Bear in Heaven est un groupe New-Yorkais constitué de Jon Philpot (chant, guitare et claviers), Joe Stickney (batterie), Adam Wills (guitare et basse) et Sadek Bazaraa (basse et claviers). Ils ont attendu cinq ans avant de sortir leur premier disque, Red Bloom of the Boom (2007) – à la recherche d’un son qui leur appartiendrait. Utiliser deux claviers avait toutes les chances de les isoler de la sphère rock conventionelle, et ça n'a pas raté. Il revendiquent entre autres Talk Talk (tout comme l’excellent Shearwater) comme influence ; ce qui les place directement dans la catégorie de ces musicens qui entretiennent une fascination pour ce que la pop devient quand on se met à en chercher des échappatoires, des aboutissants plus forts et intenses que les structures habituelles.
Beast in Peace, le premier morceau, évoque une procession ; une marche en rangs serrés. Un premier mouvement, étouffé, lourd, pour un disque qui décolle lentement, avec, déjà, un brin de mysticisme. Bear in Heaven construit apparement des morceaux plutôt courts, ramassés, et agencés autour de leurs refrains en escalade – mais ils se préférent spacieux que séduisants ; conjurant une angoisse quasi invisible et la clarté de ceux qui voient loin et qui, malgré tout leurs accès de pessimisme, au niveau des paroles – les titres sont assez révélateurs de cette tendance : Lovesick Teenagers, Dust Cloud, Deafening Love, Wholehearted Mess – continuent de croire au pouvoir de la musique sur le corps, son pouvoir de réparation. Beast Rest Forth Mouth est un disque tournoyant, qui croit toujours en l’amélioration des lendemains. C’est le travail de plusieurs directions (penser East West North South, car il s’agit bien d’un jeu de mots), qui s’entrecroisent en évitant tout chaos. Les éléments de façade sont organisés, d’une manière comparable à celle effectuée sur le premier MGMT, où s’oppérait une dichotomie particulière entre textes pleins de relief et musique millimétrée.
Un premier mouvement s’achève en appotéose avec Ultimate Satisfaction. You Do You, Lovesick Teenagers et ...Satisfaction font un trio particulièrement solide d’hymnes légèrement décadents, vaguement emportés d’un côté et de l’autre d’un mat central plutôt rigide. Dust Cloud ouvre sur un léger malaise, et l’on pense au morceau Tilt de Scott Walker où la guitare avait le même genre de réverbération hors ton. Cependant, le titre prend son envol et devient passionnant grâce à une poignée de trouvailles. Dust Cloud est le point charnière du disque ; le groupe y assume le fait de privilégier les atmosphères, de se baser sur des idées peu concrètes et pas très rock (l’incantation répétitive ici, le rythme trop régulier du premier titre, des tempos lents et métronomiques souvent) - avant de s’échapper, de manière complètement consciente, vers des horizons aussi mornes qu’ils sont magiques. Drug a Wheel reprend l’idée de procession proposée sur Beast in Peace. Cette fois, la séquence un peu sauvage est l’occasion d’un final d’une seule nappe de synthétiseur. Sans cesse, il semble que le groupe cherche à créer de l’espace, comme si sa plus grande crainte était de se retrouver soudain confinés, de manquer d’air. Casual Goodbye, le dernier titre, se termine d’ailleurs sur une respiration.
L’aspect le plus intéressant de Bear in Heaven est leur côté primal, qui, sans jamais prendre complètement le dessus, influe beaucoup sur leur son. Il y a dans leur démarche une sorte d’isolement impalpable un peu similaire à celui que l’on trouve les disques de Tv on The Radio. Malgré l’appel que provoque la plupart de leurs mélodies, c’est un groupe suffisament cérébral pour exister dans une sphère à lui seul ; ils sont d’ailleurs souvent considérés comme expérimentaux. Et, du point de vue strictement musical, un amalgame de synthés fascinant, et une chance rare d’apprécier cet instrument souvent mal exploité. Philpot et Bazaraa préférent n’utiliser que très peu de sonorités différentes, créant une pallette personnelle et une sorte de focus. En ce sens, ce disque est le triomphe de quatre esprits aux influences tellement variées - de l'aveu de Philpot - qui sont parvenus à trouver le point de ralliement, solidement ancrés autour de ces sonorités de clavier régénérantes. C’est comme si la douleur éprouvée à chasser l’indécision causée par tant de voix différentes et également séduisantes les unes que les autres, était effacée par le simple fait d’interpréter Ultimate Satisfaction.
- Parution : 2009
- Label : Hometapes
- Genre : Synth-pop, Rock alternatif
- Pochette : Laura Brothers
- A écouter : You Do You, Lovesick Teenagers, Ultimate Satisfaction
- 7/10
- Qualités : lucide
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