“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

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mercredi 3 février 2016

NATALIE MERCHANT - Tigerlily (1995) + Paradise is There (2015)





OO
Lyrique, apaisé, soigné
Pop

Tigerlily est resté dans les mémoires comme un album déjà parfaitement formé. Natalie Merchant n'est pas du genre à faire une musique 'tentative' même s'il s'agit du premier album où elle encourt un véritable risque, celui de se méprendre sur la manière d'exprimer ce qu'elle ressentait. Ce n'était pas tant ce qu'elle ressentait le problème, mais les mille et une manières qui se présentaient à elle pour le formuler, car il fallait qu'elle échappe à cet 'eden' constitué par un groupe où elle s'était sentie si confortablement aux commandes, sans pourtant se risquer seule dans les décisions artistiques. S'il semblait mature, c'est qu'elle savait déjà quelle position elle devait adopter. Le détachement du poète qui l'avait éveillée aux mots et marqué son enfance. Comme dans un poème, elle managerait de petites surprises, des choses intrigantes, mais dans un format prévisible, délimité.

Lorsque Natalie Merchant écrit, qu'elle arrange une chanson, c'est pour la rendre insensible au passage du temps. Mieux, elle sont faites pour défier notre esprit à travers le passage du temps, das ce monde d'instantané. Quelques instruments utilisés avec parcimonie mettaient l'accent sur l'aspect révélateur de sa voix, dont l'auditeur a le plus grand mal à se détacher. Piano, Rhodes, guitare encore galvanisés par une batterie jouée comme dans une version acoustique de morceaux des 10 000 Maniacs. Elle a depuis appris à faire survenir une beauté à la fois plus radieuse et étouffée de ses chansons, comme un gris iridescent. Sa musique semble en phase d'ouverture, déjà composée dans une emphase imbattable, comme une volonté qui ne trébuche jamais, quitte à paraître faussement hésitante. Le titre, Tigerlily, censé représenter à la fois la fougue et la candeur, indique l'état d'esprit qui est celui de Natalie Merchant à 30 ans. A l'époque, la palette de couleur et de goûts n'était pas complètement arrêtée, mais le pouvoir envoûtant des paroles, leur retenue jusque dans leur aspect précieux, ondoyant, rayonnant d'un halo fervent. La sentimentalité ne sera jamais mieux exacerbée que dans River, son hommage à l'acteur River Phoenix. Le refrain reste l'un des plus moments les plus beaux et lyriques de l'album est de la carrière de Natalie Merchant.

Tigerlily est vingt ans après, encore l'objet du mouvement le plus étonnant de la carrière de Natalie Merchant, plus encore que lorsqu'elle a rassemblé des poèmes et s'est documentée de manière approfondie sur leur initiateurs pour Leave Your Sleep (2010). Elle est l'une des rares artistes, sans doute, à avoir décidé de ré-enregistrer complètement des chansons qui déjà étaient faites pour durer. Sur Paradise is There, les différences, voire les améliorations, sont évidentes. Dès San Andreas Fault, et sa cadence décontractée, on croit être en train de l'observer en concert, sous une lumière tamisée, ne révélant plus rien de sa présence que nous ne connaissions, se ressaisissant de ce répertoire finalement ancré dans son cœur, alors qu'il était en premier lieu, en comparaison, un simple catalogue. L'émotion est patinée de sagesse. River est maintenant comme une élégie pour son propre fils. Sans ses guitares électriques, l'emphase est plus forte encore dans Wonder. Et quand la guitare réapparaît, sur I May Know the Word, mêlée de cordes, c'est à peine agressif. Dans son drôle de charme cathartique, Paradise is There évoque les dernières œuvres de Beth Orton, telles que le très beau Sugaring Season (2012). Notamment, encore, sur Cowboy Romance, avec son arrangement de violon remarquable. La musique, dépouillée, nous incite plus que jamais à porter notre attention sur la qualité des paroles, et à s'interroger sur la singularité de cet art que Natalie Merchant fait perdurer depuis toutes ces années. Comment considère t-elle la musique ? Comme une activité à laquelle elle se livre quand elle n'est pas tout simplement en train de vivre. Elle n'a jamais particulièrement réclamé notre attention, et pourtant elle a toujours fait de la pop ; elle l'a fait par conviction, parce que les rythmes et les mélodies se mariaient aux mots d'une façon toujours fraîche et simple, nous attachant directement à sa personne, elle qui nous prend la main pour nous encourager à écrire à notre tour notre propre histoire.


