“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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Trip Tips - Fanzine musical !

mardi 25 mai 2010

Kraftwerk - Live



« J’ai payé 40 dollars pour voir quatre hommes aux cheveux gris et en costume de travail planqués derrière leurs ordinateurs pendant une heure et demie. Et je n’étais pas seul. » En fait, précise Rob Horning sur Popmatters, la salle était même pleine en ce 30 mai 2005, alors que Kraftwerk entamait une tournée aux Etats-Unis, ce qu’il n’avaient pas fait depuis longtemps. « Le club était grouillant de fans (surtout des hommes, surtout entre deux âges) aussi enthousiastes que n’importe quelle foule déjà vue à un concert de rock. Sauf qu’il n’y avait pas de rock. Il n’y avait pas d’instruments. A l’évidence ces hommes faisaient de la musique, mais rien dans leur manière d’agir ne suggérait cela, à part dans les rares occasions où celui qui avait le micro chantait quelques mots”, continue t-il.

Oui, voir Kraftwerk peut s’avérer être une expérience aussi étrange, voire frustrante qu’excitante. Mais s’en tenir aux apparences avec Kraftwerk, c’est comme croire que la Coccinelle dont ils illustrèrent la pochette de leur fameux Autobahn n’était qu’une voiture. Décidément assez observateur, le journaliste de Popmatters continue : « Bien que beaucoup des compositions de Kraftwerk ressemblent à de la vulgaire dance music, personne ne dansait. La « musique » s’échappant des hauts parleurs était moins de la dance music que des pulsions tranquillisantes qui imitaient le son des machines qui permettent au monde moderne de fonctionner : ordinateurs, trains, voitures, chronomètres. J’ai passé le plus gros de mon temps à essayer de comprendre ce que je faisais ici. »

Rob Horning donne les clefs qui ouvrent une réflexion sur l’utilité de la musique de Kraftwerk ; car, comme un service manufacturé rendu à notre société sans cesse en mouvement, leur musique est utile – elle n’a pas comme seule vocation de provoquer une émotion ou une identification. Elle n’est pas finalement, le simple résultat de leur volonté, à savoir faire de l’art un produit de consommation comme les autres. Elle est aussi le fruit d’une pensée qui, en 2005, a trente-cinq ans et a employé des moyens d’expression sonores assez variés, s’est renouvelée, remodelée, discrètement liftée comme pour continuer de mériter son statut iconique. Horning n’omet pas de se faire la réflexion, malgré l’étrangeté du spectacle auquel il a assister, que « dans un sens, voir Kraftwerk c’est comme voir James Brown ou les Ramones ou le Sugar Hill Gang ». La différence sensible étant que dans le cas de Kraftwerk, la partie était deux fois plus difficile ; il s’agissait non seulement de définir un mouvement, mais en plus de produire dans le genre visionnaire – et ce qui était visionnaire en 1977, sous de nombreux aspects ne l’est plus en 2010. Amusant ou pas, le groupe allemand continue de sonner aujourd’hui, comme en 1977, comme une vision du 21ème millénaire. C’est la différence entre les archétypes figés et ceux qui, à la fois marginaux et centraux dans l’histoire de la musique pop, sont en perpétuel mouvement.

Non seulement la manière dont ils ont inspiré toute un genre de musique – la pop électronique – mais aussi le mystère, et la rareté des apparitions font de Kraftwerk, à juste titre, un mythe populaire. Entendre par là une expérience artistique parfaitement aboutie. Et inamovible de surcroît ; car contrairement à beaucoup d’œuvres artistiques, la musique du groupe ne vieillit pas. Elle a pu porter dans ces versions originales – d’avant les remasters de l’an dernier – les stigmates de son temps, mais si l’on regarde bien, Autobahn, en 1974, était quasiment dépourvu de ce genre de sons qui ont tendance à faire sourire – et même le titre The Robots dégageait tant de non-vie, de mystères et de silences, entre des trames qui paraissent aujourd’hui bien cheap, qu’il ne prête à sourire qu’au second degré. Pas par moquerie, mais pour ce qu’un tel morceau symbolise et dégage. Un drôle d’affront à un futur qu’il vaut mieux ne pas pleinement imaginer, une mise en garde déguisée d’un costume pittoresque.

En live, The Robots est interprété par des mannequins à l’effigie des membres du groupe. Kraftwerk fait semblant d’abandonner sa musique à des mains mécaniques, dans une sorte de parabole à toute leur démarche – jouer au travers des machines. Pourtant, rare est la musique qui est contrôlée et réfléchie à ce point par ses créateurs. Dans le rock, le travail de finition est souvent effectué par le producteur du disque, une fois que les musiciens ont fait leur boulot, c'est-à-dire joué leurs parties. Kraftwerk avaient cette démarche intelligente de considérer le studio comme un instrument à part entière, de s’exprimer à travers lui, et d’engendrer à la manière d’une fécondation in-vitro, présents par le biais de leur « instrument » dans chaque constituant de leur son. Et personne n’a sans doute mieux le sens de la finition qu’eux ; personne dans la sphère du rock n’est aussi peu craintif de la perfection, de la neutralité – quelques pirouettes les en écartent. The Model, l’une de leurs chansons les plus célèbres, était particulièrement froide, efficace et implacable – parce qu’elle illustrait la nécessité à ce que, par ailleurs, la perfection ne soit jamais un facteur de création. Alors que d’autres utilisent le déséquilibre et les facteurs aléatoires pour donner du crédit à leur musique, Kraftwerk a tout réglé depuis longtemps, et le groupe reproduit désormais une partition qui a le mérite d’être parmi les plus importantes de la musique pop.

