Un bon album-concept part déjà avec un sérieux avantage – sans même questionner la qualité de la musique. The Monitor (référence à la bataille navale d’Hampton Roads, à laquelle prit par un navire appelé The Monitor) est une relecture de la guerre de Secéssion revécue par un jeune groupe du New Jersey, Titus Andronicus. On suit tout au long du disque la progression captivante des états d’âme du chanteur Patrick Stickles, à moins qu’il ne s’agisse de son alter égo pour l’occasion, difficile à dire… Et de son exploration des limites du genre humain. Avec une ironie mordante (« After 10 000 years, it’s still us against them »), il part à la guerre et finit par revenir « covered in mud and excrements » mais vivant dans son pays natal : « No i never wanted to change the world, but i’m lookling for a new New Jersey ». Ses penchants pour l’alcool autant que ses inévitables origines irlandaises finiront par triompher (« so give me a Guiness[…] I need a whiskey, i need a whiskey… »), pour le faire échapper à ses souvenirs. Un aventure qui contient plus de bas que de hauts, à l’exception notoire du final sur To Old Friends and New, un duo qui chante la réconciliation par l’amour : “But if you know that nobody is ever going to suffer for you like I did/Well it's alright the way that you live” The Monitor, c’est énormément de pression, de frustrations et de rancune que Stickles laisse échapper avec une conviction rare ; on croirait réellement qu’il se débarrasse de ses démons et il nous ramène bien loin en arrière.
Titus Andronicus est le nom de la première tragédie de Wiliam Shakespeare, qui raconte un engrenage de violences vengeresses entre un général romain et Tamora, la reine des Goths… Ici, le sentiment qu’il puisse s’agir d’un projet prétentieux est exclu rapidement ; Titus Andronicus y déploie une énergie tellement libératrice qu’elle permet aux morceaux les plus épiques de garder la simplicité d’esprit du punk des origines. La reconstitution – lectures de discours de Lincoln (« I’m the most miserable man living »), daguerréotype en jaquette, est un must, mais le niveau d’exécution n’est pas en reste. Cavalcades, hymnes choraux, passages à vide rendus haut la main, références musicales qui font écho à la teneur de l’histoire. C’est un maelstrom dont parviennent à s’échapper quelques courtoisies à Springsteen, à Dylan, deux héros qui ont donné aux Etats Unis une identité sans chercher à en incarner toutes les facettes, mais en restant eux-mêmes et même pour évoquer d’autres histoires que les leurs.
Il y a sur The Monitor l’utilisation d’une métaphore historique pour soutenir un sensation simple de pauvreté physique et mentale, la volonté d’échapper à tout prix aux violences qui s’écoulent inévitablement d’intérêts hors d’atteinte – un climat parfaitement pointé dans le premier titre, A More Perfect Union… Titus Andronicus apparaît comme une entité investie des intérêt les plus humains, fragile et prête à basculer derrière des formes de revendication pleine de grandeur et de décadence, et son disque est une hémorragie de chants vibrants, le jeu de vauriens Irlandais qui se cherchent constamment un chez-soi – le problème de base de l’identité américaine. « I want to realize too late I never should have left New Jersey” The Monitor repose aussi largement sur le point de vue subjectif de Stikles, un “loser” après qui personne ne peut remporter de victoire – il positionne tous les acteurs de la guerre dans une sitruation bien trop embarrassante. La manière dont fonctionne la « rhétorique » de stikles laisse penser que c’est l’absence de carcan rationnel, à tous point de vue, qui fait trouver à The Monitor son équilibre et le rend si crédible.
Si les moments de défouloir sont nombreux, l’humeur de Stikles évolue au cours du disque, lorsque, de retour à la maison, il est confronté à la « vie normale ». Theme from Cheers et To Old Friends and New font ainsi assister au désir de rédemption du soldat dont l’instinct de survie est fortement perturbé. La marge de progression du personnage est permise, sur The Monitor, par la longueur des titres, et malgré la quantité de sensations qui se bousculent comme des parasites dans l’esprit de Stikles toujours en guerre, son sentiment d’injustice qui prédomine sur tout le reste, il se laisse peu à peu aller à plus d’honnêteté et de bienveillance – cherchant à réparer ses relations de couple dans To Old Friends and New. The Monitor est une épopée émotionelle.
Alors que la plupart des disques se contentent d’un ou deux points culminants , le plus souvent à mi-parcours, The Monitor est constitué d’un ensemble de pièces qui fonctionnent ensemble, même si elles paraissent parfois se rejeter entre elles. Les tempos rapides, binaires, dominent, même si Theme From Cheers a des éléments de country par exemple, pour susciter l’idée du « retour au pays ». De la cornemuse apparaît à la fin, clin d’œil aux origines européennes de l’amérique. Il y ça et là des respirations bienvenues - The Monitor est long et dense et doit être écouté d’un bout à l’autre ; au final, il n’y a cependant pas beaucoup de place pour le flottement ; c’est la plaie qui vide un trop-plein presque vrai. Chaque changement dans la musique sert le disque et participe à des arcs narratifs. La reprise du refrain « The ennemy is everywhere… » à la fin du disque est symptomatique ; placé juste après la réconciliation de To Old Friends…, la rengaine semble soudain bien plus entraînante, et la phrase fétiche de Stikles est répétée avec une vraie joie qui remplace l’hystérie du début.
Alors que le disque aurait pu s’achever avec le retour sur …And Ever, son piano ragtime et son solo de saxophone dépravé, on débouche finalement sur un titre épique, The Battle of Hampton Roads – dont le titre m’évoque bizarrement The Battle of Eping Forest de Genesis, et ce n’est pas peu dire… The Battle… est fait d’un nombre incalculable de parties différentes, et le titre évoque bien sûr la plus importante bataille navale de la guerre de Sécession. C’est plus de quatorze minutes d’exploration frustre et libératrice… Est-ce qu’on sera finalement libérés ? « but my enemies feel on the name under my wrist as i go to sleep and i know what little ive known of peace until ive done to you what you've done to me.”
- Parution : 2010
- Label : XL Recordings
- Genre : Punk, grunge, rock alternatif
- A écouter : A More Perfect Union, Theme From Cheers, The Battle of Hampton Roads
- Note : 7.75/10
- Qualités : audacieux, intense, grunge
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