Il y aurait à dire sur Mark E. Smith, le leader de The Fall, au moins autant que sur sa musique ; mais Our Future, Your Clutter, 28ème album du groupe, est l’occasion révée pour oublier un peu le chanteur lunatique et se concentrer sur l’impact d’un disque comme Our Future…
Déjà, The Fall fait du punk, mais pas exactement comment on l’entendrait. Ainsi, sur le O.F.Y.C. Showcase, qui ouvre incidemment le disque, une rythmique implacable et puissante (le batteur est excellent) pourrait se déplier de dix façons différentes, plus imposantes les unes que les autres ; et pourtant, chez The Fall dans ces cas là on choisit la onzième voie, celle de ne jouer que deux ou trois accords avec une guitare chichiteuse ou un clavier qui enchaîne les coups bas (Domino aurait demandé à E. Smith de retravailler une première version du morceau). Autre twist : quand Mark E. Smith part en croisade ou en rédemption, il part pour un certain temps, souvent plus de cinq minutes, le temps pour lui de geindre, d’invectiver, de jouer de sa voix particulière jusqu’à plus soif. De ce point de vue, le chanteur réussit l’exploit d’être à la fois ailleurs et bien présent, un peu comme s’il avait enregistré ses paroles sur le pas de la porte du studio, regardant d’un air indifférent les autres « disposable » musiciens de son groupe (qu’il a remplacé une trentaine de fois en un peu moins d’années) toiut en jetant subrepticement un œil à l’exétieur pour voir s’il ne se passe pas quelque chose de plus intéressant sur le parking ; son extraordinaire présence tient du fait qu’il reste égal à lui-même avec une dévotion dont on sent l’honnêteté. S’il y a bien quelqu’un qu’il ne peut trahir, qu’il ne peut dépasser, c’est lui même ; impossible de faire semblant d’être soul tout le temps qu’il l’était, impossible de ne pas afficher son dédain pour tout ce qu’il méprise, et inimaginable de changer une recette aussi intéressante, pointue et acérée que celle qui sous-tend la musique de The Fall.
O.F.Y.C. est un disque assez incroyable qui prouve que Mark E. Smith a encore une énergie intacte à consacrer à la musique ; pas le genre d’énergie qu’on associe généralement au mot punk, parce qu’E. Smith n’attaque jamais frontalement mais plutôt de biais. Un journaliste pour The Quietus a fait remarquer que « Mark E. Smith a appellé un grand nombre de choses « déchet », mais il n’avait pas encore utilisé le mot « désordre » (clutter) dans ses paroles avant ce disque. C’est un mot qui pourrait être rattaché à n’importe quel disque de The Fall ». Ainsi plutôt que de lancer un énième signal en espérant ne pas perdre trop de fans (ceux de The Fall sont réputés fervents), le groupe continue d’affûter une certaine vision de la musique tout en la rendant, éventuellement, plus lisible au reste du monde. Le label Domino est bienheureux, d’avoir entre les mains l’un des tous meilleurs groupes au monde, qui s’est à la fois attiré respect, déférence, scandale et provoque encore un buzz après trente ans de carrière, et avoir tant influencé qu’on dit « Mark E. Smith n’a pas rencontré le punk rock. C’est le punk rock qui l’a rencontré ».
L’écoute peut d’abord paraître monotone pour qui n’est pas familier avec le groupe, ou, pire avec la musique punk. Et pourtant, dès la deuxième écoute tout se met en place, tout devient formidable. E. Smith, la fois bavard et détaché, n’apporte rien jen termes de musicalité ; c’est l’élément anti-musical du groupe. Il est là pour les images que suscitent ses textes saugrenus et pittoresques (« La majeure partie de son songwriting consiste à écrire ses pensées jusqu'à que le sens en soit plus absent que présent »). En termes de chant, on a Elena Poulou qui apporte un contrepoint plutôt inattendu. Bury Pts. 1+3 joue sur le contraste entre l’enregistrement de qualité médiocre et étouffée d’une démo du morceau (chose ultime, il est déjà efficace et diablement rock dans cette version), avant d’enchaîner sur la dernière prise, qui est quelque part, plus détachée et je m’enfoutiste que la première. C’est tout l’art de ne surtout pas caresser dans le sens du poil, sans cesser de nous réjouir ; malgré qu’on pourrait douter de la présence de tout bon goût, le résultat trouve une force, une efficacité, une vérité terribles. Et comme le montre peut-être Bury Pts. 1+3, une recherche sur les textures est primordiale ; c’est trouver l’équilibre tout en ne cessant de décadrer le propos, c’est rester tout près de l’os tout en évoluant constamment – et O.F.Y.C. ne tourne pas tellement en rond, juste assez pour cartographier la danse scénique de leur chanteur. Imparable ?
- Parution : 4 mai 2010
- Label : Domino
- Genre : Punk-rock
- A écouter :Bury pts 1&3, O.F.Y.C Showcase, Cowboy George
- Appréciation : Monumental
- Note : 8/10
- Qualités : audacieux
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