Même la musique instrumentale peut paraître littéraire. Les compositions mouvantes de Dylan Carlson, auteur bien entouré de ce nouveau disque de Earth, et guitariste rare, en appellent autant aux images d’une civilisation celtique ancienne et aux démons nordiques qu’à certains de ses ouvrages de chevet – le Fairy-Faith in Celtic Countries, par exemple, ou les livres traitant du folklore gaélique.
La musique, enveloppante, totale, permet à Carlson non pas d’évoquer des histoires étriquées mais l’atmosphères de continents entiers, quand elle fait renaître des sons abyssaux ou entre en résonnance avec des dimensions encore endormies. C’est une chanson de Rolland musicale. Créée de façon spontanée, c’est une œuvre qui laisse autant de place à l’imagination qu’à l’intuition, deux matériaux plus forts que les mots.
Vous avez beaucoup changé l’instrumentation entre le dernier album et celui-ci. Etait-ce parce que des personnes ont quitté le groupe de leur propre chef, ou avez-vous invité d’autres personnes parce pour changer de son, ou une combinaison des deux ?
Il y a eu quelques concerts que nous avions prévu et que Steve [Moore, trombone, orgue] n’a pas pu faire, parce qu’il tourne beaucoup avec d’autres groupes, ainsi il a suggéré Lori [Goldston, violoncelle] pour le remplacer. J’ai toujours vraiment adoré le violoncelle et le jeu de l’archet, donc c’était bien d’avoir cette opportunité. Et Don [Greevy, basse], est dans un paquet d’autres groupes. Mais nous avons eu la chance d’avoir Karl [Blau, basse] pour jouer avec nous sur le disque. C’était donc une combinaison de personnes passant à autre chose, et à chaque fois que vous sollicitez de bons musiciens ils en connaissent d’autres – ils sont très demandés, il faut travailler selon leurs emplois du temps. Mais espérons que ce groupe reste ainsi pour un bout de temps.
Qu’aimez-vous dans l’interaction entre guitare et violoncelle ?
J’aime la façon dont cela met la mélodie et les riffs en valeur, et j’aime la technique de l’archet, qui donne à la musique la qualité d’une marée. Ou d’une respiration. Et le fait que ça peut donner des notes soutenues. Bees avait une réelle densité, et même si [ce nouvel album] reste lourd, il n’est pas aussi dense. Il est plus fluide, et simple. Pour quelque raison que ce soit, je suis toujours à la recherche de simplicité.
On a presque l’impression que l’instrument de Lori occupe la place qu’avait la distorsion à vos débuts. Comment avez-vous travaillé sur les arrangements ?
J’apprécie le fait que le jeu de Lori soit assez éloigné du répertoire classique, c’est une qualité qui n’est pas si fréquente parmi les violoncellistes. Elle envisage vraiment son instrument comme partie intégrante d’un groupe de rock ; elle utilise un ampli, des pédales d’effets, etc. Je n’ai pas vraiment au besoin de lui donner des instructions, je lui ait fait aveuglément confiancetant j’apprécie sa façon de travailler et sa technique.
Pensez-vous que la musique ur le dernier album était plus complexe au niveau de la structure ?
Définitivement. Certaines choses étaient plus ouvertes, mais c’était un disque plus construit, avec des motifs basiques pleins d’overdubs et de couches sonores, beaucoup d’harmonies, d’accords de guitare et de piano – il donnait l’impression d’être prêt à éclater, quand le nouveau est plus relâché, plus agréable, c’est plus le sentiment d’une musique jouée live, et pour moi l’enregistrement live est ce qu’il y a de mieux. Les chansons de Bees, quand on les jouait en live elles étaient souvent bien différentes des versions enregistrées, et se transformaient avant que l’album ne sorte. Tandis que cette fois, les versions live et studio sont plus proches d’une certaine façon, et le nouveau groupe permet aussi plus d’improvisation à la guitare. Avant je ressentais toujours que la guitare était comme prisonnière au centre du son du groupe, et les autres étaient suspendus à ce que faisait mon instrument, tandis que maintenant cela retourne au point où la section rythmique maintient le tout et Lori et moi pouvons partir en exploration.
