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mardi 16 novembre 2010

Antony Hegarty - Le cygne soul (4)


Lynch et Lennon

Lou Reed a découvert Antony avec son EP Fell in Love with a Dead Boy. En écoutant ces trois morceaux parus en 2001, on se rend compte à quel point  sa façon de composer et de chanter a peu évolué. Le EP contient notamment une reprise de Mysteries of Love, un morceau composé par Angelo Bandalamenti pour la bande originale de Blue Velvet (1985), l’un des premiers chefs-d’œuvre de David Lynch, hypnotique et charnel. Hegarty fait savoir que le personnage interprété par Isabella Rosselini dans ce film est une autre de ces sources d’inspiration. Une femme piégée qui continue pourtant de donner tout ce qui lui reste – son corps, sa voix, et aspire à disparaître dans une larme.
Antony Hegarty est probablement fasciné par la manière dont les personnages de Lynch semblent se réincarner dans des objets ou des animaux (notamment le hibou dans la série Twin Peaks), une prolongation à sa propre spiritualité, en éclosion constante. De manière générale, Hegarty sait que des prophéties et des visions anecdotiques, dans les films, les livres ou le théâtre, cachent de grandes vérités et des symboles qui peuvent nous éclairer sur le poids de l’amour, de la mort, de la liberté. C’est ce qu’il explore sur les disques d’Antony and the Johnsons, et avec de plus en plus d’évidence au fil des années. Des réflexions d’ensemble qui conduisent à une lucidité pointilleuse – avec, en gage, la justesse de ses observations sur le monde qui l’entoure. Musicalement parlant, le réalisateur et le musicien doivent bien vouer une admiration commune a un chanteur comme Roy Orbison – ceux là dont la moindre chanson d’amour a une portée qui frise l’angoisse de l’inconnu.

Antony a peut-être eu un jour ce pressentiment ; le rock, c’est faire fusionner le geste, la forme excentrique du corps de l’artiste et celles de ses chansons. I Am a Bird Now (2005), préparé dans les années 1990, est un pas en avant sensible, sept ans après le premier disque éponyme du chanteur. Si les visions du Pyramid Club lui ont apporté la sensation d’être sur la bonne voie pour développer un style, il va enfin trouver le moyen de l’investir entièrement, mais sans pour autant faire un disque plus large ni plus gros. En réalité, celui-ci semble au contraire léger, constitué de morceaux importants mais courts et épurés – For Today i’m a Boy, You Are my Sister – décrit par hegarty comme son «  hymne pour l’Amérique ». Le son est plus doux, plus intime, et inspiré selon le chanteur par The Covers Record par Cat Power. Alors que le premier album était un peu destiné à être entendu sur scène, celui-ci est ait pour ce qui se passe après, plus tard dans la nuit. Les confidences, la confusion, les sensibilités disproportionnées. Sa voix n’est plus poussée dans ses retranchements, mais modulée davantage. « A l’école (de théâtre) ils nous apprenaient à chanter fort. Mais ma voix à changé avec le temps » « Ta voix est le son que tu renvoies au monde autour de toi. Personne ne crée dans un vide ». Son environnement s’est resserré autour de lui, et ça s’en ressent.
Hope There’s Someone, l’une des plus récentes chansons qu’il ait écrite pour le disque, devient l’expérience transcendantale à la mode. Le morceau, plein d’appréhension et de solitude est joué dans des films.
Il chante la solitude mais Hegarty est alors bien entouré. On découvre ou redécouvre à ses côtés d’autres jeunes talents débridés et aussi inclassables que lui ; Rufus Wainwright (Want Two, en 2004) contient un duo mémorable), Devendra Banhart. Ce dernier, profitant d’un regain de sa propre popularité, a eu la bonne idée de sortir une compilation un peu spéciale, Golden Apples of the Sun (2005), ou apparaissent Cocorosie, Newsom et Hegarty, en dernière position. Il remplit parfaitement le rôle s’il s’agit de mettre un point d’orgue – avec l’inédit The Lake, l’adaptation d’un poème d’Edgar Allan Poe -  à cette collection de talents en devenir, ou déjà promis à des carrières époustouflantes.

