Le futur c’est le Folk
« Je ne m’intéresse pas aux vies des artistes », écrit Cass McCombs dans sa lettre adressée au Los Angeles Times. « Donc je ne vois pas pourquoi quiconque serait intéressé par ma vie… Je ne passe pas beaucoup de temps à penser à mes propres problèmes. » Dans Wit’s End, avec plus de finesse qu’auparavant dans son œuvre, McCombs éconduit notre empathie. Même alors qu’il semble lui-même en détresse, il redirige avec élégance, avec goût, cette empathie vers l’extérieur. C’est une façon subtile de nous faire entrevoir sa fragilité. La musique est une façon de mettre cette fragilité au service d’un objectif plus noble, qui est celui auquel concourt tout musicien. Capter et transformer par le sentiment les vies qui l’entourent.
La musique que Cass McCombs enregistre depuis dix ans est dessinée d’un trait d’équilibriste, dans un espace ténu, qui épouse tout juste les fonctions vitales du musicien. Cette musique est pour lui le moyen évident de rejeter les agressions extérieures, les peurs, de partager ses révélations aussi. Comme la vie, sa démarche d’artistique est faite de surprises, d’un émerveillement constant. D’ailleurs, l’excellente Memory Stain, sur Wit’s End, est une critique de ceux qui favorisent les souvenirs plutôt que les expériences nouvelles.
Le disque est à l’opposé d’une attitude de repli et de nombrilisme. McCombs a invité sur Wit’s End beaucoup d’amis, sans leur promettre de grandes richesses pour leur participation. Rob Barbato à la basse, Will Canzonerio aux pianos electroniques (céleste, clavinet, Hammond) Chris Cohen à la 12 cordes, Robbie Lee à l’accordéon ou au chalumeau (ancêtre de la clarinette)… C’est une bonne douzaine de musiciens qui vont jouer la partition de McCombs sur ce disque. Ceux qui en redoutent encore le nihilisme n’ont qu’à regarder la vidéo larger than life de la chanson County Line.
« Faire entrer les considérations de soi dans le processus de création est une distraction qui en fait une chose triviale. C’est facile de s’en laver les mains et de dire que vous n’avez pas le passé de tous ces gens, que vous n’avez pas la même perspective qu’eux. Du coup vous retournez dans votre coin plutôt que de vous émanciper et de vous intéresser à tout. » Quand il dit ‘tout’, McCombs a un potentiel universel. Il a une vision de l’amour comme un sentiment sans frontières, impersonnel et global. Sa perception de la religion est celle d’Elvis Presley. « Presley avait une étoile de David et une croix autour de son cou, et lorsqu’un l’interrogeait à ce propos, il disait : ‘Ca me fait réfléchir.’ Quand j’étais petit j’avais l’habitude d’aller dans ce camp Baha’i, et ils m’ont beaucoup appris quant à l’égalité des religions. »
« Faire entrer les considérations de soi dans le processus de création est une distraction qui en fait une chose triviale. »
Dans une autre lettre, adressée à Rachel T.Cole de Steréogum, il expliquait : « Le meilleur art, à n’importe quelle époque, nous vient de sources anonymes. Le gens [Folk] qui se sacrifient pour transmettre ce qui leur a été appris, pour que ça continue. En ce sens, le futur c’est le Folk. Nous ne devons pas vendre notre Passé, mais enseigner notre Avenir. C’est ainsi que j’entre en relation avec mes influences, Bob Marley, Kurt Cobain, Jerry Garcia, John Lennon, Darby Crash, Merle Haggard, Ritchie Valens, etc. Ce sont tous de grandes incarnations de héros Folk. » La dimension de la transmission, de l’héritage est à la base de la pratique musicale chez McCombs.
La musique folk possède une simplicité fondamentale qui sied parfaitement au propos de McCombs. Mais le Folk n’est plus seulement un genre musical dans l’acceptation de l’artiste; c’est une façon d’exercer sa sensibilité, de s’inscrire dans une lignée. Sa technique de composition, parfois erratique, est inspirée de cette volonté de grande ouvertue spirituelle. Ses premiers albums, A (2003) et Prefection (2005) sont le fruit de choix parfois contradictoires et restent déroutants. Dropping the Wit (2007) et surtout Catacombs (2009) marquent la transition vers une écriture accueillant les fulgurances de talent habituelles dans un écrin plus cohérent et convaincant. La chanson Dreams Come True Girl (Catacombs) témoigne de cette maturité.
Les chansons de son répertoire qui prennent le mieux vie en public ne sont pas toujours celles qu’on attendait. Ainsi, le témoin d’un concert au San Francisco’s Great American Music Hall a eu lieu le 4 décembre 2011 aura une inclinaison inattendue pour To Every Man His Chimera, une chanson tétanisante sur Humor Risk, avec des paroles telles que « everyone i know suffers just like me. » On imagine que certains de les gens qui l’inspirent sont dans une situation vraisemblablement pire que le sienne, comme c’est le cas de la fille à la fenêtre dans Lonely Doll, et qu’il voudrait leur apporter son soutien.
McCombs a cette capacité à capter la lumière alentour, aussi mince soit-elle. L’espoir, c’est peut-être la raison pour laquelle il est aussi talentueux. Il se trouve avec Wit’s End dans un environnement lumineux, où la langueur n’est pas léthargie, voire ‘asphyxie’ comme le disait un journaliste en décrivant l’album. Ce disque agit au contraire avec la sensualité bien vivante d’errements autour de Santa Monica ou Echo Park Lane à Los Angeles, Californie. Et pour le résultat d’errances, c’est un travail exceptionnellement méticuleux, fruit d’une restriction musicale et vocale hors du commun. On pense à Harvest (1972), quand Neil Young souffrait d’une hernie discale qui le vit enregistrer depuis un fauteuil et l’empêchait d’utiliser une guitare électrique. « I sing the song/because I love the man/I know that some of you don't understand”, y chantait le canadien, dans un élan d’empathie globale. On pense à Tonight’s the Night (1975).
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