OO
lucide, apaisé, rugueux
Americana, rock
John Murry n'est pas votre artiste habituel. C'était si tentant, en 2013, d'essayer de se mettre dans sa peau, quitte à fabuler sur le personnage, avec cette terrible expérience de l'overdose. A la découverte de sa voix profonde, on ressentait avec bien trop de détail comment sa perception de l'existence avait été transformée. The Graceless Age était un album traversé par cette nécessité de prendre sa revanche sur la vie, l'un des meilleurs disques de la décennie, où la perfection musicale et les choix de production semblent tellement facilités par la résolution de se réconcilier avec la société.
On était confiant dans l'avenir de John Murry. Aujourd’hui, il faut s'approcher prudemment. Tim Mooney, musicien d'American Music Club, et mentor de Murry, avec lequel il avait reconstruit sa vie, est mort à 53 ans, et depuis la vie de Murry a bien failli s'effondrer complètement comme une bicoque sans fondations par un jour de tornade. C'est lié à la raison première de sa dépendance, apparemment : jeune, porteur d'une forme d'autisme non dépisté, il avait convergé d'abord vers les médicaments prescrits, puis les drogues. Il a fait des séjours en hôpital psychiatrique. Plus tard, à Memphis, la musique sera la seule source positive de son existence. Et lorsque le mentor d'un type comme ça meurt, ça fait des dégâts. Quand sa femme et sa fille le quittent, qu'il est interné, ça en fait aussi.
Ces handicaps et coups durs sont peut-être la raison pour laquelle le regard de l'autre, dans ses chansons, est si important.
Le voilà contraint de repartir du point zéro, composer avec la solitude et la déception d'une fragilité pas seulement en lui, mais ancrée dans son entourage. Comment être constructif quand on commence à écouter la petite voix disant qu'il y a quelque chose de damné en nous, conduisant le monde extérieur à nous faire défaut de façon répétée ? Murry a gagné l'Irlande et trouvé d'autres soutiens, notamment Michael Timmins des Cowboy Junkies et Cait O'Riordain, ancien des Pogues.
Silver and Lead est une chanson dont les prémices au piano rhodes n'ont pas sonné aussi dépouillé depuis certaines chansons de Michael Hurley. Ce qui pourrait être pris pour de la nonchalance, c'est une simplicité qui vire quasiment à l'hésitation, une sorte de défaut d'assurance remarquable à l'heure ou la musique qu'on écoute doit forcément dégager un terrible entrain. Comme s'il n'était pas sûr, un instant, de son désir de poursuivre. Silver and Lead trahit sa déception sentimentale, mais sonne pourtant irrémédiablement lumineux, paisible. Il sait toujours séquencer cela avec des moments plus enlevés. Tout a changé dans l'équipe de conception, et ce qu'on apprécie en premier, c'est le soin particulier apporté aux guitares. Avec leurs textures étudiées, elles sont les meilleurs alliés de Murry.
« Tout ce que je peux faire, c'est réparer ce que j'ai brisé la veille », raille t-il de sa position de Sisyphe, sur Under a Darker Moon. « Tu peux me voir tomber, mais jamais trébucher, car je suis enfin libre ». Il faut l'imaginer heureux...
Il y a une autre histoire derrière cet album. Adopté à la naissance par la famille de William Faulkner, c'est l'histoire d'un garçon grandi à Tupelo, Mississippi, une enfance marquée par la mémoire de l'esclavage, celle de la guerre de sécession, une passion pour le whisky, la littérature et la poésie. Des qualités que l'on retrouve facilement dans l'écriture si vivante de Murry. Bien que cette enfance qui dans les moments de fatigue post-overdose a pu sembler un rêve. Revenir sur les traces de son passé, a du être une expérience évanescente, d'où la pochette.
La délivrance, si elle est utile, passe par une calme appréciation de ce qui est à sa portée, et ce qui ne l'est pas. Les chansons désormais n'ont pas tout à fait la même ampleur, avec un son volontiers sourd, cette aridité évoquant Smog, dans ses contrastes. En contrepartie, l’immersion en studio, cet espace d'enregistrement que l'on ressent fortement sur des chansons comme When God Walks In, nous rapproche de Murry. Les quelques performances a avoir précédé l'album sur You Tube mettent en avant cet agencement, comme un lieu de paix. La reprise des Afghan Whigs en fin d'album résonne de façon particulière en regard de l'histoire récente de Murry. Comme Greg Dulli, il devra apprendre, ou réapprendre, à mettre la distance nécessaire avec les paroles de ses chansons, pour peut-être les jouer en concert. Une telle distance existe déjà sur One Day (You'll Die) ou la bien rock Countess Lola Blues.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire