Difficile de descendre de l’arbre qu’était Let’s Stay Friends, et sa pochette quasi-iconique quoiqu’un brin naïve. La réputation de Les Savy Fav en live n’était, n’est plus à faire – c’est lui (le gros barbu en pyjama rose) contre vous, mais ça ne suffisait pas, encore fallait t-il qu’il invente un sens de la confrontation qui fait de leurs concerts des œuvres d’art vivantes – allez, le bon goût n’a jamais été le point fort de la musique rock, et le terme d’œuvre d’art bafoué plus souvent qu’à son tour. Les Savy Fav parvenaient au terme de douze ans d’existence à attiser l’intérêt jusqu’ici, parce qu’ils sont amusants, qu’ils sont de New-York et que leur mélange d’indie et de punk dans un carcan de guitares ciselées vaut effectivement le détour. Pour l’efficacité des mélodies, que l’on garde au fond de la tête sans qu’elle se fassent prier, mais surtout pour cette énergie dansante et spontanée qui suffit à elle seule à monter des morceaux imparables avec le sentiment d’une aisance absolue – la musique, pour ces ex-étudiants d’une école de design, est vraiment l’occasion de faire éclater les formes. Après Let’s Stay Friends, Les Savy Fav sont devenus une référence incontournable pour ceux qui aiment les guitares comme mode d’exutoire mais aussi comme instrument mélodique puissant.
Leur musique prend son inspiration dans les années 80, des Pixies à Cure, la scène hardcore ( ?) etc (la matière ne manque pas). Au moment de Root For Ruin, on n’a pas envie de leur reprocher de se répéter, puisqu’ils ont un crédo et une attitude et qu’ils trouveront bien une réponse cinglante à apporter à ça – c’est pour l’explosion que ça génère, la folie, l’envie de chanter quelques paroles démentes, et l’envie de retourner sur scène dès que possible, avec de nouveaux morceaux. Un secret de leur réussite est sans doute de penser constamment à la scène comme finalité, comme le moment où tout ce qui prend sauce en cuisine puisse être servi à table par Harrington – un spectacle surprenant, aux saveurs discutables mais qui ne va jamais, je crois, jusqu’à l’écœurement. On est assez loin de Robert Smith, en fait. Les mélodies accrocheuses permettent aux morceaux de se singulariser les uns par rapport aux autres – le groupe a un grand talent pour leur insuffler de la vie et en faire plus que des instants de passage.
Le bât blesse un peu au niveau des paroles qui se prennent les pieds dans les méfaits de la grossièreté d’ado – jusque là c’est plutôt engageant – mais sans la poésie adéquate pour l’exprimer, apparemment. En fait, point de non-retour sur Root For Ruin arrive assez tôt, avec Sleepless in Silverlake, lorsque Harrington propose un tableau assez convenu de la ville de L.A. sur une mélodie et un tempos un peu morts-vivant pour les standards du groupe. Et on sent qu’on est entré en territoire sacré avec Lips’n Stuff, qui évoque une relation en ces termes : Let’s be friends with benefits / You know we’d be into it / I won’t even say we kiss / We just touch our hips / talk to our lips n’ stuff sur un riff très Pixies dans l’âme. Le problème, c’est qu’on a du mal à croire que c’est la libido du groupe tout entier qui est engagé, mais plutôt celle de Harrington et ça contredit quelque peu l’esprit d’équipe, d’inter-stimulation, bref de compétition qui les caractérise.
Cependant, si Les Savy Fav peuvent assumer qu’ils ne sont effectivement pas glamour– et qu’ils font de la musique avec les mêmes motivations que, disons, Dinosaur JR. – on comprend mieux leurs cris de frustration sur Exces Energies : I am only seventeen / Someone kicked me in the teeth / I could use some enemies / I have excess energies.
Il se pourrait que le guitariste à la créativité débordante Seth Jabour sache à quoi s’en tenir avec l’extravagance plus divertissante que profonde de Harrington, qui évoque la débandade d’un bébé – ce petit monstre criant pour indiquer qu’il est bien vivant. C’est l’occasion pour Jabour de mener la musique dans des territoires apparament neufs, si bien qu’on à chaque fois l’impression d’une nouvelle naissance musicale alors qu’il ne s’agit sur Root for Ruin que de professionnalisme et de plaisir de jouer.
- Parution : septembre 2010
- Label : FrenchKiss
- Genre : Punk mélodique, Rock
- A écouter : Dirty Knails, Lips ‘n Stuff, Clear Spirit
- Note : 6.75/10
- Qualités : intense, frais, groovy
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