“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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samedi 6 septembre 2014

YOB - Clearing the Path to Ascend (2014)






OO
sludge metal/doom metal
sombre/hypnotique/intense

Avec un casque, cet album de quatre morceaux gigantesques vous envahit de noirceur d'une mélancolie étrangement confortable. In Our Blood est impressionnante dans sa construction et ses riffs hypnotiques, faits pour que l'auditeur soit gagné d'indolence. Nothing to Win est ce que j'ai entendu qui se rapproche le plus du qualificatif de 'sans appel'. Ou 'sans respiration'. 11 minutes incroyablement denses et assommantes, mais on en redemande. Du moins si on a décide que l'heure était venue d'écouter des choses un peu plus extrêmes que la moyenne, comme ce superbe disque de "sludge metal" un genre 'popularisé' par quelques groupes échappés de l'explosion death/grindcore des années 1990 et qui jouaient la musique extrême la plus lente, d'où sludge, 'limace'. Sleep ('sommeil') est souvent désigné comme l'un des chefs de file de ce mouvement, et Yob est signé désormais sur le label de Neurosis, un autre groupe culte qui a effleuré, si on peut dire, ce genre musical à son tour.
A la fin, les 18 minutes de Marrow dégagent une telle tristesse qu'elle pourrait bien finir par vous gagner, vous qui avec pourtant pas l'habitude de vous laisser influencer par l'humeur de la musique que vous écoutez. Les accords répétés laissent penser que la simplicité cohabite avec l'intelligence, tandis que les deux voix, très différentes et fascinantes toutes les deux, se partagent le 'travail' vocal conséquent de cet album aussi très bien produit. Clearing the Path to Ascend est ce qui se produit quand un groupe de métal atteint le nirvana musical, se rend compte qu'il y est peut-être déjà venu (ils ont déjà une carrière impressionnante) et en fait une grosse dépression. 

dimanche 14 octobre 2012

Neurosis - Honor Found in Decay (2012)


Parution : 30 octobre 2012
Label : Neurot Recordings
Genre : Doom metal, post hardcore
A écouter : At The Well, My Heart for Deliverance, All is Found... In time
OOO
Qualités : sombre, envoûtant


Given To The Rising, le dernier album de Neurosis paru en 2007, semblait, malgré de bons moments (Water is Not Enough…) privilégier l’utilisation d’atmosphères certes imposantes et très enveloppantes, mais qui semblaient parfois superflues, ce qui causait rapidement une lassitude. Le sextet post-hardcore, fêtant alors ses 20 ans d’existence, en venait  à évoquer David Lynch et les musique de film comme inspiration. Neurosis gagne pourtant davantage à être connu pour ce que ses chansons évoquent par leur contenu émotionnel et lyrique, et les limiter à leur atmosphère est réducteur. La dynamique chère au groupe, qui alterne avec une tension maintenue puissance et calme, est ici mieux que jamais un outil au service des chansons, de ce qu’elles contiennent d’honnête, de sauvage ou de mystique. Ce sont les humeurs et les émotions de ces chansons qui nourrissent les dynamiques de Honor Found in Decay, plutôt que de simples attributs sonores. Les chansons sont des tableaux, certes, mais qui appellent à être ressentis avec une urgence présente seulement épisodiquement sur Given to The Rising. Peut-être l’intense mélancolie qui se dégage aussi de cet album est ce qui le rend plus attachant que son prédécesseur. C’est comme s’ils s’étaient inspirés de Warning et de leur immense chef d’œuvre doom, Watching From a Distance (2007), pour façonner un album qui fait triompher le fond sur la forme, le taux d’humanité sur la quantité d’effets utilisés.
Depuis A Sun That Never Sets (2001), Neurosis tient du doom metal plutôt que du post-hardcore. Les deux albums suivants ont peut-être été les plus difficiles pour le groupe – The Eye of Every Storm (2004) constituant, dons son domaine plutôt sludge que hardcore, un triomphe hors normes - et Honor Found in Decay semble retrouver une linéarité plus séduisante pour l’auditeur. Il retient l’agressivité, le sens apocalyptique propre  au groupe tout créant l'agréable sensation d’être porté au cœur de la musique. Dès We all Rage in Gold, c’est toute l’essence de Neurosis qui est rendue saisissante par la clarté de sa mise en œuvre, sa présentation directe et sincère. Rien que la façon dont est introduite la première phrase, « “I walk into the water/To wash the blood from my feet », et dont se déploient en quelques minutes certains des couplets les plus denses de l’album, résume une approche rassérénée de leur musique et de leur message par Neurosis. L’une de leurs grandes forces, à savoir l’interaction entre les voix des deux chanteurs, est déjà activement à l’œuvre à cet instant.
At The Well, la première des trois chansons dépassant les 10 minutes sur l’album, confirme la perfection de l’expression du groupe, capable d’aller du quasi silence à une effusion de rage intense (bien que sans commune mesure avec ce qu'on a entendu dans la période post-hardcore du groupe), comme c’est définitivement le cas passé les sept minutes, alors qu’une nouvelle mélodie obsédante oriente la chanson vers un dénouement désespéré. Dans la dernière partie, la répétition de « In a shadow world » par Scott Kelly, Steve Von Till et le bassiste Dave Edwardson rend palpable toute la paranoïa, la défiance propres au groupes et peut-être aussi une forme d’espoir. « We are your light » est une réponse presque inaudible apportée en sous-main. Un dernier couplet termine le morceau avec une netteté remarquable, et l’inertie de cette deuxième chanson nourrit la troisième.
En douze minutes, My Heart For Deliverance change de formes avec une certaine grâce. A un moment, Scott Kelly passe du hurlement à la quiétude au cours du même vers : « And left me beneath…the river” ce qui laisse la voie à un intermède inhabituellement tranquille et gagné de désolation. Les dernières minutes du morceau sont un des meilleurs moments de l’album. Les guitares se débattent ensemble pour soulever le poids d’une fatalité qui peut encore être évitée, avec une insistance qui donne un caractère épique au titre. Et la suite est tout aussi édifiante, Bleeding The Pigs dégageant quelque chose plus de l’ordre du tribal et du rituel, Casting of the Ages faisant office de morceau doom plus traditionnel tandis que All is Found… in Time joue sur la force de son énorme riff, le meilleur de l’album. Enfin, Raise the Dawn, relativement courte, permet de susciter chez l’auditeur l’envie de tout recommencer…
Le confort qui naît à l’écoute de Honor Found in Decay n’est rendu possible que par une extrême précision dans la production (de Steve Albini), l’entrelacs des instruments, le séquencement, le choix de chanter/hurler seul, à deux ou même à trois. Les atmosphères suscitées par Noah Landis soutiennent ces chansons à chaque instant, dans leurs introductions, de leurs flottements, leurs conclusions et jusqu’aux moments où les riffs qui dirigent les chansons sont à leur apogée.



