La pochette du disque se devait de retenir mon attention. En découvrant Londres en 2007, j’ai tout de suite été fasciné par la Battersea Powerstation, cette ancienne usine électrique aujourd’hui désaffectée et laissée comme une coquille vide sur les bords de la tamise, encore dressée dans un environnement hostile ; une zone d’entrepôts démolis et de grues de déchargement rouillées. J'ai eu, en la voyant, le souvenir de la pochette de ce disque des Floyd, Animals, que je ne connaissais pas bien à ce moment. C’est en découvrant l’intérieur de la pochette (pour l’édition vinyle) que l’on découvre un peu de cet espace mystique qui provoque l'attirance pour la bête ; grilles, barbelés à contre-jour, champs de ruines, déjà en 1977 – je ne peux pas dire si l’usine fonctionnait encore à l’époque – intérieurs vétustes d’ateliers, quai où les trains déchargeaient leur charbon.
Impossible d’approcher la powerstation de près – le plus près étant le pont de Battersea qu’emprunte le train, et c’est suffisamment proche pour être très impressionné par cette cathédrale de briques géante. Un bâtiment austère et froid, déshumanisé, déserté, comme le sont ces vestiges d'une ère pas tout à fait derrière nous, entre deux eaux ; qui devient peu à peu obsolète. Dire qu'un beau quartier va être construit tout autour, que l’usine deviendra le centre de l'attention locale, inscrite dans le cercle d'une place neuve, que les toits du bâtiment vont être couverts de verdure… Alors ce sera vraiment la fin d'une époque, mais c'est heureux que la municipalité n'ait pas décidé de la détruire.
De l’autre côté du pont suspendu, un parc, Battersea Park (vous l’aurez deviné, nous sommes dans le quartier de Battersea). Très vaste, plein de surprises, comme d’autres parcs londoniens (Hyde Park, Regent Park… ) Sa particularité est de border la tamise sur sept cent mètres au moins, avec, à un moment donné, une construction d’inspiration tibétaine sertie d’un buddha doré. J’ai souvenir d’un autre disque de Adam and the Ants lorsque je me suis installé, l’espace d’une après midi, dans le cœur aménagé de fontaines de ce parc (comme beaucoup d’endroits à Londres, désert en semaine, Battersea devient très fréquenté le week end).
Battersea powerstation est impossible à visiter, du moins je ne crois pas. Pourtant, on la voit de loin ; pas si on longe la tamise, à cause des méandres, mais depuis Hyde Park, depuis le centre ville, il m’est arrivé d’en apercevoir les cheminées, comme quatre dents dans le ciel rose.
La photo sur la pochette est prise depuis l’arrière de la powerstation, c’est le côté opposé à la tamise que l’on voit ; et le pont de Battersea que l’on aperçoit sur la gauche. Derrière ce pont, le quartier de Chelsea. Plus loin sur la gauche (à l’arrière de la pochette), les quartiers ouest de Londres qui bordent le fleuve ; Hammersmith, etc.
C’est plaisant de voir à quel point l’usine a peu changé depuis 1977, vue de l’extérieur. Elle a toujours cette présence dramatique qui la caractérise ici, traitée par Storm Thorgerson – l’artiste dont les visuels de pochette sont les plus reconnaissables, peut être, les plus aboutis. A propos du travail de Thorgerson, le cochon volant entre les deux cheminées n’est pas qu’un (b)détail, mais un point crucial – du point de vue de Roger Waters au moins – qui a nécessité des heures de travail. De la taille d’un camion, les tentatives pour le rendre photogéniques furent répétées maintes fois, manifestement à cause des intempéries et des nuages qui dissimulèrent même cheminées et cochon pendant la séance. On voit l'animal, à l’intérieur de la pochette, couché sur le côté, comme mort.
Ce n’est qu’en tournant autour de la powerstation – traversant le pont, tournant à droite, puis lui faisant face – que l’on se rend compte de la supercherie – les ouvertures de la façade ne renvoient que la lumière du jour, nous laissant deviner que le monstre a été désossé, qu'il est complètement vidé. C'est de ce point de vue que j'ai fait le plus photos, tant m'intéressait l'idée d’une cathédrale industrielle, imaginant ce qu'il pouvait y avoir à l'intérieur. Je crois que ce que suscitait le bâtiment est aussi du à sa position, un peu en marge du centre de la ville, mais pas complètement isolée non plus ; entourée de quartiers résidentiels calmes discrets et plutôt riches (Chelsea en particulier). Continuant vers Westminster, je parviens à Pimlico ; c'est une autre partie de Londres, une autre histoire.
Animals n'est peut être pas des meilleurs disques de Pink Floyd, mais c'est l'un des plus grands travaux de Roger Waters, parolier et bassiste du groupe. A la fois pièce musicale intéressante - ces solos de guitares multiples montrent que David Gilmour est en grande forme, ce break de plusieurs minutes où les aboiements de chiens rejoignent les sonorités étranges des synthétiseurs - et pièce politique aux inspirations littéraires (La ferme des animaux, de George Orwell). Waters montre son aise à suggérer un concept et à le décliner (ici, il dépeint trois classes sociales). Le thème emprunté à Orwell est mis en musique d'une manière désormais classique pour le Floyd, et c'est vraiment les couplets de Waters qui font la différence, images puissantes et métaphores vives qui seront développées dans d'autres directions pour The Wall (1979). Les chiens, ce sont les businessmen qui exploitent les lois du marché pour s'enrichir et enrichir leurs supérieurs :
You got to be able to pick out the easy meat with your eyes closed
And then moving in silently, down wind and out of sight
You gotta strike when the moment is right without thinking
Les cochons représentent la classe supérieure, gloutonne, avare et ignorante de la souffrance des moutons, qui représentent la classe inférieure, pour des raisons toutes naturelles… Waters se fait sarcastique, élevant ces cochons en ridicule. Le discours du Floyd, alors que le groupe est devenu le roi du monde, est moins inoffensif qu'au début de sa carrière, bien que sous la forme de concept il évite la confrontation directe et l'exposition à nu des ses idées. Le premier solo de Gilmour sur Pigs évoque des grognements porcins, et, comme la mélodie en forme de musique de cirque, ajoute au portrait pathétique. Un second solo épique et grandiloquent ferme le morceau, témoin d'une fausse grandeur, d'une opulence artificielle.
Sheep décrit les classes dominées qui finalement, dans un sursaut optimiste, viennent à se libérer :
Bleating and babbling we fell on his neck with a scream.
Wave upon wave of demented avengers
March cheerfully out of obscurity into the dream.
Cerise sur le gâteau, Pigs on the Wing parts 1 et 2, chansons d'amour de Waters pour sa fiancée d'alors. Il y décrit ses aventures passées en se qualifiant de véritable chien…
Inutile de rappelle que le message du disque est plus que jamais d'actualité, à l'heures de "crises financières", etc.
Parution : 23 janvier 1977
Label : Harvest, Emi
Producteur : Pink Floyd
Genre : Rock progressif, Folk Rock
A écouter : Dogs
Appréciation : Méritant
Note : 7.25/10
Qualités : soigné, engagé, lucide
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