dimanche 13 juillet 2014

SLOWDIVE - Pygmalion (1995)








OO
apaisé, inquiétant, onirique
electronica, shoegaze

Après l'écoute de Pygmalion et un aperçu de la carrière de Slowdive, c'est plus facile de voir ce qui rend un groupe attachant. Entre 1991 et 1995, ils n'enregistrent que trois œuvres avec juste assez de non-dits et de silences entres elles pour susciter le fantasme dans l'imagination. Nos rêves étant basés sur ce que ce groupe aurait pu être, et donc, par extension, deviendrait peu à peu dans les cœurs des auditeurs à venir. En 2014, Slowdive jouent de nouveau des concerts d'une grande qualité. Ils viennent combler le vaste espace qu'ils ont laissé en disparaissant sous les quolibets de la presse anglaise utilisant alors Oasis comme échelle d'appréciation. Just For a Day (1991) les a mis sur la route de Souvlaki (1993), avec lequel ils ont trouve l'apothéose de leur son, capable de provoquer tant d'effets complémentaires sur l'auditeur : relaxant, excitant et émouvant. Puis Pygmalion, enregistré presque entièrement à l'aide d'un ordinateur et de boucles, a presque failli déconnecter la musique de sa patte humaine, dans l'intention d’enregistrer l'album céleste ultime. On est loin de la musique d'ambiance de Brian Eno : d'abord parce que Slowdive reste un groupe. Qui décide de sacrifier presque tout ce qui faisait le succès des groupes des années 1990. Comme My Bloody Valentine avec Loveless (1991), ils poussaient leur volonté d'expérimentation dans ses derniers retranchements : mais alors que ce dernier ne laissait presque plus aucune place pour l'auditeur, Pygmalion fait une grande place aux appréhensions et aux inquiétudes que suscite l'écoute de cette musique. On y entend tout ce que l'electronica et le rock alternatif a fait de plus désolé depuis. S'ils fallait choisir un seul morceau, peut-être serait-ce Blue Skied and Clear : mais comme toujours dans ce genre d'expérience, chaque morceau contient des éléments visionnaires et participent de l'atmosphère qui fait qu'émane de Pygmalion un style affirmé, en dépit de ses contours diaphanes.


  • On peut écouter Alison ou Souvlaki SpaceStation pour se prouver que Slowdive faisait partie des grands du mouvement shoegaze. 
  • Inutile de préciser qu'ils ont beaucoup inspiré : Sigur Ros, Radiohead... Cette année, le groupe français Alcest, avec un morceau comme Delivrance, rappelle beaucoup Pygmalion. 


mardi 12 mars 2013

NICK CAVE - Murder Ballads (1995)

 
Vidéo : en concert à Paris en février 2013.
OOOO
intense, sombre, varié
rock, blues