dimanche 2 septembre 2012

Scott Kelly - The Forgiven Ghost in Me (2012)





Parution : Août 2012
Label : Neurot Recordings
Genre : Americana, Auteur
A écouter : The Forgiven Ghost in Me, We Let the Hell Come, The Sun is Dreaming in The Soul

OO
Qualités : sombre

Les visions apocalyptiques du groupe culte d'Oakland, Neurosis, sont toujours contrebalancées par un espoir de rédemption ; ainsi ce tiraillement vital est encore évoqué dans le titre de leur nouvel album, Honor Found in Decay (2012), avec lequel ils fêtent leurs 25 ans de carrière. L'histoire retiendra comment ils ont emprunté le sentier chaotique d'un hardcore relativement anodin pour rapidement déboucher sur des tableaux furieux et épiques qui illustraient toujours la somme exacte de leurs angoisses mais aussi de leurs espoirs, de leur sincérité. Leur cheminement artistique a été somme toute assez étroit et c'est un compliment  ; ils ont gardé à l'esprit, de façon extrêmement claire, ce qu'ils voulaient exprimer, se renouvelant à chaque fois avec plus de subtilité. Scott Kelly, l'un des 2 chanteurs du groupe, a joué un rôle important dans ce dévouement à des thèmes récurrents, obsédants – le feu, l'apocalypse et ses charniers, le passage d'un monde onirique à un autre, les vagues purificatrices. L'un des grands mérites de Kelly en tant qu'artiste a été de contribuer avec ses mots, avec sa façon bien spécifique de broyer du noir, à préserver l'intégrité au sein de Neurosis.


Mais avait t-il vraiment le choix ? Ses albums en solo démontrent qu'il n'y a pas d'autre chemin pour lui qu'une guerre éternelle entre ses sombres contemplations et de brefs éclats de jour qui peuvent lui laisser espérer une rédemption prochaine. « J'aimerais que les chansons qui me viennent soient différentes, révèle t-il dans une interview en août 2012. J'aimerais ne pas canaliser cela, car ça craint, la plupart du temps. C'est des choses ardues. Heureusement, il y a aussi sur ce disque des choses nouvelles, plus légères, et je suis reconnaissant pour cela. » Lorsque Scott Kelly joue de sa guitare acoustique, ces chansons lui viennent naturellement, dans une inspiration qui n'a jamais cessé, et elles sont irrépressiblement sombres. En somme, parfaitement adaptées à sa voix caverneuse. Tout le propos de The Forgiven Ghost in Me est de le montrer libre de toute crainte à l'idée de partager ses véritables sentiments. L'un de ses amis le présenta ainsi : « Seul un véritable artiste peut s'exposer de façon aussi complète et décidée ; si focalisé sur la vérité, la rédemption et la réparation ; si à l'écoute de la chanson qu'il a toujours à l'intérieur de lui même. »


« Une de mes forces, c'est de ressentir comment s'écoulent les choses. Si tu me donnes 8 chansons, je peux te donner l'ordre dans lequel elles devraient être, afin de peindre l'image qui est dans ma tête. Il y a toujours un ordre à respecter. Tu dois dévoiler les choses au bon moment.» Ainsi The Forgiven Ghost in Me commence et se termine par 2 chansons au ton légèrement plus optimiste que les autres ; A Spirit Redeemed To The Sun parle de se laver le sang de ses mains et du désir qui permet au chanteur de se préserver de l'abîme. La chanson titre, possède aussi une forme de chaleur qui la différencie de ce qui vitent ensuite. Des chansons telles que Within Blood, We Let the Hell Come (sans doute le moment clef de l'album) et The Field that Surround Me constituent le cœur noir de cette progression, qui devient plus riche et plus profond au fur et à mesure que s'ajoutent aux projections lyriques d'images de sang et de brûlures les contributions subtiles de Noah Landis (qui se charge de suggérer le froid de l'espace) et de Greg Dale à la guitare slide et électrique.


