Voir aussi chronique de Lullabies to Paralyze
Parution | 2010 |
Label | Rekords rekords |
Genre | Folk-rock |
A écouter | Endless Eyes, Return to You, Make God Jealous |
°° | |
Qualités | poignant |
A l’issue de Endless Eyes, première fulgurance de Spark (2010), on se dit que ça pourrait être la musique que Josh Homme a toujours rêvé de faire pour lui-même sans l’oser. Le disque d’Alain Johannes, un ami de longue date du chanteur des Queens of The Stone Age, promet un folk-rock exotique – car joué sur une guitare dite « boîtes-à-cigares », le genre d’instruments dont raffolent Josh et les musiciens barés de son Rancho de la Luna - et des paroles hautes, claires intelligibles, mais écorchées au point de susciter, finalement, le mystère. Les harmonies sont impressionnantes, et le tempo entraînant. Cette chanson, qui, on l’apprendra plus tard, est adressée à l’amie défunte de Johannes, une grande dame, compositrice, chanteuse, musicienne hors pair, Natasha Shneider, est qualifiée par un internaute d’« intemporelle ». La conviction de Johannes, lorsqu’il chante, ne fait aucun doute ; refus de voir partir celle l’a accompagné pendant vingt-cinq ans avant de succomber au cancer, celle avec qui il a enregistré cinq disques au sein du groupe Eleven pendant les années 90 et au début des années 2000. Le morceau est aussi habité d’une humeur relativement sereine, un petit air de célébration et d’optimisme, de la fameuse « lumière au bout du tunnel » qui prend son sens jusque dans le titre du disque.
Alain Johannes est, en 2009, le quatrième homme au sein de Them Crooked Vultures. Son jeu et ses influences de flamenco relèvent en épices la formule finalement assez éprouvée des trois autres, mastodontes du rock qui s’offrent une virée ; Josh Homme, Dave Grhol et John Paul Jones de Led Zeppelin. Johannes n’est certes pas impressionné de donner un coup de main à trois de ses amis, lui qui, à travers sa carrière musicale, a croisé la route d’une quantité invraisemblable de musiciens respectés. Son parcours dans l’ombre de son ancien groupe sous-estimé ressemble à celui d’un guitariste de session aillant à peine le don d’attirer à lui la crème des rockers, ceux qui parviennent encore à produire du rêve quarante ans après Elvis.
« Tout a commencé lorsque j’ai aménagé à Los Angeles. J’ai rencontré Jack Irons au lycée et on a tout de suite commencé à jouer ensemble avec Hillel Slovak et Todd Strassman », confie t-il dans une interview réalisée par Lorène Lenoir pour New Noise Magazine (n°1). Ces noms ne vous disent rien ? Jack Irons va demeurer derrière les fûts au moment d’Eleven, et le manque de résonance de son nom est bien le signe des cruels abimes dans lequel le groupe a été placé depuis tout ce temps. « On a fait la connaissance de Flea qui, à l’époque, jouait de la trompette, et qui m’a demandé de l’initier à la basse ». Johannes est donc le professeur du bassiste des Red Hot Chili Peppers. Son groupe à lui s’appelle d’abord Anthym, puis What it This, avec lequel il gagne la faveur du public lors d’un concert où le groupe partage l’affiche avec les Red Hot. Après l’arrivée de Natasha Schneider dans sa vie, commencent les tribulations d’un groupe qui progresse au gré de ses envies. C’est, pour Johannes, les raisons de leur insuccès. « Nous n’avions pas vraiment la bonne mentalité pour cela. On faisait de la musique quand on en ressentait l’envie, pas parce qu’il fallait absolument sortir un nouvel album. » « A L.A., le truc, c’est qu’il y a beaucoup de beaux parleurs, qui vous font de belles promesses sur la liberté artistique, mais au bout du compte, c’est toujours pareil ; les labels sont là pour faire du fric ». Un coup de gueule farouche qui n’empêche pas Johannes d’apparaître comme particulièrement sociable. Lui-même pourrait bien être d’une espèce rare : un homme de confiance.
Johannes est le professeur du bassiste
des Red Hot Chili Peppers.
Johannes est le professeur du bassiste
des Red Hot Chili Peppers.