La précipitation de la vie dans le périmètre d’une mort violente a toujours été un thème cher à Nick Cave, dérivé de son penchant pour l’auto-destruction. Et sans doute aussi car le punk-blues des Bad Seeds – qui atteint ici une perfection, une endurance et une subtilité ultimes – se prête si bien aux destins amphétaminés. Cependant jamais Cave ne s’est acharné aussi systématiquement sur la mort qu’avec Murder Ballads. 1 à 25 morts par chanson.
« C’est en quelque sorte mon ennui face au sujet du meurtre qui a suscité ces chansons, raconte t-il dans Mojo Magazine en 1997. Elles évoquent en réalité bien autre chose – l’utilisation d’un certain langage, l’utilisation de rimes. Le propos c’est aussi l’humour et le fait de raconter une histoire. Le point de vue du meurtre est une façon efficace de faire surgir un effet dramatique à l’échelle d’une chanson. Ce que j’aime, à propos de ces chansons, c’est qu’il n’y a jamais aucun motif pour les personnages à accomplir un meurtre. » Cave est désinhibé et destructeur, mais aussi tellement à l’aise qu’on le voit reprendre à son compte le fantasme du performer alcoolique Irlandais aux motivations opaques, et il parachève une accolade aux Pogues en invitant leur chanteur Shane Mc Gowan sur la dernière chanson, une reprise superflue de Bob Dylan, Death is Not The End.  Si l’album s’était terminé avec O’Malley’s Bar, c’aurait été différent. « And he looked at me as though I was crazy » y exulte un pervers assassin. O’Malley’s Bar porte à son apogée l’atmosphère onirique et terrifiante de l’album, troublée régulièrement, comme ici, par l’apparition in extremis de la police.
Ormis son titre, Song For Joy – écrite au moment de Let Love In et appelée alors Red Right Hand II -  est dépourvue du second degré qui apparaît presque partout ailleurs dans l’album, et en devient déstabilisante. Un homme dont la femme et les trois enfants se font assassiner se met à errer sans but dans l’existence. Musicalement, la grandiloquence dramatique de l’album est consommée, un terreau dans lequel viendront croître le délire aussi bien que la langueur et l’affection au cours de quelques moments plus empathiques comme la touchante The Kindness of Strangers. Le piano sera redoutablement bien utilisé tout au long de l’album, et jamais mieux que sur Stagger Lee – qui est une réinvention d’un vieux R&B américain.
Sans doute faut t-il se saisir de Murder Ballads par les histoires qu’il contient pour comprendre toute la substance des chansons et des hommes dépravés qui en sont les pantins. Comme le dit Nick Cave, « la substance divine n’a rien de commun avec celle des hommes. » Henry Lee raconte l’histoire d’une femme qui tue un homme pare qu’il refuse de l’aimer. Nick Cave et PJ Harvey, qui chante en duo avec lui, vivront une histoire sentimentale pendant l’année 1995. Where the Wild Roses Grow raconte l'histoire d'un homme qui fait la cour à une femme, puis qui la tue alors qu'ils sortent ensemble. The Curse of Millhaven est la pièce centrale de l’album. Loretta est une fille déséquilibrée, qui prend plaisir à décrire les morts sadiques des gens de son entourage, persuadée que c’est la volonté de Dieu. Mais la vérité est aussi prévisible que détestable. Le refrain insistant, qui se greffe sur une version pervertie de la mélodie de Henry Lee, résume bien l’album : « All God's creatures, they've all got to die ».
Chaque nouvelle histoire assoit l’intensité de la précédente, avec un soin particulier porté aux atmosphères, millimétrées et sanguinaires mais aussi triviales et, dans l’excellente interaction entre claviers, rythmiques et guitares, porteuses d’une forme d’extase. Quant au duo avec Killie Mnogue, Where The Wild Roses Grow, il ne semble même pas dépareiller dans cet album, dont la variété est un autre point fort. « Je l‘ai vue à la télévision, et je me suis dit, merde : j’aimerais tellement la voir chanter un truc lent et triste », parodie Cave.
Si le plus tardif The Boatman’s Call a été désigné comme l’album de rupture de Nick Cave, sa première réaction après son divorce est d’enregistrer Murder Ballads. « C’est ce que je trouve de plus facile : m’assoir à mon bureau et écrire des histoires sous formes de vers. Elles n’ont aucun rapport avec mon expérience. » Ecrire ces contes sordides permettait à Nick Cave de faire une trêve sur son tumulte intérieur, de cesser de façon radicale de parler de lui pour s’atteler à corps perdu et avec tout le dégout nécessaire aux travers de son écriture. « C’est ce qu’il y a de mauvais avec ma façon d’écrire, se saisir d’une idée et la pousser bien au-delà de ce qui est rationnel, bien trop loin. »
L’une de ces idées poussées dans leurs retranchements : la démission de Dieu dans les affaires humaines, et par conséquent chacun réduit à agir dans le plus grand dénuement affectif et chacun l’auteur d’un dialogue intérieur qui le met face à ses propres failles, et sur Murder Ballads en particulier face à sa propre violence. « Le meurtrier est aussi tragique que le sont les victimes », commente t-il, endossant un point de vue répandu parmi ceux qui réfléchissent à la nature humaine. Etudier la culpabilité et la folie, même avec cette euphorie qui se dégage souvent de ‘album, reste peut-être le meilleur moyen de sonder l’âme humaine.

