On peut parfois se demander quel est le disque que l’on aimerait amener sur une île déserte. S’il devait y en avoir qu’un. David Gilmour, se posant cette question, n’est pas allé chercher chez d’autres ce qu’il aurait pu faire lui-même ; un album somptueux, sensuel, reposé, qui est le chef-d’œuvre évident de sa carrière solo – ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on parle de l’un des plus grands guitaristes du monde encore en activité.
"La voix et la guitare de Pink Floyd", comme il se présente souvent, c’est aussi une bonne partie de l’âme qui traverse les albums du Floyd que sont Meddle (1971) ou Wish you Were Here (1975), sans compter ses excellents solos sur Animals. Ici, on est cependant à des années-lumière de la fureur rentrée de ce pamphlet inspîré par Georges Orwell et sorti sans grande surprise en 1977. En 2006, Gilmour a soixante ans ; ses relations avec Roger Waters se limitent à des salutations polies (par exemple lorsqu’ils se croiseront alors qu’ils préparent leurs shows dans deux hangars voisins). On an Island est coécrit avec Polly Samson, sa femme depuis 1994. En découle une œuvre de grande cohérence et de grande force, un disque courageux aussi puisqu’il n’est jamais démonstratif, laissant le sentiment servir de fil conducteur. Les chansons racontent la poésie du couple, l’alchimie du bonheur, la recherche de quiétude après une vie d’explorations incessantes – de tournées à perdre haleine.
Castellorizon ou Red Sky at Night montrent Gilmour qui tente de communiquer son cœur à la seule force de son instrument – et il n’est pas mauvais saxophoniste, il a bien compris qu’un bon solo de saxophone remplace avantageusement une énième ligne de voix. Cela d’autant plus que le disque est construit dans l’optique d’une tradition théatrale contemporaine, comme une expérience multisensorielle, plutpôt que comme un disque de rock – et que chaque intervention doit répondre à celle qui l’a précédé. Les éléments qui le composent se fondent les uns aux autres ; les atmosphères progressives du Floyd deviennent le plus souvent l’écrin à l’affect de Gilmour, avec parfois de dramatiques envolées. Les orchestrations sont ainsi complètement naturelles, rien n’est plus forcé. Then I Close My Eyes introduit la prestation de Robert Wyatt au cornet, un instrument qui transmet une émotion incroyable (il n’a a qu’a écouter aussi le morceau Ordinary People de Neil Young, vers la quinzième minute, pour comprendre).
Take a Breath nous rappelle que nous sommes en présence de celui qui a écrit Young Lust. Gilmour y est comme souvent accompagné de Phil Manzanera (Roxy Music), ainsi que de Guy Pratt à la basse. Le morceau ressemble à un léger retour de vent après la traversée de grande quiétude que constitue le triptique Castellorizon-On an Island-The Blue (lesquels morceaux contiennent de magnifiques solis de Gilmour, qui maîtrise les tempos lents à merveille et ménage l’arrivée d’une plainte électrique comme l’entrée en scène d’un personnage animé bien plus présentable que ceux de The Wall (1979). Smile ou Where We Start apportent la félicité ultime, portés par de superbes mélodies de chant. This Heaven la joue cool, et il l’est vraiment, à braver vents et marées.
La fascination du Floyd pour les pays du sud de l’europe – qui a sans doute culminé lors de leur fameux concert aux arènes de Pompéï en 1972 - est encore présente ici, dans l’imaginaire de Gilmour. Ainsi, Castellorizon est est méditation du guitariste après une nuit passée dans le ville côtière de Castellorizon en Grèce… On se souvient avec un pincement au cœur de l’amour de Richard Wright pour la mer et la navigation – … voir son disque solo Wet Dream (1978). Il est probable que les notes en introduction de Echoes, l’un de leurs tirtres les plus célébres et les plus longs de leur répertoire, soient voulues comme des sonorités « aquatiques ». Comme un appel humain à travers la mer. Sans compter, sur On an Island, le thème de la quiétude et de l’île, ou encore les titres The Blue et A Pocket Full of Stones.
En concert, David Gilmour est apparu accompagné de Richard Wright, feu le claviériste de Pink Floyd ou de David Crosby et Graham Nash, qui ont aussi participé sur le disque aux chœurs du titre On an Island.
Disque enregistré sans compter, On an Island est enfin, en 2006, la manifestation entière de l’univers de Gilmour, un sommet romantique.
- Parution : 6 mars 2006
- Label : EMI
- Genre : Rock progressif, Blues
- Producteurs : David Gilmour, Phil Manzanera, Chris Thomas
- A écouter : On an Island, Take a Breath, This Heaven, Smile
- Appréciation : Monumental
- Note : 8/10
- Qualités : poignant, soigné, heureux
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