A gauche, Hutter : “l’homme au micro” qui énonce les mots cruciaux de la musique Kraftwerk. C’est le seul membre d’origine d’un quatuor constitué aujourd'hui de trois ouvriers musiciens et d’un chargé de la coordination  des visuels qui apparaissent simultanément à l’arrière scène. Au moins, si le groupe reste campé, quasiment immobile – Hutter s’agite un peu, un vague sourire aux lèvres – il a le panache de tout reconstituer face à son public, parfois les yeux dans les yeux. Il y a moins de distance entre eux et le public qu’on ne pourrait le croire ; ils adressent volontiers des regards amusés à la foule compacte, savent bien où se trouve la dérision de ce qu’ils partagent, où doit se trouver la distance, l’application, la précision – dans la volonté de fournir une expérience en tous points parfaite – mais à l’inverse comment pointer tout l’humour dans leur création. Humour largement fondé sur le sarcasme, la réflexion après coup.

Leur apparence est soignée, élégante et discrète. Ils ne sont pas en représentation, où s’ils le sont, c’est de manière particulière ; ils incarnent une vision et font autorité, sans chercher à occuper tous l’espace comme tous ces groupes hiérarchisés dans lequel chacun joue un rôle plus forcé que l’autre, ces groupes où il y en a toujours un pour jouer le trublion et donner au public l’envie d’aller le voir se pavaner ou se ridiculiser en live. Alors, certes, Hutter ne prend pas de risques démesurés, il campe une position confortable. Kraftwerk est un groupe économe, l’a toujours été – de mouvements, de notes, d’idées, préférant articuler leur vision autour d’un seul nouveau mouvement à chaque fois. Et cela suffit pour que chacun se pose ses propres questions. Computer World n’est t-il pas l’un des meilleurs concepts albums de tous les temps ? « Ils restent là et projettent leur aura, le mythe qu’ils ont manufacturé pour eux-mêmes, comme prophètes de la synthèse future de l’homme et de la machine, quand la technologie que l’homme crée pour contrôler la nature commence soudain au contraire à le digérer, révélant tous les rythmes comme étant des rythmes naturels et toute mécanique comme aillant une pureté organique et une harmonie dans sa conception. » Le live est pour Kraftwerk un acte de partage, de dématérialisation, d’imprégnation ; quatre musiciens immobiles qui agissent comme quatre bornes dont émanent les fameuses mélodies qui ont façonné Trans-Europe Express, The Man Machine ou Computer World.

L’une des armes majeures de Kraftwerk en concert, ce sont les visuels qui accompagnent les morceaux. Ce sont des images de trains garés, d’hommes pédalant, d’autoroutes vides – là l’obsession de Kraftwerk pour le mouvement contrarie ceux qui les voient comme des pontes de l’immobilisme voire de dangereux soporifiques – lumières néons, défilés de mannequins, flots de chiffres qui défilent et villes dessinées en vecteurs, ainsi que des formes plus abstraites qui évoquent Mondrian. Généralement, l’illustration est utilisée de manière à souligner leurs titres phares, Autobahn (autoroute), Trans-Europe Express ou Radio-Activity, sur fond jaune et signe de radioactivité énorme et lumineux, presque indécent. Kraftwerk utilise aussi la 3D, procédé en passe d’être suranné après qu’Hollywood ait fait main basse dessus. Dans le cas de ces concerts, le port des lunettes est plutôt à voir comme une forme de résignation. A partir de là, nous nous laissons enfin aller à l’illusion que le technologie frappe de plein fouet, et les slogans comme « music non stop » ou « entertainment » ressemblent aux connotations à un monde plongé dans le bruit et dans l’image vulgaire – ces sons et de ces images qui sont là, partout ailleurs dans la ville. La prochaine étape de l’interactivité serait carrément de donner une commande à chaque membre du public, de les faire asseoir devant un panneau de contrôle et de leur demander de presser des boutons, dans un certain ordre, pour produire toute sorte d’effets pince-sans-rire ou vraiment drôles.

Et leur environnement : ils jouent maintenant dans tous types de salles, des théâtres, des hangars ; dans les centre-ville, dans les banlieues. Ils s’adaptent aux configurations, aux constructions d’un monde qu’ils mystifient.

Bertrand

4 commentaires:

  1. Article passionnant qui me donne envie d'accorder enfin un peu d'attention aux albums du groupes qui suivent les deux premiers. Merci !

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  2. Salut, merci pour ton message. Je n'ai personnellement jamais vu Kraftwerk en live, mais je pense qu'il s'agit vraiment d'un "groupe" sans équivalent à tous points de vue. Le plus frappant c'est leur côté à la fois minimaliste et très porté sur les nouvelles technologies. Ils ont aussi enchaîné de super albums concept. Mon favori est Computer World, et je n'ai jamais écouté les deux premiers disques... en fait j'ai commencé avec Autobahn. Pour info, j'ai écrit en novembre dernier un article qui présentait le groupe et je l'ai publié dans mon fanzine gratuit Trip Trips (voir lien en haut à droite).

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  3. Yep, I am one of those middle aged men who adored sitting in the dark watching four other middle aged men with extreme attention, trying to determine if one of them even moved a finger to produce the music that was pulsing through me. No matter, it was fantastic, the retro-futuristic backdrops were genius, and it dawned on me that one of their great themes is motor movement, autobahn, trans europe express, tour de france. Motorik music, not just Neu, but Kraftwerk too. Not a huge insight but the backdrops gave it to me.

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  4. Yeah they understood that movement was one of the great things of our society... And one of the best subject matter translated into music. I don't know if they ll be still touring when i'll be middle aged too... But if they do, there are great chances that nothing changes at all.

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