« Un groupe de filles, j’adore ça ! » s’exclame R. Stevie Moore tandis que les Pumplies, formation pop toulousaine, prenaient la scène du Cri de la mouette et entamaient enfin la soirée. « Je suis un vieux dégoûtant ! » ironise t-il, une bière à la main, avant d’aller filmer. Etre dans les parages du parrain de la soirée a été riche en enseignements, tout comme sa prestation qui a rassemblé dans cette péniche garée sur le canal du midi environ 70 personnes. Cette occasion très spéciale a été organisée en l’honneur des cinq ans du label toulousain 2000 records, petite structure fondée par un certain Stéphane, qui distribue, en vinyle notamment, le nouveau disque de Moore, Advanced. Celui-ci, on ne peut pas l’oublier, est le bon père de toute une scène libre et indépendante américaine.
Look débraillé, lunettes épaisses aux verres noirs rabattables pour passer en mode ‘rocker’ au milieu du concert, barbe nouée et casquette à l’effigie de Nirvana visée sur la tête, R Stevie Moore tournait autour de son stand de merchandising avec discrétion et modestie, très disponible lorsqu’on cherchait à lui adresser la parole. Il regrettera ainsi tout à trac que la jeunesse d’aujourd’hui ne soit pas plus ouverte d’esprit, nous encourageant avec une conviction qui a fait carrière à se nourrir de tout ce qui nous entoure plutôt que d’avoir une ‘vision tunnel ‘ et de nous prendre que ce dont nous sommes ‘nourris de force’. Il se montre particulièrement joueur à la simple idée de ce mot d’argot, ‘swag’ qui rythme les concerts de Odd Future. Un terme qui revendique une façon d’être, ‘the way in which you carry yourself ‘. Il se montrera enthousiaste lorsqu’on propose de le filmer, soutenant qu’il faut ‘tout enregistrer, faire des bootlegs et les vendre’ avec une affection qui trahit sa longue marche pour l’autopromotion. Il suffit de voir ce qu’il a de ‘tout fait maison’ à vendre ce soir : des cassettes à 18 euros de chansons enregistrées en compagnie de Ariel Pink, et dont une photo d’imprimante représentant cet étrange couple intergénérationnel illustre la pochette ; des DVDS à 36 euros contenant 36 albums, soit 922 morceaux, sélectionnés parmi les quelques 400 et des poussières que compte la discographie quasi mythologique de Moore ; son dernier album dans une variété de formats, à ne jamais déballer car Moore a pris soin de dédicacer le film plastique qui les emprisonne.
R. Stevie Moore en est à sa deuxième tournée européenne de l’année. Il a fait énormément de concerts, mais peut-être n’a-t-il pas tellement l’habitude d’un lieu si réduit ; avec lui, le batteur et le guitariste inspirés du duo de Brooklyn Tropical Ooze donnent une densité électrique aux classiques de son répertoire que Moore va interpréter une heure durant. Le set, presque conceptuel et un peu délirant – Moore enfile un pantalon type pyjama avant de prendre son essor sur scène, dans des conditions étriquées – sera construit en deux parties, entre lesquelles Moore interprète seul à la guitare un couple de morceaux dont un génialement chaotique Seafood, (dont le nom véritable est inconnu, mais qui commence notamment par 'Seafood, crabs and lobsters'...) entre Davy Graham et Weird al Yankovic. Le reste du temps, quand Moore ne se lèche pas le bras ou qu’il ne reprend pas son souffle dans l’escalier backstage, il revisite Conflict of Interest, un titre au origines disco devenu blues, et ses incontournables Play Myself Some Music, Irony, Sort of Way ou I Like to Stay Home, tout en mimant les émotions que lui procurent ces morceaux, offrant un spectacle aussi grotesque que touchant. Sa voix, explorant plusieurs registres entre falsetto et grognement guttural, est impressionnante. En ce qui concerne Advanced, ce sera Carmen is Coming, Theorem ou Kix Tartar Sauce. On peut cependant considérer que Moore était ici pour promouvoir la sortie de son récent best-of, Meet the R. Stevie Moore. Tropical Ooze accompagnent avec une puissance incisive.
Moore est en total décalage, à la fois lunatique et féroce, clownesque et professionnel. Au moment de The Winner, il tourne son lutrin vers le public, apparemment décidé à ce que les premiers rangs lisent les paroles de la chanson qui y sont disposées. « he spends his life in a box/of ideas he can use/but every night you can find him alone/a loser”. C’est à la fois touchant et euphorisant. Hirsute de dégoulinant, Moore quittera la scène, traversera le public et s’échappera de la péniche pour ne plus laisser de trace, courant même au-devant de ses derniers poursuivants. Pour ceux qui ne le connaissaient pas, il ont cru voir des bouts de Franck Black, Daniel Johnston et Sir Paul McCartney simultanément, et ils sont décidés à ne pas laisser filer le un tel objet de culte.
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