Leurs extrapolations des accords joués de façon minimaliste par Kelly renouvellent l'intérêt de l'auditeur, les mélodies entrelacées lui permettent de se laisser guider vers le prochain couplet, et chaque couplet est une expérience intense, catharsis dont le prix est particulièrement élevé. « Nous avons tout laissé flotter librement et enregistré live », confie Kelly, qui reconnaît aussi s'inspirer du talent du sorcier de l'americana Townes Van Zandt. The Forgiven Ghost in Me s'inscrit naturellement dans le sillage de Spirit Bound Flesh – enregistré en 2000, en parallèle de A Sun That Never Sets qui introduisait des éléments folk dans Neurosis – et l'hypnotique The Wake (2008). Kelly se fend finalement d'un commentaire sur son amitié avec Noah Landis : « Nous travaillions ensemble même avant Neurosis. Il avait collecté des sons et nous restions debout toute la nuit pour travailler sur ces sons et les assembler. » C'est ensemble qu'ils ont réussit une chanson aussi profonde que We Let the Hell Come ; d'où l'insistance de Kelly pour créditer sous le nom de The Road Home, ces amis de 30 ans qui, comme lui, préfèrent l'ombre à la lumière.

mercredi 3 novembre 2010

Neurosis - Live at Roadburn (2010)



Parution : 2010
Label : Neurot Recordings
Genre :  Doom metal, Post-Hardcore
A écouter : Given to The Rising, the Doorway

O
Qualités : sombre, puissant, hypnotique
 
Neurosis, groupe de Oakland, Californie, a inventé un scène ; Isis, Cult of Luna, les groupes signés sur leur label et ouvertement inspirés de leur son à eux rencontrent  plus en plus de succès au fil des années. Aujourd’hui, Mastodon ou Baroness, deux groupes forts d’un succès qui en dit long – sur la légitimité du rock progressif  - se réclament de Neurosis.  C’est comme s’ils avaient fait vibrer une corde sensible encore jamais effleurée jusque là, et dont le son s’est amplifié jusqu’à cette tournée de 2007 en support de leur dernier disque studio, Given to The Rising (2007). 
 
Ils célébraient alors leurs vingt ans d’existence, et n’avaient plus grand-chose à voir avec ce qu’ils étaient à leurs débuts. Depuis le punk hardcore de Pain of Mind (1987), les six caverneux esthètes se sont peu à peu transformés en une engeance quasi-mystique – mais inutile d’ajouter des décors superflus là où ils se sont taillé un solide et réel piédestal de pierre. Leurs disques récents,  A Sun that Never Sets (2001à) et The Eye of Every Storm (2004), les avaient dotés d’une nouvelle aura. Burn, le premier titre de …Storm, était étrangement lent, évoquant plutôt la douleur d’une vieille âme que la brûlure  agressive d’une rage consumée. Et tous le disque était à l’avenant évoquant des paysages enneigés où le son s’étouffe à force de circonvolutions et perd son tranchant primaire avant d’atteindre l’oreille de l’auditeur.
 
Ecouter les disques studio de  Neurosis, c’est toujours une révélation. Parce que c’est une musique exceptionnellement riche, sans cesse en recherche de spiritualité et de sensations précises et complexes qui ne se contentent pas d’être le reflet d’une noirceur intérieure – elles sont cette noirceur. (C’est un peu comme lorsque Coppola a dit qu’Apocalypse Now n’était pas sur la guerre au Viet Nam, mais qu’il était la guerre au Viet-Nam). Dans ces conditions, en live Neurosis n’a pas  d’autre choix que de reproduire fidèlement les morceaux qu’ils ont préparé avec tant de soin et tant d’images en tête pour les disques.

Live at Roadburn, enregistré en 2007,  contient une majorité de titre des deux derniers albums, à l’exception notoire de The Doorway, titre d’ouverture abrasif et annonciateur sur Times of Grace qui, en position finale, garde son aura symbolique. Si l’expérience de ce live enregistré n’est pas à la hauteur de ce que les plus chanceux ont pu expérimenter en concert, il permet ou moins d’avoir quelques réflexions sur ce qui, dans un autre monde, feraient de Neurosis un groupe banal. Pour commencer, c’est bien du métal, pour toute leur symbolique. Qu’elle leur appartienne en propre est moins courant. 
 
Given to the Rising ouvre ce concert, et c’est un des morceaux les plus impressionnants de la carrière de Neurosis. Il n’y a rien d’autre qui égale ce premier titre à part peut-être le dernier, qui est The Doorway.  On dirait que Neurosis, avec le recul, fait toujours un peu plus peur qu’avant. Moins violent qu’en 1996 ? Ce n’est tellement sûr, mais c’est une violence plus sournoise, qui monopolise vos sens. Faute à un son devenu panoramique, proprement rugissant, faute à une perfection sans cesse plus grande – et à toutes les sonorités organiques et cinématiques parfaitement restituées ici -, Neurosis demande un investissement toujours plus important. Même les moments de calme, comme au milieu de Distil, ont une lourdeur magique et harassante. Une progression effrénée et  plus enveloppante à chaque minute qui passe – à la fois chaos mental provoqué par le manque de spiritualité et la recherche effrénée de leurs propres esprits. Le live, à peine plus approximatif que le studio, suffit pourtant à donner l’impression que tout est ouvert à une autre dimension incontrôlable – et imaginer Neurosis perdre le contrôle de leurs compositions parfaites (Crawl Back In, A Season in the Sky, Water is Not Enough), ça provoque l’appréhension de ce qu’elles peuvent devenir. 
 




samedi 8 mai 2010

Harvestman - In A Dark Tongue


C’est toujours un plaisir de retrouver l’un ou l’autre des musiciens du groupe Neurosis dans leurs différents projets, et ce, on l'avoue, quelle que soit la qualité de la musique qu’ils créent. Dans l’absolu, ce sera toujours de la bonne musique ; spacieuse, présomptueuse, intimidante. L’an dernier, Shrinebuilder voyait Scott Kelly s’associer avec Al Ciscernos de Om et Wino. Cette fois, c’est Steve Von Till, le second chanteur de Neurosis qui sort son deuxième album avec le projet instrumental Harvestman, dans lequel il officie seul. Lashing in the Rye, le premier opus, est décrit par le groupe comme « une confluence vertigineuse de folk anglais délicat des seventies, d’un mouvement de reflets épars, et d’un drone glauque et glacial, une suite qui évolue constamment et semble exister dans quelque glorieux autremonde ».

Steve Von Till est en effet à ce point obsédé par le pouvoir cinématique de la musique, et surement par la musique des allemands de Popol Vuh dans les films de Werner Herzog (Aguirre, la colère de Dieu…) ; ces longues litanies très répétitives, dont les suites d’accords simples s’infiltrent en nous comme les mouvements d’une descente vers la torpeur. Von Till est aussi influencé par Tangerine Dream, Neu !, Faust et des groupes de la scène psychédélique Californienne.

Contrairement à une musique qui tenterait de nous élever de nous donner une sensation de flottement, celle de Steve Von Till nous ramène constament à la terre, nous empèche d’échapper à quelques funestes visions. En enregistrant chez lui dans les forêts profondes de l’idaho, Von Till semble chercher à communier avec les forces silencieuses d’anciens esprits étrangers, perpétuant pour le plaisir des sens et le travail de l’imagination un genre de rite millénaire.

Fasciné par l’obsur, l’obsédant, l’hypnotique, il tente de produire ce qui nous ferait passer d’un monde conscient à un rêve symbolique et douloureux. Il joue avec les espaces, où la beauté naît de l’insistance, non pas dans l’instant mais au bout de quelques minutes. On est très loin du hardcore de Pain of Mind (1987), ses débuts avec Neurosis, et pourtant, il y a dans le fond la même fascination pour le côté primitif et brut de la musique. Il laisse les guitares vrombir crée des nappes indifférenciées de cordes électriques et de claviers, sans intervenir très souvent pour stopper ce qui est lancé. Il laisse le temps installer une atmosphère de transe chamanique.

Sur In A Dark Tongue, ce sentiment est illustré par la pochette, déjà (signée Josh Graham, comme souvent chez Neurot Recordings). Le visuel est ce qu’il y a de plus séducteur dans ce disque. La musique de Von Till semble de plus en plus cloîtrée, parfois complaisante (Light Cycle), presque vaine dans son utopie à reconstituer des ambiances, des sensations que personne n’a jamais connues ni ne connaîtra jamais. La magie opère pourtant dès que les instruments ont cette magnificence et le supplément d’âme qui leur permet d’exister sans tenter d’imaginer le film dont In a Dark Tongue serait la bande-son. By Wind and Sun, le seul titre ou Von Till chante, est particulièrement intense. A d’autres moments, comme sur The Hawk of Achill qui évoque Hawkwind, les influences apparaissent très nettement, un peu déplacées. Elles montrent peut-être la sincérité de Von Till, son envie d’intégrer à sa musique tous les éléments de son univers sans rien omettre. Il ne sacrifie rien à des raisons esthétiques.

Comme Neurosis surla musique de Harvestman est mue davantage par une force illustrative que par la recherche d’une structure Si Neurosis est intéressé pour toucher l’âme à travers sa musique, (du moins jusqu’à The Eye Of Every Storm), Harvestman est davantage l’expression d’un état physique et spirituel superficiel, c’est un musique de l’instant plutôt que fondée sur une quelconque nostalgie. Dans ces conditions, la pari est difficile ; nous faire entrer dans le disque et faire que nous revivions comme Von Till ou l’esprit qu’il crée a vécues ces expériences spontanées.

Bref, malgré les apparences, il semble que ce soit un disque plus physique qu’intellectuel. Il gagnerait à être moins monotone, bien entendu, mais seulement pour ressembler un peu plus à ce qu’on connaît. Harvestman semble appartenir complètement à Von Till, et même s’il tente d’en partager le maximum avec nous (notamment à travers un long descriptif sur sa page Myspace) on a du mal à pénétrer de telles intentions.

  • Parution : avril 2010
  • Label : Neurot Recordings
  • Producteur : Autoproduit
  • Genre : Drone, Folk, Ambient
  • A écouter : By Wind And Sun


  • Appréciation : Mitigé
  • Note : 5.50/10
  • Qualités : spontané, self-made

 

jeudi 22 avril 2010

Neurosis - Times of Grace


Neurosis est la formation qui a fait redevenir le rock progressif excitant et instense, comme ça n’avait peut-être jamais été le cas. Aujourd’hui shamans cultes de la scène indépendante américaine, imités par une poignée de groupes et source d’inspiration pour bien davantage, ses membres continuent leur route dans le noir, que ce soit au sein de Neurosis ou en produisant des disques sur le label qu’ils ont lancé, Neurot Recordings. Ce label est aussi la maison de projets parallèles pour les deux chanteurs du sextet, Steve Von Till et Scott Kelly, respectivement au sein de Harvestman et de Shrinebuilder. C’est l’une des meilleures idées au sein de Neurosis, ces deux voix complémentaires, mais qui rivalisent, toutes deux guturales et profondes (Kelly a cependant plus de temps de présence que Von Till). On peut écouter le morceau titre de Times of Grace pour se persuader que chanter à deux de la manière dont ils le font, dégage une vraie puissance infernale, parfaitement complétée par le son de guitares accordées très bas.

