !" Jackson. Pourtant, les eighties ont aussi engendré, envers et contre tout (et probablement de façon réactionnelle), quelques manifestes rock parmi les plus percutants de ces cinquante dernières années, et Surfer Rosa, premier coup de boutoir de ces allumés de Pixies, en fait incontestablement partie.
On se demande d'ailleurs bien par quel miracle un tel brûlot a-t-il pu éclore dans un contexte aussi désastreux. A y regarder de plus prêt, la solution semble uniquement tenir au hasard des rencontres, comme c'est souvent le cas lors de la genèse des groupes cultes. Si Charles Thompson (alias Black Francis) et Joey Santiago n'avaient pas été copains de chambrée à la fac (et accessoirement jammeurs du Dimanche), si Kim Deal n'avait pas été la seule personne à répondre à l'annonce des deux premiers pour jouer de la basse au sein d'un groupe de rock, si cette même Kim Deal n'avait pas sympathisé avec David Lovering, batteur et vieux pote de son mari, le jour même où elle convolait en justes noces, les Pixies n'auraient jamais vu le jour. C'est aussi simple que cela. Ce groupe n'est rien d'autre que la résultante d'une rencontre fortuite entre quatre très fortes personnalités que la fatalité a mises sur le même chemin. Comment imaginer sinon qu'un petit chauve énervé, un fils d'immigré Philippin taciturne, une laborantine susceptible et un électricien débonnaire aient pu s'associer pour engendrer l'une des formations les plus influentes de sa génération, sans laquelle Nirvana et les Smashing Pumpkins - entre autres - n'auraient été que l'ombre d'eux-même ? Comment expliquer sinon l'émergence de ce rock proprement unique, fusion improbable du punk hardcore de Hüsker Dü, de la pop des Beatles, du glam excentrique de David Bowie, du metal progressif de Rush ou de la folk de Peter, Paul and Mary ?
La folie des Pixies doit évidemment beaucoup à la personnalité pour le moins hors norme de Black Francis, à son goût pour les textes surréalistes, sa passion pour le catholicisme, sa fascination pour les déviances psychiques comme le voyeurisme, l'auto-mutilation ou l'inceste ; mais aussi et surtout à la façon qu'il a de donner vie à ses écrits, à son timbre de fausset sans cesse sur la corde raide, à ses soubresauts de voix imprévisibles et à ses hurlements féroces dignes du plus dangereux des aliénés. Mais réduire le combo au seul futur Frank Black serait une grossière erreur. Rares en effet sont les groupes à avoir su si bien capturer la singularité propre à chacun de leurs membres. Si Black explose le rythme des morceaux par sa diction chaotique et ses riffs cocaïnés, c'est bel et bien Kim Deal qui cimente la musique du groupe tant par ses lignes de basses alpaguant les mélodies que par ses chœurs d'une grande pureté, oasis de délicatesse dans ce royal bordel. Là-dessus, la puissance de feu de Lovering se révèle absolument nécessaire pour contenir les saillies détructurées de la guitare de Santiago, qui s'entortille sournoisement autour des autres instruments pour mieux s'en extirper sans crier gare en électrisant tout ce qu'elle frôle. Les lutins de Boston sont comme du lait sur le feu : brûlants et imprévisibles. Mais aussi - et surtout - fichtrement doués.
Avant de mettre en boîte ce premier album coup de poing, les Pixies pouvaient déjà se targuer de posséder une solide réputation dans le Massachusetts, principalement en raisons de lives échevelés dont ils s'étaient rendus coupables et qui leur avaient valu de décrocher la première partie de la tournée de leurs idoles, les Throwing Muse, en 1986. C'est lors de l'un de ces fameux concerts qu'un producteur du nom de Gary Smith les alpagua et se mit en tête les faire signer sur le champ chez 4AD Records, ayant immédiatement repéré leur énorme potentiel. Quelques semaines plus tard, dix huit titres furent mis sur bande aux studios Fort Apache en à peine trois jours d'enregistrement, réalisant la fameuse Purple Tape de laquelle furent extraits les huit morceaux de Come On Pilgrim, premier EP officiel du groupe. Si le boulot de Smith fut considéré comme satisfaisant par le quatuor, l'individu fut en revanche jugé trop regardant sur ses honoraires pour pouvoir être reconduit au poste de producteur sur le futur album. C'est alors que Ivo Watts-Russel, patron du label 4AD, se vit souffler l'idée d'embaucher à sa place un certain Steve Albini, obscur musicien hardcore à forte affinité indu, ex leader des vénéneux Big Black et accessoirement producteur à ses heures perdues. En matière de rock, les affaires sont parfois rondement menées, et de fait il n'a fallu qu'une seule soirée chez David Lovering, soirée aussi impromptue qu'alcoolisée, pour qu'Albini se lance dans l'aventure. Le lendemain, les Pixies étaient en studio, et Surfer Rosa vit le jour dix nuits et 10.000 dollars plus tard. Une paille.