samedi 21 mai 2011

Smog - Wild Love (1995)


Parution : mars 1995
Label : Drag City
Genre : Lo-fi
A écouter : Bathysphere, It's Rough, Prince Alone in the Studio, Chosen One

8/10
Qualités : sombre, fait main, inquiétant, vibrant

Julius Caesar (1993) et Wild Love (1995) laissent penser que le Smog des débuts a été apprécié pour des raisons différentes de celles qui ont porté Callahan de plus en plus à jour, dans le monde entier, jusqu’à aujourd’hui. Même s’il reste relativement peu connu, il l’est par un public raffiné, le profil typique observé en concert étant cette espèce de trentenaires épanouis et à la culture musicale peaufinée. 1993 était une époque où le gros de sa clientèle se constituait d’adolescents américains marginaux. Rien d’étonnant pour un jeune Callahan dont les collages chaotiques et sales étaient inspirés de Jandek, expérimentateur sud-américain typique aux quarante albums et à peu près autant d’auditeurs. La défiance originelle de Smog était en ligne directe avec les frustrations d'une génération locale, friande de ces travaux à la maison faits de trois fois rien qui se mettaient depuis quelque temps à susciter l’espoir et le rêve par procuration de sensations vertigineuses. Cependant, Callahan démontra tout de suite qu’il pensait en termes abstraits et qu’il ne tenait pas les rêves de gloire, fut-telle modeste et alternative au modèle dominant, en très haute estime. Il n’avait pas vraiment vocation à devenir un artiste générationnel, probablement pas la vocation à être entendu au-delà d’un cercle très réduit.
Avec Sewn to the Sky et les fameuses cassettes (ce support fabuleux de gamins solitaires et tourmentés dans les années 90) encore antérieures qui sont plus ou moins tombées dans l’oubli, Forgotten Foundation, voire Macrame Gunplay, on avait l’impression non pas d’assister aux bases d’un certain art d’écriture qui pourrait éclore, mais à une sorte de préhistoire artificielle, un état antérieur à toute forme de complaisance et à tout univers où les guitares seraient accordées et les morceaux pourvus de structures distinctes, et destiné à rester antérieur pour toujours. D’autres faisaient tant bien que mal de la musique ; Callahan bricolait des sons pour accompagner ses histoires hantées, à tel point qu’il paraissait difficile alors de lui attribuer des influences cohérences et de deviner dans quelles directions il irait par la suite. Julius Caesar contient, pour la première fois, quelques vraies chansons ; on peut par moments partager l’intuition qui a créé ce disque. Le petit piège, c’est que lorsque Smog gagne en évidence c’est pour donner dans le minimalisme insensé, entre « I am Star Wars today/I’m no longer english grey », ou pour révéler son penchant pessimiste. Dans ce dernier sillon, Chosen One brille, inexplicablement baignée d’un halo rassurant. La chanson sera reprise par les Flaming Lips.  

En 1993, le manque de rapport au monde de Smog ne le desservit pas ; c’est même ce qui conduisait les premiers découvreurs à l’écouter en boucle, à en faire, bien plus que nous aujourd’hui, une obsession. C’est invraisemblable que l’on soit encore autant marqués par son insistance malsaine sur Your Wedding : « I’m gonna be drunk/so drunk at your wedding », une chanson qui fit couler de l’encre. Callahan fascinait parce qu’il était un garçon étrange, empli d’une énorme quantité de défiance, d’individualisme. En l’appréciant, on se sentait plus sérieux en musique que ceux qui ne juraient que par Lou Barlow ou Stephen Malkmus, tous deux commençant à s’user au milieu des années 1990. Mais qui pourtant, sur la foi de ces deux premiers véritables albums, aurait pu prévoir la belle carrière promise à Bill Callahan ? Ses auditeurs s’en moquaient : ils y venaient pour l’entendre s’infliger des douleurs inédites, descendant un à un les échelons d’une morbidité sincère. Les choses prirent mieux forme avec Wild Love, et on se rendit compte que le Callahan possédait un vrai talent d’auteur. Bathysphere reste l’une de ces chansons les plus autobiographiques, et toujours interprétée en concert aujourd’hui. Elle a de façon évidente une signification singulière à ses yeux. Elle indique le moment ou il s’est émancipé, d’un artisanat visant à transgresser les codes à une verve capable de donner un véritable sens à sa musique, de sublimer ses qualités limitées de musicien, de marquer un point de départ pour les années à venir.

