“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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vendredi 30 novembre 2012

A quiet revolution (2) Imagho - Interview réalisée en novembre 2012





http://www.imagho.fr/


Voir le lyonnais Jean-Louis Prades interpréter en concert un morceau comme Bienvenue est une expérience étonnante d’intimité, d’apaisement, produisant une émotion chaleureuse et dégageant une intensité quasi-dramatique. Les notes se prolongent sous l’effet d’un gadget électronique et de la voûte de cette église toulousaine réhabilitée. On est subjugué par son jeu de guitare, inspiré de Bill Frisell et du jazz, on ne peut s’empêcher d’être happé au cœur des mélodies, de vouloir remonter à leur source, tout en se laissant aller à leur enveloppement.
Depuis plus de dix ans, Imagho c’est aussi des albums en forme de plongée vertigineuse dans l’imaginaire du compositeur lyonnais. Inside Looking Out est tour à tour inquiétant et rassurant, le plus souvent réconfortant, obsédant et fantasmagorique. Les mystères de cet album se lovent dans nos oreilles, même dans la distance, comme lorsqu’il s’agit d’une fanfare s’exerçant dans une école de musique, enregistrée depuis la rue à Silves, au Portugal (dans Silves) ou des syllabes envoûtantes d'un poème suédois sur Septentrion. Il faut  accepter d’être transporté, dérouté, et finalement rassuré par les mélodies de guitare contemplatives que l’on découvre au détour d’une curieuse lamentation.  
Avec Imagho, Jean-Louis Prades enregistre une musique libérée.  Une musique au sein de laquelle se perdre, comme une escapade nocturne, aux destinations multiples, dont la trajectoire sonore embrasse l’art du field recording,  l’improvisation, la matière progressive du folk le plus inédit. Elle semble laisser entendre les origines de la révolution calme que j’ai recherchée en proposant cet article. Elle contient tout l’appel intérieur, toute l’introversion  qui rapprocherait Imagho et Lunt ou encore Half Asleep.  Je n’ai pas posé à Jean-Louis Prades la question concernant le best-seller américain, Quiet : The Power of Introverts in a World that Can't Stop Talking. Au vu de l’enthousiasme qu’il a mis à répondre à ces quelques questions, la réponse à cette question serait sûrement longue - même s’il s’avérait qu’Imagho était le projet d’un artiste introverti.
Inside Looking Out, qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
Il s'agit d'appréhender l'extérieur en le regardant depuis un endroit fermé, comme derrière une fenêtre, ou dans une bulle. Le premier artwork pour cet album était une photo de l'océan prise depuis la meurtrière d'un bunker: beaucoup de noir et un trait horizontal dans lequel on voyait le bleu de l'océan et, plus clair, le bleu du ciel. A l'époque de cet album j'étais passionné par les field recordings, ces enregistrements faits « sur le terrain ». En mêlant la musique et les field-recordings, j'espérais retrouver à l'écoute les sensations ressenties dans les lieux dans lesquels ils avaient été capturés, et j'espérais que les auditeurs se sentiraient transportés dans cet ailleurs: dans mon esprit, l'écoute de ces morceaux devait permettre de « voir » ces lieux aussi clairement qu'en les regardant par une fenetre, sans bouger de chez eux ni même savoir où la musique les emmenait.
Imagho se définit comme un projet ouvert. Cette ouverture semble s’effectuer d’abord du point de vue musical : tu explores différents genres musicaux…C’est aussi une ouverte vers l’extérieur, vers les collaborations. Dirais-tu cette possibilité de collaborer est primordiale pour Imagho, et pourquoi ?
Imagho a toujours été mon projet solo, et j'y tiens car je veux avancer à mon rythme, sans rendre de comptes à personne. Je suis parfois boulimique de travail, d'autres fois pas du tout. J'ai participé à beaucoup de groupes au fil des années, et c'est toujours beau de partager un projet avec de gens, mais il y a fatalement un moment où il faut composer avec les disponibilités et les envies des uns et des autres, et ça coince quasiment toujours. Malgré tout, j'adore jouer avec d'autres gens, d'où mon besoin de collaborations sur mes disques. Je sollicite les musiciens qui jouent sur mes albums quand je pense qu'ils pourront apporter quelque chose, un son, un savoir-faire. Il s'agit la plupart du temps d'amis qui sauront jouer d'un instrument que je ne maitrise pas (le saxo de Daniel Palomo Vinuesa, les rythmiques electro de Cyclyk), ou qui apporteront une couleur qui ne me viendrait pas (la voix et le ukulelé de David Fenech). Dans ces cas-là, je propose mon morceau et les laisse libres de faire ce qu'ils souhaitent, je ne dirige pas du tout leur intervention. Il arrive aussi que j'aie envie de collaborer sur plus qu'un titre: dans ce cas, il ne s'agit pas d'inviter quelqu'un sur ma musique mais de créer quelque chose ensemble. Nous baptisons ces collaborations de nos noms respectifs, comme Fragile_imagho, Ultramilkmaids/imagho, FrzImagho. Une collaboration de ce type est en cours avec un excellent musicien, mais c'est un secret pour l'instant.
Et cependant, tu composes enregistres et mixes l’album seul. Sans aide extérieure ?
Oui je me débrouille tout seul, pour avoir la maîtrise du processus, et puis par facilité aussi. J'ai pensé à une époque qu'avec plus de moyens je ferais des prises ou du mixage en studio, mais en fait je préfère faire tout tout seul. Au fil du temps j'ai développé des compétences, j'ai acquis du matériel, j'ai maintenant mon propre studio... Je m'appuie, quand je suis sur le point de finir un album, sur deux paires d'oreilles critiques auxquelles je fais toute confiance, celle de Franck Lafay (ma moitié dans Baka!) et celle de Gilles Deles (aka Lunt), qui écoutent mon travail et m'aident à voir ce qui reste à accomplir... mais les décisions finales m'appartiennent toujours.
Comment s’est passée la rencontre avec We are Unique records ? T’ont t-ils fait des suggestions pour l’enregistrement de l’album ?
Je suis sur Unique records depuis l'album de Baka! sorti en 2003. Imagho n'était pas sur Unique car j'étais à l'époque chez FBWL, mais Baka! n'avait pas de label et Gérald Guibaud et Gilles Deles avaient accroché sur cet album, alors nous les avons rejoints. Gérald est un grand, grand fan de Nocturnes, le second disque d'Imagho. Quand j'ai terminé Inside Looking Out, FBWL avait mis la clé sous la porte, alors j'ai demandé naturellement à Unique s'ils étaient intéressés, et c'était le cas. We Are Unique ne fait pas de suggestions aux musiciens, nous sommes entièrement libres sur le plan artistique. De toute façon l'album était fini quand je le leur ai proposé.
Tu as sorti des albums sur plusieurs labels, et tu joues dans de nombreux groupes. Pourquoi se partager autant et ne pas se consacrer avec plus d’exclusivité à un projet ?
Parce que j'aime écouter toutes sortes de musiques et que, par voie de conséquence, j'aime jouer différentes choses. Je ne veux pas me priver. Mais depuis 2010 je ne joue plus dans aucun des groupes dont j'étais membre auparavant: FrzImagho a arrêté en 2008, Blinke (un duo de guitares) a été dissous en 2010, Sketches of Pain et Secret Name c'est de l'histoire ancienne aussi. Il ne reste que Baka!, qui se réunit sporadiquement et produit quelques morceaux, comme celui pour la compilation des 10 ans de We Are Unique, ou plus récemment pour le tribute à l'album Beaster de Sugar sorti chez A Découvrir Absolument. Dès que j'en ai l'occasion, je sors dehors et je joue avec d'autres gens, sur des projets à court durée de vie, comme le We Are Unique Ensemble qui a été une expérience extraordinaire, ou je participe à des projets autres, comme des musiques de théatre ou des spectacles avec des comédiens. Mais Imagho est le seul projet qui soit inscrit dans la durée.

"En ce qui concerne mon jeu de guitare, je pense que mon influence principale est Bill Frisell, et d'ailleurs son album Where in the World  m'a servi de référence"

Peux-tu citer des albums qui ont pu influencer ta façon de composer et de jouer, concernant Imagho?
Je pense que « step across the border », la BO du film du même nom consacré à Fred Frith, m'a énormément influencé. Je l'ai découverte à sa sortie et c'était nouveau pour moi, l'absence de hiérarchisation entre sons, notes, « bruits », musique... Gastr del Sol a été une influence certaine aussi pour la musique d'imagho. En ce qui concerne mon jeu de guitare, je pense que mon influence principale est Bill Frisell, et d'ailleurs son album Where in the World  m'a servi de référence tout au long de la conception de mon nouvel album. Mon jeu est passé par plusieurs phases, qui ont toutes laissé quelques traces: Robert Fripp m'a influencé, son travail avec Eno, dans King Crimson ou en solo, Adrian Belew aux débuts, notamment avec Talking Heads, la paire Ranaldo-Moore aussi, Justin Broadrick (dans Final), Fennesz aussi, Nick Drake... Il y en a beaucoup...
Comment se déroule l’enregistrement d’un album d’Imagho ? Est-ce que ça demande un certain état d’esprit pour enregistrer ?
Je différencie l'enregistrement d'un morceau et l'enregistrement d'un album. En ce qui concerne les morceaux, tous ne se font pas de la même façon : il y a ceux qui sont écrits, et répétés, et pour lesquels l'enregistrement est une façon de leur donner une forme définitive, et puis il y a ceux qui viennent sur le moment, inspirés par un son, un effet, une boucle que je crée, ou une improvisation. Ceux-ci sont impossibles à reprendre plus tard. C'est là que le fait d'avoir un studio à disposition est un vrai plus: quand je sens qu'une idée débouchera sur un morceau, je n'ai qu'à brancher les micros et le morceau est enregistré. L'état d'esprit est vraiment important pour ces morceaux créés en une session, d'ailleurs je sens quand ils arrivent avant même de jouer, c'est comme si je captais une énergie particulière, une sensation de devoir aller jouer parce que quelque chose est là que je ne veux pas laisser filer. Pour les morceaux écrits et qu'il faut bien, au bout d'un moment, coucher sur bandes, la problématique n'est pas la même, cependant je veux absolument éviter les manipulations de studio comme les re-re (le fait de refaire une partie mal jouée sans reprendre la totalité du morceau, en rejouant juste un passage que l'on colle ensuite par-dessus l'erreur): je veux jouer mes parties en entier, sans les trafiquer, pour que l'émotion soit la plus sincère possible, et pour ça il faut que je sois dans un « bon jour » quand je fais les prises; de toute façon ça ne trompe pas, ça se sent en jouant si c'est bon ou pas, tant qu'on sent qu'on est en train de jouer un truc en vue d'un enregistrement, ça ne marche pas parce qu'on s'applique. C'est quand on se laisse porter par le morceau, qu'on oublie qu'on enregistre, qu'on joue vraiment de la musique.

Pour l'enregistrement d'un album, il ne suffit pas de compiler des morceaux, il faut que le tout ait un sens, une atmosphère. Et là, clairement, quand je travaille sur un album, c'est un moment particulier, mais sur le long terme: je fais le tour des compositions dont je dispose, je garde celles qui ont des affinités, et j'écris au fur et à mesure les morceaux qui permettront de faire un « tout » - Je vis alors avec l'album et ne suis capable de rien faire d'autre tant qu'il n'est pas terminé.
Quelles sont les différentes émotions que tu voulais faire passer avec cet album ?
De la douceur, de la beauté: je disais ça déjà à l'époque de  Nocturnes, pour l'artwork, j'avais demandé à Yann Jaffiol qui faisait la pochette qu'elle fasse le même effet que lorsqu'on est en terrasse, dans un lieu calme et agréable, un soir d'été... Je crois que c'est ça que je cherche à retrouver aussi dans Inside Looking Out, transporter les gens dans un sanctuaire, un endroit protégé et bienveillant.

"J'ai alors décidé d'emmener ma guitare en extérieur et d'enregistrer des morceaux directement dans le lieu, en accordant la même importance aux sons du moment qu'à la musique"
Comment captures-tu et choisis-tu les sons qui figureront sur ton album ?
Si tu veux parler des sons « concrets », je les prends avec un minidisc data (qui enregistre au format CD) et un micro stéréo caché dans mes oreilles, ce qui me donne une belle image stéréo et me permet d'être discret car les gens autour de moi pensent que j'écoute un baladeur, alors que c'est eux que j'écoute! Je ne me souviens pas de tous les fields recordings qui sont sur ILO mais la plupart ont été faits au Portugal en été. J'avais fait pas mal d'enregistrements là-bas et j'avais sélectionné ceux qui me plaisaient le plus. Mais je me suis heurté à une limite: je cherchais à recréer l'atmosphère d'un lieu et d'un moment en intégrant un enregistrement à un morceau de musique. Mais c'était un peu «plaqué » , un peu factice. J'ai ensuite essayé d'écrire la musique en écoutant les field recordings, mais ça ne marchait pas vraiment non plus. J'ai alors décidé d'emmener ma guitare en extérieur et d'enregistrer des morceaux directement dans le lieu, en accordant la même importance aux sons du moment qu'à la musique: j'ai donc placé les micros assez loin de la guitare pour qu'elle fasse partie du paysage sonore. Et pour que l'osmose soit totale entre la musique, le lieu et le moment, j'ai improvisé les morceaux en fonction de ce que je ressentais. Ces morceaux, enregistrés en sous-bois, au bord d'une source, dans une église, sous la pluie (protégé par un balcon) sont sortis sur le label allemand Fieldmuzick sous le titre « the travelling Guild » en 2009.
Peux-tu nous parler un peu des voix mystérieuses qui apparaissent sur l’album ?
Deux amis ont prêté leurs voix. La voix masculine que l'on entend sur « Lament » est celle de David Fenech, qui a improvisé un chant par-dessus ma guitare folk et son ukulélé. La voix féminine, que l'on entend sur « Septentrion », est celle de Vanessa Sarraf qui lit un poeme en suedois.
Comment penses-tu progresser sur le prochain album ?
C'est une question difficile, non pas parce que je ne sais pas, puisque le nouvel album est terminé et sortira début 2013, mais parce que je suis le plus mal placé pour critiquer et évaluer mon travail... Je peux parler des éléments techniques, de la « mécanique », mais pour l'artistique, je ne peux pas. Je dispose depuis 2 ans d'un studio, donc je pense que le son sera meilleur, plus travaillé. J'ai intégré des instruments que je ne possédais pas auparavant, comme la batterie et de vieux orgues des années 70. J'ai surtout choisi de travailler en direct le plus possible, sans utiliser les facilités de l'informatique: je n'ai jamais corrigé une erreur dans une partie et l'ai systématiquement rejouée en entier jusqu'à être satisfait du résultat. Ca a été surtout difficile à la batterie! J'ai limité les instruments virtuels, notamment en ce qui concerne les claviers, et ai donc utilisé le plus possible mes orgues, branchés dans des amplis, comme on le faisait à l'époque: il n'y a que comme ça que ça sonne naturel, réaliste. J'ai aussi fait passer les instruments virtuels (pianos électriques surtout) par les amplis pour leur ôter leur coté aseptisé. Je ne possède pas de piano, de vibraphone ni de contrebasse, donc les quelques fois où ces instruments apparaissent je les ai joués à l'ordinateur, mais pour le reste tout est fait à l'ancienne, à la main, note après note. La tonalité générale de l'album est peut-être un peu plus jazz que les anciens, il y a plus de rythmes, l'instrumentation est plus riche et les arrangements sont plus fouillés, mais je l'ai voulu aéré et mélodique et, comme toujours, mélancolique.

