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samedi 17 juillet 2010

Flying Lotus - Cosmogramma


Cosmogramma est l’un de ces disques cartographiques. Flying Lotus, allias Steven Elison, a construit une série de pièces exploratoires dont les bribes éparpillées se retrouvent ici et là, au gré d’une véritable progression depuis l’intérieur d’un jeu d’arcade vers des hauteurs d’une noblesse insoupçonnée – dans le jazz moderne et haut-delà. Rejeton nourri et anobli par le label Warp, basé à Londres « FlyLo » a déjà fait parler de lui en début d’année alors que sortait A Suffi and a Killer, un disque qu’il avait coproduit. C’était un mélange insensé mais ambiteux, peu de vraies chansons finalement mais une attention particulière pour le grain, avec un vaste champ de musiques urbaines mélangées et secouées à bord, un véritable disque de pirate. Cosmogramma entretient une relation lointaine avec le disque de Gonjasuffi, ne serait-ce qu’en termes d’ambition. Le label Warp est un habitué des disques déroutants, voire abstraits (au contraire de l’abstraction en peinture, qui peut être impressionnante, en musique ça l’est rarement) mais le travail de Flying Lotus, rejeton du jazz ( il a des liens familiaux avec les disparus Alice et John Coltrane) et du hip-hop, est étonnament séduisant dès que l’on s’y plonge la première fois.

Il s’agit d’une véritable suite, faite pour être écoutée d’un seul tenant ; et en même temps de l’affirmation d’un talent déjà remarqué avec son précédent Los Angeles (2008). Cosmogramma est le disque que Elison rêvait de faire depuis longtemps ; mais que sa maîtrise technique ne lui avait pas permis de réaliser jusque là. Il est aujourd’hui un producteur talentueux. Il a une vision précise, des influences étranges – inclure des sons de jeux vidéos est l’une de ses marques de fabrique les plus intéressantes – mais il a aussi envie d’un résultat attrayant, qui le fasse vibrer. Cosmogramma dépasse largement le stade de l’exercice de style, bien que FlyLo réusse à marier hip-hop, sons binaires et palette de jazz, nappes orchestrales et beats de laptop. Ce n’est pas surprenant que Thom Yorke ait accepté de poser sa voix sur …And the World Laughs with You, l’un des titres du disque qui demandera le plus d’écoutes avec d’être appréhendé.

Il y a le sentiment d’une construction ardue, car les éléments ne se mettent pas en place de façon conventionelle – un mot bien indifférent au disque et à l’œuvre du producteur et disc-jockey californien. Le première série de trois titres est un terrain encore instable, évoque un amalgame de pixels de quelque jeu vintage rendu sous forme sonore. Ca ne manque pas de charme, mais il n’y a, à ce niveau là, aucune finesse. Au moins jusqu'à Nose Art, où la réplique sexy « Cause i cannot sleep… » se mêle à quelques dix sonorités anthitétiques et improbables. Une série de boucles qui signifie, pour de bon, le coup d’envoi de la réinvention. Flying Lotus recycle, comme tout un chacun dans le champ musical ; mais à ce stade, il semble avoir une prédilection pour les sons qui ne sont pas habituellement associés au terme de « musique ». Autre chose : hormis ces quelques paroles qui semblent issues d’un livre de James Ellroy, l’intervention brumeuse de Yorke – dont la voix est fondue dans la musique comme un autre élément sonore – l’apparition d’un copain, Thundercat et d’une copine, Laura Darlington, le disque est instrumental. Sa dynamique particulière – beaucoup de titres courts, davantage « d’interludes » que de morceaux construits, le rend frustrant, mais c’est une force, contre toute attente.

Le première fois que j’ai entendu Cosmogramma, j’ai été soufflé par ces sonorités splendides qui font leur apparition dans le second mouvement de l’album – à la manière d’un disque de John Coltrane, FlyLo semble avoir fait en sorte de d’opérer des changements d’humeur, et au final il a réalisé un disque progressif. La deuxième partie est plus rêveuse. Sur Intro/A Cosmic Drama réapparaît la harpe de Rebekah Raff, à laquelle on ne croyait pas trop sur le morceau d’ouverture. Comment l’instrument le plus lyrique qui soit pouvait t-il cohabiter avec des sons Nintendo ? C’est pourtant presque le principe ; une dose mesurée d’iconoclasme, et de très grands musiciens dont les instruments sont soumis à loi qui envahit le disque ; rien ne se détache, mais c’est le tout, le mélange, l’impression d’ensemble qui prime. La présence d’éléments de free-jazz ne fait ainsi pas du tout de Cosmogramma un disque free-jazz. C’est une œuvre de musique dans le sens que FlyLo veut bien lui donner (et il a avoué que le mixage avait été particulièrement pénible) ; et ce n’est pas la présence de quelques touches organiques qui l’empêchera d’être délicieusement inclassable. La démarche d’écoute est ainsi bien éloignée de celle qui consiste à détacher d’une chanson une ligne vocale, ou un riff, etc. Ici, même le tenoir de Ravi Coltrane ne fait qu’enrichir un canevas erratique – au bon sens du terme. Car il n’y a pas de complaisance sur Cosmogramma – c’est le résultat d’une vision qui semble ne jamais faiblir, avec le retour des fééries pour un Auntie’s Harp qui répond après l’intervalle à Cosmic Drama.

C’est comme si en recherchant de nouvelles manières de se divertir – et de coller à cette vision de l’esprit que fut pour lui le terme « cosmogramma » - Flying Lotus avait touché quelque force de divertissement universel, invisible mais bien réelle à voir l’engouement au sujet de son disque.

La pochette, pleines de calligraphies et de dessins ésotériques par Leigh J. McCloskey, est superbe.

  • Parution : mai 2010
  • Label : Warp
  • Genre : Electro, Hip-Hop, Expérimental
  • Producteur : Flying Lotus
  • A écouter : Zodiac Shit, Mmmhmm, …And the World Laughs With You.

  • Note : 7.25/10
  • Qualités : original, self-made, ludique

 

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