Chez Neurosis, les instruments communiquent de manière inhabituelle ; ces guitares se lançant dans de sourdes lamentations caverneuses, entre deux riffs incroyablement lourds et puissants, tandis que la batterie a une approche tribale, même sur des tempos rapides. L’effet recherché est d’illustrer la rudessee d’un monde instable ; envoûtant, sans doute beau, rougeoyant et mourrant ; mais toute mort, à cette échelle, n’est synonyme que de transformation. C’est une musique mutante issue du hardcore et devenue illustrative, comme le suggère Descent et sa cornemuse, ou The Last You’ll Know – lequel morceau est construit autour des échantillons de Noah Landis, le bruiteur dont la place dans le groupe se justifiera de plus en plus (en effet, alors que les premiers disques de Neurosis contenaient quantité de dialogues subliminaux dans un style daté, sur les derniers ses éléments électroniques vont devenir sons liés complètement au reste dans une sorte d’expérience multisensorielle ; ce sentiment est particulièrement vrai si l’on écoute Times of Grace avec Grace, le disque du projet expérimental Tribes of Neurot qui est destiné à être écouté simultanément).

La structure du disque montre que le groupe a atteint sa maturité. Les morceaux sont moins sombres et globalement moins longs que sur Through Silver in Blood (1996), le disque de l’escalade d’un nouveau genre éprouvant et réjouissant pour Neurosis. La plus longue pièce sur Times of Grace, Away, est d’ailleurs le morceau le plus calme du groupe jusqu'à présent, pour l’essentiel une longue plage volontairement terne, mais où l’on sent bien l’énergie en receuil (il est toujours question de spiritualité chez Neurosis), un pont vers l’âme après tant de fureur extériorisée. « Cease this long, long rest/Wake and risk a foul weakness to live”. Sur Away, c’est la première fois que Kelly prend une voix dégagée et que Neurosis autorise à une “faiblesse” d’exister. Finalement, le morceau se termine avec « away », simple mot crié sur un arpège progressif, lent et lourd. Les textes du groupe sont souvent concis, parfois cryptiques ou plutôt esthétiques ; on devine que la forme est aussi importante, ou plus importante, que le fond. De ce simple « away » à d’autres bouts de phrases, on sent que les syllabes ont maturé, deviennent parfois traînantes dans l’intonation caverneuse qui les interprète. "To deny/Until i say/Fell us alive/Sight as i speak/Inside us born…” On le devine, la manière dont les vers sont découpés provoque l’interaction des deux voix.

The Doorway et Under the Surface, deuxième et troisième morceau du disque, sont les plus convaincants. C’est ceux sur lesquels les sentiments se font les plus extrêmes, écorchés. « Your shell is hollow/ Your shell is hollow/ So am I/ The rest will follow/ The rest will follow/ So will I” crie Kelly sur le climax de Under the Surface, pendant lequel le groupe atteint son objectif avec le plus de brio ; une fusion de toutes forces, sentiments, sensations, une alliance sauvage et païenne (forte symbolique sur pochettes à l’appui). On voudrait que ce flot inextingible ne cesse jamais. Cependant,les résultats de cette exploration sont parfois plus mitigés, bien qu’on s’en délecte tout autant. Chaque nouveau titre demande à Neurosis de remobiliser toutes ses connaissances, de retrouver l’équilibre, comme si rien, jamais, n’était acquis. Progresser, s’améliorer leur demande de grands efforts, oun travail obsédant. L’expérience accumulée se concrétise pourtant lentement, et Times of Grace est un tournant de leur carrière (dans la manère dont il est séquencé…), un modèle dépassé par A Sun That Never Sets (2001) et The Eye of Every Storm (2004). A noter que le dernier morceau, Road to Sovereignty ouvre la voie pour le futur EP Sovereign (2000).

Times of Grace a été réédité récemment en édition double CD avec Grace. Ecouter les deux simultanément est une expérience à la hauteur de la réputation du groupe.

  • Parution : 1999
  • Label : Neurot Recordings
  • Producteur : Steve Albini, Neurosis
  • Genre : Post-hardcore, Sludge metal, Progressif
  • A écouter : The Doorway, Under the Surface, Times of Grace
 
  • Appréciation : Monumental
  • Note : 8/10
  • Qualités : intense, original

vendredi 23 octobre 2009

Shrinebuilder - Self Titled


La fosse aux serpents est à nouveau ouverte ! La belle pochette est signée Josh Graham, un habitué de la maison de disques Neurot Recordings, et membre du groupe qui a popularisé le mouvement post-core (on parle de musique métal), Neurosis. L’expérience inoubliable donnée par les élucubrations soignées des six musiciens de Oackland, en Californie - vingt ans d’âge tout de même depuis leurs débuts hardcore en 1988 – a inspiré des groupes toujours plus nombreux et talentueux aux Etats Unis, comme les Red Sparowes, Pelican, Isis, Cult of Lune, Battle of Mice.

On retrouve les membres de Neurosis dans d’autres projets – un certain nombre de ces « exercices parallèles » qui caractérisent des musiciens sur-actifs. L’un des plus remarquables parmi les personnalités de cette scène est Scott Kelly, co-leader de Neurosis qui a rejoint Shrinebuilder et ses amis Scott « Wino » Weinrich, Dale Crover des Melvins et Al Cisneros. Leur entreprise, que la presse qualifierait de « supergroupe » (formation à laquelle participent des musiciens reconnus par ailleurs au sein d’autres groupes) offre un résultat à l’alchimie nouvelle et puissante.

