Jonny Greenwood aborde depuis 2003 sa nouvelle expérience de compositeur de musique contemporaine avec une retenue et une discrétion qui lui font honneur. Ce qui n’est pas surprenant de la part de l’un des cinq membres du groupe le plus cool du monde, celui qui prend son succès artistique et commercial avec la simplicité la plus désarmante, Radiohead. Seule la curiosité et le désir de s’améliorer, de progresser, les a fait avancer depuis le début des années 1990. En 2008, Greenwood apparaît totalement décomplexé avec cette bande originale, n’ayant pour limite que son exigence minimaliste, gravité plutôt que grandiloquence. Pas de doute, c’est le même homme que celui qui a enregistré pour le documentaire Bodysong, beaucoup plus confidentiel, une bande-son fascinante en 2003. Les fans les plus attentifs de Radiohead y reconnaîtront aussi des sonorités présentes au sein de Radiohead depuis Kid A (2000), disque phare de la discographie du groupe auquel Jonny Greenwood a largement contribué. On reconnaît son goût pour la musique contemporaine (Penderecki, Messiaen, Gorecki), sa fascination pour des ambiances à l’harmonie difficile au travers desquelles triomphe toujours la beauté, la fragilité, l’émotion.
Deux choses, en particulier, marquent l’esprit dans le film de Paul Thomas Anderson pour lequel a été composée cette bande originale ; la performance d’acteur de Daniel Day-Lewis dans le rôle du magnat du pétrole Daniel Plainview – présent dans chaque scène ou presque -, et la musique, utilisée avec plus d’économie, de Greenwood. Dès la première séquence, alors que l’image s’ouvre sur les espaces désertiques californiens éblouissants et le puits que Plainview tente d’exploiter (il n’est encore pas le richissime propriétaire qu’il deviendra par la suite), la musique tendue, les cordes intenses évoquent une beauté en distorsion, font rejaillir des sentiments enfouis au fond du cœur du personnage. Jamais la beauté n’avait été aussi pure, dans l’œuvre du musicien, que depuis le diaphane How to Disapear Completely, titre présent sur Kid A. Ici, loin du parasitage électronique auquel il a parfois été confiné, Jonny Greenwood n’imagine que de la musique orchestrale, se projetant dans le début du vingtième siècle avec une discipline inédite pour lui.
En résulte un disque d’un peu plus de trente minutes, construit de onze pièces séquencées dans l’ordre de leur utilisation dans le film, et où aucun instant n’est superflu ; toutes les voix musicales, orchestre et quartet, se répondent pour donner un bouleversante œuvre à l’intérieur de l’œuvre. Malgré les titres – Open Spaces, Hope of New Fields, Proven Lands, qui font de toute évidence référence à des séquences du film, la musique de Greenwood est toujours intérieure. C’est, plus qu’une musique d’ambiance, ou d’atmosphère, une musique d’humeurs, donnant chair au récit, évoquant les flux et reflux du sang et de la bile des personnages. Il excelle aussi à évoquer leurs tentations et tiraillements. Eli Sunday, le jeune prêtre au bord du fanatisme, qui fait salle comble tous les dimanches dans sa paroisse ; Henry Plainview, le frère de Daniel, qui apparaît de nulle part au milieu du film et dont les intentions ne sont pas claires, même pour lui. Le fils de Daniel, peut-être celui qui sera le plus dramatiquement touché par l’histoire. Les nappes de cordes apparaissent et disparaissent alors du champ auditif comme des vagues de fièvre.
Greenwood a le loisir d’évoquer la foi des personnages, qui motivait la plupart des œuvres de l’un de ses maîtres en musique contemporaine, Messiaen (Vingt Regards sur l’Enfant Jésus). Prospectors Arrive est une belle tentative au Quatuor de la Fin des Temps (1940) prolongée en ramifications sur l’élégiaque Oil. Dans There Will be Blood, la foi est comme un personnage invisible qui noue le destin de tous les autres, et la musique est son récipient. Le film est aussi fait de tension – l’intensité du personnage de Daniel Plainview, sa méchanceté, le suspense dû à l’escalade de la violence, jusqu’au châtiment et à la rédemption. C’est ce sentiment de suspense qui prédomine musicalement, et ce même dans la grâce du malheur et de la contemplation, lorsque les images ralentissent. Au sommet du film, se trouve une pièce rythmique baptisée auparavant Divergence sur la bande originale de Bodysong ; soulignant l’une des scènes les plus dramatiques et centrales de l’oeuvre, c’est l’apogée percussive du suspense, exprimé soudain sans plus de gravité.
Parution : 2008
Label : Nonesuch
Genre : Musique contemporaine
A écouter : Prospectors Arrive, Future Markets, Oil
7.50/10
Qualités : intense, onirique, audacieux
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