"Moi qui pensais qu'un concert acoustique en solo était risqué, j'ai eu droit à une écoute parfaite et de très bons retours, j'en étais très touché."


Quel est ton meilleur souvenir concernant Imagho ?
Il y en a beaucoup, depuis 1997, et heureusement, tout ce temps passé à faire Imagho aurait paru long sans bon moments. Le meilleur est probablement la fois où, après avoir vu Fragile en concert, je me suis laissé convaincre par ma chérie d'envoyer une K7 de démo à Hervé Thomas. Nous étions grands fans de Hint, et j'avais trouvé Fragile tout aussi excellent. Il ne s'est rien passé pendant quelques semaines, et puis un jour un message m'attendait sur mon répondeur, c'était Hervé qui me disait qu'il avait aimé Imagho et qu'il me rappellerait pour faire « quelque chose » ensemble. C'était tellement inattendu, et j'étais (et suis toujours) tellement impressionné par son talent que ça m'a marqué au point d'enregistrer son message sur un minisdisc, que je dois toujours avoir quelque part! Le « quelque chose ensemble » devait être un morceau en commun, nous avons finalement fait tout un album (« ombresombre »). J'ai eu beaucoup d'autres très bons moments, et je citerai récemment les premiers concerts d'Imagho en 2011, où je me suis rendu compte que ce projet était viable en live, et aussi celui de juin 2012 à Lyon où j'ai joué pour la première fois simplement de la guitare folk, seul, sans effets ni boucles, dans le plus simple appareil. L'écoute du public était telle qu'une personne s'est levée pour éteindre un ventilateur dont le bourdonnement le gènait. Moi qui pensais qu'un concert acoustique en solo était risqué, j'ai eu droit à une écoute parfaite et de très bons retours, j'en étais très touché.
Je prévois d'intégrer cette interview à un article appelé 'a quiet revolution'. Quel serait ton slogan pour une révolution musicale ?
Je n'aime pas les slogans, je trouve ça réducteur, c'est juste bon pour les manifestations et la publicité. Je préfère proposer un précepte : « ne perdez jamais le contact avec l'enfant que vous étiez ».

mercredi 29 août 2012

Bonnie 'Prince' Billy - Lie Down in the Light (2008)






Parution
mai 2008
LabelDrag City
GenreFolk
A écouterEasy Do It, You Want That Picture, What's Missing is
O
Qualitésdoux-amer, élégant

Chronique à suivre

Doug Paisley - Doug Paisley (2008)





ParutionNovembre 2008
LabelNo Quarter
GenreAmericana, country, folk
A écouterWhat About Us ? , Digging in The Ground, Take my Hand
O
Qualitésapaisé, doux-amer

La musique country-folk de Doug Paisley est un peu à l’image de celle de CassMcCombs sur son album Wit’s End : les deux ont été accusés de manquer de vitalité, et les deux en tirent leur principal attrait. Chez Paisley, cette sensation tient aux arrangements acoustiques diaphanes, autant, par exemple, qu’à la voix doublée et légèrement déphasée sur le premier morceau, What About Us ?. Les mélodies de piano dépouillées et la guitare pedal steel achèvent de donner l’impression d’un disque étouffé, maintenu avec une maîtrise sous-estimée à un niveau où il risque de ne capter que la moitié de l’attention de l’auditeur. Ca ne veut pas dire que ce n’est pas une expérience agréable, même intéressante, au vu de la qualité chatoyante de ses mélodies, de certaines sonorités, de la légèreté de ses guitares – tout cela culminant sur Digging in the Ground, l’entrée définitive en matière de l’album - et surtout de ses duos en contrepoint (Doug Paisley est souvent accompagné de Simone Schmidt). Plus loin, sur Wide Open Plain, la guitare est à nouveau mise en valeur avec une simplicité, une effectivité qui est à l’image de l’album.

A un peu plus de 34 minutes, c’est un album capable de vous accompagner de manière répétée, au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Ses histoire de cœur un peu dépressives – A Day is Very Long, Take my Hand, Take Me With You – laissent la sensation agréable de petits riens. Inspiré par Bonnie Prince Billy (qu’il a accompagné en concert) et son marquant I See a Darkness (1999), Doug Paisley tire comme lui le meilleur parti des limites de sa voix, pour exemple sur Last Duet. Schmidt s’affirme, elle aussi, sur cette chanson puis sur We Weather, avec une sensibilité country minimaliste. Chaque geste, vocal comme instrumental, est restreint, et rendu plus beau, plus précieux pour cela. Pour parachever cette sensation qu’un vieux charme opère, Paisley semble s’inscrire parfois dans la lignée d’un Johnny Cash des plus repentis et des plus sobres : c’est le cas sur Take My Hand, où Schmidt joue le rôle de June Carter avec bonheur.

lundi 2 mai 2011

Steve Earle & Allison Moorer



Mockingbird

Parution : février 2008
Label : New Line Records
Genre : Country, Folk, Chanson
A écouter : Dancin' Barefoot, Revelator, Orphan Train

7.75/10
Qualités : varié, lyrique

I'll Never Get of this World Alive

Parution : avril 2011
Label : New West
Genre : Country, Folk, Folk-Rock
A écouter : Every Part of Me, Waiting on the Sky, This City

7.50/10
Qualités : sensible, apaisé, doux-amer


L’auteur de chansons américain Steve Earle a toujours une histoire à raconter. Sur Bob Dylan, dont il est prêt à défendre le timbre voix contre tous ceux qui disent qu’il ne sait pas chanter. Quand à son culot :  « Il faut des couilles pour réécrire Rollin’ and Tumbin [sur Modern Times, 2006]. Il n’y a pas un seul mot de l’original à part le premier vers, [...] et maintenant c’est sa chanson. Il peut la prendre et se tirer parce que c’est ce putain de Bob Dylan ! » Il aime raconter comment Bruce Springsteen, un artiste de sa génération, l’a influencé lorsqu’il a enregistré, à 31 ans, son premier album – un succès – Guitar Town, en 1986. Comme déclencheur, il y eut d’abord Born to the USA, mais surtout Nebraska. « Nebraska m’a frappé parce qu’il [Springsteen] s’est finalement rendu et l’a sorti comme il était. Il y a des versions de ces chansons avec le groupe. Ils ont essayé mais ça ne marchait pas. Le contenu était si sombre. Je pense que c’était trop sombre pour le E Street Band ». Outre l’intensité de Hillbilly Highway, Guitar Town faisait aussi un signe en direction de Hank Williams ou Willie Nelson par le biais de My Old Friend the Blues.

Ses relations affectives et personnelles avec l’un ou l’autre des grands musiciens américains se sont multipliées depuis la fin des années 80. « Elvis Costello m’a ramené au rock ». Il se fait un plaisir d’analyser les talents, les différents visages de ces musiciens qui résonnent en lui. Se montre critique de toute une part de la scène américaine : « Je ne pense pas que Kiss n’aient jamais été cool, que Lynyrd Skynyrd n’ait jamais été cool. Je pense que ce sont de dangereux révisionnistes. Et ils avaient le plus mauvais batteur de toute l’histoire de la musique. […] Remarquez, je suis un fan des Allman Brothers, mais ça ne signifie pas que Greg Allman ne soit pas un redneck. Il a dit  la chose la plus ignorante que j’aie jamais entendue de la part d’un musicien talentueux. Il avait l’habitude de dire que le rap était de la musique de merde. C’est ne rien comprendre. Il faut garder à l’esprit que c’est de la musique folklorique. […] Le meilleur de cette musique possède la même vibration que la folk music. N’importe qui peut  essayer d’en faire. »  Sur Washington Square Serenade (2007), l’un de ses grands disques, il mélange instruments acoustiques et beats issus justement de la culture hip-hop. « Un type est devenu fou quand nous avons commencé avec les platines. J’ai presque dit, « I don’t believe you ». Réponse faite par Dylan lorsqu’on le traita de Judas en 1966.

Steve Earle est lui-même devenu  une grande figure de la chanson américaine. S’il porte la scène qui l’entoure autant de regards, de réflexions, c’est qu’il se sent autant musicien que raconteur d’histoires en général, écrivant des pièces de théâtre, de la poésie, des nouvelles, des romans de fiction. Celui qu’il vient de terminer, comme son nouvel album, s’appelle non sans humour I’ll Never get Out of This World Alive, d’après une chanson de Hank Williams. En outre, grâce à ses chansons, il est encore le mieux placé pour raconter sa vie mouvementée de troubadour, même s’il prend autant de plaisir à créer des personnages de toutes pièces. Pour tout l’amusement et la sagesse qu’il en retire, Steve Earle a eu une vie d’extrêmes, parsemée de controverses. Il a notamment été emprisonné pour détention de drogues, dont la consommation avait clairement influencé The Hard Way (1990). Libéré, il se releva avec grâce et deux albums parurent coup sur coup, dont train a Coming qui rafla un Grammy Award.  Partageant l’engagement politique et l’optimisme de Springteen, il endosse comme lui le rôle d’une certaine vision de l’Amérique à condition d’en combattre certains clichés. « Pourquoi devons-nous être numéro un ? Nous sommes encore des hommes blancs essayant de dominer le monde », confiait t-il dans une interview d’avant Obama. Des albums comme Jerusalem (2000) ou The Revolution Starts Now (2004) traduisent cette vision politique explicite s’opposant à la guerre en Irak et à la manipulation de l’opinion publique. Interrogé, il raconte avec beaucoup de sincérité sa bataille un démon « implanté » en lui, le racisme, et les efforts qu’il fait pour ne pas transmettre de valeurs de ce genre à ses enfants. « Il ne faut qu’une génération pour s’en débarrasser », remarque t-il.

Etant donné le respect et l’intérêt qu’il voue à ses collègues musiciens, ce n’est pas un hasard si l’un de ses disques les plus révélateurs est  un ensemble de reprises de Townes Van Zant, qu’il considère comme l’un de ses mentors. Ce disque est paru en 2009 au beau milieu d’un période de paix et de félicité – une nouvelle étape dans la vie de Earle maintenant marié à sa septième femme, Allison Moorer. Elle aussi est une musicienne talentueuse, de surcroît dotée d’une voix merveilleuse. Sœur cadette de Shelby Lynne, et élevée par elle après la disparition de leurs parents, Allison se façonna une réputation d’auteure de chansons solide, notamment après Miss Fortune en 2002. Avec Mockingbird (2008), elle franchit un nouveau pas, enregistrant un disque qui célèbre le seul bonheur de chanter – et Allison Moorer a cette capacité de pouvoir tout chanter – et nous donnant envie d’explorer avec discernement le passé et le présent de la vocation musicale américaine et de ses grandes ambassadrices, de Patti Smith à Kate Mc Garrigle, de June Carter à Nina Simone et Gillian Welch*. Son registre va sur ce disque du rock au blues, du jazz au folk avec une fluidité organique ; son interprétation de Dancin’ Barefoot, une chanson exprimant un profond désir juste au moment où toutes les défenses tombent pour ne laisser que le besoin d’être aimé, reste durablement à l’esprit. Orphan Train est encore plus émouvant quand on connaît l'histoire personnelle de Moorer. Elle semble aussi affectionner les balades au piano, particulièrement poignantes sur Crows (2010).

Elle et Earle partagent un profond respect pour la musique country ; à eux deux, ils aiment à habiter un genre aujourd’hui sous-estimé.  « J’étais à Nashville, témoigne Earle, et mon disque [Guitar Town] a été perçu comme un disque country. » Malgré sa propension à changer d’apparence régulièrement – aussi bien gardien de l’esprit d’un Lennon que de Lemmy – il ne se débarrassera jamais de l’étiquette country. Après vingt – cinq années de musique variée, son nouvel album démarre d’ailleurs comme un disque country triomphant, une forme de pied-de-nez à ceux qui l’avait rangés dans une boîte, pour un musicien des plus ouverts d’esprit. Un peu plus loin, une superbe chanson d’amour: « I love you with all my heart/all my soul and every part of me ».

jeudi 7 octobre 2010

Jonny Greenwood - There Will be Blood (Bande Originale)



Jonny Greenwood aborde depuis 2003 sa nouvelle expérience de compositeur de musique contemporaine avec une retenue et une discrétion qui lui font honneur. Ce qui n’est pas surprenant de la part de l’un des cinq membres du groupe le plus cool du monde, celui qui prend son succès artistique et commercial avec la simplicité la plus désarmante, Radiohead. Seule la curiosité et le désir de s’améliorer, de progresser, les a fait avancer depuis le début des années 1990. En 2008, Greenwood apparaît totalement décomplexé avec cette bande originale, n’ayant pour limite que son exigence minimaliste,  gravité plutôt que grandiloquence. Pas de doute, c’est le même homme que celui qui a enregistré pour le documentaire Bodysong, beaucoup plus confidentiel, une bande-son fascinante en 2003. Les fans les plus attentifs de Radiohead y reconnaîtront aussi des sonorités présentes au sein de Radiohead depuis Kid A (2000), disque phare de la discographie du groupe auquel Jonny Greenwood a largement contribué. On reconnaît son goût pour la musique contemporaine (Penderecki, Messiaen, Gorecki), sa fascination pour des ambiances à l’harmonie difficile au travers desquelles triomphe toujours la beauté, la fragilité, l’émotion.
Deux choses, en particulier, marquent l’esprit dans le film de Paul Thomas Anderson pour lequel a été composée cette bande originale ; la performance d’acteur de Daniel Day-Lewis dans le rôle du magnat du pétrole Daniel Plainview – présent dans chaque scène ou presque -, et la musique, utilisée avec plus d’économie, de Greenwood. Dès la première séquence, alors que l’image s’ouvre sur les espaces désertiques californiens éblouissants et le puits que Plainview tente d’exploiter (il n’est encore pas le richissime propriétaire qu’il deviendra par la suite), la musique tendue, les cordes intenses évoquent une beauté en distorsion, font rejaillir des sentiments enfouis au fond du cœur du personnage. Jamais la beauté n’avait été aussi pure, dans l’œuvre du musicien, que depuis le diaphane How to Disapear Completely, titre présent sur Kid A. Ici, loin du parasitage électronique auquel il a parfois été confiné, Jonny Greenwood n’imagine que de la musique orchestrale, se projetant dans le début du vingtième siècle avec une discipline inédite pour lui.
En résulte un disque d’un peu plus de trente minutes, construit de onze pièces séquencées dans l’ordre de leur utilisation dans le film, et où aucun instant n’est superflu ; toutes les voix musicales, orchestre et quartet, se répondent pour donner un bouleversante œuvre à l’intérieur de l’œuvre. Malgré les titres – Open Spaces, Hope of New Fields, Proven Lands, qui font de toute évidence référence à des séquences du film, la musique de Greenwood est toujours intérieure. C’est, plus qu’une musique d’ambiance, ou d’atmosphère, une musique d’humeurs, donnant chair au récit, évoquant les flux et reflux du sang et de la bile des personnages. Il excelle aussi à évoquer leurs tentations et tiraillements. Eli Sunday, le  jeune prêtre au bord du fanatisme, qui fait salle comble tous les dimanches dans sa paroisse ; Henry Plainview, le frère de Daniel, qui apparaît de nulle part au milieu du film et dont les intentions ne sont pas claires, même pour lui. Le fils de Daniel, peut-être celui qui sera le plus dramatiquement touché par l’histoire. Les nappes de cordes apparaissent et disparaissent alors du champ auditif comme des vagues de fièvre.
Greenwood a le loisir d’évoquer la foi des personnages, qui motivait la plupart des œuvres de l’un de ses maîtres en musique contemporaine, Messiaen (Vingt Regards sur l’Enfant Jésus). Prospectors Arrive est une belle tentative au Quatuor de la Fin des Temps (1940) prolongée en ramifications sur l’élégiaque Oil. Dans There Will be Blood, la foi est comme un personnage invisible qui noue le destin de tous les autres, et la musique est son récipient. Le film est aussi fait de tension – l’intensité du personnage de Daniel Plainview, sa méchanceté, le suspense dû à l’escalade de la violence, jusqu’au châtiment et à la rédemption. C’est ce sentiment de suspense qui prédomine musicalement, et ce même dans la grâce du malheur et de la contemplation, lorsque les images ralentissent. Au sommet du film, se trouve une pièce rythmique baptisée auparavant Divergence sur la bande originale de Bodysong ; soulignant l’une des scènes les plus dramatiques et centrales de l’oeuvre, c’est l’apogée percussive du suspense, exprimé soudain sans plus de gravité.


Parution : 2008
Label : Nonesuch
Genre : Musique contemporaine
A écouter :  Prospectors Arrive, Future Markets, Oil


7.50/10
Qualités : intense,  onirique, audacieux

    mercredi 25 août 2010

    Dawn Kinnard - The Courtesy Fall (2008)


    Parution2008
    LabelKensaltown
    GenreFolk-rock, pop
    A écouterAll in Your Head, The Devil Flame, FortuneTeller
    /106.25
    Qualitésambigu, onirique

    Authentiquement mystérieuse, Dawn Kinnard, fille rebelle d'un prêcheur baptiste, est plus jeune qu’une grosse partie de ses influences. Elle s’affiche sur la pochette de The Courtesy Fall dans un style southern gothic auquel on ne cessera de revenir une fois que sa voix de «miel et de fumée », comme elle a été décrite, aura fait son petit effet, au détour de mélodies accrocheuses et directes d'abord : All in Your Head, Island. The Courtesy Fall est cet album bizarre qu’on pourrait tout à la fois louer pour son accomplissement tout en se demandant si Kinnard est réellement une chanteuse prometteuse – elle pourrait aussi bien être une petite interprète sans avenir crédible. 
     
    « Ce n’est que des  histoires dont j’ai fait l’expérience. Seulement pour certaines d’entre elles j’ai pu être endormie. Mais pour moi elles sont aussi vraies que si j’avais été éveillée."

    J'imagine que si je souhaitais la rencontrer, je la trouverais dans une maison de type cottage, avec un gros chien marron me surveillant au seuil de la porte. Je l’imagine grogner légèrement tandis que j’essaierais d’approcher. Un filet de fumée qui s’échapperait de derrière la porte entrouverte. Une menace imperceptible qui me dirait que si j’entre, toutes mes certitudes qui ont suivi l’écoute superficielle de The Courtesy Fall - à sacoir qu'il existe aux Etats-Unis un archétype pour ce genre de chanteuses trop modestes pour vraiment réussir - pourraient bien tomber. Kinnard est modeste, oui : mais elle a en elle la moitié d'un envoûtement. Si elle parvient à ménager un certain sens du suspense, c’est en nous ravissant d’un « tout est dans ta tête » d’ouverture qui a tôt fait de brouiller les réalités.

    Fortune Teller évoque Billie Holiday. Cette influence joue à l'évidence un rôle dans les textes des Kinnard, ceux d'une femme forte et pleine de petites malédictions.  Avec Tom Waits, crooner des images et antiquaire de sons, elle partage une capacité à brouiller les pistes à coups de demi vérités : « Ce n’est que des histoires dont j’ai fait l’expérience. Seulement pour certaines d’entre elles j’ai pu être endormie. Mais pour moi elles sont aussi vraies que si j’avais été éveillée. Ou peut-être sont t-elles plus vraies.»  Plusieurs raisons d'approfondir l'écoute : L'ambiance gothique sur Devil's Flame, Fortune Teller, intimiste et rétro, la country-pop de No Different No - qui fonctionne par la magie de la voix de Kinnard, le duo avec Ed Harcourt, Clear The Way, qui rapelle la B.O. de One From The Heart et le duo Crystal Gayle/Tom Waits avec ses cordes parfaitement ajustées. Enfin, White Walls et sa coda de synthés mélodieux.


     

    mardi 20 juillet 2010

    Larkin Grimm - Parplar (2008)




    Parution : 2008
    Label : Young God Records
    Genre : Folk
    Producteur : Michael Gira
    A écouter : They Were Wrong, Ride That Cyclone, Dominican Rhum



    Note : 7.25/10
    Qualités : lucide, pénétrant

    Je tiens à remercier Julien Tilly pour m'avoir fait découvrir cette grande artiste. Tous les extraits d'interview dans cet article sont tirés de son travail pour le fanzine Twice.