Imaginez les riffs stoners de Black Sabbath, avec des vocalises plus Ozzy Osbourne que nature par Weinrich, ajoutez-y les lourdeurs post-core de Neurosis, et, cerise sur le gâteau, la voix inimitable de Scott Kelly, qui brillait d’excellence sur The Ladder in my Blood, pièce isolée de son dernier effort. Poète fasciné par sang et viscéralité, par des images de portails antiques et de marques complexes, et enclin aux plongées honnêtes au fond de lui-même, il parvient parfaitement à apposer son imposante personnalité au son compact de Shrinebuilder.

Shrinebuilder, ce n’est pas seulement du gros son, il y a par là l’idée d’une quête, d’une progression. Les cinq plages dépeignent une torpeur, une transe morbide aux accents spontanés et résolument nouveaux, nés de ce mélange naturel de stoner énorme – The Architect vaut bien sa place sur Paranoïd - et de paysages arides à la narration éprouvante. Chaque musicien y apporte son bagage plutôt important ; quelque abstraction provenant de Cisneros et la concision des autres exercices de « Wino » sur le susmentionné The Architect. Un solo qui n’est pas sans évoquer les Queens of The Stone Age arrive à point nommé après quatre minutes de sujet plutôt brûlant.

Si la bande à Josh Homme a connu un succès médiatique évident avec Lullabies to Paralyse (2005) - son chef d’œuvre), il y a fort à parier que le voyage terra-stellaire d’un trop jeune quatuor (oublions un instant leur passé lourd comme un ciel de pluie en avril - Neurosis par exemple n’a aucune publicité dans la presse rock de notre pays) aura quelques difficultés, malgré la qualité immédiatement percevable de leur alchimie montée en diable, d’atteindre les oreilles de l’auditeur commun. Ainsi, ce groupe va d’abord viser les accoutumés du Hellfest et autres occasions de se foutre des décibels de dentelle – en égard à l’extrême ouvrage des pièces de bonne musique métal.

Pour entrer dans le cercle envoûtant de ces groupes d’apocalypse dont raffole la scène Californienne, le mieux est d’écouter, pour commencer, l’œuvre « doom » The Eye Of Every Storm (2004), de Neurosis. Sans vraiment parvenir à étiqueter ce que l’on est en train d’entendre au moment de le découvrir, ce son énigmatique, lourd et puissant, dont les vocalises explorent les confins de la violence et de sentiments qui n’ont pas encore été évoqués auparavant, va rapidement apparaître comme une référence essentielle aux oreilles de celui qui eu la curiosité d'y prêter une oreille. Black Sabbath et aujourd'hui Queens of The Stone Age ne sont t-il pas devenus des références grand public ? Je garde bon espoir pour Neurosis et son nouvel acolyte Shrinebuilder (placer là tout autre groupe de cette grande famille qui vaille).

Shrinebuilder a ainsi quelque chose d’ancien, d’une vieille messe aux étoiles, mais l’essentiel de sa musique est tendue vers l’avant, nous propulsant à la manière d’un Hawkwind dans des zones trop peu visitées qui sont à la fois loin du regard et si profondément enfouies en chacun de nous. Jouant d’une corde sensible avec une passion, une patience – Blind for All to See - et un panache trop rares par les temps qui courent, cette musique prend la forme d’une conjuration.

  • Parution : octobre 2009


  • Label : Neurot Recordings
  • Producteur : Shrinebuilder, Deaf Nephews


  • A écouter : The Architect, Pyramid of The moon, Science of Anger



  • Appréciation : Méritant
  • Note : 7/10
  • Qualités : soigné, puissant

dimanche 18 octobre 2009

Red Sparowes - Every Red Heart Shines Towards the Red Sun

Le second chef d’œuvre des Red Sparowes, paru en 2006, cristallise les éléments les plus identitaires du groupe, et prouve surtout qu’il n’était pas incapable de reproduire un travail aussi fort que At the Soudless Dawn (2004). Après la Sixième Extinction (celle qui est supposée causer le crépuscule de l’homme) – le thème du précédent disque – c’est ici, sur fond de symbolisme rouge sang, au problème de la famine globale et de la rupture de la chaîne alimentaire que s’identifie le grand groupe de post rock américain.

L’histoire racontée par les Red Sparowes, c’est celle de la Chine entre 1959 et 1961, frappée d’une peste qui était transmise au bétail par des animaux sauvages, dont des oiseaux comme les moineaux (Sparowes en anglais). Cette famine fit alors 30 millions de morts. Le gouvernement lança une grande campagne, "The Great Sparrow Campaign" pour l’élimination des animaux infectés. Cela amena une invasion de sauterelles épargnées par la disparition des moineaux, qui créèrent la famine ; fable d’un fragile équilibre qui fut réalité.

Ce n’est peut-être pas une façon très saine de commencer à présenter ce disque si balancé que d’évoquer ses penchants apocalyptiques. Mais Every Red Heart Shines Toward the Red Sun. Mais il s’agit au contraire d’une musique muette, précise, retenue, jouée avec une minutie et un talent immense. Le résultat n’a pas la lourdeur que l’on peut craindre d’une formation produite par Neurot Recordings (Neurosis, Isis). Il en devient même surprenant et finalement révélateur de voir comment est gérée cette sorte de longue mais douce litanie.

Le groupe est très ambitieux. S’il s’agit de morceaux totalement instrumentaux, ils sont intitulés de longues phrases appelées à jouer le rôle de chapitres. Le titre  du disque en entier comporte plus d’une centaine de mots. Les thèmes puissants et documentés et cette propension à divulguer autant par les titres que par la musique est une façon de revendiquer l’instrumental comme genre musical à part entière. Par un artwork puissant, ils donnent à la musique une imagerie forte et propre. C’est ce que des groupes comme Sigur Ros ont exploité ; dans leur cas précis, étant donné que leur langue est peu parlée et comprise. L’image ajoute à la musique une autre dimension.

La musique des Red Sparowes est constituée de pièces assez importantes mais surtout impressionnantes pour leur rigueur. La batterie métronomique évoque Can. La guitare en pedal-steel apporte une fluidité à la construction articulée, de manière à ce que l’on ait l’impression d’une infaillible horlogerie. Le temps est géré comme une dimension à part entière, les morceaux s’épanouissant avec circonspection. Parfois, cela donne l’impression d’une musique recroquevillée, presque bridée, plutôt que totalement libérée, bien l’œuvre dans son ensemble soit effectivement libre.

Le long échafaudage construit peu à peu une ambiance de laquelle émane une intelligence tout à fait particulière. C’est presque une provocation ; par la célébration d’une musique extrêmement pensée, le groupe pourrait être prétentieux ; mais cependant, le résultat est très agréable à écouter. C’est un genre de pop, ou presque. C’est ce que ce que Kraftwerk a donné à la musique électronique, cette fois appliqué dans un domaine qui embrasse les déflagrations et accalmies de Neurosis, à laquelle les Red Sparowes apportent leur propre sens de la clarté et de l’aménagement sonore.

Chaque morceau apporte une progression intéressante, depuis la basse en forme de grande poussée en avant sur The Great Leap Forward..., jusqu’à la rythmique de pendule de Like the Howling Glory… et au doux intermède de piano intitulé And by Your Own Hand... Les qualités mélodiques déjà remarquables sur le précédent opus sont encore bien présentes, notamment sur la deuxième moitié du disque, atteignant peut être un point hors de toute comparaison sur Millions Starved and as we Became Skinnier and Skinnier…, pièce de plus de neuf minutes qui enfonce le couteau dans la plaie.

Il est ainsi intéressant de voir comment la formation joue de son équilibre précaire, fournissant pour l’essentiel une introspection qui peut être prise à la légère, avant de décider, lorsque le moment est venu, d’ouvrir les abysses qui leur font retrouver leurs origines plus caverneuses sur As That Blazing Sun Shone... et de retourner à nouveau, l’espace d’un instant, à une lubie plus pastorale.

  • Parution : 19 septembre 2006

  • Label : Neurot Recordings

  • Producteur : Red Sparowes, Tim Green
  • A écouter : "Like the Howling Glory of the Darkest Winds, This Voice Was Thunderous and the Words Holy, Tangling Their Way Around Our Hearts and Clutching Our Innocent Awe", "Millions Starved and Became Skinnier and Skinnier, While Our Leaders Became Fatter and Fatte"

jeudi 24 septembre 2009

Red Sparowes - At the Soundless Dawn

Les Red Sparowes (moineaux rouges, en référence à T.S. Eliott), groupe de post-rock (Mogwai ; Sigur Ros ; Godspeed you ! Black Emperor ; Grails ; Mono ; Explosions in the Sky, etc.) musclé sont une formation expérimentée, même à l’aune de leur premier disque (deux musiciens d’Isis), qui travaille textures et sons dans un style virtuose de composition moderne, donnant à la musique sans voix une expression personnelle et foisonnante. Le groupe Californien affilié à Neurosis, Isis ou encore A Storm of Light, et signé comme eux sur le label Neurot Recordings, fait montre en 2005 avec At The Soundless Dawn de talents de composition tout à fait remarquables.

Ce genre musical aura tôt fait de détourner l’intérêt des critiques et du public ; et pourtant, c’est dans un souci constant de clarté, de beauté et d’ouverture au monde que le groupe progresse. Red Sparowes a un message et un filament poétique qu’il souhaite partager, une ligne de cohérence – signe de tout album post-rock qui se respecte - et pour cela, il fait briller le mieux possible tous les aspects du son qui, d’une pièce à l’autre, le caractérise de plus en plus. Un album de ce genre – d’une durée approchant ou dépassant les soixante minutes - sans motif peut s’avérer faible ; l’exercice est d’y apporter un constant renouvellement de forme. Sur le fond, le dessein est clair et ambitieux et les différentes étapes permettent d’illustrer ce message, de dérouler ce filament et, de surcroit, de multiplier dans la tête de l’auditeur les images les plus belles et parfois les plus opposées.

Ce qui fait l’intérêt de l’instrumental, c’est aussi la fulgurance et l’expressivité de certains instruments. La guitare en pedal steel (à plat) permet un grand apport d’expressivité à la musique. Utilisée entre autres par les groupes de rock progressif comme Pink Floyd ou Yes, elle participe à la construction des morceaux en leur donnant une touche plus construite ; comme l’orgue Hammond (Deep Purple) ou les Ondes Martenot (Radiohead), c’est un outil occasionnel et inoubliable dans la composition populaire moderne. Par l’utilisation d’instruments mélodiques comme l’orgue et le piano, les Red Sparowes empruntent une voie originale, produisant une musique puissante, contemporaine, très agréable. Les guitares conventionnelles sont également capables de grands riffs. Les ambiances sont variées, le groupe joue sur les contrastes avec une grande intelligence, ne laissant à aucun moment l’impression d’opérer en roue libre ; chaque minute apporte une mélodie ou grandit celle qui court déjà ; parfois on laisse un arpège s’installer mais sans abuser de longueurs (trois morceaux font moins de six minutes).

C’est une musique qui, en surface, explore diverses dimensions spatiales. En esprit, elle se concentre autour de l’idée d’une « sixième extinction » comparable aux grandes extinctions des espèces à la surface de la terre par le passé ; cependant, cette nouvelle extinction est causée par l’homme, et non par des éléments naturels. Il y a là une tentative de communiquer sur un plan métaphysique, une vision spirituelle qui est par ailleurs fortement présente dans une large part de la scène Californienne. Le format des pièces permet d’embrasser une large quantité d’éléments qui rejaillissent tôt ou tard dans les sillons que les Red Sparowes laissent comme une charrue dans la terre apocalyptique de notre époque. Constant en qualité et en inspiration, le disque ne lasse jamais, n’en déplaise aux détracteurs (je défendrai toujours Yes, par exemple) du genre rock progressif. Parfois menaçant (Mechanical sounds…) mais sans jamais devenir exagérément sombre, le disque rebondit et offre toujours, au sein de ses ambiances denses, de nouveaux crochets physiques ou volatiles. Une musique pour rêver. Surprenant et salutaire pour la scène indépendante, ce disque est l’un de ceux sur lesquels Neurot Recordings peut fonder sa réputation.

  • Parution : 22 février 2005

  • Label : Neurot Recordings

  • Producteur : Red Sparowes 
    genre : post-rock

  • A écouter : Alone and Unaware..., Mecanical Sounds....

samedi 19 septembre 2009

A Storm of Light - And we Wept the Black Ocean Within

A défaut de tout dévaster sur son passage et de vous amener par le fond comme le fera The Eye of Every Storm de Neurosis lorsque vous le découvrirez, And we Wept the Black Ocean Within est un exercice captivant à la narration et à la production impeccables, comme nous y a habitué l’école post-core américaine ; Neurosis le précurseur et meilleur spécimen ; puis Isis, les Red Sparowes, Battle of Mice, Cult of Luna, etc. Neurosis est aujourd’hui passé maître dans l’art de peindre des paysages arides et des silhouettes déguisées que l’on imagine brutales et peu humaines, et fait partie des grands groupes américains pour sa faculté, à ne sortir que des chefs d’œuvre ; aujourd’hui vingt ans de carrière parfaite. Chacun de ses disques est extrêmement soigné, très produit et prodigue une véritable bande son qui joue sur la qualité épique des riffs de guitares répétés, des alternances calme/tempête, des sonorités électroniques et des atmosphères héritées du post-rock et ce grand hurlement à deux têtes qui atteint des profondeurs inouïes. Je ne peux que vous conseiller d’écouter The Eye of Every Storm (2004), honteux de n’en avoir pas encore parlé ici. C’est à l’écoute de ce disque que j’avais découvert le groupe alors, et heureusement, car si j’avais commencé par Souls at Zero (1993) – leur premier effort – ou même par Through Silver on Blood (1996), je n’aurais probablement pas adhéré au culte. La grosse force du groupe réside dans son évolution ; lorsque je les ai attrapés, ils avaient quasiment cessé leur jeu Hardcore pour basculer dans un lent bouillonnement de riffs en spirale et de voix moins téméraire, moins hurlante mais plus profonde encore que par le passé. Leurs morceaux sont longs et produits comme un vaste et brûlant opéra, passionnants pour n’importe qui est tombé amoureux de EchoesPink Floyd - il y a 38 ans et depuis lors.

Je ne pouvais pas parler de A Storm of Light sans évoquer Neurosis ; ils leur doivent tout. Pourtant, je ne suis pas de ceux qui vont crier au plagiat, car je ne perds pas de vue que la musique au XXI eme siècle n’est qu’une affaire de recyclage. Et A Storm of Light profite de l’évolution de ses ainés ; produisant un travail de sagesse, une relecture des dernières heures de la formation Californienne qui les a inspirés. Ce qui m’intéresse sur ce disque est la manière dont il est construit ; sept morceaux autour de huit minutes entrecoupés de trois interludes – et les images qu’il véhicule. Une heure de musique en ambiance sous-marine, dans les tons les plus sombres, propice à l’étouffement – c’est un son dont on est spectateur, comme sur Given to the Rising (Neurosis, 2007) par exemple. Ces derniers temps, la qualité de production atteint de tels niveaux d’excellence qu’il devient difficile de ne pas plonger dans les derniers disques post-core comme dans de vastes fresques cinématographiques. Le grand niveau de détails – le groupe est composé d’un dessinateur au chant et à la guitare – n’a d’égal que l’équilibre parfait de cette œuvre de métal organique. Black Ocean, Mass, et le final de dix minutes Iron Heart sont des sommets d’intensité certes éprouvants mais signes d’un jusqu’au-boutisme artistique, de la focalisation d’une vision apocalyptique en une seule image donnée avec application. La batterie, tribale, roule et progresse avec une ruse toute propre au post-core.

Un disque très linéaire, qui ne perd pas une seule seconde sa raison d’être. Le point de départ très prometteur de très (trop ?) bons élèves. Le seul point faible, en toute relativité bien entendu, est la puissance et la justesse vocale de Josh Graham, notamment sur Vast and Endless. La référence étant Steve Von Till et Scott Kelly en extraordinaires artilleurs vocaux, ce n’est pas tout à fait à la hauteur.

Dans un autre registre tout aussi produit, Devin Townsend brille aussi à créer des univers complets (Ocean Machine… Ziltoid) et ses disciples Mastodon qui ont obtenu une reconnaissance à plus grande échelle récemment. A Storm of Light sort ces jours-ci son second disque, je vous tiens au courant.
  • Parution : 2008
  • Label : Neurot Recordings
  • A écouter : Black Ocean, Mass, Iron Heart
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