La bathysphère, c’est cet ancêtre du sous marin, une cellule non autonome destinée à s’aventurer dans les profondeurs, ne laissant la place que pour une seule personne, et commandée depuis la surface par un câble. « Quand j’avais sept ans », raconte Callahan dans la chanson, « je voulais vivre dans une bathysphère ». Le plus fort de cette chanson n’est pas la fascination pour cette isolation immergée, qui participe à une esthétique assez conventionnelle de la part de Smog – de ces évocations qui instillent une sensation de désolation romantique – mais la façon subtile qu’il a de faire allusion au rôle destructeur et constructif à la fois, de ses parents. « Quand j’avais sept ans/mon père m’a dit que je ne pouvais pas nager/et je n’ai jamais plus pensé à la mer ». Est racontée en trois vers toute l’histoire de nos concessions à autrui ; malgré notre défiance, nous savons que leur injonctions, toujours plus réalistes que nos envies, nous épargneront les travers de la solitude, et qu’elles auront globalement une influence positive sur notre vie.  

Wild Love, produit pour la première fois avec Jim o’Rourke, montrait l’habileté de l’auteur de chansons à placer ces messages lyriques dans des vignettes éclectiques sans qu’ils paraissent déplacés ; les arrangements, genre de noblesse issue des collages des débuts et encore en gestation, sont la clef du disque. La délicatesse frêle de The Candle est rendue par une guitare en picking et des cordes féériques. « Je rassemble ces esquilles pour faire un radeau un jour » chante Callahan. Juste après, sur Be Hit, l’instrumentation grossière reflète un texte fielleux : « Toutes les filles que j’ai jamais aimées voulaient être frappées/Et toutes ces filles m’ont quitté parce que je ne l’ai pas fait. »  It’s Rough est l’un des morceaux qui ont défini toute l’œuvre de Callahan, qui ont indiqué la voie à suivre, le capturant à son plus mélancolique. Trois guitares entrelacées, des cordes qui ronronnent et une boîte à rythmes emportent l’auditeur dans un voyage de cinq minutes, aussi enivrant qu’il est glauque, culminant avec l’assertion « It’s hard/baby to survive », mais aussi  « Mon meilleur ami/Prit une balle dans l’œil/Maintenant il a un œil de verre/il dit qu’il aimerait parfois/que ses deux yeux soient en verre. » Plus loin, Sleepy Joe est de cette espèce de rockabillies étranges que Callahan utilisera avec parcimonie dans ses albums suivants. Ici, il décrit un personnage en état d’hibernation.

jeudi 7 avril 2011

PJ Harvey - To Bring You My Love (1995)


Voir aussi la chronique de Let England Shake (2011)
Voir aussi la chronique de Black Hearted Love (2009)
  
Parution : 1995
Label : island Records
Genre : rock
A écouter : Teclo, To Bring You My Love, The Dancer, Meet ze Monsta

°°°
Qualités : rugueux, envoûtant, sensuel

Eté 1994. Après la dissolution de son groupe, avec lequel elle a enregistré les deux premiers albums sismiques qui ont cimenté sa réputation, PJ Harvey s’est remise à écrire. Inspirée par des références bibliques – Lazare – aussi bien que par les œuvres de Bret Easton EllisAmerican Psycho – et par les rêves troublés qu’elle fait dans les moments où elle se concède quelque répit, elle écrit dix nouvelles chansons.

