LE GROUPE BELGE dEUS A BEAU AVOIR continué de sortir des albums dans les années 2000, ils restent les ados tourmentés de la décennie précédente. Leur chef d’œuvre The Ideal Crash (1999) simplifiait leur musique, mais impossible pour Tom Barman, ex-champion de squash, d’épuiser ses fantasmes fiévreux. En résultait, avec Pocket Revolution (2005) et Vantage Point (2008), des albums un peu forcés, qui ne donnaient peut-être pas la meilleure image de dEUS mais restaient attachants. Tentaient de désamorcer leur succès hors du commun. « La maturité, c’est quelque chose que tu gagnes avec le temps. Mais dans ce même temps, tu perds de ta naïveté, de ta fraîcheur. Nous ne recherchons donc pas forcément cette maturité dans nos compositions. De trop de maturité résultent des morceaux trop pensés, trop réfléchis. » Bardés d’influences, de Tom Waits période Swordfishtrombones (1980) à Don Cherry, le quintet dEUS va rapidement produire une bande-son où l’esprit ‘late night, last drink’ – incarné aux Etats-Unis par quelqu’un comme Greg Dulli (Afghan Whigs) – rejoignait une ambition musicale à mélanger rock puissant et influences jazz. Ils piochaient aussi chez leur contemporains, reproduisant avec Worst Case Scenario (1993) la sensation de choc qu’ont suscité les plus grands disques de cette période, du premier Suede à Rid of Me (1993), le plaidoyer de PJ Harvey. Mettre l’énorme Soda & Suds en ouverture de leur premier album fut un geste de toute évidence propice à attirer l’oreille, mais ils prenaient le risque de perdre l’attention de leur public à la moitié de l’album, moins frappant ensuite, voire d’être perçu comme voulant un peu trop s’afficher. La voix puissante de Barman, tiraillée entre romantisme et gouaille crâneuse, et les percussions de Julle de Borgher furent des éléments qui assurèrent la continuité de l’expérience.
Le groupe fut repéré par le label britannique Island Records (Tom Waits, PJ Harvey) qui se proposa de distribuer leur premier album. Leur carrière se dessinait alors à un tout autre niveau. Impossible à présent de faire marche arrière pour Barman et son groupe. Le chanteur se souvient des débuts de dEUS, à la suite d’un décès familial : « Je suis parti juste après faire le tour de l’Europe, avec un sac à dos, je me suis acheté une guitare, j’ai appris quelques chansons de Neil Young et de Léonard Cohen. Ensuite, j’ai rencontré Stef, puis d’autres musiciens, dEUS est né comme ça ». Il faudrait bientôt qu’ils donnent suite, ou qu’ils tombent, oubliés sous la botte de formations américaines tonitruantes que l’on connaît.
EN 1997 CEPENDANT, LA CONCURRENCE semble moins rude : le grunge est peu à peu gommé, n’en restent que les meilleurs éléments. dEUS, groupe à taille variable qui se veut véritable expérience musicale, ne sait pourtant pas plus clairement ce qu’il recherche, et l’enregistrement de In a Bar, Under the Sea (1997) est chaotique. Difficultés relationnelles entre Tom Barman et Stef Kami (pas facile de s’investir dans un groupe lorsque on s’investit déjà dans deux autres), arrivée du guitariste écossais (et par la suite compositeur et arrangeur, notamment sur The Ideal Crash) Craig Ward, et, surtout, participation de l’américain Eric Drew Feldman, un nerd aperçu aux côtés de Captain Beefheart, Père Ubu, les Pixies, The Residents… Ce dernier va encourager dEUS à tout tenter sur un disque qui pourrait être perçu comme une ambitieuse envie de répertorier tous les genres de rock contemporain. Il va commencer par produire I Don’t Mind Whatever Happens comme un morceau blues des années 30. In a Bar, Under the Sea révèle un dEUS en roue libre en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Barman : « Je suis toujours attiré par des choses que je ne sais pas très bien faire. Ce qui fait que parfois j’approche le succès mais que le résultat peut parfois être désastreux. Avec dEUS, si l’on travaille deux ans sur un album, nous avons le temps de réparer ce qui paraît épouvantable. Je pense que nous avons tous dans le groupe des goûts très « larges ». Ce qui permet d’offrir au public un spectre de musique étendu. Surtout en concert.» Etant donné l’esprit de l’album, qui est de tout tenter, sans craindre ce qui pourra advenir, In a Bar, Under the Sea est une grande réussite. C’est l’album qui fait de dEUS le groupe continental numéro 1 pour beaucoup d’auditeurs à la recherche de nouvelles sensations capables de manifester la flamme bravache du rock tout en en renouvelant les codes. dEUS va alors devenir, de plus en plus, un projet maîtrisé, dont les disques soignés traduisent les humeurs changeantes de Barman, collent à l’intimité de son écriture, tout en cédant parfois à une certaine complaisance, au meilleur sens du terme. Deux membres fondateurs s’en vont après In a Bar, Under The Sea. Malchance ou simple occasion de se renouveler, il a fallu trouver « d’autres moteurs pour la machine dEUS ».
Barman se réfugie en Andalousie, et écrit ce qui va devenir The Ideal Crash (1999) alors qu’il est tourmenté par des problèmes personnels. S’adjoignant le producteur Dave Bothrill qui officie pour Peter Gabriel au sein de son label Real World, dEUS a une occasion en or pour être soudain estampillé world music tout en développant sa parure pop de manière à faire verdir n’importe quel nom de la scène anglaise de jalousie. Il va y avoir un twist cependant ; le disque est enregistré à Ronda, une ville espagnole, sur un huit pistes… The Ideal Crash est le premier album issu d’une véritable formation, enfin soudée. « On a fait quand même aujourd’hui 160 concerts ensemble. Il est donc normal que cet album soit plus cohérent et accessible », explique t-il en 1999, au moment de la parution du disque.
Le groupe excelle en particulier, chose rare, sur les morceaux plus calmes et dépouillés, Magdalena ou Sister Dew. Un grand disque de pop progressive, un voyage d’humeurs captivant et un exercice dense que dEUS semble avoir tenté de répéter sur Keep You Close (2011), dix ans après s’être exporté avec succès dans le monde entier.
Discographie
Worst Case Scenario (1993)
Worst Case Scenario (1993)
In a Bar, Under the Sea (1995)
The Ideal Crash (1999)
Pocket Revolution (2005)
Vantage Point (2008)
Keep You Close (2011)
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