Parution : octobre 2011
Label : Wire Sound
Genre : Post-punk, Rock alternatif
A écouter : Do The Meaning, Hello Mister Curtis, Happening in English
°
Qualités : sombre, fun, ludique
Ecouter No Thyself est une expérience étrange mais plutôt agréable. Etrange parce qu’on peut avoir l’impression que ce disque soit exhumé d’une autre époque. Magazine, fondé en 1977 après que Howard Devoto ait quitté les Buzzcocks, nous fait retrouver une époque curieuse, que l’on croyait achevée en 1980 avec le troisième album de Magazine, The Correct Use of Soap. Une ère où le papier peint punk décrépit se tentait d’une philosophie existentialiste. Certains des meilleurs groupes, parmi lesquels The Fall et Magazine, se plaçaient, usant d’une imagination sous-estimée, dans des boudoirs imaginaires un peu salaces. Conservant l’énergie nerveuse du punk, Magazine la fit dévier de son axe. Les idoles de la formation d’alors étaient David Bowie, Iggy Pop ou Roxy Music. Mais au lieu de tenter d’imiter Hang on to Yourself ou Seach and Destroy, ils s’inspirèrent des albums plus aventureux Low (1976), The Idiot (1976) ou For Your Pleasure (1973). Ils embarquèrent les fameux synthétiseurs ARP Odyssey et des prétentions théâtrales qui faisaient de leur concerts une coquetterie singulière. Au sein de cette perversion de fond et de forme, dans l’expression la plus directe et la plus crue, Howard Devoto lâchait des mots d’esprit, entre commentaire social et fragments de poésie décalée et psychanalyse tranchante. Magazine était donc un groupe à l’esthétique assez pointue, une mutation aussi avisée qu’azimutée comme seule le carrefour du début des années 80 fut capable d’en produire. En 2011, cela faisait exactement trente ans que le groupe n’avait rien enregistré en studio, et c’est une véritable surprise de constater qu’ils n’ont pas perdu de leur mordant. La musique du quintet reformé, comme les textes, sont excellents.
Manchester, ville d’origine du groupe, a eu une partition distincte à jouer à l’époque ; si le nom de Joy Division, pour ne citer qu’eux, ne vous dit encore rien, il faut vous procurer les deux albums de ce groupe particulièrement important, Unknown Pleasures (1979) et Closer (1980), de toute urgence, et leurs singles ensuite. Avec le même alliage de stupeur et de saillance qui fit de Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, une icône, ces albums sont une pierre angulaire. Il est justement question de Curtis, en termes aussi révérencieux qui caustiques, sur Hello Mister Curtis (With Apologies). Devoto y joue de cette dynamique particulière qui constitue à railler un objet d’influence et à le promouvoir simultanément. « Tu es tellement plus brave que moi/Tu devrais le refaire » moque t-il, se lamentant de façon subliminale à l’idée que Curtis ne puisse pas ‘le refaire’. C’est la vieille guerre Joy Division – Buzzcocks qui ressurgit avec empathie.
No Thyself est dévoué à l’exercice de l’’encore’, recherche une fraîcheur, et semble s’écrire comme la dernière partie d’un concert déjanté. « One last time/with too much meaning », chante Devoto. C’est pour lui un exercice de style difficile ; recomposer, sans sombrer dans la redite, autour des thèmes sinistres et avec l’humour distancé qui a fait sa réputation. « L’histoire ne se répète jamais vraiment/Mais elle rime bien souvent » chante t-il sur Holy Dotage. Et force est de constater, même s’il est entouré d’un groupe légèrement recomposé, que chacun met tout en œuvre pour s’inscrire scrupuleusement dans la continuité de ce qui s’est passé 30 ans auparavant. Les textures sont presque les mêmes, les musiciens émulent, à la fois propres et bizarrement sur la brèche, prennent parfois de nouvelles directions timides - comme sur Physics, où un orgue Hammond accompagne un Devoto plutôt grave : « Religion, it was not meant for everyone. » Une phrase comme celle-ci donne par ailleurs l’impression que Magazine s’inscrit à la fin d’un cycle, à la fin de l’ère religieuse par exemple, suspendu à un artifice malicieux. En se plaçant après tout les reste, il empêchent quiconque de les inscrire dans une histoire révolue et de les prendre pour une simple reformation.
« Parmi les thèmes, les gens doivent s’attendre à du sacrilège, de la pornographie », annonçait Devoto dans Mojo quelques mois avant la sortie de l’album. Other Thematic Material est de ce genre, mais le reste du contenu est plus comme une mise en abime moins confrontationnelle. A bientôt 60 ans, entre flegme et impératif, le chanteur adresse sa propre mortalité. La plupart des chansons contiennent des lignes aussi caustiques que limpides sur le sujet. The Worst of Progress…, Holy Dotage, Of Course Howard (1979) ou Final Analysis Waltz sont auto-dépréciatives et moqueuses, éveillant dans leur évocation du déclin physique, leur dualité sentimentale, une vraie force. L’amusement que met Devoto à travailler son cliché rencontre sur Hello Mister Curtis une chute hâtive, inspirée d’une ligne de The Who : “I hope I die before I get really old”.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire