Le groupe belge Deus a trouvé avec Pocket Revolution (2005) sa vitesse de croisière. Amené par Tom Barman, l’objectif avoué du groupe était, depuis un moment déjà, de s’exporter à l’étranger. Et ça n’était pas évident, même si la qualité, avec Deus, était là dès Worst Case Scenario, en 1993. Une intro canon et des morceaux expressionnistes qui leur vaudra d’êtres rangés dans la catégorie des groupes arty. « En Angleterre, si un groupe rock raconte qu’il a visité un musée, il est considéré comme arty », se moque Barman dans une interview donnée en mars 1999. Et c’est vrai que s’ils comptaient conquérir le monde anglo-saxon, Deus étaient bien loin de la complaisance qui peut caractériser la « brit-pop », même s’il y a toujours eu de la pop dans leur son. In a Bar, Under The Sea (1995) résultait de leur collaboration avec le musicien américain Eric Drew Feldman, illuminé qui avait été claviériste et bassiste chez Captain Beefheart au début des années 80. Etant donné le chaos qui est supposé avoir régné dans le stuidio au moment d’In a Bar…, le résultat fut inespéré et la presse salua unanimement. Plein de sonorités originales et plutôt long (une heure) il démontrait un groupe non seulement inspiré mais aussi prolifique, voire ambitieux. Particulièrement bien vendu en Belgique, ce disque leur permit aussi de gagner une stature internationale.
Après cela, un groupe soudé aurait peut être cédé à la pression et fait n’importe quoi. Mais dans le cas de Deus, deux membres fondateurs s’en vont après In a Bar, Under The Sea. Malchance ou simple occasion de se renouveller, il a fallu trouver « d’autres moteurs pour la machine Deus ». Barman se réfugie en Andalousie, et écrit ce qui va devenir The Ideal Crash alors qu’il est tourmenté par des problèmes personnels. S’adjoignant le producteur Dave Bothrill qui officie pour Peter Gabriel au sein de son label Real World, Deus a une occasion en or pour être soudain estampillé world music tout en développant sa parure pop de manière à faire verdir n’importe quel nom de la scène anglaise de jalousie. Il va y avoir un twist cependant ; le disque est enregistré à Ronda, un petit village espagnol, sur un huit pistes…
The Ideal Crash prouve avant tout les qualités de Barman comme songwriter ; même si l’on peut trouver des antécédents dans les deux premiers albums du groupe belge, c’est ici une constante ; One Advice, Space, Instant Street ou The Magic Hour sont des morceaux de pop étirée mais royale et profondément marquante. Mais ce disque est aussi celui qui le premier issu d’un véritable groupe, enfin soudé. « On a fait quand même aujourd’ hui 160 concerts ensemble. Il est donc normal que cet album soit plus cohérent et accessible », explique t-il en 1999, au moment de la parution du disque. En effet, les arrangements sont plus simples qu’avant (et après), l’écriture est décomplexée et tout semble s’écouler naturellement.
Instant Street est la pièce maîtresse du disque. Selon Barman, elle symbolise son impossibilité à voir Deus depuis l’extérieur ; sa nécessité d’avoir toujours un point de vue interne. Elle démarre de manière très légère, avant que la décadence qui fait la marque du groupe depuis ses origines (Worst Case Scenario était déjà particulièrement excentrique mais spectaculauire et passionnant) se greffe au détour d’une mélodie qui ne se dégage qu’après quatre minutes de pop-song parfaite, et enfle peu à peu pour devenir sauvage tout en évitant la cacophonie. Très bien construit, le titre concentre toutes les qualités qui font la musique de Deus, et qui la font culminer à ce point précis. Les différentes pièces sont souvent charpentées autour d’une montée en puissance irrésistible, et alternent une série de motifs mélodiques , en gardant la tête haute et une élégance propre.
Chaque morceau compte et mérite des écoutes répétées, jusqu’à cette Dream Sequence qui rappelle que le chaos peut ressurgir et le groupe redevenir grimaçant à la fin. Put the Freaks up Front est rageuse et téméraire – un larsen en guise d’ouverture -, effrayante avant que le refrain ne balaie toutes les appréhensions. C’est le côté cracheur de feu de Barman qui s’en échappe, son ressentiment (il venait de terminer une relation de sept ans). Mais le groupe, recentré autour de Barman et du guitariste écossais Craig Ward, excelle aussi, chose rare, sur les morceaux plus calmes et dépouillés (on ne peut pas vraiment parler de ballades, la musique de Deus s’affranchit de ce genre de considérations) comme Magdalena ou Sister Dew, progressifs comme le reste du disque. One Advice, Space est un titre inclassable basé sur des accords de guitare glissant dans l’abîme, embelli de clavier parfaitement dosé. L’ambiance de type lounge y est importante. Everybody’s Weird emprunte une voie un peu similaire dans l’esprit, mais avec d’autres moyens ; c’est peut-être le seul titre qui n’ait pas été composé à la guitare sèche – instrument que Barman revendique comme étant son favori. On peut ajouter le surréaliste Let’s See who Goes Down First, à l’ambiance plus noire, et basé sur un échantillon enregistré par le groupe. Très peu d’électronique, même si l’on peut retrouver un peu de la poésie et des textures qui parcourent le travail des groupes issus du label 4AD.
Les ambiances, soulignées de cordes, de claviers et de cors, sont très importantes, et elle amènent à ce qui fait de The Ideal Crash un très grand disque ; sa constance. Bénéficiant d’un soin de chaque instant, il donne l’impression d’un véritable voyage, où l’on se laisse aller à des mouvances sans défaut. Le choix initial de ne pas utiliser de gros moyens se retrouve, au final, dans sa légèreté particulière. Le morceau titre est encore une preuve de l’incroyable bon goût de production qui parcourt le disque. Ainsi, c’est parfois riche, mais toujours plein d’espaces, de souffles. Le farniente espagnol dont Barman n’a pas manqué d’évoquer l’influence sur le résultat des séances d’enregistrement, on le retrouve dans un certain flottement, un sentiment délicieux qui apporte sa touche finale au chef-d’œuvre de Deus.
Parution : 1999
Label : Island
Production : Dave Bothrill, Deus
Genre : Folk-Rock surréaliste
A écouter : Instant Street, One Advice, Space, The Magic Hour
Appréciation : Monumental
Note : 8.25/10
Qualités : soigné, surréaliste
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire