En 1981, alors qu’il venait d’enregistrer son premier album au sein d’un studio, Clack ! (1980), R. Stevie Moore prit une décision importante pour sa carrière et un fit investissement à long terme en créant un aspect nouveau de sa notoriété ; le RSM Cassette Club. Il rendait ainsi accessibles son vaste catalogue de travaux faits maison sur ce nouveau format populaire et bon marché, la cassette audio, peu avant la naissance du CD. « J’écrivis une lettre et à ma grande joie je reçus un paquet par la poste, avec trois cassettes et une lettre très sympa de l’artiste lui-même. », se souvient Alfred Boland dans l’interview de juin 2000 (voir première partie de l'article). Et de préciser : « Les cassettes étaient incroyables, j’avais imaginé qu’elles auraient beaucoup de morceaux que j’avais déjà entendus sur les albums que j’avais achetés et qu’il s’agissait de morceaux insuffisamment bons pour figurer sur un disque. A ma grande surprise elles étaient aussi bonnes que les albums eux-mêmes. Et il y en avait 247 disponibles sur son site. »
Le voir vendre des cassettes encore en 2011, lors de ses concerts, montre bien leur importance dans l’esprit du musicien. En outre, il sait qu’elle incarnent un esprit particulier tel que le recherchent certains de ses auditeurs. R. Stevie Moore, naturellement chaleureux avec quiconque s’intéresse à sa musique, a un lien particulièrement fort avec eux ses plus anciens fans. Ses relations épistolaires amicales et sa façon de vendre sans intermédiaire ont permis cela. C’est ce qu’il recherche encore en s’établissant, au tournant des années 2000, sur internet, en y établissant et y entretenant lui-même le RSM Cassette Club et plusieurs sites consacrés à sa musique et à sa memorabilia. Internet a réaffirmé sa conviction envers sa capacité à se promouvoir et à se publier sans aide.
Comme le vinyle, les cassettes, contrairement aux CD audio, profitent d’un son analogique que favorisent encore certains mélomanes lorsqu’ils écoutent un disque. La relative longueur des albums de Moore, autour de soixante minutes, est entraînée par l’utilisation de ce format. Les cassettes remontaient jusqu’en 1968. Il confiait en 1987 ces propos à son futur collaborateur Yukio Yung, qui travaillait alors pour l’organe anglais Underground Magazine : « Je veux que l’image que je donne soit complète. Etant un collectionneur de disques et quelque chose comme un historien, affamé de toute version ou prise alternative, je voulais être totalement honnête et TOUT rendre disponible – la plupart des cassettes sont séquencées, aussi bien que sorties, par ordre chronologique, donc c’est un peu comme ouvrir un journal. » Pour certains, c’est là l’erreur qui a valu à R. Stevie Moore de rester globalement pauvre tout au long de sa carrière, même lorsqu’il a cherché a attirer davantage l’attention. « Moore se tire une balle dans le pied en inondant le marché avec beaucoup trop de musique. » remarquait un journaliste. « J’aimerais qu’une maison de disques sorte une sélection de chansons une fois par an tout en lui permettant de continuer à enregistrer artisanalement. C’est un trésor national et il mérite mieux que ce qu’il a. » Moore prend la tangente : « Voulez-vous le greatest-hits de Beethoven, ou faire quelques recherches ? Demander autour de vous ? Expérimenter ? »
Plus que la quantité, c’est la diversité de sa production qui rebute depuis quatre décennies les labels importants. Cependant, à force de clips télévisés bon enfant dans les années 80, puis grâce à l’accès à une reconnaissance plus durable à travers sa nouvelle visibilité sur internet, un nombre croissant de maisons de disques audacieuses s’intéressèrent à R. Stevie Moore et envisagèrent la possibilité de lui proposer un enregistrement ou un simple rachat de licence pour publier quelques morceaux de son vaste catalogue.
En qualité de pionnier en la matière, le label parisien New Rose Records fit paraître en 1984 une compilation sous la forme d’un double album épique et dévergondé, Everything You Always Wanted to Know About R. Stevie Moore But Were Afraid To Ask. Ce fut une nouvelle étape importante dans la reconnaissance du musicien puisque New Rose le décrivit comme “l’un des meilleurs songwriters de tous les temps”. Chantilly Lace, une reprise new-wave suggestive de J.P. Richardson, eut un succès suffisant pour que Moore soit accueilli en France avec un enthousiasme inattendu lors de la visite promotionnelle qui suivit. Le très new-wave I Just Wanna Feel You était aussi bien de son époque, et par le biais de laquelle Moore (re)découvrait son sex-appeal. C’est amusant que le label lui ait donné l’accolade de meilleur songwriter tout en faisant en sorte que la lubrique Chantilly Lace soit le single diffusé pour promouvoir la compilation, plutôt qu’une chanson personnelle de Moore telle que I Wish i Could Sing ou I Wanna Hit You. New Rose avait décidé de présenter le musicien comme un cas aussi délirant que sulfureux. IL fallait se plonger plus avant dans le disque pour s’apercevoir qu’il savait parfaitement balancer les sentiments sincères avec les provocations amusantes, sans se départir d’une gravité en filigrane.
Le musicien continue dans les années 2000 donner licence pour l’utilisation de son travail, que ce soit dans le cadre de compilations ou d’albums plus ou moins originaux. La label Cherry Red, notamment, a produit et largement distribué deux compilations, Meet the R. Stevie Moore ! (2008) et Me Too (2009). R. Stevie Moore collabore avec de nombreux musiciens underground dans lesquels il peut reconnaître une part de lui–même : Ariel Pink, Mike Watt, Jason Falkner, Eric Matthews, Penn Jillette, Dr. Dog, MGMT, Mark Vidler, et d’autres. Il choisit l’année 2011 pour s’embarquer dans sa première tournée, notamment en Europe, accompagné du jeune duo New-Yorkais Tropical Ooze. Comme pour le nouvel album, Advanced (2011), dont Moore est particulièrement fier, la tournée pourra se concrétiser grâce à la plate-forme de recueil de fonds Kickstarter – une première pour un self-made man.
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