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vendredi 21 janvier 2011

Shannon Wright


Il y a onze ans, l’américaine Shannon Wright, installée dans le dénuement dans la campagne de Caroline du Nord, sortait son premier album solo, Flight Safety (1999). S’éloignant du rock roots de son premier groupe, Crowsdell, elle posait les bases d’un son et d’une attitude qu’elle n’a fait que développer, et conforter en une dizaine d’albums. Elle y jouait la plupart des instruments et diversifiait significativement sa palette de sonorités.

Jeune mère aujourd’hui, elle reste cette artiste passionnée, nourrie de l’esthétique du « faites-le vous-même », do it yourself – elle citera dans l’interview que j’ai réalisée les Minutemen, Pylon et les Flat Duo Jets comme influences. Il y a aussi la scène hardcore de la côte ouest américaine – et  les Smiths, dont elle reprend en concert une chanson, Asleep, depuis 2001. Longtemps signée sur le label alternatif Touch and Go, qui abritait jusqu’à sa disparition les inamovibles Shellac (le groupe du producteur incontournable Steve Albini), elle remercie aujourd’hui ceux qui l’ont encouragée à continuer d’enregistrer des albums aux airs de floraison ténébreuse, au sérieux assumé, dans un contexte de difficultés financières. Ses méthodes n’ont pas tellement évolué, mais son rythme de production est devenu plus réfléchi. « Au début je sortais des disques de façon moins espacée, un par an environ, et je tournais énormément, ça devenait dur d'écrire de nouveaux morceaux, j'étais sans cesse fatiguée. J'ai donc commencé à me laisser du temps pour être chez moi, pour réfléchir sur la vie, et c'est devenu plus facile d'écrire. Au final, un album tous les deux ans me convient bien. »

Il n’était cependant pas question pour Shannon Wright d’arrêter la musique, jamais ; elle l’aurait plutôt faite pour elle-même, continué d’y croire dans un endroit connu d’elle seule. C’est un enchantement qu’un tel revers n’ait pas eu lieu, et, après un premier album autoproduit, Honeybee Girls, en 2009, Secret  Blood est le nom un peu énigmatique d’une nouvelle étape par laquelle Wright acquiert un peu plus la maîtrise de ce qu’elle est et de ce qu’elle veut dégager. “A la fin de la vie, le sang qui nous a traversé durant notre existence contient beaucoup d’histoires qui n’ont jamais vu la lumière du jour”. C’est cette pensée, fugitive, qui a suscité le titre du disque. Pétrie d’honnêteté et pleine d’intelligence, Shannon Wright évolue lentement et surprend toujours par ses sursauts de hargne plutôt masculine (Fractured, Commoner Saint). « S’il y a une chose contre laquelle je me bats dans ma musique, c’est l’injustice. Enfant je me battais avec quiconque se montrait cruel ou injuste avec les autres». Attaquant les maux les plus visibles, elle fait pleuvoir les coups. Mais dans le fond, elle semble suspendue à une humeur toujours égale, qui la fait balancer entre espoir et désillusion.

Chez elle, une pente remontée avec élan – ses éléments les plus incisifs et énergiques -  n’est que l’occasion de replonger, le temps d’un long travelling hanté. Wright a la lucidité menaçante et la torpeur grisante, sensuelle. Sur Secret Blood, In the Needle et Under the Luminaries opèrent une descente langoureuse et marquante qui constitue le cœur du disque. Il n’y a pourtant pas de schéma préétabli qui concoure à la réussite de l’album : « C'est tellement naturel, je ne conceptualise jamais mes albums ou pense des choses du genre ‘Oh celle-ci sera une chanson à la guitare’. Je m'assieds, je joue et quelque chose sort, je ne sais pas pourquoi, ça arrive c'est tout. C'est resté pareil, ça fait partie de moi, c'est un peu comme un besoin, j'ai ce besoin de m'exprimer ... »