Le premier morceau est appelé Old Black. Est-ce une référence à la guitare de Neil Young, et si c’est le cas, qu’est-ce que cela signifie ? De quelle façon es-tu influencé par Crazy Horse ?
Oui, c’est le plus vieux morceau de l’album ; nous l’avions pour la tournée européenne en 2009. Adrienne et moi l’avons composé un soir, nous étions en train d’improviser et elle a suggéré 'joue quelque chose dans le style de Neil Young' et c’est ce que j’ai trouvé, même si maintenant que je l’écoute, ça n ressemble pas tellement à Neil Young ! C’était aussi une tentative pour écrire une chanson très structurée. C’était la première fois que j’écrivais spécifiquement dans une tonalité mineure. C’est le chanson la plus structurée du disque, puis Father Midnight, Descent to the Zenith et Hell’s Winter étaient des riffs qu’Adrienne et moi avons développés pendant une tournée de deux semaines sur la côte Ouest avant d’entrer en studio. Puis la dernière chanson, la chanson titre, a été complètement improvisée en studio – nous l’avons juste jouée, il n’y a pas eu d’overdubs ni rien, elle est toujours telle que nous l’avons enregistrée alors.
Je suis curieux de savoir comment marche l’improvisation avec Earth ; quelle forme prend t-elle, et qu’est-ce que cela nécessite d’improviser à cette vitesse ?
Avec les morceaux les plus ouverts, nous jouons le riff puis je vais faire un signe au groupe et passer à un autre, et il va y avoir une partie de la chanson que va rester en friche et sur laquelle Lori ou moi pourront partir en exploration. C’est toujours intéressant parce que souvent avec la musique improvisée, les musiciens essaient de remplir l’espace, tandis qu’avec nous c’est limiter les schémas autant que possible. Plutôt qu’une profusion de notes et de changements d’accords, le peu de notes que l’on joue, on essaie de les faire se dresser d’autres manières, de leur donner une inflexion ou quelque chose comme ça.
Parce qu’il n’y a pas de changement d’instrumentation d’un morceau à l’autre, le nouvel album est davantage d’un seul tenant que les albums précédents. Etait-ce délibéré ?
Je pense qu’avec cet album Earth devient davantage l’expérience collective d’un groupe ; ce n’est plus tellement ma chose. J’ai toujours senti, avec les albums de Earth, que c’était comme si chaque chanson est une partie d’un chose plus grande. Pas du point de vue de la composition, mais j’ai toujours eu l’impression que c’était comme changer de station de radio, et capter différentes parties d’une même chose. Earth a besoin de redondances. Tempos lents, chansons longues. Il y a de la similarité en cela, mais évidemment il reste beaucoup de place pour rendre les choses intéressantes. Avant, avec les premiers albums, il y avait un concept, et la musique grandissait à partir du concept, tandis que maintenant la musique vient plus rapidement que le concept. Il nous faut y revenir pour en comprendre le concept, ou ce qui est suggéré.
Si tu ne devais garder qu’un seul titre du répertoire de Earth, lequel choisirais-tu ?
Ce serait le titre éponyme de notre nouvel album, Angels of Darkness, Demons of Light car il résume parfaitement ce que Earth et moi-même sommes aujourd’hui. Il a été créé de façon spontanée, comme par magie : c’était parfait. C’est pour moi une étape importante autant dans ma vie musicale que personnelle.
Tous les autres membres du groupe sont des femmes. Comment cela change t-il l’énergie sur scène, et la façon dont le groupe interagit ?
Je ne crois pas qu’il y ait de grande différence entre les hommes et les femmes, mais je pense que de nombreuses façons, les femmes sont plus matures que beaucoup de musiciens hommes que je connais. C’est plus facile de travailler avec elles, il y a moins d’égo et de bizarreries de ce genre qui entrent en jeu, c’est un peu moins une question de compétition et davantage une expérience collective. J’aime ça aussi, car je pense que le rock a été le terrain des hommes pendant bien trop longtemps, et j’ai toujours connu et apprécié beaucoup de femmes musiciennes. Depuis qu’Adrienne puis que deux autres femmes ont maintenant rejoint le groupe, il semblerait qu’il y ait davantage de femmes pendant les concerts qu’il y en avait auparavant.
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