OO
inquiétant, audacieux, varié
expérimental, rock
On retrouve avec Judy Henske la présence languissante et solaire d'une artiste qui, ayant échoué à faire exister à Broadway une comédie musicale à la mesure de son talent, en proie à l'amertume, aurait décidé de s'épanouir selon ses propres termes. Jerry Yester est fermement décidé à brouiller les pistes de ses influences dans une expérimentation transfigurant la pop des sixties par le biais instruments au son à la fois archaïque et futuriste.
Il joue des humeurs douloureuses et parvient, chose rare, à produire un éclectisme à la hauteur de leur personnalité. Combien de chanteuses et chanteurs sont étouffés par une musique sans audace, incapable d'épouser leur particularités ? De ce point de vue, ce duo est un modèle. Et cette audace se prolonge dans l'utilisation des instruments : le vieux synthétiseur moog par exemple, utilisé pour dévoyer des sons sacrés sur le pastiche de jubilé St Nicholas Hall. La noble transcendance et la joie baroque débandent à l'attelage de la solennité géniale de Judy Henske. On entendrait presque les cloches carillonner tandis qu'elle s'épanche, aidée de chœurs contrefaits, sa passion discordante suggérant une spiritualité que l'on voudrait sincère. Sa présence vocale est l'artifice le plus perfide, qu'elle se fasse intransigeante (Rapture) ou plus « charitable » (Charity).
St. Nicholas Hall, exprime l'humeur de Jerry Yester, auparavant baladin avec les New Christy Minstrels : une expérience de religieux factice, vouée à l'expérimentation pour le plaisir de l'espièglerie. Three Ravens n'offre pas de retour à la normale, mais la bande originale d'un film illusoire, où la mélodie s'égare vite, tandis que Henske insuffle une intensité décalée, pour nous éloigner toujours plus de nos habitudes. On est plongé au cœur des notes de harpes et des arrangements. L'apparence inquiétante de l'album, débutant à la pochette, est due à la coexistence déstabilisante d'une ambiance amère, désespérée, contrastée par des mélodies pittoresques. On passe ainsi de l’entraînante Horses on a Stick à Lullaby, où les évocations de fin du monde se prononcent sur des tonalités rappelant Lily & Maria ou Goldfrapp. On devine le hurlement du vent, l'air s'engouffrant dans l'abîme.
Raider est une sarabande country folk oscillant vers un état de surimpression, quand se superposent les voix, où la réalité espérée se dérobe. C'est ce qui incitera à écouter l'album autant que possible : cette recherche de choses tangibles et de sentiments sincères, ou bien la succession des trucages pour endiguer l'agonie implicite, peut-être symboliquement celle des années 60. L'aggresivité blues rock de Snowblind se délite, par l'irruption du fantastique, progressivement, jusqu'à la déchirure magistrale de Farewell, le moment où la mort s'invite comme un éclat persistant sur la rétine.
Un album qui est à lui seul bien des scènes, des fêtes, des attitudes imprévisibles. Il s'adresse à un public capable de plonger bien consciemment dans un rêve inquiétant.
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