Mais tout le groupe semble capable d’attirer la sympathie et de produire des rencontres. Lorsque Jack Irons fait une dépression à la suite du décès de Hillel Slovak, c’est Joe Strummer, le chanteur des Clash, qui le convainc de reprendre la route en allant le chercher à l’hôpital. Plus tard, si Eddie Vedder finit par chanter avec Pearl Jam – groupe au millions d’albums vendus dont il sera le leader – c’est grâce à Irons. Eleven se met sur ces entrefaites à assurer la première partie de Nirvana en alternance avec Pearl Jam, avant de rejoindre Soundgarden en tournée pendant deux ans. Malgré un second disque éponyme impeccable, plein de mélodies superbes et abrasives, et les voix si caractéristiques de Johannes et de sa compagne Schneider qui s’élèvent tour à tour, Eleven reste un groupe confidentiel. Avant de rencontrer les Queens of the Stone Age, Johannes s’occupe encore entre autres d’Euphoria Morning (1999), le disque solo de Chris Cornell (Soundgarden), que le producteur Daniel Lanois (Dylan, U2, les Neville Brothers, Neil Young) a laissé en plan.
Sa convergence vers le groupe de Josh Homme lui permet de qu’à mettre les pieds au très convoité Rancho de la Luna (le Noël estival des Arctic Monkeys en 2009 lorsqu’ils ont enregistré Humbug). Invité pour les volumes 7 et 8 des Desert Sessions, ces improvisations inspirées qui servent de base aux disques de Queens of the Stone Age et de joutes entre éminents rockers, Johannes en garde comme les petits anglais un souvenir puissant. « C’était incroyable, car le Rancho de la Luna est un endroit magique et j’ai rarement été autant inspiré qu’à ce moment là. » Le résultat : la chanson Hanging Tree qui figurera sur Songs For The Deaf (2002), l’un des disques emblématiques du rock des années 2000. C’est aussi Johannes qui remplace, à la demande de Josh Homme, le bassiste fou des QOTSA, Nick Oliveri. Sous sa main, le son du groupe prend une autre direction, plus macabre et sabbatique, qui traite les morts comme de mystérieux disparus. Lullabies to Paralyze est un disque psychédélique. Entre temps, il a porté secours au toujours envoûtant Mark Lanegan pour son disque Bubblegum (2004).
Johannes enchaîne donc les morceaux de bravoure jusqu’à la disparition de sa compagne, en 2008. Natasha Schneider incarnait avec lui cette entité aux résonances presque rituelles, ce groupe détonnant dans le paysage dans années 1990 et malgré un son très classic grunge en apparence. Il suffit d’écouter Towers, sur le disque éponyme du groupe, pour se convaincre qu’en plus d’avoir un sens invraisemblable de la mélodie, Schneider était dotée d’une voix puissante et inimitable que PJ Harvey, une autre amie du couple, a dû parfois lui envier. Celle-ci participe à un grand concert de soutien lorsque Johannes se retrouve en difficulté financière à la disparition de Schneider.
On se dit que, si c’avait été l’inverse, lui disparu, elle aurait enregistré son Spark à elle, grandiose, peut-être encore meilleur. Si Spark est aussi bon, c’est que Schneider n’a jamais vraiment quitté le studio. « J’ai tout enregistré en quatre jours », souligne Johannes. « Je sais que ça put sembler fou, mais tout du long, j’ai senti en moi une inspiration totalement étrangère et pourtant familière. Je reste convaincu que Natasha m’a prêté main-forte, que son esprit planait sur moi, comme pour me dire que j’avais fait ce qu’il fallait avec ces chansons. » Il y a encore l’équivalent de deux entités créatrices dans Spark. Return To You laisse l’assistance bouche bée ; Make God Jealous va encore plus loin en donnant au deuil une noirceur sensuelle. La signature sur le label de Josh Homme, réactivé pour l’occasion, montre bien l’amitié et le respect que se vouent ces deux grands. « Le disque d’Alain incarne parfaitement ce pourquoi le label existe – la guerre contre la médiocrité assumée et une tentative non censurée de faire un grand bond sur la falaise musicale. Spark est une réflexion incroyable sur la remise en cause que l’on a lorsque un proche s’en va […] », dira Homme.
A écouter :
- Reach Out (sur l’album éponyme)
- Spark (Rekords rekords, 2010)
- Lullabies to Paralyze (2005)
La guitare donne une impression de folk/country mais elle se mélange à une voix de rocker. Très intéressant ! J'aime beaucoup le style qui en découle. Et les petits arrangements sont délicieux.
RépondreSupprimer:-O une incursion de guitare classique !? Oh my god !
Merci pour cette découverte Bertrand !