Beaucoup de disques cultes se laissent apprivoiser sans effort, mais tel n'est pas le cas de l'album à l'andalouse dépoitraillée. Preuve de son jusqu'au boutisme sonore et de son atypie foutraque, Surfer Rosa choque, bouscule, dérange, et rejoint sur ce point le style extrémiste de Come On Pilgrim. En comparaison, Doolittle, son successeur, se révèle presque mainstream. La faute (si l'on peut dire) à une production made in Albini proprement radicale, misant tout sur un lo-fi incisif, ratissant les parties vocales pour les réduire au minimum vital, démultipliant le volume de la basse, acérant les giclées de guitares telles des lames de machettes mexicaines, et surtout plaçant la batterie au tout premier plan. De fait, la sonorité des caisses de Lovering sur cet album est tout bonnement herculéenne, il n'y a qu'à se passer l'introduction colossale de Bone Machine pour s'en rendre compte. Aussi lourde que brutale, aussi cinglante que massive, cette chappe de percussions fit rapidement la renommée de Steve Albini et fut l'argument décisif qui poussa Kurt Cobain à engager le bonhomme pour produire plus tard In Utero. De même pour Pure des Jesus Lizard, ou Rid Of Me de PJ Harvey. Mais le rendu technique de la galette n'explique pas à lui seul l'étrange ambivalence que l'on éprouve en l'écoutant, de cette ambivalence qui vous fait vous demander si, vous aussi, vous n'êtes pas en train de devenir complètement cinglé. Surfer Rosa a été conçu à l'instinct tant pour pulvériser les conventions que pour repousser les extrèmes. Ainsi en est-il de ces rythmiques punk complètement allumées, de ces chansons transpirant une démence aussi étrange qu'hilarante, mais aussi des éclats de voix hystériques de Black Francis et des grondements erratiques de la 6 cordes de Santiago. Il n'y a qu'à écouter les trésors de surréalisme déployés par des morceaux comme Something Against You, Broken Face, Oh My Golly! et Vamos (déjà présent sur Come On Pilgrim dans une version plus courte) pour prendre toute la mesure de ce disque hors norme. Le dernier titre, surtout, se pose en véritable manifeste pixiesien dans toute son excentricité, avec ses textes hispaniques sans queue ni tête, ses riffs dissonnants, sa batterie métronomique et son époustoufflant concert de hurlements copyright Black.
Puis, au fur et à mesure que les écoutes s'enchaînent, on se rend compte qu'il y a plus, bien plus qu'une folie incontrôlée chez les lutins de Boston. On y découvre des chansons, des vraies de vraies, avec des lignes mélodiques en béton armé, de petites rengaines rapidement expédiées (esprit punk oblige) mais qui n'ont pas leur pareil pour nous trotter dans la tête à toute heure de la journée. Et c'est à ce moment que l'on appréhende le mieux la place absolument primordiale qu'occupe Kim Deal dans la formation. Sur River Euphrates, par exemple, même si Black assure un show vocal assez délirant, les choeurs tendus et asphyxiants de la bassiste aimantent l'attention et tractent le titre vers des sommets insoupçonnés. Kim est également l'auteur (et la chanteuse) d'un petit bijou pop répondant au nom de Gigantic, jolie ritournelle sur fond de grosses guitares imposant d'emblée la marque de fabrique la plus fameuse des Pixies : couplets calmes et refrains puissants. Oui, ce schéma qui nous semble si galvaudé de nos jours, ce schéma ultérieurement vulgarisé par un certain Smells Like Teen Spirit, ce sont eux qui l'ont inventé. Quoi qu'il en soit, ce titre représente la seule contribution de Deal au groupe. Mais dans le genre mélodies imparables, Black Francis ne s'en sort pas trop mal non plus, merci pour lui. Que ce soit dans le pamphlet barge martelé avec toute la conviction d'un détraqué (Bone Machine), le brulôt alternatif au refrain incandescent (Break My Body), le gros délire d'adolescent cancanné avec passion (Tony's Theme) ou encore la ligne de guitare qui tue transportant un duo vocal en apnée (Brick Is Red), la fibre musicale du chauve fait déjà merveille. Et puis il y a Where Is My Mind, le tube le plus connu du quatuor (bien aidé en cela par son apparition dans la BO de Fight Club), superbe morceau inspiré à Black Francis alors qu'il faisait de la plongée sous-marine à Porto Rico et qu'il s'étonnait de l'absence de réaction belliqueuse des poissons dont il dérangeait l'habitat. Placé en plein milieu de l'album, tel une bouée de sauvetage lancée à l'auditeur en détresse, il offre un instant de répit et de contemplation dans tout ce foutoir sonore grâce à la limpidité de son hymne électrique et à ses choeurs évanescents.
A sa sortie, Surfer Rosa fût un flop commercial assez retentissant, et ne fut distribué dans un premier temps qu'en Angleterre avant que Rough Trade Records ne sorte l'album couplé à Come On Pilgrim aux Etats Unis - c'est d'ailleurs sous cette forme duale qu'on peut le trouver actuellement dans le commerce. Pourtant, le disque n'est pas longtemps passé inaperçu parmi les rockeurs, c'est le moins qu'on puisse dire. Il représente la meilleure carte de visite que pouvait se fabriquer Steve Albini pour démontrer l'étendue de son talent de producteur. Kurt Cobain lui-même affirma que la sonorité de l'album, sa dynamique novatrice et cette alliance entre gros son et mélodies pop avait eu un impact très fort sur la genèse de Nevermind. Quant à Billy Corgan, il a trouvé dans cette galette la motivation suffisante pour franchir le pas et lancer ses Smashing Pumpkins sur les rails. C'est dire si le premier album des Pixies a frappé fort là où ça faisait mal, réalisant une agression aussi barrée que joviale, aussi percuttante que jouissive. Un véritable sommet du rock alternatif, et la parfaite définition d'un abum culte, en quelque sorte. "
- Parution : 21 mars 1988
- Label : 4 AD
- Producteur : Steve Albini
- A écouter : Bone Machine, Where is My Mind, Gigantic, River Euphrates, Something Against You
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