Voir aussi la chronique de Blackjazz
Parution 29 janvier 2007
Label : Rude Grammofon
Producteur : Kåre Chr. Vestrheim
Genres : Rock progressif, Avant-garde, Metal
A écouter : Winterreise, Psalm
Note : 7.50/10
Qualités : original, sombre, intense
Shining est groupe norvégien quasiment indescriptible. L'amalgame impie de riffs de metal, de coupures de jazz, de départs classiques et d’anticipation dégénérée ressemble à un véritable challenge pour qui décide d’en tirer les fils. Même les propres mots du groupe pour décrire leur musique à la presse s'appuient davantage sur la comparaison que la dénomination réelle. Essayer de capturer la matière créative qui ceint le groupe avant-gardiste serait renier la pure joie qui nous gagne à l'écoute de Grindstone.
Tout semble aller avec eux à l'encontre de la convention, et près de la confrontation et du défi. La musique est trop lourde pour les amateurs de jazz, trop abstraite pour les fans de metal et trop structurée pour les amateurs de musique d'avant-garde (genre proche d’un jazz abstrait). Même les titres des chansons semblent provoquer délibérément la confusion, avec le morceau-phare, In the Kingdom of Kitsch You Will Be a Monster, qui répète le nom du précédent album de Shining. Un autre titre est intitulé en points et tirets de code morse (il se traduit par Bach), tandis que deux autres partagent exactement le même titre (procédé qui sera utilisé à nouveau sur Blackjazz (2010), le successeur de ce disque, et à deux reprises).
Shining effectue un gros travail d’acclimatation, en donnant dès les deux premiers titres la plupart des clefs aux auditeurs. Cette voie d'accès à Grindstone est constituée d’une première charge d'agressivité, avec riffs de guitare saccadée et d’un clavier éructant, rythmé d’onomatopées martiales (mais le disque est instrumental). On retrouve sur le premier disque l’agressivité de son successeur, Blackjazz, mais l’illusion ne va pas durer et Grindstone apparaît comme une étape entre In the Kingdom of Kitch… et Blackjazz, alliant atmosphères spacieuses et inquiétantes du premier et coups d’éclats death-metal du dernier. Ce sont des flûtes que l’on entend au milieu de la chanson, et même un gong, quelque part. Sans oublier, bien sûr, l’interaction psychédélique entre riffs et percussions tribales ou techno. Winterreise fait monter l'adrénaline d'un cran avec une batterie toujours plus délirante et plein de sections de cuivres détournés qui désorientent à la première écoute, mais gratifient dans les suivantes. Le dernier tiers du morceau se transforme avec la même impulsion en un genre de musique de film, passant sans heurt de progressions étouffées à une belle flambée orchestrale.
Il existe plusieurs groupes qui, en surface, s’essaient à la même spontanéité, dans des genres hybrides. Ce qui rend Shining si exceptionnel est qu’il sonne de façon quasi organique, vivante ; et aussi que les frontières de la raison, peu souvent franchies par les artistes de rock, sont ici repoussées. Sur Blackjazz, elle le seront à la limite de l’outrage, en en faisant un disque à double tranchant. Dans les mains d'autres artistes, le travail de Shining serait au mieux une mise en scène de secousses, et au pire inaudible. Le groupe sait parfaitement où il va, ses intentions créatrices radicales le mettent en marge de toute la scène metal, et en marge de la production scandinave. Il bénéficie aussi d’un savoir-faire étonnant. Deux membres de Shining étaient autrefois partie prenante du pendant léger et plus traditionnel Jaga Jazzist (One Harmed Bandit paru début 2010), tandis que les deux autres sont des musiciens de session et des compositeurs pour la danse, le cinéma et le théâtre. La performance de Shining permet aux musiciens de se libérer de leurs origines formalistes.
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