Il y a un groupe sur lequel les membres de Radiohead sont tous d’accord, cette année, et selon Colin Greenwood, le bassiste du quintet anglais, le consensus est une chose sur laquelle il ne faut pas trop compter en temps normal chez eux. Ce groupe qui remporte tous les suffrages, c’est un autre quintet, de l’Oklahoma celui-là. « Il y a une beauté, une gravité, un pouvoir expansif et une mélancolie qui fait penser à Morricone», suggère l’aîné des Greenwood.
“Vivre entouré de ces paysages ouverts vers l’infini a influencé notre songwriting, explique Jesse Tabish, le chanteur, multi-instrumentiste et parolier du groupe. On voulait visualiser ces grands espaces et écrire la bande-son des plaines de l’Oklahoma.” Le résultat, des chansons bouleversantes aux harmonies complexes, est aussi bon car les musiciens de Other Lives ont la bonne attitude ; entièrement voués à produire la musique la meilleure possible, juste assez effacés derrière elle, tout en hésitant pas à la promouvoir à 100 % en proposant des vidéos somptueuses, dont la symbolique dépasse le contenu des chansons. Celle pour For 12 représente le voyage spatial du Jesse Tabish, et laisser deviner un groupe voulant donner l’impression d’être bien établis, ancrés dans l’inconscient de leur pays comme influences bienveillantes.
Formé en 2004 sous le nom de Kunek et enraciné dans une sorte de sévérité classique, c’est désormais un groupe d’americana, même s’il reste différent de tous les autres. Tamer Animals étoffe la pallette de son très bon prédécesseur éponyme, paru en 2009. L’album révèle au fil des écoutes force d’éléments suggérés – trains à vapeur, ambiances lumineuses ou crépusculaires, clins d’œil cinématiques. Il y a aussi le mystère de la relation de Jesse Tabish à ce qu’il chante : « I was waiting in the dark age/Searching for the ones in my life/I'm so far away » sur For 12, tandis que les cordes d’un quatuor s’élèvent et s’effacent comme dans la chanson de… Radiohead, How to Disapear Completely.
Avez-vous une inclinaison particulière pour la musique classique ?
Jesse Tabish : « Au cœur de notre pratique, nous sommes des passionnés de musique classique. C’est le plus gros de ce que j’écoute, aussi c’est un objectif que d’essayer de se rapprocher de ce monde, tout en restant capables de sonner comme un groupe contemporain. J’ai suivi des leçons de piano quand j’étais gosse mais Jenny [Hsu] est la seule qui ait une formation classique. J’enseigne la musique à Stillwater, je suis un professeur de guitare, ainsi, nous avons tous d’assez bonnes bases théoriques, mais pas aussi bonnes que nous le devrions. J’essaie d’intéresser mes étudiants à la théorie mais ils n’en font qu’à leur tête, ils veulent seulement jouer. »
La musique de Other Lives s’apparente en effet parfois à de la musique de chambre, telle qu’elle aurait été interprétée par les gens de la terre. Dans chaque chanson, le groupe ouvrage la relation entre une certaine qualité de textes et une façon d’installer des ambiances dramatiques réussies. Le fait que Tabish enseigne la musique donne au groupe une autre forme de maturité, déjà très présente dans le premier album.
Les chansons sont construites avec un art qui dépasse celui de la seule chanson folk. Il y a dans leur balancement une précision d’horloge, dans leur polyphonie le déclenchement d’une série de mécanismes aux effets persistants.
Jusqu’à quel point Tamer Animals est-t il un travail de groupe ?
« La plus grosse partie de la musique qui est écrite, c’est moi qui l’écris. Les paroles sont de Jon [Jonathan Mooney]et moi. Avec les autres, c’est un travail seul à seul. Par exemple, je vais montrer à Josh [Onstott] une mélodie encore grossière et il va lui donner une direction. Je tiens généralement compte de leur avis. Mais le plus gros de la musique, et des arrangements, je les écris moi-même. »
Other Lives est un groupe organisé autour de Jesse Tabish, qui a une prédominance sur le processus créatif. Dans le velours des arrangements, sa guitare et sa voix claire et lasse nous guident tout au long d’un improbable voyage, entre lieux fantasmés (Desert, Landforms), objets et créatures plus vrais que nature. « Un thème commun est la relation entre la nature et les gens », explique Tabish. Sommes-nous trop apprivoisés, comme il le suggère sur la chanson Tamer Animals ? Incapables de nous ouvrir à l’extérieur, de nous laisser béatifier par les immensités qui nous entourent ? C’est la même volonté de remise en cause existentielle qui a conduit le groupe à emprunter le nom du film allemand La Vie des Autres. Tamer Animals est une quête qui entraîne chacun à s’émanciper en fonction de ses sentiments intérieurs.
Comment votre expérience et l’album ont t-il été affectés par la possibilité de jouer dans votre propre studio ?
« Nous étions capables de façonner la musique à notre convenance, et si quelque chose n’était pas juste, nous passions le temps nécessaire dessus jusqu’à ce que ça devienne correct. Nous avions ce luxe d’enregistrer les chansons en deux ou trois versions différentes parfois, pout être sûrs qu’elles étaient telles que nous les voulions. C’était avoir les bonnes harmonies, aussi bien que le bon tempo. C’était une expérience libératrice et très agréable. »
Le disque a nécessité 18 mois maturation, une chose extraordinaire pour ce genre de musique, rendue possible car le groupe a décidé entre son premier album et celui-ci, d’aménager un studio où le temps ne leur serait pas compté. Leur confort a donné naissance à ce disque moelleux, élégant et organique, enveloppant. A réécouter Tamer Animals, ce qui frappe le plus musicalement parlant, c’est la complexité des rythmes, longuement maturés. Les chansons sont construites avec un art qui dépasse celui de la seule chanson folk. Il y a dans leur balancement une précision d’horloge, dans leur polyphonie le déclenchement d’une série de mécanismes aux effets persistants.
Les interviews sont traduites depuis le site internet Indie Rock Reviews. © Britt Witt
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