Parution : 2010
Label : Bicycle Records, voir aussi Waterhouse Records
Genre : Folk
A écouter : Beautiful Place, Doctor of Love, Here's Your Ghost
7/10
Qualités : soigné, attachant, doux-amer
“fly away, fly away, love is like a swallow, here today, here today, and gone again tomorrow” C’est avec ces mots que démarre The Royal We. Une simplicité et une beauté qui rivalise avec le bruit d’une nature qui revit, la respiration d’un bosquet d’arbres et la caresse des ailes d’un oiseau migrateur. Ce disque est une valse sensuelle des esprits et des corps en proie à la solitude et au désir, de figures imaginées pour soigner les maux, apaiser les humeurs, susciter l’amitié. C’est une déclaration sensible qui vient d’une personne respectueuse – et une déclaration respectueuse qui vient d’une personne sensible, du fait que tous les élements qui composent The Royal We semblent fonctionner quelque soit le sens dans lequel on les manipule. Un disque translucide, qu’on n’a pas besoin de secouer beaucoup pour en dégager l’émotion vive.
Il a fallu un an pour enregistrer ce disque – et c’est un très net pas en avant pour Christina Antipa, dont le précédent opus, Everything Starts to Sing (2009), n’avait cure de proposer des titres enregistrés sans production, avec une spontanéité merveilleuse, comme une célébration de l’instant. Le pouvoir mélodique du folk d’Antipa n’était alors pas complètement développé, le disque avançait davantage par vignettes stylistiques malgré quelques plages plus insistantes et libres. La dernière étrangeté de production sur The Royal We, peut-être, est cette résonnance dans la voix d’Antipa, qui trahit le fait qu’il ait été enregistré « dans un sous-sol à Seattle ».
Avec une musique comme celle-ci, c’est l’occasion de soi-même se questionner sur sa propre envie d’expression, c’est une ode contagieuse, une incitation à se dématérialiser, à devenir un élément du disque, à le supporter, le partager.
Ce disque est à saisir comme un ensemble cohérent dont les différentes pièces ont été agencées avec soin, dont la touche finale a été apportée, pour la première fois peut-être chez Antipa. Mais plutôt qu’un aboutissement de dix ans de carrière et de concerts confidentiels, c’est un expérience un peu différente de ce à quoi elle était habituée, une sorte de défi brillamment relevé – pourchassant une ancienne naïveté par la beauté, la clarté, la richesse. Et, occasionellement, des réflexions plus noires qui semblent échappées de quelque ancien poème Baudelérien.
La palette musicale comprend le haubois qu’Antipa joue depuis petite – et qui fait des merveilles sur Doctor of Love - des claviers, une guitare en pedal-steel qui accentue la caresse ressentie sur Beautiful Place, un hymne à la californie doublé de l’évocation d’un amour éloigné. « Can you feel my heart hanging around you like a ghost » L’amour est tendresse, torpeur, attente. “Cocooned in a room of pillows, he only wants to sleep forever”. Sept musiciens participent dont F. Jakle Fiolek III avec qui Antipa a l’habitude de travailler. Cette nouvelle luxuriance musicale, qui ajoute au plaisir d'écoute et au charme fou et fragile de l'ensemble, l’a décidée à ne plus s’appeler seulement par son nom ; dans l’avenir, ce sera Songs for Animals. Plus étonnante est l'utilisation fréquente d'une boîte à ryhtmes - centrale sur Legless Souls, belle construction de six minutes, ou sur la reprise de Sting, I Hung My Head.
C’est comme si, dans ce monde qui cherche désespérément à tout concrétiser, à tout rendre parfaitement lisible, vouloir s’échapper revient à se transformer en fantôme, à se considérer comme tel, à l’égal de nos pensées et de nos sentiments. Et le fruit de notre quotidien, les histoires qui nous réchauffent le cœur, ce n’est jamais mieux consigné qu’à travers la musique. Plutôt que dans un journal fermé à tous, au fond de son tiroir, un disque comme celui-ci c’est l’occasion de partager ces histoires avec autrui, avec tous ceux qui veulent s’échapper à leur tour, même s’ils n’en sont conscients. Avec une musique comme celle-ci, c’est l’occasion de soi-même se questionner sur sa propre envie d’expression, c’est une ode contagieuse, une incitation à se dématérialiser, à devenir un élément du disque, à le supporter, le partager.
Une chanson vivante puise sa source dans les situations courantes, les détails et les anecdotes, et Antipa fait cela, fait coincider les expériences les plus concrètes avec des libertés - la distance, l’évasion. « You used to be an athlete in your younger days, you used to be an athlete till you lost your legs » “I can see it very clearly now, the cancer that needs to come out”. Même en se réfugiant dans les lumières, en pensant devenir fantôme on n’échappe pas aux réalités ; notre corps reçoit, autant qu’il rejette les stupéfiantes agressions et désordres du monde extérieur comme il s’impreigne de ses manifestations de beauté.
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