Il serait facile d’étudier la carrière de Polly Harvey par le biais de la manière dont ses disques sont produits ; si les deux premiers étaient bruts et directs, sans aucune forme de traitement et sans overdubs, le son de To Bring You My Love sera couvé par Flood, qui a notamment travaille avec Nine Inch Nails ou Nick Cave, par John Parish évidemment, qui a toujours été associé aux disques de Polly, et par Mick Harvey, qui officie habituellement aux côté de Nick Cave au sein des Bad SeedsHarvey a beaucoup d’admiration pour les grandes stars de blues et du rock masculines, comme John Lee Hooker, Howlin’ Wolf, Hendrix ou Led Zeppelin, et c’est vers eux qu’elle se tourne pour ce qui concerne la base musicale de l’album. Le guitariste Joe Gore, les percussionnistes Jean-Marc Duty et Joe Dilworth apportent leur concours, ainsi qu’un quatuor de cordes sur trois titres. Polly joue tout au long du disque de l’orgue Hammond, même si elle n’apprendra véritablement le piano que plus de dix ans plus tard, pour White Chalk (2007). La magnitude est grande ; d’un ronronnement électrique à l’agressivité explosive des guitares. Deux titres acoustiques musicalement plus directs n’enlèvent pas l’idée que chaque titre a été travaillé dans sa texture, que chaque sonorité est méticuleusement étudiée pour reproduire une sensation, et simuler un vaudeville sinistre.

La production, beaucoup plus claire et propre que par le passé, permet aux différents éléments qui constituent les morceaux d’être lus comme un livre. C’est notamment le cas du chant de Polly, généralement mis en évidence (à l’exception de l’étouffé Working for the Man). C’est la teneur des textes, de ces histoires que Polly a écrites à la lumière d’une bougie, comme un vampire, qui sont cette fois clairement mises en évidence et font passer le message, et non plus les guitares dont le tranchant était auparavant appliqué contre nous dans une posture de défi. Sur le morceau-titre, la tension est déjà là, dans les premières secondes, dans la lenteur des notes ; mais les premiers mots de Polly subliment la musique, et la chanson opère soudain à un tout autre niveau. La chanteuse, dans son premier grand rôle théâtral, semble revenir de très loin. Sa voix caverneuse est ce qu’il y a de plus marquant sur cette impressionnante entrée en la matière. « I was born in the desert/I've been down for years/Jesus, come closer/I think my time is near.... I've lain with the devil/Cursed God above/Forsaken heaven/To bring you my love." (Je suis née dans le désert/J’ai été délaissée pendant des années/Jésus, viens plus près/Je pense que mon heure va venir… J’ai couché avec le Diable/maudit dieu par-dessus tout/Abandonné le paradis/pour t’apporter mon amour. »

L’intensité des mots de Harvey sous-tend une menace au départ difficile à cerner. Mais au fur et à mesure que le disque avance, la vérité se révèle dans sa belle et terrible vérité ; Polly est davantage le chasseur que la proie, plus complice que victime. To Bring You My Love est en cela bien différent de ses prédécesseurs ; l’insatisfaction du désir s’est transformée en une exploration insidieuse, où Polly dit ce que ça fait que d’être la femme qui attend, la femme qui se languit, et qui porte un enfant d’un père lâchement parti. Sa faiblesse supposée d’être abandonnée devient une force létale ; son amour exubérant appelle le sang de l’être aimé. Sa privation justifie une faim, son martyr (« How long must I suffer, dear God I've served my time," ) fait d’elle un quasi-sainte, un personnage magnétique, dont on ne peut détourner l’attention. "Bring me, lover/All your power.... In my dreaming/You'll be drowning.... You oughta hear my long snake moan." C’est de l’hypnotisme.  Et plus Harvey se mure, se cloisonne, s’enferme dans son amour comme dans une prison gothique ("I've prayed days, I've prayed nights, for the Lord to send me home some sign'), plus elle exalte de puissance. Avec une conviction qui est un tour de force, Harvey passe de la supplication à la menace en l’espace d’une chanson, et s’autorise même une extase sexuelle sur Meet ze Monsta. Teclo, et son refrain plein de luxure, "let me ride on his grace, for a while," est un sommet, mais toutes les chansons concourent comme des scènes à créer le climat d’une tragédie.

