"La musique n’est pas mienne. Elle nous appartient à tous. A la minute où j’essaie de me l’approprier, c’est fini. C’est mon boulot de transmettre ce que j’ai appris. C’est faire vivre la tradition. " Ainsi parle Brian Jackson, le partenaire de Scott-Heron pour plus d’une douzaine d’albums studio. C’est tout l’esprit de son partenaire qui passe à travers lui.
Gil Scott-Heron est avant tout un messager, avant d’être romancier, poète, musicien. Il utilise la musique pour communiquer et partager, et les mots comme une arme. Beaucoup prétendent faire ainsi de nos jours ; mais avec Scott-Heron ce sont les tripes de l’artiste qui sont en jeu, ce n’est pas un schéma esthétique mais l’expression d’un besoin qui se passe même de créativité – car s’il emprunte à d’autres les mots et s’il laisse la musique courir dans d’autres mains, sa seule voix trahit sa sincérité, son honnêteté.
Gil Scott-Heron est né à Chicago en 1949. De sa mère, bibliothécaire, il a surement hérité son intérêt pour la littérature ; de son père footballeur professionnel qui se faisait parfois appeler Black Arrow sur le terrain, il a peut-être admiré le sens de la défiance. Très tôt, il choisit son camp, et ce qu’il vit au quotidien ne lui en laisse qu’un. Dans The Vulture, roman qu’il écrit à vingt et un ans, Scott-Heron décrit très crument la misère et les trafics de drogue qui ravagent les quartiers laissés pour compte des grandes villes.
Après avoir passé son enfance dans le tenessee auprès de sa grand-mère, Scott-Heron déménage vers 13 ans dans le Bronx, le ghetto Noir à New-York. Il est alors un peu réservé et studieux. Au cours des années, alors qu’il s’attache à cet environnement étrange et peu naturel, cet envers du décor, il n’a qu’à regarder autour de lui pour nourrir son engagement, sans être réellement dans le feu de l’action. A mon sens, il ne le sera jamais ; il semble toujours en décalage avec ses contemporains, même avec ceux qui apprécient son art à plusieurs dimensions.
Il est aussi intéressé par la poésie, mais recherche un moyen plus direct, plus honnête (toujours par souci de ne faire l’esthète) pour s’exprimer, plus en rapport avec une réalité dure, voire répétitive ; où les gens ont un tempérament à fleur de peau, où certains basculent sans crier gare dans la dépendance, et de la précarité à la pauvreté. Dans son exploration de lois des lois du monde, il développe un talent de composition, de chanteur et de pianiste. La musicalité est un aspect très important de son art. Il se dit influencé par "les musiciens, plus que les écrivains. Richie Hawens pour ce qu'il fait avec les images et les rythmes. Coltrane pour le côté intemporel et dynamique de son œuvre. Otis Redding pour sa manière de chanter qui fait que les paroles deviennent des sons. » La musique, et la voix à l’intérieur d’elle, c’est clairement une affaire de rythme. Puis le rythme amène le débit. The Revolution Will Not Be Televised ressemble, dans sa première mouture (sur Small Talk at 125th and Lenox), à la mise sur rails d’un poème urbain flamboyant et marteleur.
Avec l’aide de Brian Jackson, compositeur et pianiste, du flûtiste Hubert Laws et de Ron Carter à la contrrebasse (qui a enregistré près de 1000 albums), Gil Scott-Heron va façonner deux classiques dont l’humeur navigue entre soul et spoken-word ; c’est Pieces of Man (1971) et Free Will (1972). Winter in America, en 1974, finit d’assoir la réputation de Scott-Heron comme l’un des précurseurs du rap et du hip-hop, avec The Last Poets par exemple. Public Ennemy, Rage Against the Machine ou Saul Williams l’ont tous cité comme influence.
Productif dans le courant des années 70, ils disparaît un peu après Moving Target (1982). Le temps pour ses auditeurs de faire le point sur dix ans de diatribe ininterrompue menée tambour battant avec Jackson.
Son engagement politique et social, évident sur des titres comme New York City ou Winter in America, tranforme aussi ses concerts en débats avec le public. Le gouvernement américain le déteste, et Scott-Heron, pour ne rien arranger, soutient le courant des Black Panthers en s’inspirant de Malcom X. Il a un point de vue très ouvert sur la question : « Si la communauté musulmane veut construire une mosquée, je joue pur eux. Si l'église du quartier veut envoyer de l'argent pour distribuer des vivres aux plus démunis, je le fais aussi. J'aide toutes les organisations qui apportent quelque chose de positif à la communauté noire. ».
Figure au passé flou et à l’avenir incertain, peu responsable de sa propre santé, Scott-Heron semble dédier sa voix à une cause de moins en moins évidente, au détriment de son corps et de son esprit.
Pourtant, en 1994, Spirit voit le jour et montre l’artiste en grande forme. A ce moment de sa carrière, Scott-Heron a réussi. Pourtant, s’il est brillant et érudit, sa musique ne donne pas l’impression d’une ébullition artistique ; mais exprime un état où l’âme et le corps d’innocents sont prêts à exploser des pressions sociales que l’on met sur eux ; c’est une musique qui se nourrit de l’environnement humain de Scott-Heron, sans tendance dominatrice. Au moment de I’m New Here (2010), c’est même plutôt l’inverse ; le poète prend la position la plus humble qui soit, comme si tout était à recommencer…
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