Mais, même s’il semble parfaitement incarner l’essence d’un mouvement, Hegarty continue de progresser et reste largement insaisissable, comme le pointera un journaliste au moment de i Am a Bird…, alors que le chanteur se prépare pour un concert dans un restaurant Londonien.
« Ca ne me pâlit pas trop ? » demande t-il à ses amis musiciens. Ils acquiescent. La lumière est éteinte, et la répétition reprend. Vous pourriez, si vous le vouliez, déduire beaucoup de cette remarque. C’est difficile de penser à un album aussi obsédé par le thème de la transformation du corps qu’I Am a Bird Now, avec ces chansons à propos d’amputation mammaire et l’apparition en tant qu’invité du mathématicien hermaphrodite Julia Yasuda - et là est l’homme responsable de ça, préoccupé en public de son apparence. » « I Am a Bird Now sinue dans des mystères de genre et de sexualité qui peuvent laisser l’auditeur moyen se sentir aussi novice que la reine Victoria l’était à propos du lesbianisme ». La démarche d’Antony à explorer les limites transgenres ressemble davantage à une exploration intellectuelle ; à la manière d’un David Lynch, il n’incarne pas tout ce qui se dégage de son art. Il est là avant tout pour la stimulation créative. Pour s’immerger dans un environnement et voir ce que cet environnement peut lui apporter. Pour le frisson de l’inconnu, renouvelé tandis qu’il trouve de nouveaux personnages et agrandit la famille. « Je ne suis pas trop dans l’idée de se transformer en quelque chose d’autre que ce que vous êtes. Je pense que mon intérêt dans l’aspect théâtral est plutôt environnemental et non à propos de l’individu. » 
Il a l’idée qu’il doit essayer, s’identifier d’abord à un certain univers avant de l’imposer comme une réalité au public – la meilleure façon d’imposer cette réalité étant d’inviter des gens comme Yasuda à participer à ses disques. Il met en place un héritage qu’il pourra transmettre en participant à son tour à d’autres projets – chose qu’il fait déjà activement. (David Lynch est quand à lui également musicien et il s’est par exemple investi l’an dernier sur un disque co-réalisé avec Mark Linkous de Sparklehorse et le producteur réputé Danger Mouse – projetant l’aura de ses propres travaux sur le disque). Si l’on s’en remet prématurément à une phrase plus tardive d’Hegarty : « Imagine there's no Heaven/ It was easy when I tried ». Une transformation intelligente de la proposition de John Lennon qui reflète bien l’existence de deux temps différents dans l’art d’Hegarty ; le moment où il essaye d’imaginer qu’il n’y ait pas de Paradis ; et le moment où il enjoint son auditeur à faire de même, à sa propre façon. Hegarty ne nous invite pas vraiment à vivre tout ce qu’il a vécu ; mais seulement à en mesurer, directement par son biais ou par celui de Klaus Nomi, de Divine et des autres, tout le sens. Antony n’est donc sûrement pas un de ces musiciens que l’on utilise comme modèle, auquel on peut s’identifier. Mais on peut reconnaître l’intelligence de ses idées et la sensibilité qu’il leur infuse, alors mêmes que ces idées sont de plus en plus globales – de la crise du SIDA à New York à la crise mondiale de l’environnement avec son troisième disque, The Crying Light.

Cette position d’artiste parallèle, Antony Hegarty en a conscience. Il en fait part au moment de recevoir le Mercury Prize, une récompense de 20 000 livres décernée en Grande-Bretagne. « J’ai été très choqué. J’ai pensé que j’allais être  comme un sorbet agréable ; un contrepoint au plat principal, et c’était un rôle avec lequel j’étais en confort. Je n’ai jamais été le plat principal auparavant ». Son groupe est un plaisir fugace.  

En 2008, sort un EP qui annonce son prochain disque, The Crying Light. Sur celui-ci figure un titre, intitulé Another World. Sa beauté étouffée bat peut-être tout ce qu’Antony a fait jusque-là, à un niveau quasi impalpable et surement pas mesurable. Mais surtout, et c’est une heureuse coïncidence, c’est une sorte d’Imagine pour aujourd’hui ; un chant menaçant, une mise en garde et la révélation d’une crise comportementale qui devrait toucher tous les hommes.
C’est difficile de mesurer quelle a été l’influence de John Lennon, et peut-être aussi de Yoko Ono, sur Hegarty. Mais leur capacité à croire leur musique et leurs performances pour la paix capables de transcender les frontières s’est transformée en phénomène de société et en exemple pour les générations futures. Le geste avait alors, encore, une importance qu’on ne lui prête plus aujourd’hui ; mais dans le monde d’Hegarty, cet « Another World »  la naïveté ressemble à une forme de pacte  pour racheter son âme et tout semble devenir à nouveau possible. 

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