Avec le recul, Polly a reconsidéré sur sa posture à l’époque de To Bring You My Love. On lui dit qu’elle ne ressemblait pas à elle-même ; mais elle répond que c’était effectivement elle. « Tellement de maquillage que je ressemblais à un drag queen », reconnaît t-elle. « C’était la première fois que j’expérimentais avec un sens théâtral de la performance. Et comme tout, je tendais à le faire par les extrêmes. Et, aussi, les chansons de To Bring you My Love étaient souvent des histoires – moi jouant le rôle de différents personnages. Rampant dans le désert pendant quarante jours... C’était presque comme si ça devait être comme ça… C’est difficile de dire que c’était un personnage. Je ne le ressentais pas comme ça. Je voulais porter ça. C’était quelque chose dont j’aimais vraiment jouer. En fait c’était une extension de mon personnage. C’était Polly qui aimait faire ça. C’est moi. »

dimanche 27 septembre 2009

{archive} PAVEMENT - Wowee Zowee (1995)




OOOO
ludique, audacieux, attachant, culte
indie rock, rock alternatif


Pavement ? Années 90. Musique rock débraillée, morceaux au format libre et éclairs de génie mélodiques pour un groupe qui montrait une inspiration inépuisable dans le domaine. Avec leur son spontané et voix à contre-sens (Grave Architecture), le groupe a eu, à sa manière, une influence sur un grand nombre de leurs pairs ; Pavement, c'était une merveilleuse façon de démonter à nouveau les éléments de jeunesse et de fougue pour reformer à l'envi, au sein d'un environnement musical et culturel assez hostile à la nonchalance.

Après Crooked Rain, Crooked Rain (1994), Wowee Zowee montre un groupe au plus profond de leur volonté de rendre ce qui leur passe par la tête, comme un flot de musique et de conscience. On a un son ludique, amusant, et arrivés aux alentours du quatrième morceau, il est impossible de faire marche arrière. Les 18 morceaux s'emboitent avec une certaine folie, agencés ainsi par le chanteur-parolier Stephen Malkmus. La guitare y est l'instrument fétiche, comme sur Blackout, Grounded, Pueblo ou Flux = Rad, où elle remplace la voix dans des lignes plus extrêmes que par le passé. Le résultat est plus violent qu'auparavant ;  quelques courtes plages furibardes déboulent par intermittence ; Serpentine Pad, Brinx Job... Mais c'est sur les morceaux les plus lents que Pavement s'illustre ici en maître.  Half a Canyon et ses contrastes résume le disque, la ballade d'ouverture We Dance surprend, Motion Suggests Itself et ses claviers floydiens fait planer, Fight This Generation et son final sombre détonne. Cette diversité a le pouvoir de créer un grand disque, à mettre aux côtés de Evol ou de Doolittle par exemple ; rejeton d'une période sombre et musicalement très forte dans laquelle s'est développée la musique industrielle et les attitudes extrêmes sur scène. En marge il y avait Pavement.

Il semble que ce groupe soit né d'une plaisanterie, et c'est aussi pourquoi Wowee Zowee est leur meilleur disque ; trivial et provocant, sans focus, il parvient à déjouer la manne des intermédiaires pour arriver sans rien cacher aux gens qui vont s'en saisir. Par la suite, deux autres albums ont conduit Pavement à adopter un son et surtout un track-listing plus conventionnel (dès Stereo sur Brighten the Corners en 1997), et malgré encore quelques raisons d'en rire (Carrot Rope) le groupe n'était plus tout à fait le même. 

mercredi 9 septembre 2009

{archive} Scott Walker - Tilt (1995)


