Christina Antipa l’annonçait fièrement en janvier : « beaucoup de choses vont changer cette année, pour en nommer deux : 1) je me baptise d’un nouveau nom. […] 2) […] Au début du mois de mai je m’envole pour la France pour un mois de tour européen avec June Madrona. Alors sortez me voir jouer. » Plus loin, elle propose de jouer « dans votre salon, votre jardin… » Car cette artiste est l’image de la simplicité la plus totale, venant présenter et faire vivre son petit monde chez les uns et les autres, un univers qui pourrait bien s‘avérer, si l’on prenait le temps d’apprécier son travail, particulièrement beau et marquant.
Christina Antipa est une compositrice, parolière et interprète qui vit en Californie, au beau milieu d’une scène folk richissime. Elle a trente ans, et cela fait dix ans depuis son premier disque, et plus de vingt depuis qu’elle a appris le haubois, avant de jouer aujourd’hui parfaitement la guitare (une magnifique épiphone), et aussi le clavier et le violon sur ses disques… Du folk intimiste, parfois un peu sombre, sublime, et une voix de plus en plus assurée mais aussi un peu fuyante, qui donne à ses histoires de langueur et d’études, de torpeur, de foi et de fantômes toute la dimension voulue. C’est son dernier album, The Royal We, qu’elle vient présenter au public français, et à l’occasion d’une soirée de grande émotion à Toulouse. Ce disque a été enregistré en 2009 avec la participation de musiciens qui ont manifestement tout compris à ce que recherche Antipa. La présence de scie musicale, de la fameuse guitare pedal-steel que chérissait le Neil Young à l’époque de Harvest, d’accordéon, de synthetiseur, et d’un boîte à rythmes sur trois morceaux dont une reprise de Sting (I Hung My Head) donnent à The Royal We une dimension à la fois folklorique et moderne.
Christina Antipa, sur cette tournée, fait la première partie d’une groupe basé à Olympia, dans l’état de Washington ; June Madrona, dont le chanteur, Ross Cowman, est aussi le co-fondateur d’un label américain alternatif et chaleureux, Bicycle Records, sur lequel est signé Antipa. Comme elle, on a affaire de ce côté-là à des rêveurs, dont la musique évoque parfois celle des Bowerbirds… et dont la marque la plus évidente est le banjo joué par Sean Carson, qui oscille au cœur d’un canevas enchanteur et de textes somme toute fort intelligibles pour nous, sur l’amitié, les saisons, la destruction et la rennaissance de relations humaines, des corps, et des communautés. Le quatuor June Madrona – Sean Carson, Danielle Chiero, Ross Cowman et Molly McDermott) a déjà publié quatre disques, mais je n’ai encore qu’à peine écouté celui que je leur ai pris, Lions of Cascadia, qui est décrit par Cowman comme une rêve d’avant l’amérique. Autant dire qu’à eux cinq, ils embrassent un univers onirique large et foisonnant.
Mais lorsqu’ils jouent ce soir, il y a aussi un sens de la communion, une amitié, une chaleur entre eux et avec le – maigre - public qui provoque la fascination. Peu de métériel a été installé ; seule Antipa joue électrique, tandis que June Madrona est complètement acoustique – banjo, violoncelle, guitare sèche, xylophone, la rythmique est parfois marqué par Cowman de coups de la paume contre le bois de sa guitare, et, finalement, un jeu de verres. Antipa a une longue liste de morceaux posée sur son ampli, et elle pioche au gré de ses envies, privilégiant des titres de son nouveau disque comme Beautiful Place et Here’s Your Ghost. A la basse, le boss de Waterhouse Records, son label pour l’europe, l’accompagne lorsqu’elle fait appel à lui. A un moment donné, il l’implore de jouer un vieux morceau qu’elle n’a plus interprété depuis longtemps ; elle accepte.
C’est sa première tournée à l’étranger ; de l’europe, elle ne connaît que la grèce, d’où son père est originaire. Après que je lui aie demandé de me dédicacer ses disques – chose qui la laisse sceptique car, me dit t-elle, cela ne se fait pas chez elle – nous discutons de choses et d’autres. Quand au nom du groupe, elle explique qu’elle souhaite cesser de s’appeler seulement par son nom parce qu’elle trouve que c’est manquer de respect aux musiciens qui l’accompagnent. Et il me paraît naturel qu’au point où elle en est arrivée elle puisse prétendre incarner la force motrice d’un véritable groupe, comme ces probables idoles de groupes country et folk – Lucinda Williams, etc. Lorsque je lui dis que je fais un peu de piano, elle me suggère, aussi simplement que cela, d’enregistrer à mon tour. « Un disque, c’est comme un journal intime », « on y consigne des choses des souvenirs. » Enregistrer, c’est garder une trace, c’est vrai. Ce qui ml’est venu à l’idée, c’est que cette empreinte était ensuite reproduite dans l’esprit des ses auditeurs ; que la musique c’est cela, une série d’empreintes qui gardent le mystère que leur interprète veut bien leur laisser. Antipa est mystérieuse parce qu’elle parle de « son cœur dépressif » ou de « comme toujours, des couches d’harmonies vocales tristes » en décrivant The Royal We ; avec une ironie discrète, une pudeur, une affection qui la fait protéger sa musique comme une possession de son coeur.
Ce disque, elle a mis un an à le faire. Et quand elle n’enregistre pas de musique, si elle n’est pas en train de la jouer, elle est bibliothécaire. Et elle a été secrétaire, me dit t-elle, comme l’une de ses premières chansons en atteste. Je devine une personnalité profondément littéraire...
Elle partageait aussi sa crainte d’avoir ennuyé, à cause du fait que le public français n’avait peut-être pas compris ce qu’elle chantait. Je pense cependant qu’il se produisait une alchimie qui allait au delà des mots, et je pense qu’elle l’avait compris, qu’elle ne partageait pas seulement des histoires qu’on ne pouvait comprendre mais qu’elle donnait de sa personne – peut-être que jouer devant un public si différent l’a faite réfléchir à ces nouveaux aspects. Pour ma part, je lui ait dit que j’avais presque pleuré à l’écouter, j’espère que ça lui a fait plaisir parce que c’était vrai. Enfin, elle nous interrogeait sur le fait que tant de groupes français chantent en anglais ; et disait craindre un monde ou l’anglais allait tout envahir, et formater. Si l’on chante en anglais ici, pourtant, cela part d’un sentiment sincère, c’est davantage qu’une vaine imitation ; c’est le résultat d’une admiration immense pour ces artistes si simples et la volonté d’être compris par eux, de les retrouver à un certain point ; de les rejoindre… et de pouvoir finalement impressionner des personnes comme Antipa, qui comprennent la musique au-delà des mots et savent l’écrire avec autant de talent.
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