“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

jeudi 2 décembre 2010

Titus Andronicus (3)


Born to Run

A bien des égards, Titus Andronicus est pour le New Jersey, sa terre d’appartenance, ce que les Pogues étaient pour l’Irlande ; une raison de boire jusqu’à l’oubli peut-être, mais des personnages attachants capables de raconter des histoires aussi. Si on ouvre la pochette de Rum, Sodomy and the Lash (1985), le plus célèbre disque des Pogues produit par Elvis Costello : un bateau. Sur la jaquette, une réinterprétation du Radeau de la Méduse, un tableau de 1819 qui, étudié vingt minutes, aide à cerner l’esprit de Titus Andronicus eux-mêmes. Bien qu’on pourrait imaginer qu’ils embrassent en musique l’entière œuvre de Gericault (nom des tableaux).
Patrick Stickles entretient avec le New Jersey une relation complexe qui est devenue sur The Monitor une thématique centrale. Il reconnait que vivre là bas lui a donné l’envie de s’en sortir, car c’est un état rural où l’on souffre d’être marginalisé. « Le New Jersey, quand on y vit, donne cette impression d’être un outsider. L’identité  du New Jersey est pour beaucoup basée sur le mépris dont cet état fait l’objet depuis l’intérieur et l’extérieur. Quand vous dites aux gens que vous êtes du New Jersey, c’est comme une blague grossière pour le plus gros des Etats-Unis. Ils pensent que nous sentons mauvais et que nous sommes tous stupides. Une grande part de ce qui est fait du point de vue artistique au New Jersey parle de s’en échapper. Bruce Springsteen en particulier. Il y a eu même un moment, au New Jersey, ou ils faisaient campagne pour faire de Born to Run la chanson officielle… ce qui est assez ridicule puisque cette chanson décrit le New Jersey comme un endroit sans espoir. »
« New Jersey , New England – vous allez en retirer ce que vous y avez amené. Ou que vous alliez, c’est là bas que vous êtes. […] Vous pouvez courir toute votre vie, et vous n’allez jamais vous séparer de vous-même. » Stikles est ainsi contraint de faire avec cet héritage collant, et il y trouve bien quelques avantages. « C’est pour toujours un endroit particulier pour moi. Les gens qui viennent de là ont quelque chose à prouver, vous comprenez ? »
L’histoire du groupe joue surement un rôle dans cet attachement. Titus Andronicus a cette cohésion qui montre qu’il n’y a pas beaucoup de liens plus forts que ceux qui unissent les membres d’un groupe soudé comme ils peuvent l’être. Un sentiment évident lorsqu’on mesure à quel point l’atmosphère de chacun des morceaux est faite d’éléments fusionnels. Et avec quelle confiance Stikles se livre à sa prestation hors-normes. Avec la démesure de subjectivité et d’apitoiement personnels étant la sienne, on aurait pu lui conseiller de changer de registre après un morceau ou deux – et c’en aurait été la fin de l’extraordinaire focalisation du disque, discipliné dans sa grandeur jusqu’au bout.
Le véritable défi ne vient peut-être qu’au terme du disque, en chapitre final après une série de morceaux à la justesse incroyable en dépit des excès - avec The Battle of Hampton Roads. Quatorze minutes à bout de souffle qui tirent toutes les conclusions nécessaires à tirer. Un épisode qui raconte un processus contraire à ce que prônait Springsteen. En effet, alors que lui est obsédé par l’idée d’une libération qui viendrait en prenant la route, Stikles dépeint la fin de ses vaines aventures, l’égarement et l’hébétude qui sont la rançon pour pouvoir reconstruire sa vie, à l’endroit même où elle a commencé. « I going back to New Jersey/I do believe that i had enough for me », statue finalement Stikles. Les volutes de guitare se retirent lentement du champ de bataille pour rejoindre les caves du pub de quartier. Contraint de se retrouver dans de tels lieux, de peur de tout démolir s’il rentre à la maison. « I’ll be sick for the rest of my days »
Passionné d’histoires, le chanteur a trouvé un moyen de boucler la boucle narrative de son disque, et de laisser en suspens plus de questions que de réponses.

Camus et Conrad

Quelques romans ont inspiré Stikles pour The Airing of Grievances puis The Monitor. Les jalons sont posé sur l’intriguant site internet du groupe, où un journal de bord de la tournée américaine a été posté. « Ils étaient un mythe. Quand nous avons entendu que nous allions jouer dans la même salle qu’eux, nous étions rien d’autre qu’effrayés – tandis qu’on approchait, j’ai ressenti ce que Marlowe avait dû ressentir sur le Roi de Belge, avançant lentement à travers le Congo pour rencontrer le sombre colonel Kurtz. » Piqué au roman Heart of Darkness (1899), de Joseph Conrad, qui donna le film inoubliable de Coppola, Apocalypse Now (1979), cette phrase est un bon moyen de décrire la rencontre de Stikles, dans sa dualité de chanteur/soldat, avec ceux qui l’ont inspiré. Comme si eux-mêmes tenaient, davantage que de musiciens, d’anciens héros de guerre devenus complètement fous par dépit ou simple pratique extensive de leur art.
L’étranger (1942), de Camus, est le livre préféré de Stikles. Lors d’une interview donnée au moment de la sortie de The Airing of Grievances, il expliquera l’impact de ce roman sa propre écriture. « Mersault n’est pas forcément un mauvais homme mais le monde l’a dépossédé de toute habileté à ressentir quoi que ce soit, et il finit par faire de mauvaises choses ». « L’idée d’être quelqu’un de normal mais d’avoir votre environnement qui vous transforme en merdeux est un thème central sur notre disque ». A l’issue de The Monitor, si on ne parvient pas à excuser à Stikles son ignominie, il reste à lire ou à relire ces deux classiques. « On trouve plein d’idées dans les livres… » se défend t-il.
L’indulgence égoïste, il n’y peut rien ; c’était sa manière à lui de faire sens avec le monde et ses modèles dignes du Colonel Kurtz, une sorte de nécessité. « Quand vous faites de vous-même le centre de votre univers, c’est le moment, j’ai l’impression, ou vous êtes capable de vivre une existence sensée. » « L’univers qui existe en dehors de l’individu semble assez insensé et absurde et sans objectif, donc c’est notre responsabilité, en tant qu’individus de décider de suivre nos émotions… d’essayer de trouver une voie qui fasse que nos existences aient un sens ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...