Le moins qu’on puisse dire, c’est que le revirement de Goldfrapp sur ce disque fait son petit effet, après qu’on les ait laissés dans les volutes synthétiques faussement pastorales de Seventh Tree (2008). Sur Head First, à priori, rien n’est dissimulé, ni suggéré ; Alison est à nouveau en talons hauts, mais en combinaison rose cette fois, et je crois que ce ne serait pas lui rendre service que de la comparer à Madonna (elle évoquera le cas de la chanteuse en expliquant que, tandis que celle-ci s’entoure de personnes compétences pour façonner un disque, Goldfrapp écrivent et produisent tout eux-mêmes, à la manière d’artisans du son - cette distinction vaut son pesant d’or à l’écoute de Head First.) Ce n’est pas la première fois que le duo cherche à nous faire perdre la tête (Supernature et ses dérives glam), mais cette fois-ci, la pilule est dure à avaler parce que c’est quand même les années 80 sans frein, pour la plus grosse partie du disque. Jump, de Van Halen, est fréquemment remis sur le tapis pour évoquer l’imposture d’un titre comme Rocket.
Ecouter le disque en entier, la première fois au moins, provoque un certain malaise. Mais tandis que les choses avancent, on ne peut s’empêcher à tout un tas de références, et ce n’est pas aux années 80 que je fais allusion. A mon sens, cette époque est bel et bien enterrée, car Goldfrapp continue à faire de l’art – à la façon éhontée qui les a toujours caractérisé, depuis l’introduction même de leur tout premier morceau, Lovely Head. On se croyait dans la bande originale du Bon, la Brute et le Truand, avant qu’un twist, un retournement, comme ceux auxquels nous sommes habitués de le part du duo joueur depuis lors, transforme l’intro picturale en plage langoureuse et habitée d’une fine trame électronique. Leur identité s’est liée irrémédiablement à l’aspect rétro de leur son, après qu’il aient vendu des centaines de milliers de Supernature (2005). Head First n’est alors qu’un genre de nouvelle étape décisive ; car s’il ont assumé leurs déguisements de récupération autant que l’expression d’une sensualité glauque, voire d’une sexualité libertine, il leur restait à se jouer de leur propre cadre en forçant le trait. Afin de ne pas reproduire Supernature ? Peut-être, mais pourtant Rocket ou Believer, les deux premiers titres du disque, auraient pu être récupérés par tous les dance-floor et les patinoires du monde – s’il ne le font pas, leurs remix le feront.
Qui va acheter ce disque ? Je suppose que le profil type a un peu changé depuis 2005. Head First ressemble à un objet pour musicologues, ce que Will Gregory, sinon Alison, sont : des musiciens érudits. Il faut quand même une forme de courage, une audace qui comprend un sens de l’humour non négligeable, pour traverser le magasin et ignorant notamment que les White Stripes ont enfin sorti leur premier disque live, et préférer ce Head First rose et bleu. Mais Goldfrapp s’amuse bien entendu de ce problème de conscience du consommateur habituel : un bon pied dans le rock, une oreille pour la musique électronique à l’occasion, il méprise doucement la plus grosse partie de ce qui s’est fait dans les années 80, à cause de cette production dégoulinante, éprouve un dédain assez important pour le rock progressif de la décennie précédente, à l’exception de Pink Floyd, et n’écoute plus que les descendants du rock à l’état brut, l’école Lester Bangs, punk, hardcore, grunge, le son de la décennie 90, où les claviers firtent mine de disparaître ou presque – Depeche Mode, qui partagent avec Goldfrapp le label Mute, continuent avec Violator dans l’esprit cathartique qui les a lancés.
En découvrant Count Five, dans les années 60 – Head First pourrait bien finalement conjurer toutes les époques et beaucoup d’exemples pour faire parler de lui – Lester Bangs les accusait d’être nuls, et pourtant il les adorait ; musique incompétente et paroles médiocres, avec un seul message répété à l’envi sur tous les titres : je t’aime, est-ce que tu m’aimes ? Les paroles sur Head First sont presque de la même facture – presque fait toute la différence. Cela suffit pour nous donner l’impression que l’on aime détester ce disque, dans les trois premiers morceaux au moins. Les paroles de Shiny and Warm ont une autre portée, et le disque se transforme lentement, avec Dreaming et Head First plus froids ou Shiny and Warm aux accents de Suicide ou de krautrock. On se rend compte de la supercherie ; ce n’est pas un disque idiot, ni même volontairement idiot, mais plutôt un album qui sous couverts acidulés continue la réflexion du duo et donne à Alison des atours toujours plus convaincants. En réalité, les morceaux ont une qualité ambivalente, ils donnent l’impression d’être immédiatement assimilables, alors qu’en réalité ils contiennent autant de références au groupe lui-même, de contours flous, que de références explicites. Et c’est ainsi qu’il exercent un attrait tout particulier, une sorte de charme intellectuel – sans compter que leur brute efficacité peu devenir une nouvelle inspiration ailleurs. A ce propos, leur maîtrise sonore n’a jamais été aussi évidente ; alors que Felt Mountain et Black Cherry accusaient des manières débutantes, que Supernature et Seventh Tree confirmaient une progression, Head First est enrobé de manière quasi-parfaite.
Parution : 22 mars 2010
Label : Mute
Producteur : Goldfrapp
Genres : Synth-pop
A écouter : Rocket , Believer, Shiny And Warm
Appréciation : Méritant
Note : 7.25/10
Qualités : fun, audacieux, soigné
Un peu déçue par cet album, il y a quelques bons morceaux mais ça ne vaut pas leurs précédents albums, beaucoup plus recherchés et plus audacieux.
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