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Trip Tips - Fanzine musical !

jeudi 3 février 2011

Danser Ravel et Debussy



 

A voir sur Arte.com

La danse, les intéressés nous le diront, est peut-être le meilleur moyen d’expression de soi. Le plus complet, le plus intime, le plus fidèle à la psyché intérieure de la personne qui s’exprime, et le plus beau.

Avec Danser Ravel et Debussy, le réalisateur Thierry de Mey introduit d’abord sa caméra dans une forêt européenne mystérieuse qui évoque celles, enchanteresses, des contes des frères Grimm ou de Perrault. Sur ce premier volet du triptyque un peu voué à la musique de Ravel et de Debussy, et surtout à l’extraordinaire débandade de danseurs belges, la forêt est un personnage à part entière. Elle souligne la solitude des corps, qu’ils se lovent contre l’écorce ou qu’ils ne fassent que passer dans le tableau, les cadres démultipliés par de Mey dans sa quête de rythme.

Il s’agit de ma Mère de l’Oye (1911). Visions primales, élans des corps un rien sauvages, c’est un document d’une trentaine de minutes complètement dédié à la beauté du geste, une mystérieuse plongée dans un univers de légendes nordiques et de film moyenâgeux. C’est de danse contemporaine qu’il s’agit, et les danseurs resteront anonymes – il y a pourtant quelques noms belges assez reconnus parmi ces femmes triomphantes mais inquiétées ou ces hommes aux airs idiots mais plutôt entraînés. Bien plus que la musique, le sacrifice de soi est ici la valeur primordiale. On ne compte plus les attitudes un peu morbides, mais qui ne font que célébrer l’étincelle de vie restante dans les corps des danseurs. C’est amusant d’imaginer ce que ce spectacle frappant d’instinct et de naturel a pu demander comme séances de répétitions. Pas de danseur Noir dans cette vision d’une Europe antédiluvienne – le plus déroutant est de voir comment ce charme dépassé (magnifiquement illustré par les costumes des « personnages ») est retranscrit aux extrémités souples et frissonnantes de corps possédés par la contemporanéité. Quelques visions restent inoubliables ; ce corps flottant sur l’eau, au gré du courant ; un autre, qui, fiévreux, tombe soudain, comme sans vie, au milieu des arbres ; un troll doté d’un fort jeu de jambes ; tout l’envoûtement d’un puits isolé au fond duquel une danseuse diaphane lance une invite. Médusés, on constate que cette longue rêverie muette envoûte les sens et décuple la sensibilité. On a bien voyagé…

La Prélude à l'après-midi d'un faune (1892-1894) donne à deux danseurs une geste plus libre, plus dissolue. La scène se passe en plein désert du Kazakhstan, à l’endroit où s’étendait il y a peu la mer d’Aral. Un travail de la chorégraphe Anne Thérésa de Keersmaeker qui fait de la danseuse tantôt un serpent, tantôt une proie frémissante, tandis que son compagnon est désespérément humain et impuissant. Cela sous une lumière hallucinante. Debussy : « La musique de ce Prélude est une illustration très libre du beau poème de Mallarmé [l’Après midi d’un faune] ; elle ne prétend pas en être une synthèse. Il s'agit plutôt de fonds successifs sur lesquels se meuvent les désirs et les rêves du faune dans la chaleur de cet après-midi. » Enfin, sur La Valse, de Ravel, on assiste à une chorégraphie sur les toits de Bruxelles, qui rappelle encore le pouvoir du groupe, supérieur à l’individu, dans un genre de parodie gracieuse de la modernité. Les danseurs sont toujours filmés ensemble, parfois seulement réduits à leurs gestes. Ils ont beau tout laisser aux caprices de leur réalisateur, et de la musique entêtante, leur pouvoir de sincérité crève l’écran.

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