On plonge dans le fantasme très noir d’un extraordinaire chanteur ; Scott Walker. Il s’agit de l’interprète de traductions de Jacques Brel, et auteur d’une tétralogie mythique qui s’étala sur quatre années de 1967 à 1970. Artiste secret, redoutant les apparitions en public, il n’a eu aucun mal à construire autour de sa voix unique l’un des mystères les plus excitants du rock contemporain. David Bowie avoue s’en être inspiré. Il ne s’agit pas ici de l’admirateur de Sinatra, le Scott Walker de ces vingt dernières années étant plutôt profondément marqué par la musique industrielle, sans pourtant abandonner les instrumentations orchestrales épiques qui lui ont donné un style à la fois particulier et immédiatement daté. Daté, mais pourtant éminemment personnel, puisque après une lente évolution, l’artiste se met à muter profondément, et sa musique le suit, se renverse, offrant comme un retour retentissant sur elle-même, perdant toute chaleur et mettant de plus en plus en exergue cette voix profonde et gothique. Cette métamorphose spectaculaire exige que l’on écoute à nouveau des disques comme Scott 1 et que l’on comprenne, enfin, que, plutôt que de mièvreries recrachées des années 50, c’est à une passion d’artiste, à un son maîtrisé que l’on a affaire. Ce n’est pas le genre qui a rattrapé Scott Walker, mais l’artiste qui a définitivement fait muter en son sein les orchestrations d’une époque effectivement révolue.

Tilt n’est sans doute pas le meilleur moyen d’entrer en contact avec Scott Walker, tant c’est un travail qui annonce la désertion mélodique qui va se confirmer avec The Drift onze ans plus tard (2006). Il sera plutôt conseillé pour un début de s’intéresser à la tétralogie commençant avec Scott 1, sur lequel figurent des chansons extraordinaires comme Montague Terrace, When Joanna Loved Me ou Alway Coming Back to You. Ici, nous sommes en 1995, presque trente ans plus tard. Scott Walker, on l’imagine, a observé les mutations musicales, et sans doute grimacé de dégoût par la tournure que prenaient les années 80 - on l’imagine à sa place dans quelque pellicule de Fritz Lang des années trente, le genre de créature qui, si elle vivait éternellement, n’évoluerait que fidèle à son propre sentiment, à son sinistre caractère, et jamais en réponse aux transformations du monde. Exercice extrême et intense, bande-son de l’apocalypse, Tilt est avant tout le disque d’un artiste presque trop parfait pour être vrai, explorant d’une voix constante des changements d’humeur musicaux terrifiants et chaque fois plus imprévisibles, figures effrayantes à l’appui ( Paolo Pasolini mort, Adolf Eichmann ressuscité). Une tentative de se saboter, dans le but, sans doute, de rester en marge. Sa compréhension est cependant aujourd’hui rendue possible, car tant de choses jusqu’au boutistes (Aphex Twin, etc) on été menées qui ont rencontré le succès critique. On exclura le public à l’équation Scott Walker, car lui-même se refuse à son public.

Plus qu’un album, Tilt est une expérience. Creux et sacré comme une cathédrale, hanté par un Scott résolument gothique, cet album est sans doute l’un des points culminants des années 1990. Offrant à Scott un canevas inédit pour sa présence, il est comparable au Marble Index de Nico, album pareillement difficile à appréhender (et moins passionnant). L’absence de structures, la répétition des mêmes phrases comme les obsessions d’un homme qui se complait à témoigner de sa propre part d’anti-créativité, de nihilisme, le tout effectué sur une musique d’avant-garde. Il y a une vraie envolée lyrique (Manhattan) ; mais l’orgue a remplacé les cordes de ses premiers efforts. Un instrument isolé, encerclé de bruitages métalliques, de battements étouffés, de sons électroniques qui tirent les mélodies vers des chemins plus déconvenus à chaque fois. Bruissements de chaînes et percussions sont le seul meuble pour Bolivia ’95. Les paroles décousues n’aident pas. Ailleurs, il se contente de répéter : “Don't play that song for me, you won't play that song for me”… L’album se termine pourtant par trois morceaux plus attrayants, dont Tilt, magnifique. On ne retrouve jamais complètement le Scott d’antant mais ses yeux farouches brillent plus que jamais dfans l’arrière scène… Brian Eno a adoré.
  • Parution : 1995
  • Label : Fontana
  • Producteur : Scott Walker, Peter Walsh
  • A écouter : Tilt, Farmer in the City, Patriot (a single)
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