Parution : 1998
Label : Durtro
Genre : Alt-folk, auteur
A écouter : Twilight, Cripple and The Starfish, Atrocities
Qualités : original, soigné
Après avoir mesuré tout ce que ses influences – les drag queens et quelques réalisateurs de cinéma - pourraient lui apporter, Antony Hegarty va commencer à écrire, diriger et produire des scénettes musicales ; d’abord Sylvie and Meg, inspirée par le cinéma de John Waters, puis Cripple and The Starfish, qui raconte, sur arrière-plan de fin du monde et de futur lointain, la douleur des deux dernières créatures, mi-humaines mi-robots, dont le cœur fonctionne encore.
Cela donnera, sur le premier album d’Antony and the Johnsons, la chanson du même nom. Celle-ci, l’une des meilleures du groupe à ce jour, a fait couler beaucoup d’encre ; on ne s’est pas privé de donner son ressenti à l’écoute, d’en explorer les thèmes. « C’est vrai que j’ai toujours voulu l’amour plein de souffrance… Je suis très, très heureux alors viens, viens et fais-moi mal »… « C’est comme d’avoir ses doigts coupés et les voir repousser de nouveau, comme une étoile de mer (starfish). C’est en vouloir encore », lira t-on. C’est une ode aux sentiments qui se mélangent, trouvent leur apogée dans la confusion, et dont l’intensité atteint le masochisme – la douleur comme point de non-retour, dans un contexte où il n’y a plus de retour possible.
Le disque est très bon, et c’est heureux car c’est le premier véritable pas de Hegarty comme musicien. Il n’a plus l’aspect visuel pour le soutenir, mais parient sans peine à susciter les images dans la tête de l’auditeur, et même une esthétique toute entière, qu’il va peaufiner lentement ensuite – la pochette bleue, représentant un Hegarty androgyne et extra-terrestre, est déjà très originale et marquante. Cet album éponyme permet Hegarty d’adopter quelques conventions, et surprend par son classicisme ; ce sont des chansons qu’il porte académiquement de sa voix, accompagné par une première mouture de Johnsons – formation mal définie, en mouvement, dissimulée derrière son improbable figure de proue. Cette présentation plutôt sage a eu le mérite de faire découvrir Hegarty à un nouveau public – quoique son public tout entier se soit virtuellement créé à ce moment - amateur s de soul, de crooners ou de rock alternatif.
Ce n’est pas vraiment la forme, mais le fond – les textes – qui est iconoclaste. Le troisième titre s’appelle Hitler in my Heart, mais rien de néo-nazi là dedans. Il y a aussi Rapture , Atrocities. Toujours une manière de nouer les extrêmes et les opposés. Une chanson d’Hegarty semble l’art d’en faire un nœud. De velours bleu peut-être. Par la suite, même alors que la musique prendra des formes abstraites, on pourra avoir l’impression que la force brute et parfois naïve des textes se resserre autour d’elle.
Le premier effort d’Antony and the Johnsons est remarquable par sa cohérence et sa constance. On aurait pu croire que ses premiers efforts musicaux allaient relever de l’essai, mais en réalité il a déjà fait ses essais auparavant, sur scène, auprès de son public. Ce disque est le fruit d’un premier aboutissement, et garde une place toute particulière dans la discographie de l’artiste. Cette impression se confirme quand on sait que sept ans le séparent de son successeur. Un grand écart qui aurait tendance, de notre point de vue, à s’opérer au désavantage de ce premier jet. Ce serait une erreur.
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