Parution | avril 2012 |
Label | Nonesuch |
Genre | Rythm and Blues, Funk, Rock |
A écouter | Big Shot, Eleggua, God is Sure Good |
° | |
Qualités | lucide, groovy |
Le plan de Dan Auerbach consistant à produire Dr. John était d'une ambition folle. S'il avait s'agit de rendre sa crédibilité au pape de la Nouvelle-Orléans, la tâche aurait déjà été ardue ; seulement, Mac Rebennack n'a rien d'une star déchue dont un jeune loup pourrait s'approprier la légende. Ces dernières années, il a sorti d'excellents disques, The City That Care Forgot (2008) ou Tribal (2010), réinvestissant pleinement son rôle de passeur après la catastrophe de l'ouragan Katrina. Tribal en particulier le voyait redevenir cent pour cent néo-orléanais, dans le son et dans l'esprit, bien loin de toutes les accusations d'auto-parodie qui finissent par tomber sur les musiciens dont le mythe est encombrant. Directif et autoritaire, Rebennack a toujours su s'entourer d'amis et des meilleurs – le Lower 911 dans les années 2000, et le groupe funk ultime issu de la Nouvelle-Orléans, les Meters si l'on revient à Dr John's Gumbo (1972) et In the Right Place (1973).
Deux idées ont concourru à la relative réussite de cette entreprise : premièrement, Auerbach a conseillé au grand pianiste rythm ans blues de se concentrer sur des sonorités de clavier plutôt que de piano, comme pour retourver l'esprit de ses débuts. Gris Gris (1968) et Babylon (1969) furent les fondations, issues de sessions chaotiques, sur lesquelles Rebennack fonda la suite plus conventionnelle de sa carrière. Le piano inscrivait Dr. John dans la lignée de ses héros, de Fats Domino à Professor Longhair, et représentait la face la plus commercialement viable de sa musique, le moment où il s'était mis à reprendre les hits locaux de la Louisiane, Iko Iko, Tipitina ou Big Chief. En réinvestissant un orgue Farfisa que même les zombies voodoos haïtiens ne voleraient pour rien au monde – instrument qu'il n'avait plus joué depuis l'année 1968, de son propre aveu – Rebennack renouvelle son plaisir.
Pour aiguiser son imagination, Auerbach lui fait écouter des 45 tours de soul et de funk Ethiopien des années 70. Le résultat le plus visible, c'est ce solo oriental sur Revolution, enregistré en une seule prise. Deuxième bonne initiative, suggérer à Mac Rebennack d'écrire des chansons personnelles. « Le premiers albums de Mac sont tellement bons, ils ont vraiment une imagerie cool, mais c'est un personnage, ce n'est pas Mac, c'est Dr John. », commente le guitariste des Black Keys. « Je voulais un album qui aurait le feeling de ces disques, mélangé avec la vraie personnalité de Mac. Il souhaitait se révéler de cette façon, parler de choses intimes. Finalement, je pense que c'est ce qui va survivre au passage du temps, car cela vient totalement de son cœur. »
Le pouvoir d'évocation de la sorcellerie vaudou accentue l'impact d'un album sur lequel Dr John appelle aux armes, pourfend les nouvelles religions, finance et surveillance, y apparaissant pourtant plus touchant que sauvage. Comme dans toute musique néo-orlanaise, les thèmes de la persistance de la rédemption transcendent celui de la désobéissance, de l'acte inconsidéré, même si l'ouragan Katrina a donné depuis 2005 une tension supplémentaire au discours des artistes locaux. Sept ans après le drame, alors que la paranoïa occidentale augmente en même temps que l'inertie de son système, Locked Down canalise les illusions et la confusion du monde contemporain. Kingdom of Izzness ou Iceage rejoignent Revolution pour ce qui est de créer un climat d'urgence, mais c'est dans un écrin de grâce aux relents de vieux marais zydéco. Dr John arrondit toujours les angles de la façon la plus élégante, profitant de sa sagesse, en regard de sa longue carrière (il a 71 ans) même dans une chanson ou on l'entend dire « KKK, CIA, ils jouent tous les même jeu ».
Les chœurs des sœurs McCrary, la basse bondissante, les introductions détonnantes et les sections rythmiques endiablées : Locked Down cherche sans repos cette l'intuition aussi festive que mystérieuse qui concourt, sans approximation, au meilleur funk. Les morceaux jouent de plusieurs dimensions, pas toujours avec le succès escompté ; si Big Shot est extraordinaire, Getaway est assez prévisible. Le solo de Dan Auerbach vers la fin du morceau laisse penser que Locked Down est un acte de bravoure pour lui, avant d'être celui de Rebennack. Un sentiment que confirme le processus d’enregistrement. Auerbach a beaucoup réfléchi en termes musicaux, en voulant donner une teinte précise à l'album – tout en sachant qu'un album de Dr. John s’accommode de choses très diverses, exactement comme le gumbo néo-orléanais. «Mac a l'habitude de la manière classique d'écrire de chansons, selon laquelle vous démarrez par la mélodie et les paroles avant de composer la musique. Nous avons fait exactement le contraire. Nous sommes arrivés avec la musique en premier. Après 13 jours nous avions 13 chansons. Il est revenu un mois plus tard, et a passé huit jours à finir les chansons – textes, chant, mélodies.»
Cette façon étrangement policée de faire de la musique semble parfois nuire au feeling de ces dix chansons – jusqu'à ce que la candeur des deux titres de fin – My Children, My Angels et God is Sure Good - nous débarrasse d'une impression de légère raideur. Sur la dernière, le duo de chanteuses est remplacé par une large chorale. La production, se rapproche beaucoup de celle d'El Camino (2011), des Black Keys ; jusque dans cet écho dans la voix qui trahit parfois le timbre de Rebennack, en particulier lorsqu'il s'écrie, au point culminant de l'album : « Can i get a witness ? » On appréciera cependant encore la facilité que montre Locked Down pour lier le primitivisme des 78 tours, la sophistication sous-estimée du funk des années 70 et la compression de l'ère mp3.
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