    « J’ai été accusée de toute sorte de sorcellerie. Il a été dit que j’avais une influence perverse et inquiétante et j’ai été renvoyée des églises, des écoles, des communautés hippies et de la ville de Skagway en Alaska. » Ainsi Larkin Grimm commente-t-elle sa jeunesse. Toute son enfance a sans doute été le plus marquée par les convictions de ses parents, qui faisaient partie d’une communauté religieuse et hippie utopique qui croyait à la guérison du monde par l’esprit et entretenait une relation détachée avec son environnement hostile et cruel. Grimm va faire l’expérience de la réalité relativement tard, protégée qu’elle avait été jusque là par ses parents. « Mes meilleurs amis dans l’école publique étaient le seul garçon noir de la classe, que l’on traitait constamment comme un idiot et une fille qui avait subi des abus sexuels par son voisin. Quelques années plus tard, ce même voisin lui a coupé la tête… »

    Au moment de Parplar (2008), son troisième disque, Larkin Grimm a la trentaine. De son expérience de jeunesse, elle s’est forcée à garder l’esprit optimiste. « Je suis toujours très idéaliste et crois très fortement au pouvoir de la gentillesse, de la franchise et de l’amour. J’essaie de me maintenir en bonne santé de manière honnête et holistique et je ressens une responsabilité d’aider les autres à faire de même. » Fervente admiratrice de Patti Smith, Grimm va surtout au fond des choses, explorant sur ce disque le pouvoir du corps et des désirs charnels, le pouvoir des mots crus, la force des sentiments. Et il y a, rien qu’a considérer certaines paroles – l’infectieux Dominican Rhum en particulier – bien quelque sorcellerie noire à l’oeuvre. Sa signature chez Young Gods Records (Michael Gira de Swans en est le fondateur, et on lui doit la découverte de Devendra Banhart) semble ainsi naturelle. 

    Usant de cette fausse légèreté qui endort les méfiances, Grimm charme rapidement, après un They Were Wrong magistral. « Who told you you were going to be all right/Well they were wrong, wrong, wrong/In my mind you’re already gone” Elle se bat avec le mal intime comme d’autre combattent les causes politiques et sociales. Et c’est par là que tout commence – dans l’affirmation de soi, dans la fierté de son propre corps et dans la force de son propre esprit. C’est notre vie intime qui va fonder notre tolérance, ou notre intolérance, notre ouverture aux autres, notre envie de partage… La vie est une lutte dans laquelle les plus paisibles, les plus inoffensifs ne sont pas ceux qu’on croit. Grimm semble voir le véritable mal, les mauvais sentiments enfouis en ceux qui ne savent les laisser s’en débarrasser – qui ne savent trouver dans l’existence l’expérience , la connaissance, la sagesse qui leur ferait chasser ces mauvaises pensées. Et quel meilleur moyen que la musique – les parents de Larkin Grimm étaient tous deux musiciens - pour exercer cette lucidité ?

    Les chansons du disque sont plutôt sombres, et certaines phrases restent gravées dans nos mémoires : « you’re going to die anyway/So let me kill you nice ». Ces textes aux images fortes sont la façon pour Grimm de donner à ses pièces une profondeur dramatique ou tragi-comique, l’humour le disputant au macabre avec une adresse que seule pouvait négocier une artiste parfaitement équilibrée.

    Mais le disque a aussi été produit par Gira, artiste excentrique avec qui Grimm partage plus d’une singularité. Sa voix, chantante et parfois stridente est sous le joug d’une langue polyglotte (Mina Minou, Durge), mais au-delà de l’aspect communautaire, il y a la tentative de partager des bribes de spiritualité tribale. Et la palette musicale très riche, qui emprunte autant à Morricone et au psychédélisme des années 70 qu’à des formations en quête d’exotisme (Os Mutantes), mais reste farouchement folk et fragile, fait parfois peser une atmosphère incantatoire sur les chansons. Il y a sur All the Pleasures in the World quelque chose du désert saharien. De l’ensemble du disque, c’est un sentiment de fraîcheur – et dans un certains sens de chaleur - qui se dégage, l’impression que le folk, la musique du ressenti et du partage, est encore renouvelé de la meilleure manière qui soit – instinctivement.




    jeudi 25 mars 2010

    Goldfrapp - Seventh Tree


    La carrière de Goldfrapp progresse à toute allure ; Seventh Tree en est seulement le quatrième chapitre et on a déjà l’impression d’un groupe sur le retour… C’est que l’habileté du duo constitué par Alison Goldfrapp et Will Gregory surpasse peu à peu toutes nos espérances. Ils savent changer de peau comme plus aucun autre groupe ne le fait, avec par exemple Massive Attack ou Gorillaz peinant déjà à surprendre après trois ou quatre disques. Ils continuent d’agir pour leur public de fidèles, avec une foi hors d’âge maintenant que peu de gens se soucient de la dimension évolutive et même, pour beaucoup, artistique que peut tenter de véhiculer un groupe. Ils continuent de défricher à leur façon car ils savent bien que c’est ce qui rend la musique excitante ; le renouvellement ; que même Alison, sans ses atours démodés et son audace à muer, n’aurait pas la moitié du sex-appeal qu’elle a.

    Le logo apposé sur leurs disques est devenu une marque, qui signifie exigence, brio, et peu de déceptions au compteur. Une partie de Black Cherry (2003) pouvait ennuyer, mais guère plus. Et ce n’est pas avec ce nouveau disque qualifié à tort de revirement folk que l’on se détournera des efforts du duo. L’ambiance est toujours très synthétique, malgré le premier titre, l’énigmatique Clowns, qui emprunte des sonorités à Nick Drake.

    Seventh Tree enjoint à apprécier les simples choses de la vie depuis chez soi, un peu d’isolation, avec une pointe d’amertume laissée par la promotion de Supernature (2005), les tournées et quelque part l’égarement qui s’est ensuivi. Goldfrapp reprend pied, sans perdre le pouvoir de façonner des mélodies anthémiques comme Happiness, A and E ou Caravan, évoquent toutes un retour au calme. « Je pense que c’est malsain d’agir en toute conscience », remarque la chanteuse du duo. C’est pour cela qu’ils vont chercher ensemble à donner quelque opacité à des titres comme Clowns ou Eat Yourself. Alison décrit l’humeur de cette nouvelle collection de titres ainsi : “une combinaison de naïveté folk anglaise avec un peu d’horreur et de soleil Californien qui l’éclaboussent ».

    On peut aussi considérer qu’avec Supernature, ils se sont dangereusement rapprochés du point auquel tous leurs mystères seraient élucidés, toute leur pudeur percée à jour ; qu’allait t-il rester alors de leur âme née avec Felt Mountain (2000) ? Seventh Tree n’est pas seulement plaisant, il est réparateur ; c’est peut-être le plus important disque pour Goldfrapp, celui qui assure sa pérennité. Qu’il mette les tubes tapageurs de Supernature bien derrière lui n’est pas la moindre de ses qualités ; et que l’on puisse encore apprécier des moments de pop éhontée comme A and E, aux côté de plages mélodiques classieuses comme Cologne Cerrone Houdini ou Little Bird, prouve que le charme polisson du duo est intact.

    Goldfrapp ne fait pas sa musique sur la brèche ; et s’il y avait dans son précédent album un aspect provocant, c’était plutôt dû à l’état d’esprit d’Alison au moment de le faire, c’était nécessicité de son éclosion artistique. Leur meilleure musique est façonnée à tête reposée, en fonction de leur envie ; et ils se tiennent à merveille à leur direction, produisant une fois de plus un disque au fort pouvoir de cohérence et aux nombreux instants de félicité.


    • Parution : février 2008
    • Label : Mute
    • Producteur : Goldfrapp
    • Genres : Synthpop, Folk
    • A écouter : Happiness, Caravan Girl, Clowns

    • Appréciation : Méritant
    • Note : 7.25/10
    • Qualités : heureux, self-made

    dimanche 28 février 2010

    The Gutter Twins - Saturnalia (2008)




    Parutionmars 2008
    LabelSub Pop
    GenreRock
    A écouterThe Stations, God's Children, Front Street
    /107
    Qualitéssombre, intense, élégant

    Mark Lanegan est un étrange diable. Issu d'un groupes les plus injustement oubliés des années 90, les Screaming Trees, il devient un genre de Tom Waits des années 1990, cigarettes, alcool, charisme et conjurations diaboliques sont comme pour Waits au programme dans ses 6 albums solo, dont le meilleur reste à mon avis Bubblegum (2004). Son timbre est aussi le bienvenu sur des productions des Queens of the Stone Age et Isobel Campbell. Ici, aux côtés du tout aussi ténébreux Greg Dulli (des Afghan Whigs, et maintenant des Twilight Singers) il fait la moitié du plus beau couple de Gentlemen (pour reprendre le titre du plus bel album des Whigs) que le rock alternatif puisse espérer à l’heure du mièvre. Sur la plupart des titres, Lanegan semble avoir prêté sa voix comme au terme d’un pacte sanglant, et transforme les compositions à l’humeur bancale de Dulli en quasi-perles romantiques. On retrouve la sombre Amérique, celle de déserts et de villes fantômes, celle ou le soleil n’est là que pour révéler des ombres oniriques, les nuages fuyant en accéléré dans le ciel. Saturnalia tient son nom d’une fête romaine où esclaves et maîtres inversaient leurs rôles.
    The Stations, puis God’s Children, sommets d’intensité malveillante, vous font entrer dans le disque, qui est fait par la suite d'un blues-rock de bonne facture, élégant mais sans réelles surprises.

    Les obsessions de rédemption communes aux 2 rockers que sont Dulli et Lanegan donnent une profondeur, une tension à l'album. Les textes sont ceux d’une confession impossible. On n’est pas sûr que cette musique ait le moindre pouvoir de réparation. Un titre comme God’s Children semble conçu pour être entendu encore et encore, sans jamais obtenir grâce. C’est un peu différent avec I Was in Love With You, par exemple.

    La grande force du disque est de jouer de la familiarité qu’inspirent les différents titres pour nous amener en réalité plus loin que ce qu’on pouvait penser au départ. Idle Hands fait ainsi penser aux Afghan Whigs, tout en générant une intensité nouvelle.  

    vendredi 26 février 2010

    Boris - Smile (2008)


    Parution : mars 2008
    Label : Diwphalanx Records ; Southern Lord Records
    Genre : Noise rock, Metal
    A écouter : Flower, Sun Rain, My Neighbor Satan, Untitled 

    6.75/10
    Qualités : original, intense

    Smile, quatorzième disque du groupe japonais multiforme Boris, commence par Flower Sun Rain, un morceau qui, après quelques secondes de bruitisme, lance sa ligne pop imparable faite de chant dans la veine traditionelle (Flower Sun Rain est la reprise d’une chanson japonaise Hana, Taiyou, Ame) ; quelques interférences de guitares saturée plus tard, et alors que la belle mélodie vocale s’est répétée maintes fois, le morceau se transforme en monstre à la poésie assourdissante, revêtant les atours les plus stridents et les plus virtuoses. A l’image qu’on se fait de l’art de pointe dans leur pays d’origine, Boris produisent une musique sophistiquée. Cependant, ils restent un groupe à part sur la scène japonaise, leur goût pour l’expérimentation les rapprochant davantage des américains de Sunn O))) par exemple – avec qui ils vont travailler. Buzz-In – apparement en référence aux Melvins - quitte les sphères lancinantes pour faire dans le hardcore, un genre où Boris est constamment bon, mais moins passionnant que dans ses longues plages bruitistes ou lors de ses manifestations les plus naïves.

    Le morceau se transforme en monstre à la poésie assourdissante, revêtant les atours les plus stridents et les plus virtuoses. A l’image qu’on se fait de l’art de pointe dans leur pays d’origine, Boris produisent une musique sophistiquée.
    Il y a les deux dans un bon morceau de Boris ; c’est ce que font Flower Sun Rain ou My Neihbor Satan, Takeshi y prennant sur les couplets un timbre clair et enfantin – il y a dans cette musique une sorte d’obsession pour la jeunesse, l’adolescence, thèmes qui se prêtent aux formes expérimentales, comme une indécision - tandis que le reste de l’espace est envahi de mauvaises influences, guitares sifflantes, tournoyantes comme des cris d’humeur. Sur Kare Ha Te Ta Sa ki, Takeshi semble reprendre à gros traits le premier titre, alors que cette fois tout ce mélange, twists de guitares torturées et chants ou voix occultes, parlées, avant un final fracassant mais toujours précis. Le couple final, plus de vingt minutes de musique, est magnifique. You Were Holding an Umbrella et le sans-titre se fondent l’un dans l’autre pour un meilleur effet.
    Boris sort énormément de disques, mais Smile est un peu à part. Le groupe, influencé uniquement par sa propre musique, parvient à s’affranchir des comparaisons pour ne devenir qu’égal à lui-même, dans un genre agréable plutôt que défiant pour l’auditeur. C’est le disque qui fera ou non que l’on s’attache à Boris comme à un genre de référent dans leur propre droit ; appréciant leur originalité autant que leur habileté à reproduire à leur avantage tous les codes qu’ils ont empruntés et développé, jusque là, en laboratoire. Signés sur le label américain Southern Lord (Sunn O)))…), Smile semble à mon sens le disque de l’ouverture pour un groupe qui tient l’une des extrémités de la corde tendue sur laquelle dansent les musiques puissantes et aiguisées – beaucoup de noms à placer là, et Boris y demeure en bonne place. La meilleure preuve de cette ouverture est la présence de Stephen O’Mailey, de Sun O))), sur l’excellente pièce sans titre qui clot le disque, un magnifique schéma d’ambiances sourdes et de flamboyance printanière. Un groupe-influence, une marque.

    samedi 10 octobre 2009

    Cut Copy - In Ghost Colours


    Qu’est-ce qui différencie Cut Copy de cette flottée de groupée de groupes électro cheap qui débarque continuellement pour pourrir aussi bien nos incursions chez les enseignes de grande consommation, les magasins de chaussures et de fringues, les gares et les stations de métro, se déversant jusque dans les rues où le bruit des moteurs de suffit plus à l’oreille de la populace toujours friande de nouvelles agressions sonores ? (Kraftwerk adorerait cette idée). Cut Copy a, bien sûr, comme d’autres, une grande dette envers les quatre robots de Dusseldorf. In Ghost Colors a en outre presque tout pour que l’on se croie égarée sur la grève en pleine attaque mercantile, ou naufrage artistique. Ce en quoi il n’a rien de commun avec The Man Machine, qui, lui ne fait aucune concession. Mais le temps où l’électro ne s’embarrassait ni de concessions ni d’influences est révolu. C’est un style musical en perte de vitesse.

