Parution : 2003
Label : Mute
Genre : Synth pop, Dance-rock
A écouter : Black Cherry, Train, Strict Machine
Note : 6.75/10
Qualités : extravagant, sensuel, rétro
« Après Felt Mountain, le seul morceau qui nous a inspirés est cette reprise de Physical d’Olivia Newton John. Très vite, on a eu cette image d’une frappe mécanique. » Fini le velours de Felt Mountain (2000), les visions rentrées et la contemplation, le duo anglais change totalement de mode, et expérimente pour la première fois le succès. Trois morceaux composés sur la tournée du premier album ont donné envie à Goldfrapp de prendre une direction plus rythmique. Quelque mois plus tard, en concert pour Black Cherry, le spectateur est projeté sans fard dans une ambiance proche du Crazy Horse, où les danseuses portent des oreilles de loup ou sont déguisées en cerf. Dans les paroles : « Wolf lady sucks my brain ». Que s’est t-il passé entre temps ? Alison Goldfrapp a dévérouillé les loquets de la contenance, fini d’exprimer une douce excentricité pour passer à des choses gothiques et sexuelles. Elle a trouvé la voie de l’extravagance, genre à part entière qui était fait pour elle et cela commença de sceller l’identité du groupe. Elle se mit à imaginer un cauchemar dans lequel les hommes voudraient être des animaux et les animaux des hommes.
Felt Mountain était la première ouverture sur le monde d’une nouvelle conscience, d’un nouvel esprit en état d’exploration. Déjà mure, Alison Goldfrapp avançait pourtant à tâtons, sans que cela ne cesse d’être énigmatique pour l’auditeur qui cherchait à savoir si l’intention de la chanteuse était de brouiller son imaginaire dans des visions cinématiques, de rendre acceptables ses attirances sensuelles, ou plutôt de les contourner, d’évoquer tout autre chose, des thèmes reposants ou réparateurs. Sur Felt Mountain, Alison pouvait se dissimuler derrière les fabrications curieuses de Gregory, et à plusieurs reprises la forme prenait le pas sur le fond, pour un résultat illustratif mais parfois (sur Human notamment) plein de présence aussi. Black Cherry met la performance d’Alison à nu et au premier plan, tout contre son public, donne tout à sentir, la musique est là davantage en support d’une ambiance années 30 poisseuse plutôt que de servir d’écran à un ensemble.
Musicalement cependant, Will Gregory ne maîtrisait pas encore parfaitement son sujet, et le résultat est plutôt cheap, ce qui sera sans doute surprenant pour ceux qui ont l’habitude de la musique électro passablement bien tournée. Mais c’est aussi une astuce, sur des morceaux comme l’obsédant Train, pour donner l’impression d’un cocon vintage à peine remis au goût du jour, d’une nature sauvage et intemporelle – comme Goldfrapp dont les traits peu maquillés et la coiffure ne changeront plus d’apparence. Cette limite technique est un bon moyen de s’écarter de leurs influences (de la musique disco de Barraca à la techno de Hakan Lidbo, en passant par la synth pop des années 80 ou par le glam-rock des années 70 comme cela se verra mieux plus tard). Les sonorités sont souvent très sèches, dès Crystalline Green qui ouvre le disque sans convaincre. Il y a eu une longue exploration afin de trouver une alchimie avec les voix froide et presque synthétique par moments d’Alison. On est en terrain languissant ; passages de cordes, blips enveloppants, claviers vibrants, double basse. C’est l’expression de la sensualité que la chanteuse utilise en représentation, tandis que le cœur de ses chansons cherche à emprunter les voies d’une nature mystique autant qu’à en flatter l’aspect le plus superficiel.
On retrouve avec Black Cherry les traces d’un romantisme moins provoquant, mais c’est Strict Machine, Train et Twist qui représentent le mieux ce qu’est devenu le groupe ; insistant et provocant, amené d’une main de fer, autoritaire et envahissant, sans en avoir vraiment les moyens. Au moment de Deep Honey ou Hairy Trees, et alors que le sinueux Tip Toe nous a persuadés de l’endurance de cette nouvelle formule, on se laisse envelopper dans le style Goldfrapp – n’appréciant leurs sonorités décalées que pour les surprises et les retournements qu’elles promettent, dans une sorte de va et vient entre la représentation charnelle et très premier degré de la danseuse de cabaret et les images en plusieurs dimensions qui jaillissent parfois, de manière plutôt abrupte, des entrechoquements de claviers pour lesquels Gregory favorise les petits accidents.
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