La solitude, sublimée, et l’amour sont toujours au centre de paroles hermétiques, parfois seulement murmurées.  « Je ne me considère pas du tout comme une chanteuse, je me concentre plutôt sur les paroles, la guitare et le piano ». De fait c’est l’atmosphère générale qu’elle crée avec ces instruments qui guident, dans un second temps, son écriture dense et ambigüe. Difficile de déchiffrer ses textes, qui pourtant s’imposent de toute évidence une fois qu’ils s’insèrent au morceau. « Certaines personnes aiment savoir de quoi parle une chanson, mais pas moi. » Conseillée par son producteur occasionnel et ami Andy Baker, elle fera une entorse à la règle sur Honeybee Girls, se laissant convaincre de laisser sa voix couvrir la musique et non l’inverse. Honeybee Girls montrait aussi  l’intérêt de Wright pour l’expérimentation, la recherche de nouvelles idées et son plaisir à travailler en studio.

La musique de Shannon Wright provoque ce tour de force : faire de la tristesse un sentiment réconfortant. « Je n'ai jamais vu mes chansons comme contenant de la colère même si je sais que beaucoup de gens les voient comme ça.[…] C'est plus de la frustration sur la vie et des questionnements sur les gens ... mais je cherche toujours ce qui peut être bon, c'est presque un espoir que les choses s'améliorent. Donc pour moi ce n'est ni de la colère, ni négatif, c'est plus une tristesse ... et c'est toujours une recherche. » Sur On the Riverside ou Merciful Secret of a Noble Man, elle excelle à caresser cette grande sensibilité. « Je ne trouve pas la tristesse dangereuse car c’est une émotion naturelle. C’est en chacun d’entre nous. Le problème c’est juste d’être assez brave pour la révéler. »
Sur Honeybee Girls, Wright pointait la pensée dominante qui conduit à la domination masculine. « Ca me rend triste que les femmes n'arrivent pas à sortir de cette façon de penser, si elles pouvaient arrêter ça, elles auraient leur propre voix, elles pourraient trouver cette voix en elles-mêmes et ne tomberaient pas dans le piège d'essayer d'être quelque chose pour les hommes plutôt que pour elles-mêmes. » L’écueil du machisme serait en partie résolu si les hommes acceptaient leur part de féminité plutôt que de vouloir à tout prix faire la démonstration de leur virilité ; et si les femmes laissaient leur part masculine impressionner plutôt que d’accepter la soumission – dans certains cas, par confort. Voir Shannon Wright en concert, et apprécier le ton rêche de ces disques, laisse penser qu’elle œuvre incessamment dans ce sens.
Ses prestations en concert, elle les envisage  comme une communion totale avec son public. « C’est très gratifiant car je ne suis pas une artiste qui joue son set séparée du public, alors quand il est avec moi, il me porte, me donne envie de me livrer plus. Si on attend juste de moi de faire mon ‘show’, alors je n’en tire aucun plaisir. J’ai besoin de me perdre avec le public, et là nous partageons ensemble ce moment qui restera ensuite un bon souvenir. Ce sont des moments très importants pour nous tous. » Si son ancienne timidité ne l’empêche pas de redevenir elle-même pleinement lorsque elle  monte sur scène, elle n’a pas vocation à se donner en spectacle, mais plutôt à être l’origine d’un mouvement, d’une prise de conscience communs. C’est la que la force de sa vision joue un rôle prépondérant, par opposition au travail en studio qui est plutôt vécu comme une sorte de jeu.
C’est exactement le même sentiment d’injustice, sociale, morale qui donne sa sève à Secret Blood, tout en amenant l’auditeur dans des sphères peut-être encore plus adultes et crépusculaires.  Même lorsqu’elle paraît agressive, Wright continue de ne faire que défendre sa sensibilité, tout en essayant de donner le maximum de clefs à ceux qui apprécieront son travail pour y mettre dos à dos leurs propres sentiments.
Extraits d’interview : Stars are Underground (site internet) + l’interview que j’ai réalisée.

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