    In Ghost Colours est un album totalement dans le coup, qui surfe sur cette manne commerciale consumériste (on ne peut pas dire qu’il surfe sur la culture club, plus aujourd’hui). Enfilant les titres très agréables et totalement dénués de sens, comme Out There on the Ice, Lights and Music ou Hearts on Fire – qui offrent par leur titre un aperçu assez percutant du contenu lyrique (Strangers on the Wind, Eternity One Night Only…) Un coup d’œil à la tracklist peut fonder les pires craintes d’une ringardise suraigüe, telle est celle qui définit la radio d’aujourd’hui. On a parfois l’impression, lorsqu’il s’agit d’électro, de se trouver dans une aire primaire à coté de laquelle même les programmes radio d’avant la seconde guerre mondiale sont des modèles de sophistication et de bon goût.
    Ainsi, Cut Copy est une formation plutôt desservie par des goûts lyriques douteux, et ce qu’on doit forcément appeler chansons est constitué de phrases rabattues tant qu’ici c’en devient presque une parodie. On y chante l’amour basique, superficiel, parce la qualité même des textures musicales ne permet pas d’aller bien plus profond. Voilà, vous l’avez deviné, j’ai été pris d’une furieuse envie de cracher, non pas sur Cut Copy en particulier, mais sur nombre de formations électro castratrices de créativité comme « on » les aime par les (sombres) temps qui courent. Et ce n’est pas faute d’aimer l’électro et son penchant révolutionnaire (et révolu).

    A côté de ça, In Ghost Colors, affirme, au delà de tout ce qui le rend agaçant, une ambition remarquable, en mélangeant mélodies pop sucrées et guitares montrant une constance avec laquelle même les derniers disques de New Order ne peuvent pas se mesurer. Explorant parfois des contrées défrichées par des groupes plus extrêmes, les Cut Copy apparaissent bientôt plus impliqués qu’ils n’ont l’air au premier abord. So Haunted ajoute une guitare au mix – tandis que la voix évoque Bernard Sumner - pour conjurer toute la schizophrénie dont les trublions sont capables. Et, du moins pour un moment, ça marche. C’est particulièrement efficace en situation de jogging.

    Sans vraiment d’identité, le groupe parvient à garder une efficacité imparable tout au long de ce généreux disque. Si le psychédélisme n’est pas au rendez-vous (pour cela, dirigez-vous plutôt vers les Flaming Lips) un certain talent pour trouver des mélodies précieuses mais brillantes parcourt tout l’exercice, donnant de belles pièces comme Hearts of Fire. Il y a également un certain sens de la construction, puisque de nombreux morceaux sont annoncés par des introductions prenantes, mettant en évidence la volonté de Cut Copy à nous faire accepter leur disque comme un tout. Clôturant ici cette chronique, il est temps de retourner écouter les « démodés » Kraftwerk.
    • Parution : 22 mars 2008
    • Label : Modular
    • Producteur : Tim Goldsworthy
    • A écouter : Lights and Music, Hearts on Fire

    mercredi 7 octobre 2009

    Peter Broderick - Home (2008)




    Parution : 2008
    Label : Bella Union
    Genre : Folk moderne
    A écouter : Games Again, Below It, Sickness, Bury.

    6.75/10
    Qualités :envoûtant, Doux-amer, apaisé

    Isolé dans son pan de forêt et contraint d’affronter pour survivre des archétypes redoutables comme Bon Iver (For Emma, Forever Ago) ou les Fleet Foxes, Peter Broderick s’en sort plutôt bien. Musicien et compositeur de vingt-deux ans originaire de Portland, dans l’Oregon (comme ses influences Elliott Smith et Mr Ward), son mélange de mélodies de guitare ou de banjo délicates et de voix samplées touche au sublime sur cet album paru en 2008, mais éclipsé par les nouveaux géants du folk que sont Justin Vernon et les Fleet Foxes. Aujourd’hui à moitié résidant du Danemark, Broderick est un artiste prolifique puisqu’il a à son actif de musicien sept projets et un nouveau disque, Five Film Score Outtakes, qui nous fait les fonds de tiroirs. Il s’est avéré que le bon élève qui apprit à l’école le violon, le banjo, la scie musicale et la mandoline, et qui se voyait musicien de session (il a enregistré notamment avec Mr Ward et a tourné avec Effertklang (groupe rencontré à Copenhague), Horse Feathers, Norfolk & Western, Loch Lomond et Laura Gibson) est devenu un véritable créateur capable de laisser son identité à la postérité. Et sa qualité de multi-instrumentiste se combine avec celle de touche-à-tous genres ; c’est après un disque de musique néo-classique qu’il propose aujourd’hui l’œuvre de folk Home.

    La simple conjonction de sa voix et de son instrument savent faire naître l’émotion, dessiner une chanson folk magique avec Below It, ou, lorsque le temps s’allonge, créer une atmosphère fascinante.

    Enregistré dans divers endroits en tournée, ce disque parvient pourtant à donner l’impression que dans un chez-soi évocateur, assis auprès de son ordinateur, que Broderick a bricolé Home. Mais où se trouve la vraie maison d’un troubadour ? Le résultat est une belle preuve que les techniques conventionnelles (« naturelles » dirait Neil Young) d’enregistrement ne sont pas forcément inévitables. Le disque alterne les morceaux chantés dans lesquels Broderick sait accorder sa voix discrète à de redoutables mais délicates boucles ou constructions plus directes à la guitare acoustique surtout – plus un peu de batterie. Le musicien a fait le choix de ne plus jouer ici de piano, cordes ni accordéon qui caractérisaient Float. C’est donc avec un certain dénuement qu’il expose ici sa belle et riche mélancolie vocale et crée dans un style minimaliste – au départ - une œuvre plus riche qu’il n’y paraît. La simple conjonction de sa voix et de son instrument savent faire naître l’émotion, comme sur And it’s Allright ou Not at Home, dessiner une chanson folk magique avec Below It, ou, lorsque le temps s’allonge, créer une atmosphère fascinante, avec Sickness, Bury. Partout, les tons sont aériens et glacés, avec force d’harmonies vocales célestes et, progressivement, de polyphonies. Pourtant, ce n’est jamais grandiloquent, et en restant dans les limites de son intimité, Broderick parvient à insuffler au disque un aspect chaleureux.

    Le disque s’ouvre et se ferme avec Games puis Games Again. La recherche d’une cohérence et la volonté de laisser transparaître la présence d’un fil rouge pour une œuvre cohérente. Pourtant, Home n’a pas besoin d’une telle pirouette, même si Games Again est le final orchestral sublime qui développe le fort potentiel de l’ouverture Games. Construit de vignettes plus focalisées comme Games – pour les harmonies vocales – ou There and Here – où Broderick laisse respirer chaque accord. Un disque-étape pour un artiste en cavale qui n’est pas trop sûr de sa destination (« And when I'm home, I'm not at home. »)
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